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jeudi, 13 septembre 2012

Marre des livres avec rien dedans ?

 Avez-vous entrepris de lire vos contemporains et vos contemporaines ? Ces chers auteurs et chères auteures, écrivains et écrivaines, intellectuels et intellectuelles qui peuplent les émissions littéraires, qui se déplacent pour nous montrer leur dernière coupe de cheveux ou le jaune de leurs dents et le marron de leurs yeux cernés, et qui nous ont concocté une rentrée littéraire qui s'annonce encore d'un grand cru.

Avez-vous été jusqu'à prendre un de leurs livres en main dans une librairie ou une bibliothèque... jusqu'à l'emprunter... jusqu'à l'acheter... jusqu'à le conserver au sein de votre bibliothèque à vous à proximité de vos magnifiques livres de littérature, de poésie et d'histoire !? Fichtre alors...

Je m'adresse donc à vous qui aimez lire et encore davantage à ceux et celles qui auraient répondu par la négative.

Voici un roman (pour son contenu) que l'on peut aussi qualifier de nouvelle (pour sa taille effective en nombre de pages) qui s'intitule tout simplement Psychose. Inséré dans un recueil, il est plus petit que beaucoup de livres que vous trouverez en librairie, où l'on a pris l'habitude de nommer "roman" des livres creux de 130 à 160 pages, des machins qui traînent en longueur, se répètent, tournent autour du pot pour ne pas dire du "je" et finissent par ne laisser qu'un souvenir confus si ce n'est désagréable. Psychose est tout différent : un concentré dense, riche, qui ne vous laissera pas indifférents et encore moins déçus, et vous le lirez d'un trait, en trombe furieuse et joyeuse !

Son auteur, Romain Debluë, n'est pas un habitué des plateaux de télévision, ni des émissions radiophoniques, ni même du salon du livre ou des signatures en librairies. C'est sans doute la raison pour laquelle vous n'avez encore jamais entendu ou lu son nom. Mais il a tout le temps de le devenir et c'est bien là tout le mal qu'on lui souhaite.

 

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Carrefour de l'Odéon, vers 1850

 

Venez donc, suivez-nous, à Paris, dans le quartier latin, à la fin du XIXème siècle. Venez, si vous n'avez pas peur. Je dis bien si vous n'avez pas peur, peur  de voir certaines de vos conceptions quelque peu chahutées, car Romain Debluë a décidé de brouiller les cartes d'emblée : dès les premières lignes de son court roman, un peu plus d'une vingtaine de pages, pages écrites à un âge particulièrement vert, dès les premières lignes, il donne la parole au narrateur, qui vous place à un carrefour : le narrateur nage-t-il dans son propre océan de psychose comme il sait qu'on le dit autour de lui ? ou le monde est-il fou et seul le narrateur est sain d'esprit ? Prendrez-vous position pour ou contre lui ? A vous de voir, chers lecteurs et chères lectrices, et vous ne serez pas au bout de vos surprises.

 

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Rue Soufflot, vers 1850

 

Romain Debluë nous décrit avec force et intensité notre Paris d'avant, son quartier latin et la chambre dans laquelle s'est reclus le narrateur qui enseigne à la Sorbonne. Le style qu'il déploie dans ce livre nous offre des tournures de phrases délicieuses, un vocabulaire moiré, le tout enveloppé dans une parfaite élégance. Il pourra vous évoquer Poe, Baudelaire, des gravures de Rops ou les Contes cruels de Villiers-de l'Isle Adam. Et puis vous ne pourrez rester indifférents au destin du personnage principal, au point que votre chambre à vous - si vous avez le malheur de lire de votre chambre - pourrait bien prendre les allures inquiétantes de la sienne...

 

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Rue saint Séverin, vers 1850

 

Noire est l'encre de Romain Debluë lorsqu'il écrit ce roman-nouvelle en 2009.

Dense est l'encre qui sort de son encrier pour venir se poser sur le papier en caractères forts et ornés de vocabulaire précieux, autant de gemmes qu'il incruste avec virtuosité dans le noir originel de l'encre.  

J'aimerais tant vous en dire plus, il y a tant à dire, à décrire, à discuter... mais j'ôterais à votre plaisir de découvrir et de vous laisser surprendre en lisant. 

 

 

psychose,romain,debluëSe procurer l'ouvrage :

"Psychose" in Sur le fil

Romain Debluë

2009

Ed. Mille Plumes

144 pages

> Chez l'éditeur : http://www.milleplumes.info/nouvelle.html

> Chez Chapitre : http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/BOOK/imperialdream/su...

  

 

 

Du même auteur :

> Ecrits publiés en ligne : http://www.inlibroveritas.net/auteur5163.html

> Blog : http://amicusveritatis.over-blog.com

> Partitions en ligne : http://www.free-scores.com/partitions_gratuites_romain-de...

 

jeudi, 19 juillet 2012

Considérations sur la souffrance - Simone Weil, Blaise Pascal, Romain Debluë, Lucas Cranach

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 Tête du Christ couronné d'épines, Lucas Cranach l'Ancien

 

Extrait de ""La pesanteur et la grâce", ou : aux marges du christianisme", 2012, Romain Debluë

 

La pensée de Simone Weil est une pensée fortement polarisée : le haut et le bas, l'être et le néant, le mouvement ascendant et descendant, sont autant de pôles très nets qui jalonnent ses réflexions. De là l'importance qu'elle accorde avec finesse aux balances et aux mouvements de levier : "Croix comme balance, comme levier. Descente, condition de la montée. Le ciel descendant sur terre soulève la terre au ciel."*

Là où il y a conscience aiguë du haut et du bas, du Ciel et de la terre, de la pesanteur et de la grâce, il faut nécessairement que plus aiguisée encore se fasse la conscience d'une intersection possible, nécessaire même, de ces deux dimensions ; intersection qui n'est autre que la Croix, dont les bras tendus supportent le contrepoids du monde entier, et sur laquelle "un corps frêle et léger, mais qui était Dieu,"** a rendu au Seigneur la possibilité de souffrir dont Simone Weil n'hésite point à dire qu'elle constitue une forme de supériorité de l'Homme sur Dieu. Supériorité qui, précisément, nécessite l'Incarnation afin que de ne pas constituer un sempiternel scandale. L'Incarnation, c'est donc la souffrance mise à portée de Dieu, permettant à l'Homme non point de rechercher la souffrance comme telle (dolorisme) mais d'en pouvoir faire, lorsque celle-ci, inévitable, se présente, un "usage surnaturel"***, à savoir l'acceptation d'icelle non seulement comme douleur mais également comme modification, - ainsi que le désignait déjà le terme grec de Pathos qui signifie à la fois souffrance et transformation.

Transformation de soi, bien sûr, mais également - et par là-même sans doute - transformation du rapport que l'on peut entretenir avec le monde et ses lois naturelles. Car il s'agit après tout de parvenir à échapper à cette pesanteur éponyme aux lois immuables dont l'humanité est prisonnière. "Tout ce qu'on nomme bassesse est un phénomène de pesanteur."****

La pesanteur est la force qui meut l'Homme dans l'orbite des mobiles bas, et qui les fait graviter les uns autours des autres ; c'est la loi universelle du péché : ma souffrance doit attirer celle des autres. Ainsi de cette envie que Simone Weil confesse parfois avoir lors de ses violentes crises de migraines : " j'avais un désir intense de faire souffrir un autre être humain, en le frappant précisément au même endroit du front."*****

La pesanteur est une force, elle ne peut donc qu'être agissante : d'où ce désir impérieux de voir sa propre souffrance, ou son propre malheur, se communiquer au reste du monde, - à tout le moins à quelques uns de ses proches.

Nul n'aime à descendre seul, car il y a une mystérieuse volupté à tirer avec soi ceux qui se trouvent à portée de main. La souffrance résultant d'un vide, il est toujours fort satisfaisant de pouvoir le combler, par simple équilibre des fluides, en creusant pareil vide chez autrui. La pesanteur est une force attirante, vers les coprs les plus lourds, donc une force descendante qui, naturellement, ne peut être contrebalancée que par une force inverse : la grâce, dont le premier mouvement est ascendant et le second, à l'autre bout de tel levier, descendant car "s'abaisser, c'est monter à l'égard de la pesanteur morale."******

La descente de la Croix toujours prélude à une prochaine Ascension.

La pesanteur, ainsi que l'indique bien ce terme choisi par Simone Weil, est une loi naturelle du monde, une loi à laquelle l'homme ne peut échapper que la "durée d'un éclair. Instants d'arrêt, de contemplation, d'intuition pure, de vide mental, d'acceptation du vide moral. C'est par ces instants qu'il est capable de surnaturel. Qui supporte un moment le vide, ou reçoit le pain surnaturel, ou tombe. Risque terrible, mais il faut le courir, et même un moment sans espérance. Mais il ne faut pas s'y jeter."*******

La grâce, à l'inverse, n'est pas à proprement parler une force, bien plutôt une contre-force, la surnaturelle suspension des forces mécaniques dont l'Homme est si souvent le jouet. Elle n'est pas une force supérieure s'opposant à la pesanteur, force inférieure, car ainsi que l'écrit Pascal : "Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre ; quand on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n'ont que la vanité et le mensonge ; mais la violence et la vérité ne peuvent rien l'une sur l'autre."********

La pesanteur, en tant que force d'attraction, est attachement, lorsqu'à l'inverse, la grâce constitue une puissance de détachement : "Renoncer à tout ce qui n'est pas la grâce et ne pas désirer la grâce."*********

 

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* Simone Weil, op. cit., p. 123. Voir également : « Or il n'est pas donné à l'homme de créer. », p. 161. Ici en revanche, christianisme éclatant de Simone Weil.

* * Ibid., p. 163.

* * * Ibid., p. 146.

* * * *  Ibid., p. 42.

* * * * * Idem.

* * * * * * Ibid., p. 45.

* * * * * * * Ibid., p. 55.

* * * * * * * * Blaise Pascal, Les Provinciales, éd. Firmin Didot, 1853, Lettre XII, p. 227.

* * * * * * * * * Simone Weil, ibid., p. 57. 

 

> A consulter pour le texte intégral et beaucoup plus : http://amicusveritatis.over-blog.com/article-la-pesenteur...

 

 

mercredi, 18 juillet 2012

Considérations sur la création - Simone Weil, Romain Debluë, William Blake

 

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La création d'Adam, William Blake

 

 

Extrait de ""La pesanteur et la grâce", ou : aux marges du christianisme", 2012, Romain Debluë

 

Ainsi que pour la philosophie médiévale, il ne semble y avoir pour Simone Weil qu'un seul et unique Créateur, Dieu, lequel d'ailleurs n'a pas créé le monde en une action finie, à un instant donné, pour ensuite se contenter de l'observer avec ravissement ou colère, mais au contraire le crée à chaque instant, de perpétuelle façon. Cet acte continuel est par ailleurs conçu pour un acte essentiellement négatif, un acte de retrait : "Dieu renonce - en un sens - à être tout."*

Il libère et ménage, en quelque sorte, en son originelle omniprésence d'Eternité, une place - l'espace-temps - pour que nous y puissions exister, c'est-à-dire "se tenir hors de ", en l'occurrence hors de Dieu qui s'est "retiré de nous pour que nous puissions l'aimer"**, bouclant ainsi la boucle du monde puisqu'en l'aimant, précisément, nous le laissons entrer en nous lorsque nous parvenons à renoncer aux prétentions de l'être.

Non point, d'ailleurs, par l'action anesthésiante de quelque aspiration au néant que ce soit, mais au contraire, en vertu d'une volonté d'élévation vers la "joie parfaite et infinie"*** qui stance de toute éternité en Dieu même.

 

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 Simone Weil, op. cit., p. 123. Voir également : « Or il n'est pas donné à l'homme de créer. », p. 82.

 Idem. Il faut noter la très forte connotation judaïque de telle théologie, quand bien même il est évident que Simone Weil n'avait nulle affinité particulière, à tout le moins consciente, avec la pensée judaïque. Voir à ce sujet également sa conception de Dieu comme l'Un (p. 162), ainsi que l'idée selon laquelle il faut « placer Dieu à une distance infinie pour le concevoir innocent du mal : réciproquement, le mal indique qu'il faut placer Dieu à une distance infinie. » (p. 182)

 Ibid., p. 88.

 

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L'Ancien des jours, William Blake

 

 

> A consulter pour le texte intégral et beaucoup plus : http://amicusveritatis.over-blog.com/article-la-pesenteur...

 

> Pour plus de tableaux : http://www.eternels-eclairs.fr/tableaux-blake.php

 

mardi, 17 juillet 2012

Considérations sur l'art - Simone Weil, Romain Debluë

 

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Château de Versailles

 

Extrait de ""La pesanteur et la grâce", ou : aux marges du christianisme", 2012, Romain Debluë

 

Si l'auteur de l'Attente de Dieu ne fut jamais un authentique écrivain, ni poète ni romancière, c'est sans doute parce qu'elle écrivit un jour, avec sincérité que "laisser l'imagination s'attarder sur ce qui est mal implique une certaine lâcheté ; on espère jouir, connaître et s'accroître par l'irréel. Même attarder son imagination sur certaines choses comme possibles (ce qui est tout autre chose qu'en concevoir clairement la possibilité, chose essentielle à la vertu) c'est déjà s'engager. La curiosité en est la cause. S'interdire (non pas de concevoir, mais de s'attarder sur) certaines pensées ; ne pas penser à."* Ce pensant, elle s'interdit évidemment toute tentation d'un jour essayer de ressembler à Bernanos, dont elle appréciait pourtant les romans, à Baudelaire, à Bloy ou à Barbey d'Aurevilly, autant d'êtres qui passèrent précisément leur vie à laisser leur imagination s'attarder sur les figures multiples et mouvantes qu'à nos yeux sait offrir le Mal.

Et pourtant, n'écrit-elle pas aussi que "le poète produit le beau par l'attention fixée sur le réel."** ? Or il ne peut y avoir d'attention portée sur quelque chose sans que la pensée, par là-même, se tourne vers ce même objet. Par conséquent, l'artiste peut-il être attentif au Mal sans pour autant s'attarder sur telle méditation ? Y aurait-il alors un vice inhérent non point seulement aux pensées qu'un esprit laisserait se poser sur "ce qui est mal", mais à la faculté d'imagination elle-même, entendue par Simone Weil comme "imagination combleuse"*** ? Cela semble plus que probable car l'imagination est ici la faculté de l'irréalité et, en une réflexion qui semble presque anticiper celles de Baudrillard sur la disparition du monde réel, le philosophe peut ainsi écrire que les crimes de la guerre d'Espagne, bien qu'effectivement commis, "n'ont pas plus de réalité qu'un rêve."****

L'artiste n'est donc pas un homme d'imagination, c'est-à-dire une machine à fabriquer du rêve, mais au contraire un homme d'attention, donc de prière, puisque l'attention extrême n'en diffère point : il n'y a donc d'artiste que religieux et, partant, "tout art de premier ordre est par essence religieux"*****, comme l'auteur l'affirmera très justement par la suite.

 

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Simone Weil, op. cit., p. 123. Voir également : « Or il n'est pas donné à l'homme de créer. », p. 141.

* * Ibid., p. 196.

* * * Ibid., p. 62.

* * * * Ibid., p. 63.

* * * * * Ibid., p. 236.

 

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Château de Versailles

 

> A consulter pour le texte intégral et beaucoup plus : http://amicusveritatis.over-blog.com/article-la-pesenteur...

 

lundi, 16 juillet 2012

Considérations sur l'amour - Simone Weil, Paul Valéry, Romain Debluë, Auguste Rodin

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Le baiser, Rodin

 

Extrait de ""La pesanteur et la grâce", ou : aux marges du christianisme", 2012, Romain Debluë

 

Je ne peux m'empêcher de sentir parfois chez Simone Weil quelque chose d'inhumain à force de cette intransigeante surhumanité dont elle s'efforce de faire preuve jusques en ses plus vagues intuitions, lorsqu'elle écrit par exemple : "Je ne dois pas aimer ma souffrance parce qu'elle est utile, mais parce qu'elle est."*

Posant ainsi tout à la fois un principe éthique qui en peut faire plus d'un grincer des dents, et la saisissante prémisse d'une ontologie point très nette encore mais où l'amour semble tenir une place prépondérante puisque l'être constitue un argument à la son déploiement. Si je me dois d'aimer ce qui est, ce n'est cependant point par la force d'un panthéisme douteux qui ferait de la Création un amas d'omniprésence divine mais bien plutôt parce qu'il n'existe nul autre moyen d'avoir prise sur le réel : " le seul organe de contact avec l'existence est l'acceptation, l'amour."**

L'amour conçu comme "la croyance à l'existence d'autres êtres humains comme tels"*** est le seul rempart dont l'esprit humain dispose afin de se prémunir contre la tentation du solipsisme et d'autres idéalismes absolus ; autrement dit la seule preuve recevable de l'existence du monde extérieur est constituée par sa capacité à provoquer tel sentiment en l'Homme.

Aux yeux de Simone Weil, il n'y a d'être qu'aimable et il n'y a d'aimable que l'être, en vérité ; aussi pourrions-nous, sur le modèle du parlêtre lacanien (Lacan affirmait qu'il n'y a d'être que parlant), nous amuser à désigner telle conception sous lr nom d'aimêtre, ou plus rigoureusement d'êtraimable. L'amour, elle le dit elle-même, a "besoin de réalité"****. Ce en quoi elle s'oppose radicalement à la lucidité tranchante d'un Paul Valéry qui, dans Tel Quel, affirme qu'il "n'existe pas d'être capable d'aimer un autre être tel qu'il est. On demande des modifications, car on n'aime jamais qu'un fantôme. Ce qui est réel ne peut être désiré, car il est réel. [...] Peut-être le comble de l'amour partagé consiste dans la fureur de se transformer l'un l'autre, de s'embellir l'un l'autre dans un acte qui devient comparable à un acte artistique, - et comme celui-ci qui excite je ne sais quelle source de l'infini personnel."***** A quoi Simone Weil répond sobrement : "Ce besoin d'être le créateur de ce qu'on aime, c'est un besoin d'imitation de Dieu. Mais c'est un penchant à la fausse divinité."******

Voilà sans doute pourquoi, à l'instar de cette dernière qui jamais ne brilla par ses qualités purement littéraires, l'auteur du Cimetière Marin fut un poète immense...

 

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* Simone Weil, La pesanteur et la grâce, coll. « Pocket », Plon, 1988, p. 145.

** Ibid., p. 123.

*** Ibid., p. 122.

**** Ibid., p. 124.

***** Paul Valéry, Tel Quel, coll. « folio essais », Gallimard, 2008, p. 42-43.

****** Simone Weil, op. cit., p. 123. Voir également : « Or il n'est pas donné à l'homme de créer. », p. 130. 

 

> A consulter pour le texte intégral et beaucoup plus : http://amicusveritatis.over-blog.com/article-la-pesenteur...

 

vendredi, 22 juin 2012

Considérations sur le temps - Daphné et Apollon, Debluë, Le Bernin

Extrait de la "Lettre au philosophe du Nord", 2012, Romain Debluë

 

Connaissez-vous Le Bernin, en italien Gian Lorenzo Bernini, l'un des plus grands sculpteurs de l'histoire, incontestable maître du baroque à qui le cardinal Borghèse commanda en 1623 une statue représentant la transformation de la nymphe Daphné en laurier, au moment même où Apollon s'apprête à la saisir ? Non, naturellement, tel nom ne vous dit rien et c'est bien normal, à vous qui jamais n'avez quitté votre brumeux Danemark. Souffrez donc que je vous dise quelques mots de cet ouvrage exceptionnel. 

 

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Daphné et Apollon, Le Bernin

 

Apollon et Daphné, marbre aux enivrantes en envibrantes courbes, ne constitue pas, comme la plupart des statues, la pétrification d'un mouvement mais, au plus exact inverse, le jaillissement surpuissant du mouvement au sein même du lourd statisme des pierres qui elles-mêmes, selon la prophétie, finiront par crier lorsque l'Homme se taira.

Imaginez donc la nymphe Daphné, poursuivie par Apollon dont Eros a voulu se venger en lui décochant une flèche d'or, le rendant ainsi amoureux follement de Daphné, tandis qu'il décochait à cette dernière une flèche de plomb, saisant croître en elle le dégoût profond de l'amour.

Imaginez donc la longue course à travers vallées et forêts, Apollon riant sans doute des turgescentes exaltations qu'à présent suscite en lui la vue de Daphné, laquelle à lui s'obstinément refuse et plus loin s'enfuit, ce dont il n'a cure.

Imaginez le désespoir de la nymphe lorsqu'elle sent, à la parfin de telle cavalcade, ses forces la quitter et soudain la pression moite d'une main sur son flanc éburnéen. Sa bouche, néanmoins, s'ouvre sur un cri qui n'est pas de désespérance mais de détresse puisqu'il est celui par lequel elle implore, en ultime ressource (c'est le cas, aquatiquement propice, de le dire), le secours du dieu fleuve Pénée, qui n'est autre que son père, bien sûr, toujours présent lorsqu'il s'agit de préserver sa fille de toute masculine souillure. Qui d'ailleurs s'empressera de la métamorphoser en laurier, et c'est précisément l'instant de cette transformation, en ses premières subtiles efflorescences, que Le Bernin a décidé d'immortaliser - ou plutôt d'éterniser, puisque c'est bien ce qui se joue en cette admirable sculpture. 

 

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Daphné et Apollon, Le Bernin

 

Le mot français instant, vous ne pouvez sans doute pas le savoir, vient du latin instans qui signifie plusieurs choses dont, bien sûr, "présent, actuel", mais également "pressant, menaçant, empressé", sens qui n'est curieusement plus aujourd'hui présent qu'en la forme adjectivée du terme, et non plus en sa forme nominale. Pourtant, au risque de faire violence à ma propre langue, c'est bien ici ce dont il s'agit : élever l'instans à hauteur d'éternité, en un mouvement qui du fond même de son apparent figement saillit comme l'intemporelle eau vive d'une source dont, en arrière-fond ovidien, la figure de Pénée s'offre comme un mythologique écho.

Au travers de cette sculpture, ainsi que par une ontologique transfiguration, éclot à la surface de la pierre, par Bernin rendue vibratile, un corymbe en la mouvante multiplicité duquel resplendit néanmoins l'instance tranquille qui, dans sa fixe plénitude, lui offre la possibilité même de son épiphanie. La vie jaillissant, en un éternel empressement, du sein même de la stance par excellence, matérielle métaphoe de l'Etre lui-même en le marbre duquel pourtant se peut façonner les courbes les plus exaltées de la Vie en ses organiques influx.

Apollon et Daphné, ce n'est pas la représentation figée d'un instant donné mais au contraire la dilataion métaphysique d'un présent - avant tout présence - jusques en ses plus éternels étirements. Au-delà du mouvement de perpétuelle dérobation en laquelle Daphné apparaît, à la fois saisie par Apollon et néanmoins toujours déjà sauvée par l'action immédiate de la paternelle métamorphose, Le Bernin parvient, en son singulier et unique génie, à appréhender la puissance même d'Eternel qui en tel moment gît, et s'agite de ne point se pouvoir éployer.

Daphné n'est pas sur le point d'être saisie, encore moins sur le point de s'échapper : elle s'échappe, et elle est saisie. Telle concomitance n'est paradoxale que pour ceux qui ne savent penser à hauteur non plus de présent, mais bien d'Eternité, dont le Temps n'est que "l'ombre aimante", comme l'a dit l'un, maxencien, des plus grands philosophes de la mienne époque. Elle illustre de la plus profonde des manières l'expression "vie éternelle", qui pour moi toujours resplendit d'une mystérieuse clarté obscure en sa congruence de mouvement : la vie ; et d'absolue fixité : l'Eternité.

 

> A consulter pour le texte intégral et beaucoup plus : http://amicusveritatis.over-blog.com/article-lettre-au-ph...