jeudi, 26 juillet 2012
Considérations sur le surréalisme et la liberté - Breton, Magritte
René Magritte
Extrait de Manifestes du Surréalisme, André Breton, 1924
Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus précaire, la vie réelle s’entend, qu’à la fin cette croyance se perd. L’homme, ce rêveur définitif, de jour en jour plus mécontent de son sort, fait avec peine le tour des objets dont il a été amené à faire usage, et que lui a livrés sa nonchalance, ou son effort, son effort presque toujours, car il a consenti à travailler, tout au moins il n’a pas répugné à jouer sa chance (ce qu’il appelle sa chance !). Une grande modestie est à présent son partage : il sait quelles femmes il a eues, dans quelles aventures risibles il a trempé ; sa richesse ou sa pauvreté ne lui est de rien, il reste à cet égard l’enfant qui vient de naître et, quant à l’approbation de sa conscience morale, j’admets qu’il s’en passe aisément. S’il garde quelque lucidité, il ne peut que se retourner alors vers son enfance qui, pour massacrée qu’elle ait été par le soin des dresseurs, ne lui en semble pas moins pleine de charmes. Là, l’absence de toute rigueur connue lui laisse la perspective de plusieurs vies menées à la fois ; il s’enracine dans cette illusion ; il ne veut plus connaître que la facilité momentanée, extrême, de toutes choses. Chaque matin, des enfants partent sans inquiétude. Tout est près, les pires conditions matérielles sont excellentes. Les bois sont blancs ou noirs, on ne dormira jamais.
Mais il est vrai qu’on ne saurait aller si loin, il ne s’agit pas seulement de la distance. Les menaces s’accumulent, on cède, on abandonne une part du terrain à conquérir. Cette imagination qui n’admettait pas de bornes, on ne lui permet plus de s’exercer que selon les lois d’une utilité arbitraire ; elle est incapable d’assumer longtemps ce rôle inférieur et, aux environs de la vingtième année, préfère, en général, abandonner l’homme à son destin sans lumière.
Qu’il essaie plus tard, de-ci de-là, de se reprendre, ayant senti lui manquer peu à peu toutes raisons de vivre, incapable qu’il est devenu de se trouver à la hauteur d’une situation exceptionnelle telle que l’amour, il n’y parviendra guère. C’est qu’il appartient désormais corps et âme à une impérieuse nécessité pratique, qui ne souffre par qu’on la perde de vue. Tous ses gestes manqueront d’ampleur ; toutes ses idées, d’envergure. Il ne se représentera, de ce qui lui arrive et peut lui arriver, que ce qui relie cet événement à une foule d’événements semblables, événements auxquels il n’a pas pris part, événements manqués. Que dis-je, il en jugera par rapport à un de ces événements, plus rassurant dans ses conséquences que les autres. Il n’y verra, sous aucun prétexte, son salut.
André Breton (1896-1966)
Chère imagination, ce que j’aime surtout en toi, c’est que tu ne pardonnes pas.
Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. Parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée. A nous de ne pas en mésuser gravement. Réduire l’imagination à l’esclavage, quand bien même il y irait de ce qu’on appelle grossièrement le bonheur, c’est se dérober à tout ce qu’on trouve, au fond de soi, de justice suprême. La seule imagination me rend compte de ce qui peut être, et c’est assez pour lever un peu le terrible interdit ; assez aussi pour que je m’abandonne à elle sans crainte de me tromper (comme si l’on pouvait se tromper davantage). Où commence-t-elle à devenir mauvaise et où s’arrête la sécurité de l’esprit ? Pour l’esprit, la possibilité d’errer n’est-elle pas plutôt la contingence du bien ?
Reste la folie, "la folie qu'on enferme" a-t-on si bien dit. Celle-là ou l'autre... Chacun sait, en effet, que les fous ne doivent leur internement qu'à un petit nombre d'actes répréhensibles, et que, faute de ces actes, leur liberté (ce qu'on voit de leur liberté) ne saurait être en jeu.
> A consulter également http://psychephonique.canalblog.com/archives/2006/05/25/1...
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mercredi, 25 juillet 2012
Le choix de Jane - Jane Austen
Téléfilm : Le choix de Jane / Miss Austen regrets (2008, durée 1h30)
Réalisateur : Jeremy Lovering
Musique : Jennie Muskett
Jane Austen (Olivia Williams), Cassandra Austen sa soeur (Greta Scacchi), madame Austen sa mère (Phyllida Law), Fanny Austen-Knight sa nièce (Imogen Poots), Henry Austen son frère (Adrian Edmondson), Edward Austen-Knight un autre de ses frères (Pip Torrens)
John Plumptre le prétendant de Fanny (Tom Hiddleston), le révérend Brook Bridges (Hugh Bonneville), le révérend Clarke et bibliothécaire du roi (Jason Watkins), le révérend Charles Papillon (Harry Gostelow), le docteur Charles Haden (Jack Huston), madame Bigeon (Sylvie Herbert), Anna Lefroy (Sally Tatum), Stephen Lushington (Tom Goodman-Hill)
Jane : Dites-moi que j'ai fait le bon choix. Dites-moi que j'ai eu raison de changer d'avis. Seigneur, faites que je ne regrette jamais ce jour.
Lettre de Jane à Fanny : Ma très chère Fanny, ta dernière lettre m'intrigue au plus haut point. Tu me fais une telle description de ton étrange petit cœur. Ce nouveau jeune homme que tu adores, est-il l'homme de ta vie ? Si seulement nous pouvions prévoir l'avenir et savoir par avance si nous avons fait le bon choix. Hélas, tu dois prendre la décision la plus importante de ta vie en ayant pour seul conseil que celui de ta tante Jane. En venant au mariage de ta cousine, prépare-toi à discuter avec moi de chaque délicieux détail.
Le prêtre au mariage : Seigneur, considérez ces nouveaux époux avec bonté. Que cette femme soit aimante, qu'elle soit aimable, fidèle et obéissante envers son mari. Seigneur, accordez-leur votre bénédiction.
Fanny : Aide-moi à me décider, j'en suis incapable.
Jane : Je dois absolument rencontrer ton cher monsieur Plumtre dans les meilleurs délais. C'est très urgent. Plumtre, Plumtre, madame Plumtre !
Fanny : Chh-chht ! Je t'en prie, arrête, tout le monde va entendre !
Jane : Avec un nom aussi grotesque, je suppose que tu vas le trouver irrésistible. [...] Ne t'imagine pas que tu arriveras avant moi devant l'autel. On doit me faire une demande en mariage d'un jour à l'autre.
Fanny : Quelle mauvaise plaisanterie !
Jane : Ecoute-moi bien, Fanny. Tout homme n'attend qu'une chose, une opportunité.
Jane : Monsieur Papillon.
Le révérend Papillon : Oh ! Miss Austen.
Jane : Charmant office.
Le révérend Papillon : Vous êtes trop bonne, miss Austen. Mes efforts ne peuvent rivaliser avec votre... intelligence supérieure.
Jane : Comme cela est romantique.
Le révérend Papillon : Romantique ? Mon Dieu, non.
Jane : Tout le monde devrait pouvoir se marier. Vous n'êtes pas d'accord ?
Le révérend Papillon : ... Saint Paul lui-même nous dit qu'il vaut mieux se marier que se consumer de désir.
Jane : Hoh, comment résister... Je suis convaincue, monsieur Papillon, qu'il n'est pas une seule de nos dames de la société anglaise, même la plus endurcie des vieilles filles, qui échouerait à trouver le bonheur si seulement ces messieurs voulaient bien... saisir l'opportunité. Toute opportunité !
Le révérend Papillon : Vous avez certainement raison.
¤ ¤ ¤
Cassandra : Tu ne devrais pas torturer ce pauvre homme. On dirait une chatte avec un mulot, c'est cruel.
Jane : Monsieur Papillon est aussi sec qu'un hareng saur. Je parie qu'il n'a rien remarqué. Je suis moi aussi fille de pasteur. Pourquoi ne ferais-je pas une charmante femme de pasteur ?
Cassandra : Tu donnes le mauvais exemple à ta propre nièce.
Jane : Cette petite est délicieuse. Et quand je pense qu'elle va épouser un quelconque gentleman habitant le Kent.
Cassandra : Quelqu'un qui vit dans le Kent est forcément aimable.
Jane : Je n'aime pas que les gens soient trop aimables. Sinon je me sens obligée de les aimer.
Cassandra : Tu crois que tu auras du temps pour écrire dans le Kent ?
Jane : Je prendrai le temps. Aide-moi, Cassandra, je vais être en retard !
Cassandra : Ecris-moi tous les jours.
La mère : Tu te rends compte du nombre de connaissances qu'elle va faire ?
Cassandra : Mère...
La mère : Toi, toi tu as décidé de t'entourer de murs il y a des années. Mais Jane, ne me dis pas que les hommes ne l'intéressent pas.
Cassandra : Elle connaît tous les hommes du Kent.
La mère : Ah, mes pauvres filles.
Fanny : Qu'est-ce qui est pire à ton avis ? Faire un mauvais mariage ou mourir seule comme une vieille fille ?
Jane : Il y a pire que mourir.
Fanny : Tu n'es pas vieille.
Jane : J'aurai bientôt quarante ans. Assez vieille pour pouvoir m'en vanter.
Fanny : Nous devons donc chercher un vieux veuf fortuné avec six enfants !
Jane : Charmante perspective.
Fanny : Tu devais avoir des centaines de demandes quand tu avais mon âge.
Jane : Des milliers.
Fanny : Je parie que tous les jeunes hommes de ton voisinage se mouraient d'amour pour toi.
Jane : Hélas... pas pour moi.
Fanny : Des demandes en mariage ?
Jane : Non, aucune, ma chère. Crois-moi, je suis bonne que pour la théorie et rien de plus. Et malgré ma honte de vieillir, je suis heureuse qu'il en soit ainsi. C'est moins compliqué.
Fanny : Tu n'as donc jamais été amoureuse ?
Jane : ... La vérité, Fanny, et je te demande de garder le secret, de ne jamais le dire à qui que ce soit, la vérité, c'est que... c'est moi qui ai été amoureuse et quittée.
Fanny : Qui était-ce ? Dis-moi.
Jane : J'ai aimé sans retour. J'ai brûlé. J'ai languis. Et ensuite, je me suis juré de faire de la solitude et de l'écriture une espèce de consolation.
Fanny : Non, c'est vrai ?
Jane : Tu lis beaucoup trop de romans, chère Fanny.
¤ ¤ ¤
Fanny : Oh, je serais désespérée si tu n'apprécies pas monsieur Plumtree.
Jane : Mais voyons, je suis déjà en adoration devant lui.
Fanny : Ne t'attends surtout pas à un monsieur Darcy.
Jane : Ma chérie, je crois que tu confonds fiction et vie réelle. La seule façon de rencontrer un monsieur Darcy est de l'inventer de toutes pièces, comme moi.
John Plumptre : Je rêve du jour où chacun d'entre nous sur cette terre sera assez adulte et assez fort pour se détourner des joies futiles de ce monde et pour ne penser qu'aux jours infinis que nous réserve notre Seigneur dans les cieux.
Jane : Certes, mais en attendant, voulez-vous...
John Plumptre : En attendant, un écrivain comme vous, miss Austen, possède une telle influence qu'il peut encourager les gens à devenir vertueux. Et c'est pourquoi, mais je vous demande de ne pas le prendre en mauvaise part, c'est pourquoi cela me chagrine de voir que la plupart de vos hommes d'église sont des sujets de moquerie.
Jane : Ma mère... ma mère aime mes pasteurs, c'est ridicule.
John Plumptre : Mais votre père est...
Jane : Pasteur, oui. Un pasteur, bien réel. Tandis que mes pasteurs sont... de pures fictions, est-ce clair ? Ce ne sont que des histoires.
¤ ¤ ¤
Jane : Il est beau, n'est-ce pas ? Et sa foi est un bon point en sa faveur. Il a des manières de gentleman qui me plaisent. Plus raisonnable que brillant. Mais personne n'est brillant de nos jours.
Edward : Est-il recommandable ?
Jane : Grand Dieu, comment pourrais-je le savoir ?
Edward : Bien sûr. Néanmoins...
Jane : Les jeunes filles de vingt ans veulent tellement tomber amoureuse. Il est si difficile de savoir si c'est vraiment de l'amour. Chacun de nous devrait avoir la chance de faire au moins une fois un mariage d'amour, si c'est possible.
Lettre de Jane à Cassandra : Me voici enfin seule, quel bonheur. A l'heure présente, je dispose de cinq tables, de vingt-huit chaises et de deux cheminées pour moi toute seule. Je suis pour ainsi dire seul maître à bord.
Jane : Etes-vous heureux à Ramsgate, monsieur Bridges ?
Le révérend Bridges : Oui ! Et vous dans le Hampshire, miss Austen ?
Jane : Oui !
Le révérend Bridges : J'ai été surpris d'apprendre que vous aviez quitté Bath.
Jane : Il y a une affreuse prolifération de femmes laides à Bath. Et d'hommes aussi d'ailleurs. Je n'ai pas écrit le moindre mot valable ou utile durant dix ans. Ensuite nous sommes allés dans le cottage du Hampshire, et j'ai su que c'était pour la vie. Je savais que ma mère se plairait là-bas, et que ma sœur s'y sentirait plutôt bien.
Le révérend Bridges : Vous avez oublié quelqu'un.
Jane : ... Et que je pourrai écrire. Tout finit toujours par s'arranger, n'est-ce pas ?
Le révérend Bridges : C'est possible.
Stephen Lushington : Fanny, ma chère, une vraie jeune fille !
Fanny : Monsieur Lushington.
Edward : Ma soeur, miss Austen. Jane, je te présente monsieur Stephen Lushington, représentant de Kanterburry au parlement.
Stephen Lushington : Je me réjouis de voir que vous êtes aussi charmante en personne qu'au travers de vos écrits, miss Austen.
Jane : Oh, je-je n'ai encore rien dit, il me semble.
Stephen Lushington : Certains hauts personnages du palais de Westminster font la queue pour avoir la chance de vous voir.
Jane : Ah, vont-ils m'observer ainsi qu'un animal sauvage dans un zoo ?
Stephen Lushington : Un animal sauvage, pris dans mes rets ici dans cette bibliothèque, votre domaine, où vous êtes entourée, épaulée par la sagesse des anciens. Avec crainte, je foule les sentiers silencieux cousus d'or. Oh, nature, demeure éternelle des morts.
Jane : Vous aimez George Crane.
Stephen Lushington : J'ai toujours un exemplaire de ses poèmes dans ma poche, quand la chambre des communes devient trop ennuyeuse.
Jane : Ses œuvres complètes tiennent donc dans votre poche.
Stephen Lushington : Orgueils et Préjugés tiennent dans l'autre. Mansfield Park est sous mon chapeau ! Et Raisons et Sentiments est coincé sous mon bras.
Jane : Oh... Et où allez-vous mettre mon Emma ?
Stephen Lushington : Une nouvelle héroïne ! Ma chère miss Austen, permettez-moi de monopoliser votre attention sans vergogne, jusqu'à la fin du dîner, et même au-delà.
Fanny : Tu as laissé cet horrible politicien flirter avec toi toute la soirée.
Jane : Je suis un peu amoureuse de lui. Il est brillant. Et il a bon goût.
Fanny : Ambitieux et hypocrite.
Jane : C'est une bonne chose. Ca m'empêche de jeter mon dévolu sur un homme qui possède déjà une femme et dix enfants !
Fanny : En outre, il est laid.
Jane : Bien joué, Fanny. Tu as enfin découvert la véritable raison pour laquelle je n'ai jamais choisi de mari.
Fanny : Parce que tu n'en as jamais trouvé un qui soit assez beau.
Jane : Pas du tout ! Je n'en ai jamais trouvé un qui vaille la peine qu'on dépasse le flirt.
¤ ¤ ¤
Lettre de Jane à Cassandra : Ma chère Cassandra, je pense que j'ai bu un peu trop de vin hier soir. Je ne sais comment expliquer autrement le tremblement de mes mains aujourd'hui. Au moins, ma coiffure n'en a pas souffert. Et pour l'instant, je n'ai pas d'autre ambition.
Edward : Ah, tu es là. Tout le monde est sorti, est allé prendre l'air.
Jane : Je sais. Je me suis levée très tard.
Edward : Je pensais te trouver assise dans un coin, en train de gribouiller.
Jane : Ce matin, je ne suis pas d'humeur à gribouiller.
Edward : Ca avance comme tu veux ?
Jane : Ca va. Emma est presque terminé. Mais monsieur Egerton refuse de publier une nouvelle édition de Mansfield Park. Alors je me disais qu'on pourrait peut-être faire appel à un nouvel éditeur pour publier Emma. Peut-être qu'on devrait demander un peu plus d'argent aussi.
Edward : Je te répète que tu ne dois pas espérer gagner de l'argent avec tes romans.
Jane : Raisons et Sentiments m'a rapporté plus de cent-quarante livres. Il me semble que je peux en être fière, non ?
Edward : Essaie d'imaginer l'image que cela donne de nous, tes frères. D'avoir une sœur de ton âge qui n'est pas mariée, et qui en outre cherche un emploi. Sache que je veillerai toujours sur toi, sur Cassandra et notre mère. Mais je suis veuf, j'ai onze enfants à élever, j'ai hérité d'une demeure que je n'a pas les moyens d'entretenir et d'un domaine avec un tas de complications.
Jane : Quelles complications ?
Edward : Huh... Ma succession est remise en cause. L'acte notarié a été mal rédigé, paraît-il. S'ils ont gain de cause, je perdrai la moitié de tout ce que je possède.
Jane : Cette maison aussi ?
Edward : Non-non-non-non, cette maison est à l'abri. Je crois que je me suis mal exprimé. En fait, l'assignation ne concerne que mes droits sur le domaine du Hampshire.
Jane : Le cottage...
Edward : Je ne veux pas que tu t'inquiètes. Il y aura toujours de la place ici pour vous tous.
Jane : Edward, le cottage est l'endroit où j'écris.
Edward : Ah, Jane, si seulement tu étais moins orgueilleuse. Si seulement tu t'étais mariée.
Jane : Vous avez toujours été enthousiaste, ce que toute femme attend d'un homme.
Le révérend Bridges : J'attendais la nouvelle de votre mariage.
Jane : Comme toute femme vous le dira, il y a une grande pénurie d'hommes en général et une encore plus grande d'hommes biens.
Le révérend Bridges : Vous vous dissimulez derrière de belles phrases, comme toujours, Jane.
Jane : Tant mieux ! Parce que mes belles phrases me permettront de mettre un toit sur ma tête. Ou celle de ma mère, ou de ma soeur. Je vais moi-même être obligée de jouer le rôle du mari. On en est là.
Le révérend Bridges : J'aurais mis un toit sur leur tête et vous, Jane, je vous aurais aimée jusqu'à ce que la mort nous sépare.
Jane : La publication est prévue pour quand ?
Henry : Il n'y a pas encore de date, en tout cas de date officielle.
Jane : Mais il y a un contrat ?
Henry : Le contrat... est en cours d'élaboration. Oh, Jane, il propose bien peu d'argent. Il veut tous tes romans contre quatre-cent cinquante livres.
Jane : Mais c'est une misère !
Henry : Je suis banquier, et s'il y a une chose que les banquiers connaissent bien, c'est l'argent. Tu sais que tu peux compter sur moi.
¤ ¤ ¤
Jane : Je suis folle d'imaginer que les lecteurs vont pouvoir aimer... une horrible petite snob qui va mettre son nez partout.
Henry : Emma ? Tout le monde va l'aimer.
Jane : Et si tout le monde jugeait que ce n'est pas aussi bien qu'Orgueils et Préjugés et que mes meilleurs livres appartiennent au passé ?
¤ ¤ ¤
Jane : Je suis étonnée d'apprendre que vous lisez des romans, monsieur Haden. Je doute d'être assez intelligente à vos yeux. Les hommes, en général, lisent de meilleurs livres.
Le docteur Haden : A vrai dire, j'ai lu plus de romans sentimentaux qu'il n'est bon pour mon âme immortelle.
Jane : Je crains que vous ne deviez retirer le mot "sentimental", si vous tenez à prouver que vous avez lu mes livres.
Le docteur Haden : J'ai été particulièrement intéressé de constater que lady Bennett se rend compte qu'elle aime monsieur Darcy lorsqu'elle voit sa magnifique demeure.
¤ ¤ ¤
Le docteur Haden : Il n'a besoin que de repos et de calme, c'est-à-dire de vous. Je lui ai pris un demi-litre de sang, mais je crains de devoir renouveler l'opération demain.
Jane : Oh, excellent ! ... Je veux dire, faites ce qu'il faut.
Le docteur Haden : Au revoir, miss Austen. Mesdames.
Jane : A demain alors.
Le docteur Haden : Avec grand plaisir.
Le docteur Haden : Votre frère ne vous l'a peut-être pas dit, miss Austen, mais mon chef de service a, parmi ses patients, des personnages très haut placés, plus haut que vous ne pouvez l'imaginer.
Jane : Mais mon imagination peut voler très haut.
Le docteur Haden : Eh bien, j'ai appris par hasard que le prince régent aimait vos romans.
Jane : Hhh, je déteste cet homme. Je prends toujours le parti de sa femme !
Le docteur Haden : Alors cachez vos sentiments autant que possible, je dois recevoir une invitation royale d'un jour à l'autre.
Jane : Nous allons rencontrer son altesse royale ?
Le docteur Haden : Non, pas nous. Vous, rien que vous. Je ne suis que le messager.
Jane : Oh, je vais décliner dans ce cas. Le prince régent est un être si désagréable que je me serais bien passé d'être appréciée par lui.
Le docteur Haden : Oh, donc vous ne souhaitez être lue que par les hommes que vous estimez ?
Jane : Pourquoi est-ce que je ne choisirais pas mes lecteurs tout comme je choisis mes amis ?
Le docteur Haden : Mais parce que ce n'est pas comme ça qu'on fait fortune.
Jane : Alors je serai à jamais pauvre, obscure et méconnue.
Le docteur Haden : Non, au contraire, je donnerais cher pour vous voir briller de tous vos feux parmi la meilleure compagnie.
¤ ¤ ¤
Jane : Nous sommes de bien étranges créatures. Aussitôt que nous sommes sures de l'attachement d'un homme, nous ne pensons qu'à nous en détacher. Pauvre monsieur Plumtre. Il faut lui rendre sa liberté. Quand tu es avec lui, montre-lui une telle froideur qu'il puisse se convaincre qu'il a pris ses rêves pour la réalité.
Fanny : Il ne va pas le supporter.
Jane : En effet, pendant quelques temps, il va beaucoup souffrir, je n'en doute pas. Mais je crois dur comme fer que ce genre de déception amoureuse n'a jamais tué personne. Et je suis maintenant à Londres, où les rues sont pavées d'une foule de jeunes gens impatients. Fanny, rien ne peut être comparé au malheur d'un mariage sans amour, au fait d'être lié pour la vie à quelqu'un et de préférer quelqu'un d'autre. C'est un châtiment que même toi tu ne mérites pas.
Fanny : Tes cheveux sont très joliment bouclés aujourd'hui.
Jane : Monsieur Haden, j'ignore ce que je dois faire, je n'ai aucune expérience.
Le docteur Haden : Vous avez quelque chose de beaucoup important et de beaucoup plus enviable que l'expérience.
Jane : Quoi donc ?
Le docteur Haden : De l'imagination. Songez à moi qui vous encourage, votre plus grand supporter croit en votre victoire.
Le bibliothécaire du roi : Miss Austen, l'honneur de votre visite est immense, incommensurable ! Sachez que le régent a lu et admiré tous vos romans, miss Austen. Son altesse royale en possède un exemplaire dans chacune de ses résidences, si-si. Et moi, son humble bibliothécaire, j'aime Stanley Clarke. Je les ai également lus. Deux fois. Voulez-vous des gâteaux ?
Jane : Volontiers.
Le bibliothécaire du roi : Je suis persuadé qu'Emma sera un grand succès.
Jane : J'ai quand même un peu peur que les lecteurs qui ont goûté Orgueils et Préjugés le trouvent trop sérieux et que ceux qui ont goûté Mansfield Park le trouvent au contraire trop frivole.
Le bibliothécaire du roi : Non, c'est impossible, madame, car chaque œuvre nouvelle montre que votre esprit a encore grandi en énergie et en puissance de discernement. Vos livres reflètent la très haute idée de votre génie, et de vos principes.
Jane : Ce sont mes très chers enfants. Je les envoie à travers le monde. Et ils se mesurent aux autres enfants, ceux de Walter Scott ou Lord Byron.
Le bibliothécaire du roi : Aucune comparaison, chère madame, ces... ces deux messieurs sont illisibles.
Jane : Voyez-vous, j'ai accompli jusqu'ici si peu de choses. Ma vie a été si ordinaire. Mon œuvre est encore si mince. Mes livres sont...
Le bibliothécaire du roi : Miss Austen...
Jane : Ce sont des miniatures en ivoire, de cinq centimètres de large, sur lesquels je travaille avec des pinceaux extrêmement délicats.
Le bibliothécaire du roi : Vous avez l'entière liberté de dédicacer Emma... à son altesse royale. L'entière liberté ! Hum... peut-être dans un de vos prochains ouvrages, euh... pourriez-vous décrire... la ville, les habitudes, le caractère et l'enthousiasme d'un clergyman. Le montrer par exemple en train d'enterrer sa mère, ce que j'ai fait et dont je ne me suis jamais remis. Ou... ou...
Jane : "Faites de votre clergyman un aumônier de la royale navy, un ami des grands officiers de marine !" "Monsieur Clarke, ai-je dit, je suis fort honorée, mais un personnage comme celui-là devrait aborder des sujets tels que la science, la philosophie et une femme telle que moi n'y connaît rien. Hélas, toute modestie mise à part, je crois bien que je me peux me vanter d'être la plus inculte de toutes les femmes qui ont jamais osé s'attribuer le titre de femme de lettres."
Le docteur Haden : Bravo !
Fanny : C'est très vilain, Jane. Tu n'as pas eu pitié de ce pauvre homme ?
Jane : Je n'ai jamais pitié de quelqu'un qui n'est pas de ma famille.
Henry : Une raison de plus pour me féliciter chaque jour d'être ton frère.
Jane : Comme le savent bien tous les éditeurs, la plupart des lecteurs aime surtout les histoires d'amour sérieuses. Hélas, si j'en écrivais une, ce ne serait que pour survivre. Je préfère laisser d'autres plumes ruminer sur la culpabilité et le malheur.
Henry : Un toast à Culpabilité et Malheur !
Le docteur Haden : Et donc, si nous voulons vraiment contribuer à votre fortune, miss Austen, nous devons vous aider à écrire le parfait roman moderne.
Jane : Le genre d'histoire où l'héroïne est forcément la fille d'un clergyman, la perfection incarnée, tendre, sentimentale, bonne, dénuée du moindre sens de l'humour, parlant plusieurs langues étrangères, bien sûr, et divinement douée pour la musique, cela va de soi.
Le docteur Haden : Et notre héroïne jouera de quel instrument ?
Jane : Du pianoforte, ce qui permettra de mettre en valeur ses bras splendides.
Le docteur Haden : Et quel jeune homme sera digne d'une telle perfection ?
Jane : Un héro aussi parfaitement mortel que mortellement parfait. Je vous laisserai le soin d'écrire ces chapitres, monsieur Haden. La peinture de la perfection me rend malade et mauvaise.
Le docteur Haden : C'est vrai, la méchanceté a beaucoup plus de charme.
Jane : Totalement dénué de scrupules et de grandeur d'âme, désespérément amoureux de l'héroïne, il la poursuit de son inexorable passion. Notre héroïne est désespérément belle, et son vieux père est un cas désespéré.
Henry : Oh mon Dieu, ne dites rien à mon frère.
Le docteur Haden : Dans tous les lieux où passe notre héroïne, partout les gens tombent amoureux d'elle, et elle reçoit de nombreuses demandes en mariage.
Jane : Ensuite, après avoir réussi environ une vingtaine de fois à échapper de justesse aux bras de notre héro et après des torrents de larmes, au dernier moment...
Le docteur Haden : Elle épouse celui auquel elle était destinée depuis toujours. Au fait, est-ce que vous y croyez, miss Austen, qu'on finit toujours par trouver la compagne ou le compagnon idéal ?
Jane : J'y crois... quand j'écris un roman.
Fanny : Comme tout ça est peu romantique.
Le docteur Haden : Oh mais les héroïnes de votre tante sont toutes très sages. Chacune épouse un homme fortuné, et chacune se marie par amour.
Madame Bigeon : Et vous, monsieur Haden, quelle est votre idée de la parfaite femme ?
Le docteur Haden : Hum, force spirituelle et douceur des manières.
Henry : Hmm, bien, Haden ! On ne saurait mieux.
Jane : Vous l'aurez votre douce femme, pleine de gratitude et de dévotion. Je vous souhaite qu'elle soit silencieuse, tranquille et un peu ignorante. Friande de thé vert et de pain de veau en croûte chaque après-midi. Tu as l'air fatigué, Henry. Allez viens, montons.
Henry : Pas question. Je me sens très bien et je m'amuse beaucoup.
Jane : Vous étiez chacun sur une chaise ou tous les deux sur la même ?
Fanny : Tu es jalouse.
Jane : Je suis ta tante.
Fanny : Et une femme.
Jane : Et un tigre quand je vois une proie.
Madame Bigeon : La passion est faite pour la jeunesse. Elle s'évanouit si vite...
Jane : Pas dans nos rêves.
Madame Bigeon : Le bien-être demeure, ainsi que demeure l'amitié, si vous avez autant de chance que j'en ai eu.
Jane : Le bonheur dans le mariage est uniquement une question de chance.
Madame Bigeon : Mais voyez comme nous paniquons au moment de choisir. Et pourtant l'amour meurt et la fortune se dissipe. Toute femme, qu'elle soit célibataire ou femme mariée, je vous le dis, toute femme a des regrets. Alors quand nous lisons l'histoire de vos héroïnes, nous nous sentons jeunes et encore amoureuses et pleines d'espoir, comme si nous pouvions à nouveau choisir notre vie.
Jane : Et faire le bon choix.
Madame Bigeon : C'est un don que vous avez. Un vrai, un don du ciel. Et un don suffisant, je crois.
Henry : En résumé, oui, j'ai trop prêté et j'ai également trop emprunté. Ne me regarde pas comme ça. Oui, ma banque a fait faillite, ce qui signifie que j'ai tout perdu. Je suis ruiné.
Jane : Edward ne peut pas t'aider. Edward a lui-même un procès, il a assez de problèmes de son côté.
Henry : Edward a garanti mes emprunts à hauteur de vingt mille livres. Je crains fort qu'il ne revoit jamais cet argent.
Jane : Oh, Henry... Oh, Seigneur.
Henry : Et maintenant je vais entraîner toute la famille avec moi.
Jane : Mère...
Henry : Pas un seul mot. Je lui dirai moi-même. Je lui parlerai demain.
Jane : Je ne veux rien du tout. Je veux seulement gagner plus d'argent. Je veux que toi et notre mère viviez à l'aise, sans avoir constamment peur que nos frères soient dépossédés de la maison, et de tout ce que nous avons. Je voudrais être débarrassée de cette affreuse fatigue, Cassandra.
Cassandra : Veux-tu qu'on aille au bord de la mer.
Jane : Au bord de la mer, on a bon appétit en général. Au bord de la mer, on n'est pas sinistre en général. On n'est pas lasse et fatiguée au point de s'écrouler de lassitude.
Cassandra : Je t'en prie, dis-moi pour quelle raison tu m'en veux ?
Jane : Mais pourquoi je t'en voudrais ? Je m'en veux à moi-même. Je n'ai guère le droit d'être malade. J'ai un roman à terminer, et tellement de personnages dans ma tête, tellement d'histoires, et si peu de temps.
Madame Austen : Entre autres choses, on découvre que plus on aime l'homme qu'on a épousé, plus on aime ses enfants.
Jane : C'est un luxe dangereux et coûteux que de tomber malade à mon âge.
Le révérend Bridges : Lors de notre rencontre dans le Kent, je vous ai parlé de façon irréfléchie.
Jane : Vous n'allez pas avoir l'inconvenance de revenir sur ce que vous avez dit.
Le révérend Bridges : Sachez que je ne vous aurais jamais empêché d'écrire, si c'était là votre crainte.
Jane : Si j'avais été votre femme, comment aurais-je pu écrire ? Tous ces devoirs de maternage... Nous aurions été pauvres.
Le révérend Bridges : Vous êtes pauvre de toute façon... Nous aurions pu rire ensemble au moins.
Jane : C'est ça, le mariage, non ?
Le révérend Bridges : Je suppose qu'aucun homme en chair et en os ne sera jamais digne de la créatrice de monsieur Darcy...
Jane : Vous vous trompez sur lui. Il ne m'aurait pas convenu.
Le révérend Bridges : Si j'avais pris mon courage à deux mains après notre danse à ce bal,...
Jane : Non, nous étions trop jeunes.
Le révérend Bridges : Et plus tard, quand je vous ai demandée ?
Jane : J'ai simplement évacué toute idée de mariage de ma tête...
Le révérend Bridges : Dites-moi que vous le regrettez. Dites-moi qu'il vous arrive parfois la nuit de penser à moi. Dites-le moi même si c'est faux.
Jane : Pourquoi ? A quoi bon maintenant ?
¤ ¤ ¤
Henry : J'en ai assez de la banque, Jane. Je veux devenir pasteur.
Madame Austen : Mes fils ont toujours fait de leur mieux pour aider cette famille, mais elle, elle n'est qu'une égoïste, une égoïste ! Je t'ai vue avec monsieur Bridges, en train de flirter comme une petite sotte ! C'est un homme marié. Si tu voulais vraiment être madame Bridges, la femme du pasteur, il fallait dire oui, quand il te l'a demandé.
Jane : Facile à dire. Mais je ne le voulais pas.
Madame Austen : Et après, tu as eu encore le choix d'un meilleur parti, un homme riche, sa belle demeure. Mais non, là encore, tu l'as rejeté. Tu l'as jeté comme tu as jeté ta vie en l'air, et la mienne et celle de tes sœurs en même temps ! Parce que lui n'était pas assez bon pour la sainte miss Jane et son imagination littéraire ! Non, elle est beaucoup mieux que monsieur Harris Bigg avec son beau manoir et ses cinq cent hectares.
Jane : Oh, mère, ça remonte à des années.
Madame Austen : Oui, quinze ans exactement. C'est gravé dans mon cœur ! Ca fait quinze ans qu'un soir, toi, tu l'as laissé fuir comme une enfant beaucoup trop gâtée ! Fuire le mariage et la sécurité.
Jane : Je ne pouvais pas épouser quelqu'un que je n'aimais pas.
Madame Austen : Alors pourquoi est-ce que tu lui as dit oui !? "Oui, Harris, je serai madame Bigg."
Jane : J'ai fait une erreur.
Madame Austen : Ton erreur a été, le lendemain matin, de revenir sur ton engagement.
Jane : Tu voulais que je fasse quoi ? Que je me vende pour de l'argent !?
Madame Austen : Nous aurions eu de la fortune, grâce à ça. Et tu sais ce que ça veut dire ? La fortune est juste un autre mot pour désigner la sécurité.
Cassandra : Mère, je vous en prie !
Madame Austen : Toi, arrête de la défendre, tu l'as assez fait ! Tu as sacrifié notre sécurité sur l'autel de tes principes, Jane. Est-ce que ça t'a rendue heureuse, oui ou non ? Regarde-toi, tu es malade. Personne ne me dit rien, mais j'ai des yeux derrière la tête. Oui, ma pauvre petite fille seule.
Fanny : Tante Jane !
Jane : Pas maintenant, Fanny.
Fanny : Tu as dit oui parce qu'il était riche et non pas parce que tu l'aimais. C'est si romanesque.
Jane : Est-ce que tu choisirais ma vie ? Tu as peut-être le droit de m'en vouloir, mais ne t'avise surtout pas de me plaindre !
Jane : Aucun de ces hommes ne m'a comblée de bonheur. Comblée de bonheur, ça ne suffit pas. Comblée de bonheur, ce n'est pas ainsi que je veux écrire la fin de mon histoire. Etre aussi pauvre est déjà presque insupportable. Le seul regret que j'ai de ne pas avoir épousé Harris Bigg, c'est que je vais mourir en ne vous laissant rien à notre mère et à toi.
Cassandra : Non, arrête. Arrête, arrête, Jane. C'est ma faute. Si j'avais gardé le silence, si je n'avais pas voulu te convaincre, tout au long de cette nuit, je t'ai harcelé jusqu'à te faire changer d'avis. C'est à cause de moi que tu l'as repoussé.
Jane : Tu m'as montré quel était le véritable enjeu de mon choix.
Cassandra : A cause de moi, tu as choisi la solitude et la pauvreté.
Jane : A cause de toi, j'ai choisi la liberté.
Cassandra : Je ne l'ai pas fait pour toi, Jane.
Jane : Je sais.
Cassandra : Comme j'ai honte, mon Dieu !
Jane : Tout ce que j'ai... tout ce que j'ai accompli dans la vie, c'est à toi que je le dois, jusqu'à cette vie qu'on a mené ici. Jusqu'à cet amour qu'on a l'une pour l'autre. Et cette vie qui fut la mienne, c'était celle pour laquelle j'étais faite. Celle que Dieu avait prévue pour moi. Jamais je n'aurais pensé que je pourrais connaître un tel bonheur. Jamais je n'aurais pensé que je le méritais. Oh mon Dieu ce que j'ai soif.
Fanny : Ne sois pas triste, pas ce soir.
Cassandra : Au moins je suis heureuse pour toi, Fanny.
Fanny : Mon mari dit que je suis la seule personne au monde en présence de qui il sent qu'il a trouvé le bonheur !
Cassandra : C'est bien qu'il soit conscient de la chance qu'il a.
Fanny : Qu'est-ce que tu fais ?
Cassandra : Ne t'inquiète pas. Je n'ai pas jeté celles où elle parle de toi.
Fanny : Arrête ! Tu ne dois pas brûler les lettres de Jane !
Cassandra : Tu t'imagines toujours qu'il y a un amour secret à découvrir ?
Fanny : Peut-être que je l'espère en tout cas.
Cassandra : Jane était le soleil de ma vie. Elle éclairait chacun de mes jours et soulageait mes chagrins. Aucune de mes pensées ne lui était étrangère. Aujourd'hui je suis amputée d'une part de moi-même.
Fanny : Mon mari te demande de lui accorder une danse.
Cassandra : C'était Jane la meilleure danseuse de cette famille.
Lettre de Jane à Fanny : Quand je contemple une nuit comme celle-ci, j'ai l'impression qu'il pourrait exister un monde sans douleur ni cruauté. Fanny, tu es la joie de mon existence. Ecoute maintenant ton propre cœur.
09:56 Publié dans Films historiques, littéraires, N&B, biopics, Les mots des films, Thèse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jane, austen, raisons, sentiments, orgueils, préjugés, mansfields, park, emma, plumtre, fanny, cassandra
mardi, 24 juillet 2012
La tour infernale - Steve McQueen, Paul Newman, Fred Astaire, Robert Wagner
Film : La tour infernale / The towering inferno (1974, durée 2h45)
Réalisateurs : John Guillermin, Irwin Allen
Doug Roberts l'architecte de la tour (Paul Newman), Susan Franklin sa compagne (Fay Dunaway), Michael O'Hallorhan chef des pompiers (Steve McQueen), Jim Duncan (William Holden), Harlee Clairborne (Fred Astaire), Roger Simmons l'ingénieur de la tour (Richard Chamberlain), Patty Simmons son épouse (Susan Blakely), Lisolette Mueller (Jennifer Jones), Harry Jernigan (O.J.Simpson), le sénateur Gary Parker (Robert Vaughn), Dan Bigelow (Robert Wagner)
3 Oscars (meilleure photographie, meilleur montage, meilleure chanson) et 2 Golden Globes (meilleur acteur Fred Astaire, révélation féminine Susan Flannery)
Patty Simmons : Doug, ça pour une surprise !
Doug Roberts : Où est donc ton petit surdoué de l'ampèremètre ? On a appelé son bureau, le club, la marina, il est nulle part.
Patty Simmons : Qu'est-ce qu'il a fait ? Viens, je te sers un verre. Il a forcément fait quelque chose étant donné que mon père a appelé. Ca fait longtemps qu'il n'était pas remonté comme ça.
Doug Roberts : Est-ce que tu sais où il peut être ?
Patty Simmons : Mon mari a un périmètre d'action très, très étendu. Il peut se trouver absolument n'importe où dans un cet Etat, dans un rayon de quatre-vingt dix kilomètres. Mais patience, il finira par rentrer, il est bien obligé, ses vêtements sont ici. Je te sers à boire ?
Doug Roberts : Non merci.
Patty Simmons : J'en déduis que tu ne veux pas me dire ce que Roger a fait.
Roger entre.
Roger Simmons : Salut Doug. Chérie.
Patty Simmons : Bonjour.
Roger Simmons : Qu'est-ce que je te sers ?
Doug Roberts : Rien pour l'instant.
Roger Simmons : Tu t'es décidé à quitter ta cambrousse ? Et que nous vaut cet honneur ?
Doug Roberts : Callahan a testé un générateur de secours. Il y a eu une surtension et ensuite un court-circuit.
Roger Simmons : Comment est-ce possible ?
Doug Roberts : En principe, c'est pas possible. Sauf si tu n'as pas respecté les spécifications du matériel électrique.
Roger Simmons : Ta brutalité ne s'est pas arrangée.
Doug Roberts : Elle a même empiré.
Roger Simmons : Tu comprendras que je me montre également brutal. Je ne vois pas du tout en quoi ça te regarde.
Doug Roberts : Je me demande à qui le pot-de-vin a bien pu profiter.
Roger Simmons : Tes accusations sans preuve, tu peux les garder.
Doug Roberts : Ecoute-moi bien. On a eu un début d'incendie dans la salle de service principale. Visiblement les câbles n'étaient pas exactement ceux que j'avais commandés.
Roger Simmons : Le moindre câble que j'ai placé dans cet immeuble correspond au standard en vigueur dans le bâtiment.
Doug Roberts : Oui, mais cet immeuble est absolument hors norme. Et ça tu le savais. C'est pour ça que j'avais demandé une installation qui ne rentrerait pas dans les standards.
Roger Simmons : Mais tu vis dans un monde imaginaire. Je suis confronté aux réalités.
Doug Roberts : Je veux les schémas de tes câblages et une copie de tes bons de commande.
Roger Simmons : Il faudra des semaines pour les réunir et une personne ayant plus d'influence pour m'obliger à le faire.
Doug Roberts : Je les veux sur mon bureau, demain matin à neuf heures.
Doug sort.
Patty Simmons : On raconte qu'il se battait contre des ours bruns dans le Montana. Bien sûr, il était plus jeune, sûrement en meilleure condition.
Roger Simmons : Tout ceci a dû énormément te réjouir.
Patty Simmons : Non, loin de là. Au contraire, ça me fait de la peine pour toi et pour moi.
Roger Simmons : Que voulais-tu que je fasse ? Que j'en arrive aux mains, c'est ça ?
Patty Simmons : Si jamais tu as fait quoi que ce soit à l'immeuble de mon père, Dieu te protège.
Roger Simmons : Je n'ai pas besoin de l'aide de Dieu, pas plus que de celle de ton père. Plus maintenant. Je ne me mettrai plus au garde-à-vous chaque fois qu'il aboiera. Enfin, si c'est cela que tu veux me voir faire.
Patty Simmons : Tout ce que je veux, c'est l'homme que je croyais avoir épousé. Mais il n'y a plus beaucoup de raisons de rester mariés, d'après ce que je constate.
Roger Simmons : Il se fait tard, on devrait se préparer.
Jennifer Jones, Fred Astair
Harlee Clairborne : Faire du bateau, de la natation, et puis aussi organiser des soirées. Le plus terrible dans tout ça, c'est que les femmes s'arrachent les derniers célibataires argentés, même les vieux débris dans mon genre.
Lisolette Mueller : Allons-allons, pas de fausse modestie.
Lisolette Mueller : Monte Carlo y perdra ce que San Francisco y gagnera.
Lisolette Mueller : Je suis prête à croire aux bonnes choses.
Steve McQueen, William Holden
Michael O'Hallorhan : Si vous êtes Duncan, oui.
Jim Duncan : Vous contrôlez la situation ?
Michael O'Hallorhan : Il faut évacuer tout ce beau monde de là.
Jim Duncan : Oh, il n'y a rien de dramatique.
Michael O'Hallorhan : Il y a le feu, monsieur, c'est toujours dramatique.
Jim Duncan : Ma foi, je ne crois pas que vous soyez familiarisé avec les moyens modernes de sécurité dont notre tour est équipée, brigadier. Nous les avons tous.
Michael O'Hallorhan : Entendu, c'est votre immeuble, mais notre incendie. Vous allez m'évacuer tous ces gens.
Jim Duncan : Vous n'écoutez pas ce que je vous dis. Un incendie au quatre-vingt-unième n'atteindra pas les étages supérieurs. Pas dans cet immeuble !
Michael O'Hallorhan : Très bien, je vais le faire.
Jim Duncan : Une seconde, une seconde. Le Maire est ici, vous voulez qu'il abuse de son autorité ?
Michael O'Hallorhan : En cas d'incendie, je suis le seul maître à bord. Nous devons éviter de déclencher la panique. Je peux le leur dire mais c'est mieux si c'est vous. Vous n'avez qu'à annoncer en douceur à tous vos invités que la réception va bientôt reprendre mais plus bas que l'étage où il y a le feu. Tout de suite.
09:33 Publié dans Films étrangers, Les mots des films | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : towering, inferno, tour, infernal, paul, newman, fay, dunaway, steve, mcqueen, fred, astaire, richard, chamberlain, robert, wagner
lundi, 23 juillet 2012
Pendez-les haut et court - Clint Eastwood
Film : Pendez-les haut et court / Hang'em high (1968, durée 1h54)
Réalisateur : Ted Post
Jedediah Cooper (Clint Eastwood), Rachel Warren (Inger Stevens), Capitaine Wilson (Ed Begley), Juge Adam Fenton (Pat Hingle), Marshall Dave Bliss (Ben Johnson), Shérif Ray Calhoun (Charles McGaw)
¤ ¤ ¤
Rachel : Deux sont presque des enfants.
Jed : Assez grands pour voler des bêtes.
Rachel : Et vous voulez les pendre ?
Jed : Je demande seulement qu'ils passent en justice. Et vous, qui tenez-vous à pendre ?
Rachel : Marshall, nous avons tous nos fantômes. Vous les chassez à votre manière, je les chasse à la mienne.
Le juge : Au suivant de vos témoins.
Officier : Marchal Jedediah Cooper.
Autre officier : Jurez de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Jed : Je le jure.
Le procureur : Marshall, lorsque vous les avez arrêtés, est-ce que l'un des trois accusés a nié sa culpabilité ?
Jed : Eh bien non, mais, quand je l'ai ramené ici...
Le procureur : Marshall, le retour à For Grant n'offre pas d'intérêt pour nous. Ce fut une randonnée héroïque, toute cette cour, tout le territoire vous en sont reconnaissants.
Jed : Votre honneur, je crois que pendant le voyage, il s'est passé des choses en rapport avec cette affaire.
Le juge : Ce qui s'est passé vous incite à penser que l'un des accusés ou tous les trois sont innocents ?
Jed : Eh bien, de ces meurtres, oui. Ce que m'ont dit Ben et Billy Joe, en chemin...
Le juge : Marshall, cette cour ne peut retenir comme preuves de simples envies. Cette cour demande des faits. Les défendeurs, tous les trois, sont accusés de meurtre et de vol, des faits, c'est la seule chose qui intéresse cette cour.
Jed : J'ai cru que ce qui l'intéressait, c'était la justice.
Le juge : La justice, c'est mon domaine, Marshall, le mien et le mien seul. Contentez-vous donc de répondre d'une façon précise à des questions précises ou bien je vous accuse d'offense à la cour. Parlez.
Jed : Un des ces gamins a dix-huit ans, l'autre n'en a que seize.
Le juge : Ca vous coûtera dix dollars. (coup de marteau)
Jed : Ni l'un ni l'autre n'avait jamais rien fait de répréhensible...
Le juge : Vingt dollars. (coup de marteau)
Jed : C'est simplement pour ces mômes que je suis venu ici...
Le juge : Trente dollars ! (coup de marteau) Un mot de plus et vous passerez trente jours au cachot. Avez-vous d'autres question à poser au témoin ?
Le procureur : Non, je n'en ai pas, votre honneur.
Le juge : Dans ce cas, vous pouvez vous retirer, Marshall.
Rachel : Vous semblez fatigué. Ca va pas ?
Jed : Vous êtes un tyran. Un tyran charmant, mais un tyran.
Rachel : Pourquoi ce baiser ?
Jed : Pour vous remercier.
Rachel : C'est gentil... Oh, je vous donne le sel pour les œufs.
Jed : On se passera de sel.
Rachel : Voyons, mais, non.
Jed : Oui, eh bien, je crois, je crois que ma vie ne vaut pas deux baisers.
10:10 Publié dans Films étrangers, Les mots des films | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pendez, haut, court, hang, high, clint, eastwood, inger, stevens
samedi, 21 juillet 2012
Considérations sur la sainteté et le pardon - Père Arnaud Duban
Chapelle Royale, Versailles
Editorial "Il répandit sur eux son souffle", Père Arnaud Duban, in le journal Le Campanille -Notre Dame d'Auteuil, n°248 avril-mai 2012
Créé à l'image de Dieu, l'homme, consciemment ou non, désire vivre à la manière de son Créateur : notre vocation à tous, c'est la sainteté. Mais sur ce chemin qui nous mène au bonheur, nous rencontrons un obstacle : le péché. Entraînés par la chair (au sens de nos pesanteurs, par le monde et par Satan, nous agissons parfois contre Dieu, contre nos frères, et contre nous-mêmes : "ce que je voudrais faire, ce n'est pas ce que je réalise ; mais ce que je déteste, c'est cela que je fais" (Rm 7, 15-16). C'est ainsi que le péché distille son poison dans les cœurs, distendant ou même brisant nos relations avec le Seigneur, avec nos prochains et avec notre être profond.
Heureusement, il existe un contre-poison : le pardon. Aucun homme, s'il veut mener une vie pleinement humaine, ne peut vivre sans lui. Même notre civilisation déchristianisée l'a compris : on parle beaucoup de repentance, et des responsables politiques ont demandé pardon officiellement pour le mal commis dans le passé : Jacques Chirac, en 1995, a évoqué "la dette imprescriptible" que la France devait aux 76000 juifs de France qui furent déportés à Auschwitz à partir de la rafle du Vel d'Hiv. De même, en 2008, le premier ministre australien a demandé pardon aux aborigènes pour toutes les violences infligées par les immigrants.
Ces pardons demandés ont certes beaucoup de valeur, à l'instar de tous ceux qui sont donnés et reçus chaque jour dans les couples, les familles, les lieux d'étude ou de travail. Mais nous ne devons pas oublier celui qui est le plus offensé lorsque nous péchons : Dieu lui-même. Devant tout refus d'aimer, c'est d'abord l'Amour qui est blessé. Mais comment réparer nos fautes vis-à-vis de celui à qui nous devons tout, le Saint par excellence ? Dans le passé, les hommes offraient des sacrifices pour se faire pardonner, allant jusqu'à offrir leurs propres enfants pour s'attirer la bienveillance divine. A son peuple, Dieu a révélé qu'il ne voulait pas de ces holocaustes. Le seul sacrifice qu'Il a accepté, c'est celui de son Fils. En mourant sur la Croix, Jésus a témoigné de la miséricorde infinie de Dieu pour nous, de son Amour plus fort que la haine : "Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font." (Lc 23,34)
Maintenant qu'il est ressuscité, il ne cesse de nous offrir son Pardon, en particulier dans le sacrement de réconciliation. Lorsque le prêtre dit à un pénitent "je te pardonne tous tes péchés", c'est le Ressuscité qui agit en lui. Non seulement il annihile l'effet dévastateur du poison distillé par le péché, mais il insuffle dans le cœur du pénitent le Saint Esprit, faisant de lui un homme nouveau capable de vivre à la manière du Ressuscité. C'est ce que Jésus a fait lui-même le soir de Pâques au milieu de ses disciples ; "il répandit sur eux son souffle et il leur dit : "Recevez l'Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus"" (Jn 20,22-23). Son premier acte après sa résurrection, ce fut de pardonner à ceux qui l'avaient abandonné, et de les rendre témoins de la miséricorde divine.
Alors, nous aussi, durant tout le temps pascal, célébrons la victoire de l'amour sur la haine. Lorsque nous l'offensons, demandons à Dieu de pardonner nos péchés, "comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés" (Lc 11,4). Mais n'attendons pas de chuter lourdement pour recevoir le sacrement du pardon. Puisque "le juste pèche sept fois par jour" (Pr 24,16), comme un pare-brise finit par être opaque si nous ne le nettoyons pas régulièrement des moucherons et des poussières, profitons de la grâce immense que nous avons d'être chrétiens catholiques pour nous confesser régulièrement. [...]
09:47 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Peinture, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chapelle, royale, versailles, sainteté, arnaud, duban, pardon
vendredi, 20 juillet 2012
La Passion selon Bach
Extrait de l'article "La Passion selon Bach, petit bréviaire"
Tiré de "Cité musiques, la revue de la Cité de la musique", n°69, avril-juin 2012
Leipzig en 1714
A gauche, l'église Saint-Thomas où fut jouée la Passion selon saint Matthieu en 1727.
A droite, l'église Saint-Nicolas où fut jouée la Passion selon saint Jean en 1724.
Ces deux églises de Leipzig pouvaient accueillir jusqu'à 3000 personnes. Elles étaient un véritable lieu de rencontre et de vie sociale.
¤ ¤ ¤
En 1723, Jean-Sébastien Bach se voit nommé Cantor de l'église réformée de Saint-Thomas de Leipzig ; il y restera jusqu'à son décès en 1750.
Pendant ces vingt-sept années, Bach compose la majorité de son répertoire religieux destiné à être produit dans le cadre des offices dont la Passion selon saint Jean BWV 245 (1724) et la Passion selon saint Matthieu BWV 244 (1727) données le vendredi saint. La tradition voulait que les deux églises Saint-Thomas et Saint-Nicolas accueillent cet office alternativement d'une année sur l'autre.
Les Passions de Bach sont des oratorios, c'est-à-dire des drames musicaux dont le sujet est religieux. Leur structure - airs, récitatifs, choeurs - est proche de celle de l'opéra, à l'exception important qu'elles ne sont pas destinées à être mises en scène. Elles sont divisées en deux parties, avant et après la prédication, à vêpres en fin de journée.
Après la mort de Bach, en 1750, les Passions ne seront exhumées qu'en 1829 grâce à Felix Mendelssohn. Une deuxième vie commence alors pour ces monuments musicaux hors du cadre liturgique : celle du concert public.
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
09:20 Publié dans Foi, Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean, sebastien, bach, passion, saint, matthieu
jeudi, 19 juillet 2012
Considérations sur la souffrance - Simone Weil, Blaise Pascal, Romain Debluë, Lucas Cranach
Tête du Christ couronné d'épines, Lucas Cranach l'Ancien
Extrait de ""La pesanteur et la grâce", ou : aux marges du christianisme", 2012, Romain Debluë
La pensée de Simone Weil est une pensée fortement polarisée : le haut et le bas, l'être et le néant, le mouvement ascendant et descendant, sont autant de pôles très nets qui jalonnent ses réflexions. De là l'importance qu'elle accorde avec finesse aux balances et aux mouvements de levier : "Croix comme balance, comme levier. Descente, condition de la montée. Le ciel descendant sur terre soulève la terre au ciel."*
Là où il y a conscience aiguë du haut et du bas, du Ciel et de la terre, de la pesanteur et de la grâce, il faut nécessairement que plus aiguisée encore se fasse la conscience d'une intersection possible, nécessaire même, de ces deux dimensions ; intersection qui n'est autre que la Croix, dont les bras tendus supportent le contrepoids du monde entier, et sur laquelle "un corps frêle et léger, mais qui était Dieu,"** a rendu au Seigneur la possibilité de souffrir dont Simone Weil n'hésite point à dire qu'elle constitue une forme de supériorité de l'Homme sur Dieu. Supériorité qui, précisément, nécessite l'Incarnation afin que de ne pas constituer un sempiternel scandale. L'Incarnation, c'est donc la souffrance mise à portée de Dieu, permettant à l'Homme non point de rechercher la souffrance comme telle (dolorisme) mais d'en pouvoir faire, lorsque celle-ci, inévitable, se présente, un "usage surnaturel"***, à savoir l'acceptation d'icelle non seulement comme douleur mais également comme modification, - ainsi que le désignait déjà le terme grec de Pathos qui signifie à la fois souffrance et transformation.
Transformation de soi, bien sûr, mais également - et par là-même sans doute - transformation du rapport que l'on peut entretenir avec le monde et ses lois naturelles. Car il s'agit après tout de parvenir à échapper à cette pesanteur éponyme aux lois immuables dont l'humanité est prisonnière. "Tout ce qu'on nomme bassesse est un phénomène de pesanteur."****
La pesanteur est la force qui meut l'Homme dans l'orbite des mobiles bas, et qui les fait graviter les uns autours des autres ; c'est la loi universelle du péché : ma souffrance doit attirer celle des autres. Ainsi de cette envie que Simone Weil confesse parfois avoir lors de ses violentes crises de migraines : " j'avais un désir intense de faire souffrir un autre être humain, en le frappant précisément au même endroit du front."*****
La pesanteur est une force, elle ne peut donc qu'être agissante : d'où ce désir impérieux de voir sa propre souffrance, ou son propre malheur, se communiquer au reste du monde, - à tout le moins à quelques uns de ses proches.
Nul n'aime à descendre seul, car il y a une mystérieuse volupté à tirer avec soi ceux qui se trouvent à portée de main. La souffrance résultant d'un vide, il est toujours fort satisfaisant de pouvoir le combler, par simple équilibre des fluides, en creusant pareil vide chez autrui. La pesanteur est une force attirante, vers les coprs les plus lourds, donc une force descendante qui, naturellement, ne peut être contrebalancée que par une force inverse : la grâce, dont le premier mouvement est ascendant et le second, à l'autre bout de tel levier, descendant car "s'abaisser, c'est monter à l'égard de la pesanteur morale."******
La descente de la Croix toujours prélude à une prochaine Ascension.
La pesanteur, ainsi que l'indique bien ce terme choisi par Simone Weil, est une loi naturelle du monde, une loi à laquelle l'homme ne peut échapper que la "durée d'un éclair. Instants d'arrêt, de contemplation, d'intuition pure, de vide mental, d'acceptation du vide moral. C'est par ces instants qu'il est capable de surnaturel. Qui supporte un moment le vide, ou reçoit le pain surnaturel, ou tombe. Risque terrible, mais il faut le courir, et même un moment sans espérance. Mais il ne faut pas s'y jeter."*******
La grâce, à l'inverse, n'est pas à proprement parler une force, bien plutôt une contre-force, la surnaturelle suspension des forces mécaniques dont l'Homme est si souvent le jouet. Elle n'est pas une force supérieure s'opposant à la pesanteur, force inférieure, car ainsi que l'écrit Pascal : "Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre ; quand on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n'ont que la vanité et le mensonge ; mais la violence et la vérité ne peuvent rien l'une sur l'autre."********
La pesanteur, en tant que force d'attraction, est attachement, lorsqu'à l'inverse, la grâce constitue une puissance de détachement : "Renoncer à tout ce qui n'est pas la grâce et ne pas désirer la grâce."*********
¤ ¤ ¤ ¤ ¤
* Simone Weil, op. cit., p. 123. Voir également : « Or il n'est pas donné à l'homme de créer. », p. 161. Ici en revanche, christianisme éclatant de Simone Weil.
* * Ibid., p. 163.
* * * Ibid., p. 146.
* * * * Ibid., p. 42.
* * * * * Idem.
* * * * * * Ibid., p. 45.
* * * * * * * Ibid., p. 55.
* * * * * * * * Blaise Pascal, Les Provinciales, éd. Firmin Didot, 1853, Lettre XII, p. 227.
* * * * * * * * * Simone Weil, ibid., p. 57.
> A consulter pour le texte intégral et beaucoup plus : http://amicusveritatis.over-blog.com/article-la-pesenteur...
08:36 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Peinture, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : simone, weil, romain, deblue, souffrance, pathos, croix, pesanteur, migraine, blaise, pascal, lucas, cranach