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vendredi, 22 juin 2012

Considérations sur le temps - Daphné et Apollon, Debluë, Le Bernin

Extrait de la "Lettre au philosophe du Nord", 2012, Romain Debluë

 

Connaissez-vous Le Bernin, en italien Gian Lorenzo Bernini, l'un des plus grands sculpteurs de l'histoire, incontestable maître du baroque à qui le cardinal Borghèse commanda en 1623 une statue représentant la transformation de la nymphe Daphné en laurier, au moment même où Apollon s'apprête à la saisir ? Non, naturellement, tel nom ne vous dit rien et c'est bien normal, à vous qui jamais n'avez quitté votre brumeux Danemark. Souffrez donc que je vous dise quelques mots de cet ouvrage exceptionnel. 

 

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Daphné et Apollon, Le Bernin

 

Apollon et Daphné, marbre aux enivrantes en envibrantes courbes, ne constitue pas, comme la plupart des statues, la pétrification d'un mouvement mais, au plus exact inverse, le jaillissement surpuissant du mouvement au sein même du lourd statisme des pierres qui elles-mêmes, selon la prophétie, finiront par crier lorsque l'Homme se taira.

Imaginez donc la nymphe Daphné, poursuivie par Apollon dont Eros a voulu se venger en lui décochant une flèche d'or, le rendant ainsi amoureux follement de Daphné, tandis qu'il décochait à cette dernière une flèche de plomb, saisant croître en elle le dégoût profond de l'amour.

Imaginez donc la longue course à travers vallées et forêts, Apollon riant sans doute des turgescentes exaltations qu'à présent suscite en lui la vue de Daphné, laquelle à lui s'obstinément refuse et plus loin s'enfuit, ce dont il n'a cure.

Imaginez le désespoir de la nymphe lorsqu'elle sent, à la parfin de telle cavalcade, ses forces la quitter et soudain la pression moite d'une main sur son flanc éburnéen. Sa bouche, néanmoins, s'ouvre sur un cri qui n'est pas de désespérance mais de détresse puisqu'il est celui par lequel elle implore, en ultime ressource (c'est le cas, aquatiquement propice, de le dire), le secours du dieu fleuve Pénée, qui n'est autre que son père, bien sûr, toujours présent lorsqu'il s'agit de préserver sa fille de toute masculine souillure. Qui d'ailleurs s'empressera de la métamorphoser en laurier, et c'est précisément l'instant de cette transformation, en ses premières subtiles efflorescences, que Le Bernin a décidé d'immortaliser - ou plutôt d'éterniser, puisque c'est bien ce qui se joue en cette admirable sculpture. 

 

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Daphné et Apollon, Le Bernin

 

Le mot français instant, vous ne pouvez sans doute pas le savoir, vient du latin instans qui signifie plusieurs choses dont, bien sûr, "présent, actuel", mais également "pressant, menaçant, empressé", sens qui n'est curieusement plus aujourd'hui présent qu'en la forme adjectivée du terme, et non plus en sa forme nominale. Pourtant, au risque de faire violence à ma propre langue, c'est bien ici ce dont il s'agit : élever l'instans à hauteur d'éternité, en un mouvement qui du fond même de son apparent figement saillit comme l'intemporelle eau vive d'une source dont, en arrière-fond ovidien, la figure de Pénée s'offre comme un mythologique écho.

Au travers de cette sculpture, ainsi que par une ontologique transfiguration, éclot à la surface de la pierre, par Bernin rendue vibratile, un corymbe en la mouvante multiplicité duquel resplendit néanmoins l'instance tranquille qui, dans sa fixe plénitude, lui offre la possibilité même de son épiphanie. La vie jaillissant, en un éternel empressement, du sein même de la stance par excellence, matérielle métaphoe de l'Etre lui-même en le marbre duquel pourtant se peut façonner les courbes les plus exaltées de la Vie en ses organiques influx.

Apollon et Daphné, ce n'est pas la représentation figée d'un instant donné mais au contraire la dilataion métaphysique d'un présent - avant tout présence - jusques en ses plus éternels étirements. Au-delà du mouvement de perpétuelle dérobation en laquelle Daphné apparaît, à la fois saisie par Apollon et néanmoins toujours déjà sauvée par l'action immédiate de la paternelle métamorphose, Le Bernin parvient, en son singulier et unique génie, à appréhender la puissance même d'Eternel qui en tel moment gît, et s'agite de ne point se pouvoir éployer.

Daphné n'est pas sur le point d'être saisie, encore moins sur le point de s'échapper : elle s'échappe, et elle est saisie. Telle concomitance n'est paradoxale que pour ceux qui ne savent penser à hauteur non plus de présent, mais bien d'Eternité, dont le Temps n'est que "l'ombre aimante", comme l'a dit l'un, maxencien, des plus grands philosophes de la mienne époque. Elle illustre de la plus profonde des manières l'expression "vie éternelle", qui pour moi toujours resplendit d'une mystérieuse clarté obscure en sa congruence de mouvement : la vie ; et d'absolue fixité : l'Eternité.

 

> A consulter pour le texte intégral et beaucoup plus : http://amicusveritatis.over-blog.com/article-lettre-au-ph...