dimanche, 28 juin 2015
Ernestine, aux lèvres de rose
Mais rien ne rassure l'amour alarmé
Paolo e Francesca, Pierre-Emmanuel Prouvost d'Agostino
Extrait d'Ernestine, nouvelle suédoise, Sade, 1800 :
[...]
Et l'infortuné jeune homme osa supplier Ernestine de lui laisser cueillir, sur ses lèvres de rose, un baiser précieux qui pût lui tenir lieu du gage qu'il exigeait de ses promesses ; la sage et prudente Sanders, qui n'en avait jamais tant accordé, crut devoir quelque chose aux circonstances, elle se pencha dans les bras d'Herman, qui, brûlé d'amour et de désir, succombant à l'excès de cette joie sombre qui ne s'exprime que par des pleurs, scella les serments de sa flamme sur la plus belle bouche du monde, et reçut de cette bouche, encore imprimée sur la sienne, les expressions les plus délicieuses et de l'amour et de la constance.
Cependant elle sonne, cette heure funeste du départ ; pour deux cœurs véritablement épris, quelle différence y a-t-il entre celle-là et celle de la mort ? On dirait, en quittant ce qu'on aime, que le cœur se brise ou s'arrache ; nos organes, pour ainsi dire enchaînés à l'objet chéri dont on s'éloigne, paraissent se flétrir en ce moment cruel ; on veut fuir, on revient, on se quitte, on s'embrasse, on ne peut se résoudre ; le faut-il à la fin, toutes nos facultés s'anéantissent, c'est le principe même de notre vie qu'il semble que nous abandonnions, ce qui reste est inanimé, ce n'est plus que dans l'objet qui se sépare qu'est encore pour nous l'existence. [...]
Et se rejetant dans les bras d'Herman :
- Toi que je n'ai jamais cessé d'aimer, lui dit-elle, toi que j'adorerai jusqu'au tombeau, reçois en présence de mon père le serment que je te fais de n'être jamais qu'à toi ; écris-moi, pense à moi, n'écoute que ce que je te dirai, et regarde-moi comme la plus vile des créatures, si jamais d'autre homme que toi reçoit ou ma main ou mon cœur. [...]
- Je ne te verrai plus... je ne te verrai plus, lui disait-il au milieu des sanglots...
[...] mais rien ne rassure l'amour alarmé [...].
Ernestine, nouvelle suédoie
Sade
1987 (écrit en 1800)
Gallimard Folio
117 pages
http://www.amazon.fr/Ernestine-Sade/dp/2070423190/
07:02 Publié dans Beaux-Arts, Dessin, Ecrits, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.