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lundi, 24 décembre 2012

Etymologie - Amour - Fragonard, Blake, El Greco, Rubens

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Diane et Endymion, Fragonard

 

 

Extrait de La Croix, lundi 19 novembre 2012

"Les mots pour le dire", Elodie Maurot

 

Avant de tisser lettres, poèmes ou romans autour de l'amour, toute langue est au défi de choisir les quelques mots qui incarneront l'amour...

Tout juste un mot, "amour", pour le plus grand des sentiments, la plus grande des vertus ? Qu'on ne s'y trompe pas, la langue française a hérité là d'un mot multiple, un mot-tiroir, un mot-valise, plein de sous-entendus et de nuances, où chaque époque a inscrit ses interrogations et ses certitudes. Dans l'Antiquité, il fallait une triade - éros, philia et agapè -, pour déployer toutes les couleurs de l'amour.

"L'éros est l'amour conçu comme ardent désir d'être uni à quelqu'un", souligne Monique Canto-Sperber, philosophe et directrice du Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale (PUF). La philia, elle, désigne "une relation empreinte de réciprocité et d'estime mutuelle". Ce terme, souvent traduit par "amitié", a une portée plus large, et consiste en une affection qui se caractérise par la volonté d'entretenir avec autrui des rapports où se manifeste une certaine excellence morale. "Enfin, l'agapè, est l'amour consacré à autrui, mais autrui considéré dans sa qualité fondamentale d'être humain et un prochain. C'est un sentiment sans attente de réciprocité et d'une certaine façon indépendant de ce qu'est l'aimé."

 

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L'amour d'Adam et Eve, William Blake

 

Comment les Grecs se rapportaient-ils à ces distinctions, quels usages en faisaient-ils ? "Une chose est sûre, les Grecs et les Romains séparaient plus fortement que nous ne le faisons le plaisir du désir, répond Paul Veyne, historien de l'Antiquité. Dans l'Antiquité, le plaisir est omnisexe - ce qui explique la fréquence de l'homosexualité - alors que le désir, lui, choisit un sexe." L'amitié, de son côté, pouvait y être ardente. "Les Romains étant capables d'en faire une véritable passion, alors que cette forme d'amitié est aujourd'hui peu populaire et toujours suspecte d'homosexualité", poursuit l'historien.

Le terme agapè connaît une gloire plus tardive. On sait que son usage était connu de la littérature païenne, on le retrouve dans l'oeuvre du philosophe juif hellénisé Philon d'Alexandrie (premier siècle avant l'ère chrétienne), mais le concept connus une promotion soudaine quand les auteurs du Nouveau Testament l'adoptèrent pour désigner l'amour chrétien. Dans ce contexte, agapè - traduit par amour ou charité - désigne la vertu des vertus, comme dans l'Hymne à l'amour de la première lettre de Paul aux Corinthiens (chapitre 13) et la première épître de Jean.

C'est au XIIe siècle que va surgir le mot "amor" pour désigner l'amour. "Les médiévaux ont un vocabulaire plus pauvre que les Grecs, ils ont "amour" et "charité", point final", résume Michel Zink, spécialiste de la littérature amoureuse du Moyen Âge. Le mot "charité", qui vient du grec, via le latin, s'est rapidement spécialisé pour désigner l'amour divin et l'amour se manifestant dans les oeuvres, d'où le sens moderne de "bienfait envers les pauvres" (Petit Robert) qu'il a pris par la suite. "Cette dichotomie imposée par le vocabulaire complique la tâche des médiévaux, poursuit Michel Zink. Ils doivent sans cesse rappeler que l'amour recouvre tout, et que la vraie charité, c'est l'amour !" Dans son vocabulaire, comme dans sa réflexion, le Moyen Âge se trouve donc dans une tension. "Il est à la fois le temps de l'invention d'une poésie de la passion amoureuse, de l'éros, et la première époque chrétienne qui réfléchit, plus que jamais, sur l'amour sous toutes ses formes, y compris l'amour de Dieu et du prochain."

 

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Pieta, El Greco

 

Dans ce contexte, les auteurs du Moyen Âge n'hésitent pas à utiliser le mot amor pour qualifier l'amour humain comme l'amour divin. Le Roman de la rose, best-seller du Moyen Âge, traduit cette double polarité. Dans sa première partie, il est un chant de la passion amoureuse, irrigué par la poésie des troubadours, dont est celui qui tient la plume, Guillaume de Lorris. Dans la seconde, rédigée par Jean de Mun, un clerc et un savant, il s'oriente vers une réflexion encyclopédique et théologique qui cherche à rassembler le tout de la connaissance de l'amour. Au "jardin de Déduit", jardin du plaisir, scène du coup de foudre initial, fait pendant la "prairie de l'Agneau", paradis final où l'Amour mène paître ses élus...

Les nuances de l'amor médiéval se dévoilent dans ses usages. On le voit être distingué d' "amar", l'amour bestial. "L'amor est le bon amour, l'amour exigeant, qui n'est pas obligatoirement chaste, mais qui est maîtrisé et noble", précise Michel Zink. Quant à la poésie, dont celle de Chrétien de Troyes, elle se plaît à des jeux de mots entre le verbe aimer (amer) et ses homophones "amer" ("amertume") et "la mer", car le sentiment amoureux est ambivalent, dangereux comme une mer immense et inconnue...

Le Moyen Âge élabore dans le même temps tout un corps de doctrines précisant les qualités que doit développer celui qui aime. Il vante la "mesure", la maîtrise de soi, et "le prix" ou le mérite. "Il faut aimer de façon à ce que cela augmente votre mérite, aimer une dame qui a du prix, aimer pour avoir soi-même du prix.", explique Michel Zink. Il valorise "joi" (nom masculin), la joie et "joven", la jeunesse. "Joi, c'est à la fois la joie et l'inquiétude de l'amour, précise Michel Zink. Et joven, c'est une sorte d'énergie, c'est l'élan vital de la jeunesse. Ce n'est pas seulement une question biologique mais une question morale. C'est, pourrait-on dire, la façon de vivre la jeunesse."

 

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Samson et Dalila, Rubens

 

Aujourd'hui, que reste-t-il de cette riche palette de vocabulaire et de concepts ? Trop souvent une simple opposition entre erôs et agapè, entre l'amour plaisir et l'amour désintéressé, durcie par l'héritage du jansénisme et du puritanisme. Fruit aussi du succès d'un traité philosophique, somme toute récent, Eros et agapè (1932), publié en France après-guerre, qui exerça une profonde influence dans les milieux philosophiques et ecclésiaux. Durcissant leur différence, Anders Nygren, théologien luthérien suédois, y faisait de la confrontation entre éros et agapè la clé de lecture de l'histoire occidentale de l'amour, opposant une vision grecque de l'amour, possessive et égocentrique, à une version chrétienne, oblative et désintéressée.

[...]

 

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Eros : divinité grecque, Eros désigne le désir amoureux, désir ardent d'union avec un autre singulier et déterminé. Dans la littérature grecque, Eros est tantôt une puissance inquiétante, qui trouble la raison, paralyse la volonté, tantôt un dieu malicieux, qui se plaît au jeu de l'amour, noue les intrigues ou les dénoue...

Philia, souvent traduite par "amitié", évoque un amour éprouvé pour ses semblables, au sein d'une famille ou pour les membres d'une communauté. C'est un sentiment défini par la tendresse, la générosité et la réciprocité. Pour Aristote, "aimer", au sens de philia, "c'est souhaiter pour quelqu'un ce que nous croyons être des biens, pour lui et non pour nous".

Agapè est l'amour consacré à autrui, considéré comme un prochain, à la suite du commandement de l'Evangile : "Tu aimerais le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et avec toutes tes forces et tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Mt 22, 37-40)? L'amour du prochain va au-delà de la demande de réciprocité et entend aimer ceux qui ne pourront rendre cet amour.

 

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> Pour davantage : http://fichtre.hautetfort.com/les-mots-francais.html

 

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Sapin de Noël gourmand, Trocadéro, Paris 2012
Crédits photographiques Jana Hobeika

  

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Pralines au chaudron
Crédits photographiques Jana Hobeika

 

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Vitrine de la pâtisserie "Aux Merveilleux", rue de l'Annonciation, Paris
Crédits photographiques Jana Hobeika

 

Et d'autres jours...
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Crédits photographiques Jana Hobeika

 

samedi, 10 novembre 2012

Considérations sur la Jalousie - Corneille, Blake

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La forme spirituelle du guide des abîmes, William Blake

 
 
 
Extrait de "Jalousie", Pierre de Corneille
 

N'aimez plus tant, Phylis, à vous voir adorée :
Le plus ardent amour n'a pas grande durée ;
Les nœuds les plus serrés sont le plus tôt rompus ;
A force d'aimer trop, souvent on n'aime plus,
Et ces liens si forts ont des lois si sévères
Que toutes leurs douceurs en deviennent amères.

Je sais qu'il vous est doux d'asservir tous nos soins :
... Mais qui se donne entier n'en exige pas moins ;
Sans réserve il se rend, sans réserve il se livre,
Hors de votre présence il doute s'il peut vivre :
Mais il veut la pareille, et son attachement
Prend compte de chaque heure et de chaque moment.
C'est un esclave fier qui veut régler son maître,
Un censeur complaisant qui cherche à trop connaître,
Un tyran déguisé qui s'attache à vos pas,
Un dangereux Argus qui voit ce qui n'est pas ;
Sans cesse il importune, et sans cesse il assiège,
Importun par devoir, fâcheux par privilège,
Ardent à vous servir jusqu'à vous en lasser,
Mais au reste un peu tendre et facile à blesser.
Le plus léger chagrin d'une humeur inégale,
Le moindre égarement d'un mauvais intervalle,
Un sourire par mégarde à ses yeux dérobé,
Un coup d'œil par hasard sur un autre tombé,
Le plus faible dehors de cette complaisance
Que se permet pour tous la même indifférence ;
Tout cela fait pour lui de grands crimes d'état ;
Et plus l'amour est fort, plus il est délicat.
Vous avez vu, Phylis, comme il brise sa chaîne
Sitôt qu'auprès de vous quelque chose le gêne ;
Et comme vos bontés ne sont qu'un faible appui
Contre un murmure sourd qui s'épand jusqu'à lui.
Que ce soit vérité, que ce soit calomnie,
Pour vous voir en coupable il suffit qu'on le dit ;
Et lorsqu'une imposture a quelque fondement
Sur un peu d'imprudence, ou sur trop d'enjouement,
Tout ce qu'il sait de vous et de votre innocence
N'ose le révolter contre cette apparence,
Et souffre qu'elle expose à cent fausses clartés
Votre humeur sociable et vos civilités.
Sa raison au dedans vous fait en vain justice,
Sa raison au dehors respecte son caprice ;
La peur de sembler dupe aux yeux de quelques fous
Etouffe cette voix qui parle trop pour vous.
La part qu'il prend sur lui de votre renommée
Forme un sombre dépit de vous avoir aimée ;
Et, comme il n'est plus temps d'en faire un désaveu,
Il fait gloire partout d'éteindre un si beau feu :
Du moins s'il ne l'éteint, il l'empêche de luire,
Et brave le pouvoir qu'il ne saurait détruire.

Voilà ce que produit le don de trop charmer.
Pour garder vos amants faites-vous moins aimer ;
Un amour médiocre est souvent plus traitable :
Mais pourriez-vous, Phylis, vous rendre moins aimable ?
Pensez-y, je vous prie, et n'oubliez jamais,
Quand on vous aimera, que l'amour est doux ; mais...

  

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Pierre Corneille (1606-1684)

 
 
 
 

mercredi, 18 juillet 2012

Considérations sur la création - Simone Weil, Romain Debluë, William Blake

 

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La création d'Adam, William Blake

 

 

Extrait de ""La pesanteur et la grâce", ou : aux marges du christianisme", 2012, Romain Debluë

 

Ainsi que pour la philosophie médiévale, il ne semble y avoir pour Simone Weil qu'un seul et unique Créateur, Dieu, lequel d'ailleurs n'a pas créé le monde en une action finie, à un instant donné, pour ensuite se contenter de l'observer avec ravissement ou colère, mais au contraire le crée à chaque instant, de perpétuelle façon. Cet acte continuel est par ailleurs conçu pour un acte essentiellement négatif, un acte de retrait : "Dieu renonce - en un sens - à être tout."*

Il libère et ménage, en quelque sorte, en son originelle omniprésence d'Eternité, une place - l'espace-temps - pour que nous y puissions exister, c'est-à-dire "se tenir hors de ", en l'occurrence hors de Dieu qui s'est "retiré de nous pour que nous puissions l'aimer"**, bouclant ainsi la boucle du monde puisqu'en l'aimant, précisément, nous le laissons entrer en nous lorsque nous parvenons à renoncer aux prétentions de l'être.

Non point, d'ailleurs, par l'action anesthésiante de quelque aspiration au néant que ce soit, mais au contraire, en vertu d'une volonté d'élévation vers la "joie parfaite et infinie"*** qui stance de toute éternité en Dieu même.

 

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 Simone Weil, op. cit., p. 123. Voir également : « Or il n'est pas donné à l'homme de créer. », p. 82.

 Idem. Il faut noter la très forte connotation judaïque de telle théologie, quand bien même il est évident que Simone Weil n'avait nulle affinité particulière, à tout le moins consciente, avec la pensée judaïque. Voir à ce sujet également sa conception de Dieu comme l'Un (p. 162), ainsi que l'idée selon laquelle il faut « placer Dieu à une distance infinie pour le concevoir innocent du mal : réciproquement, le mal indique qu'il faut placer Dieu à une distance infinie. » (p. 182)

 Ibid., p. 88.

 

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L'Ancien des jours, William Blake

 

 

> A consulter pour le texte intégral et beaucoup plus : http://amicusveritatis.over-blog.com/article-la-pesenteur...

 

> Pour plus de tableaux : http://www.eternels-eclairs.fr/tableaux-blake.php