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vendredi, 03 août 2012

Considérations sur la société - Les papillons du mal III - Baudelaire

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"Les papillons du mal III" 

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de certains hommes. C'est par la même raison que je ne chausserais pas les culottes d'un galeux.

 

Il n'y a que deux endroits où l'on paye pour avoir le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.

 

Ainsi dans les Etats où la prostitution légale n'existe pas, toutes les femmes sont vénales.  

 

Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle.

 

¤     ¤     ¤

 

Peu d'hommes ont le droit de régner, car peu d'hommes ont une grande passion.

 

Les dictateurs sont les domestiques du peuple, - rien de plus, - un foutu rôle d'ailleurs, - et la gloire est le résultat de l'adaptation d'un esprit avec la sottise nationale.

 

L'homme, c'est-à-dire chacun, est si naturellement dépravé qu'il souffre moins de l'abaissement universel que de l'établissement d'une hiérarchie raisonnable.

 

La pédérastie est le seul lien qui rattache la magistrature à l'humanité.

 

Il n'y a de gouvernement raisonnable et assuré que l'aristocratique. Monarchie ou république basées sur la démocratie sont également absurdes et faibles.

 

A quoi bon réduire en esclavage des gens qui ne savent pas faire cuire des œufs ?

 

C'est toujours la fête. Grand signe de fainéantise populaire. 

 

Nécessité pour chaque homme de se vanter lui-même dans un pays où personne ne sait rendre justice à personne.Vélocité proportionnelle à la pesanteur. C'est toujours le troupeau de moutons, à droite, à gauche, au nord, au sud, se précipitant en bloc. Aussi, il n'y a rien ici qui soit plus à la mode, ni mieux vu, ni plus honorable que le coup de pied de l'âne.

 

Celui-là seul est l'égal d'un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir. 

 

Le crépuscule excite les fous.

 

Il ne faut jamais livrer certaines questions à la canaille.

 

La familiarité est le fait des brutes et des provinciaux.

 

L'enfance, jolie presque partout, est ici hideuse, teigneuse, galeuse, crasseuse, merdeuse.

 

Il est marchand, c'est-à-dire voleur.

 

Dans un pays où chacun est défiant, il est évident que tout le monde est voleur.

 

Au critique chagrin, à l'observateur importun, la Belgique somnolente et abrutie, répondrait volontiers : "Je suis heureuse ; ne me réveillez pas."

 

Coupé en tronçons, partagé, envahi, vaincu, rossé, pillé, le Belge végète encore, pure merveille de mollusque.

 

Il admire son remords et il se glorifie, pendant qu'il est en train de perdre sa liberté.

 

En somme, devant l'Histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s'emparant du télégraphe et de l'Imprimerie nationale, gouverner une grande nation.

 

Tout journal de la première ligne à la dernière, n'est qu'un tissu d'horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d'atrocité universelle. Et c'est de ce dégoûtant apéritif que l'homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l'homme. Je ne comprends pas qu'une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût.

 

Il faut travailler, sinon par goût, au moins par désespoir, puisque, tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que d'amuser.

 

A chaque minute nous sommes écrasés par l'idée et la sensation du temps. Et il n'y a que deux moyens pour échapper à ce cauchemar, - pour l'oublier : le Plaisir et le Travail. Le Plaisir nous use. Le Travail nous fortifie. Choisissons.

 

D'autres, qui laissent, pendant qu'elles y officient, la porte des latrines ouverte. Des gandins contrefaits qui ont violé toutes les femmes. Des libres-penseurs qui ont peu des revenants. Des patriotes qui veulent massacrer tous les Français (ceux-là portent le bras droit en écharpe pour faire croire qu'ils se sont battus). 

 

Tous les Belges éclatent de rire, parce qu'ils croient qu'il faut rire. Vous contez une histoire drôle ; ils vous regardent avec de gros yeux, d'un air affligé. Vous vous foutez d'eux. Ils se sentent flattés et croient à des compliments. Vous leur faites un compliment. Ils croient que vous vous foutez d'eux.

 

L'Orient, en général, sent le musc et la charogne.

 

Les Belges sont des ruminants qui ne digèrent rien.

 

La croyance au progrès est une doctrine de paresseux, une doctrine de Belges. C'est l'individu qui compte sur ses voisins pour faire sa besogne. Il ne peut y avoir de progrès (vrai, c'est-à-dire moral) que dans l'individu et par l'individu lui-même. Mais le monde est fait de gens qui ne peuvent penser qu'en commun, en bandes. Ainsi les Sociétés belges. Il y a aussi des gens qui ne peuvent s'amuser qu'en troupe. Le vrai héros s'amuse tout seul. 

 

Une suite de petites volontés fait un gros résultat. Tout recul de la volonté est une parcelle de substance perdue. Combien donc l'hésitation est prodigue ! et qu'on juge de l'immensité de l'effort final nécessaire pour réparer tant de pertes !

 

Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables !

 

La mécanique vous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle, que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilège ou antinaturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs [...] alors, le fils fuira la famille, non pas à dix-huit ans, mais à douze, émancipé par sa précocité gloutonne ; il la fuira, non pas pour chercher des aventures héroïques, non pas pour délivrer une beauté prisonnière dans une tour, non pas pour immortaliser un galetas par de sublimes pensées, mais pour fonder un commerce, pour s'enrichir, et pour faire concurrence à son infâme papa.

 

L’imagination humaine peut concevoir, sans trop de peine, des républiques ou autres Etats communautaires, dignes de quelque gloire, s’ils sont dirigés par des hommes sacrés, par de certains aristocrates. Mais ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle, ou le progrès universel ; car peu m’importe le nom. Ce sera par l’avilissement des cœurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et pour créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie ?

 

Voici un homme chargé de ramasser les débris d’une journée de la capitale.(…) Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts. 

 

Malgré les admirables services qu’ont rendus l’éther et le chloroforme, il me semble qu’au point de vue de la philosophie spiritualiste la même flétrissure morale s’applique à toutes les inventions modernes qui tendent à diminuer la liberté humaine et l’indispensable douleur. 

 

Cet homme est si peu élégiaque, si peu éthéré qu’il ferait horreur même à un notaire.

 

Grâce au progrès de ces temps, il ne te restera de tes entrailles que des viscères ! 

 

Quant à l'habit, la pelure du héros moderne [...] n'est-il pas l'habit nécessaire de notre époque, souffrante et portant jusque sur ses épaules noires et maigres le symbole d'un deuil perpétuel ? [...] - une immense défilade de croque-morts amoureux, croque-morts bourgeois. Nous célébrons tous quelque enterrement.

 

 amour,baudelaireCharles Baudelaire (1821-1867) 

 

 

Ceux qui m’ont aimé étaient des gens méprisés, je dirais même méprisables, si je tenais à flatter les honnêtes gens

 

Ce qu'il y a d'enivrant dans le mauvais goût, c'est le plaisir aristocratique de déplaire.

 

Quand j’aurai inspiré le dégoût et l’horreur universels, j’aurai conquis la solitude.

 

Que de fois j’ai contemplé, souriant et attendri, tous ces philosophes à quatre pattes, esclaves complaisants, soumis ou dévoués, que le dictionnaire républicain pourrait aussi bien qualifier d’officieux, si la république, trop occupée du bonheur des hommes, avait le temps de ménager l’honneur des chiens !

 

Un fonctionnaire quelconque, un ministre, un directeur de théâtre ou de journal peuvent être quelquefois des êtres estimables, mais il ne sont jamais divins. Ce sont des personnes sans personnalité, des êtres sans originalité, nés pour la fonction, c'est-à-dire pour la domesticité publique. 

 

Etre un homme utile m'a paru toujours quelque chose de bien hideux.

 

Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

Je ne connais rien de plus compromettant que les imitateurs et je n'aime rien tant que d'être seul.

 

Cette syncope qui est considérée par les vulgaires mortels comme le summum du bonheur.

 

Il y a autant de beautés qu'il y a de manières habituelles de chercher le bonheur.

 

Vers la religion :

 

Théorie de la vraie civilisation. Elle n'est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes, elle est dans la diminution des traces du péché originel.

 

L'impiété belge est une contrefaçon de l'impiété française élevée au cube.

 

En somme, ce que la Belgique, toujours simiesque, imite avec le plus de bonheur et de naturel, c'est la sottise française.

 

La religion catholique en Belgique ressemble à la fois à la superstition napolitaine et à la cuistrerie protestante.

 

Il est défendu de visiter les églises à toute heure ; il est défendu de s'y promener ; il est défendu d'y prier à d'autres heures qu'à celles des offices. Après tout, pourquoi le clergé ne serait-il pas égal en grossièreté au reste de la nation ? Comme les prostituées qui n'ont pas plus l'idée de la galanterie, que certains prêtres celle de la religion.

 

Passez en revue, analysez tout ce qui est naturel, toutes les actions et les désirs du pur homme naturel, vous ne trouverez rien que d'affreux. [...] Le crime, dont l'animal humain a puisé le goût dans le ventre de sa mère, est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle, puisqu'il a fallu dans tous les temps et chez toutes les nations des dieux et des prophètes pour l'enseigner à l'humanité animalisée, et que l'homme, seul, eût été impuissant à la découvrir. 

 

Le commerce est par son essence satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec sous-entendu : rends-moi plus que je ne te donne. L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux. Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse et la plus vile.

 

jeudi, 02 août 2012

Considérations sur les femmes - Les papillons du mal II - Baudelaire

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"Les papillons du mal II"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Que diriez-vous de mes principes, et des conseils que je donne à ce sexe trompeur qui souvent ne fait que feindre l'amour.

 

La bêtise est souvent l'ornement de la beauté : c'est elle qui donne aux yeux cette limpidité morne des étangs noirâtres, et ce calme huileux des mers tropicales. La bêtise est toujours la conservation de la beauté : elle éloigne les rides : c'est un cosmétique divin qui préserve nos idoles des morsures que la pensée garde pour nous, vilains savants que nous sommes !

 

La femme qui veut toujours faire l'homme, signe de grande dépravation.

 

Mais elle gâtait cette grande qualité par une ambition malséante et difforme. C'était une femme qui voulait toujours faire l'homme.

 

C'est parce que tous les vrais littérateurs ont horreur de la littérature à de certains moments, que je n'admets pour eux, - âmes libres et fières, esprits fatigués, qui ont toujours besoin de se reposer leur septième jour, - que deux classes de femmes possibles : les filles ou les femmes bêtes, - l'amour ou le pot-au-feu. - Frères, est-il besoin d'en expliquer les raisons ?

 

Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois. Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ; elle a, dans les idées morales, la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues. [...] Que quelques hommes aient pu s'amouracher de cette latrine, c'est bien la preuve de l'abaissement des hommes de ce siècle. Voir la préface de Mademoiselle La Quintinie, où elle prétend que les vrais chrétiens ne croient pas à l'Enfer. La Sand est pour le Dieu des bonnes gens, le Dieu des concierges et des domestiques filous. Elle a de bonnes raisons pour vouloir supprimer l'Enfer.

 

Il ne faut pas croire que le Diable ne tente que les hommes de génie. Il méprise sans doute les imbéciles, mais il ne dédaigne pas leur concours. Bien au contraire, il fonde ses grands espoirs sur ceux-là. Voyez George Sand. Elle est surtout, et plus que toute autre chose, une grosse bête ; mais elle est possédée. C'est le Diable qui lui a persuadé de se fier à son bon cœur et à son bon sens, afin qu'elle persuadât toutes les autres grosses bêtes de se fier à leur bon cœur et à leur bon sens.

 

Comme nous, ils se sont levés de bon matin, et ils cherchent leur vie ou courent à leurs plaisirs. Il y en a qui couchent dans une ruine de la banlieue et qui viennent, chaque jour, à heure fixe, réclamer la sportule à la porte d'une cuisine du Palais-Royal ; d'autres qui accourent, par troupes, de plus de cinq lieues, pour partager le repas que leur a préparé la charité de certaines pucelles sexagénaires, dont le cœur inoccupé s'est donné aux bêtes, parce que les hommes imbéciles n'en veulent plus.

 

La femme générale. Un nez de Polichinelle, un front de bélier, des paupières en pelure d'oignon, des yeux incolores et sans regard, une bouche monstrueusement petite, ou simplement une absence de bouche (ni parole ni baiser), une mâchoire inférieure rentrée, des pieds plats, avec des jambes d'éléphant (des poutres sur des planches), en teint lilas, et avec tout cela la fatuité et le rengorgement d'un pigeon.

 

La femme ne sait pas séparer l'âme du corps. Elle est simpliste, comme les animaux. Un satirique dirait que c'est parce qu'elle n'a que le corps.

 

Voilà bien la grosse sagesse bourgeoise des femmes.

 

Les mères trouvent-elles dans leur continuelle sollicitude du talent pour reproduire toujours les mêmes pensées, et un style nouveau pour les rajeunir ?

 

Les hommes qui ont été élevés par les femmes et parmi les femmes ne ressemblent pas tout à fait aux autres hommes, en supposant même l'égalité dans le tempérament ou dans les facultés spirituelles. Le bercement des nourrices, les câlineries maternelles, les chatteries des sœurs, surtout des sœurs aînées, espèces de mères diminutives, transforment, pour ainsi dire, en la pétrissant, la pâte masculine. L'homme qui, dès le commencement, a été longtemps baigné dans la molle atmosphère de la femme, dans l'odeur de ses mains, de son sein, de ses genoux, de sa chevelure, de ses vêtements souples et flottants, y a contracté une délicatesse d'épiderme et une distinction d'accent, une espèce d'angrogynéité, sans lesquelles le génie le plus âpre et le plus viril reste, relativement à la perfection dans l'art, un être incomplet. Enfin, je veux dire que le goût précoce du monde féminin, de tout cet appareil ondoyant, scintillant et parfumé, fait des génies supérieurs ; et je suis convaincu que ma très intelligente lectrice absout la forme presque sensuelle de mes expressions, comme elle approuve et comprend la pureté de ma pensée.

 

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Charles Baudelaire (1821-1867) 

 

Je ne crois pas, madame, que les femmes en général connaissent toute l'étendue de leur pouvoir, soit pour le bien, soit pour le mal. Sans doute, il ne serait pas prudent de les en instruire toutes également.

 

Il paraîtrait que sa femme est belle, très bonne, et très grande artiste. Tant de trésors en une seule personne femelle, n'est pas monstrueux ?

 

Mon Dieu ! qu'une ancienne belle femme est donc ridicule quand elle laisse voir son regret de ne plus être adulée. 

 

Ce qui est démontré pour moi, c'est que les femmes ne sont intéressantes que quand elles sont très vieilles.

 

La jeune fille, ce qu'elle est en réalité. Une petite sotte et une petite salope : la plus grande imbécillité unie à la plus grande dépravation. Il y a dans la jeune fille toute l'abjection du voyou et du collégien.

 

La femme est le contraire du Dandy. Donc elle doit faire horreur. La femme a faim, et elle veut manger. Soif, et elle veut boire. Elle est en rut, et elle veut être foutue. Le beau mérite ! la femme est naturelle, c'est-à-dire abominable. Aussi est-elle toujours vulgaire, c'est-à-dire le contraire du Dandy.

 

Si je veux observer la loi des contrastes, qui gouverne l'ordre moral et l'ordre physique, je suis obligé de ranger dans la classe des femmes dangereuses aux gens de lettres, la femme honnête, le bas-bleu et l'actrice ; - la femme honnête, parce qu'elle appartient nécessairement à deux hommes et qu'elle est une médiocre pâture pour l'âme despotique du poète ; - le bas-bleu, parce que c'est un homme manqué ; - l'actrice, parce qu'elle est frottée de littérature et qu'elle parle argot. - Bref, parce que ce n'est pas une femme dans toute l'acception du mot, - le public lui étant une chose plus précieuse que l'amour.

 

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de certains hommes. C'est par la même raison que je ne chausserais pas les culottes d'un galeux.

 

Il n'y a que deux endroits où l'on paye pour avoir le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.

 

Ainsi dans les Etats où la prostitution légale n'existe pas, toutes les femmes sont vénales.

 

Généralement les maîtresses des poètes sont d'assez vilaines gaupes, dont les moins mauvaises sont celles qui font la soupe et ne payent pas un autre amant.

 

Les pauvres petites imitent leurs mamans : elles préludent déjà à leur immortelle puérilité future, et aucune d'elles, à coup sûr, ne deviendra ma femme.

 

Je suis obligé de travailler la nuit afin d'avoir du calme et d'éviter les insupportables tracasseries de la femme avec laquelle je vis. [...] VIVRE AVEC UN ETRE qui ne vous sait aucun gré de vos efforts, qui les contrarie par une maladresse ou une méchanceté permanente, qui ne vous considère que comme son domestique et sa propriété, avec qui il est impossible d'échanger une parole politique ou littéraire, une créature qui ne veut rien apprendre, quoique vous lui ayez proposé de lui donner vous-même des leçons, une créature QUI NE M'ADMIRE PAS, et qui ne s'intéresse même pas à mes études, qui jetterait mes manuscrits au feu si cela lui rapportait plus d'argent que de les laisser publier, [...] qui ne sait pas ou ne veut pas comprendre qu'être très avare, pendant UN mois seulement, me permettrait, grâce à ce repos momentané, de finir un gros livre, - enfin est-ce possible cela ? [...] je pense à tout jamais, que la femme qui a souffert et fait un enfant est la seule qui soit l'égale de l'homme. Engendrer est la seule chose qui donne à la femelle l'intelligence morale. Quand aux jeunes femmes sans état et sans enfants, ce n'est que coquetterie, implacabilité et crapule élégante.

 

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Ah ! voulez-vous savoir pourquoi je vous hais aujourd'hui. Il vous sera sans doute moins facile de le comprendre qu'à moi de vous l'expliquer ; car vous êtes, je crois, le plus bel exemple d'imperméabilité féminine qui se puisse rencontrer.

 

Vous avez l'âme belle, mais en somme, c'est une âme féminine.

 

Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle.

 

mercredi, 01 août 2012

Considérations sur l'amour - Les papillons du mal I - Baudelaire

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"Les papillons du mal I"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Trois milliards d'êtres qui broutent les orties du sentiment !

 

Laissez les écoliers ivres de leur première pipe chanter à tue-tête les louanges de la femme grasse.

 

Dans l'amour comme dans presque toutes les affaires humaines, l'entente cordiale est le résultat d'un malentendu. Ce malentendu, c'est le plaisir. L'homme crie : "Ô mon ange !" La femme roucoule "Maman ! Maman !" et ces deux imbéciles sont persuadés qu'ils pensent de concert. - Le gouffre infranchissable, qui fait l'incommunicabilité, reste infranchi.

 

Il y a dans l'acte d'amour une grande ressemblance avec la torture, ou avec une opération chirurgicale.

 

Ce qu'il y a d'ennuyeux dans l'amour, c'est que c'est un crime où l'on ne peut se passer d'un complice.

 

Dans Les Oreilles du comte de Chesterfield, Voltaire plaisante sur cette âme immortelle qui a résidé pendant neuf mois entre des excréments et des urines. Voltaire, comme tous les paresseux, haïssait le mystère. Au moins aurait-il pu deviner dans cette localisation une malice ou une satire de la providence contre l'amour, et, dans le mode de la génération, un signe du péché originel. De fait, nous ne pouvons faire l'amour qu'avec des organes excrémentiels.

 

Ce qu'il y a de plus désolant, c'est que tout amour fait toujours une mauvaise fin, d'autant plus mauvaise qu'il était plus divin, plus ailé à son commencement. Il n'est pas de rêve, quelque idéal qu'il soit, qu'on ne retrouve avec un poupard glouton suspendu au sein.

 

Ne pouvant pas supprimer l'amour, l'Eglise a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage.

 

Cette histoire de fouterie provinciale, dans un lieu sacré, n'a-t-elle pas tout le sel classique des vieilles saletés françaises ?

 

Il me semble que quand le mari ne se plaint pas, le Cocuage est une institution, à la manière du Duel.

 

Je chante les chiens calamiteux, soit ceux qui errent, solitaires, dans les ravines sinueuses des immenses villes, soit ceux qui ont dit à l'homme abandonné, avec des yeux clignotants et spirituels : "Prends-moi avec toi, et de nos deux misères nous ferons peut-être une espèce de bonheur !"

 

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Charles Baudelaire (1821-1867) 

 

Plus l'homme cultive les arts, moins il bande. Il se fait un divorce de plus en plus sensible entre l'esprit et la brute. La brute seule bande bien, et la fouterie est le lyrisme du peuple. Foutre, c'est aspirer à entrer dans l'autre, et l'artiste ne sort jamais de lui-même.

 

Le sentiment pousse l'enfant, s'il est très énergique, à tuer son père pour un pot de confiture, ou pour acheter des dentelles pour une fille, s'il a dix-huit ans, pousse la femme à tuer son mari pour acheter des bijoux ou pour entretenir un drôle ; - exactement comme il pousse le chient à tout bousculer pour s'emparer d'un morceau de viande.

 

Goût invincible de la prostitution dans le cœur de l'homme, d'où naît son horreur de la solitude - il veut être deux. L'homme de génie veut être un, donc solitaire. La gloire, c'est rester un, et se prostituer d'une manière particulière. C'est cette horreur de la solitude, le besoin d'oublier son moi dans la chair extérieure, que l'homme appelle noblement besoin d'aimer.

 

Après une débauche, on se sent toujours plus seul, plus abandonné.

 

L'amour brille pas son absence. Ce qu'on appelle amour ici est une pure opération gymnastique animale que je n'ai pas à vous décrire.

 

Mais ce que je sais bien, c'est que j'ai horreur de la passion, - parce que je la connais, avec toutes ses ignominies.

 

Mais quelque fois votre amitié pour moi vous pousse à me traiter un peu mal, je subis un paquet de reproches qui ne me concernent pas.

 

La haine est une liqueur précieuse, un poison plus cher que celui des Borgia, - car il est fait avec notre sang, notre saleté, notre sommeil et les deux tiers de notre amour ! Il faut en être avare !

 

Que diriez-vous de mes principes, et des conseils que je donne à ce sexe trompeur qui souvent ne fait que feindre l'amour.

 

mardi, 31 juillet 2012

Je t'aime moi non plus - Gainsbourg, Birkin, Depardieu, Blanc

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Film : Je t'aime moi non plus (1976, durée 1h30)

Réalisateur : Serge Gainsbourg

Public averti, interdit aux moins de 16 ans.

Johnny serveuse à l'allure de garçon (Jane Birkin), Boris son patron pétomane (Reinhard Kolldehoff), Krassky (Joe Dallesandro) éboueur homosexuel en couple avec son coéquipier Padovan (Hugues Quester), un paysan fier de son engin (Gérard Depardieu), un ouvrier (Michel Blanc), Moïse (Jimmy Loverman Davis)

 

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Krassky emmène Johnny dans son camion faire les courses ches le boucher pour Boris, le patron du bar routier où elle est serveuse.

 

Johnny au boucher : Trois kilos de cheval.

Johnny à Krassky : C'est Boris, il fait passer ça pour du boeuf.

Krassky : Saloperie d'enfoiré de merde. Chier.

 

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Krassky : Vous terminez à quelle heure ?

Johnny : Minuit, une heure, ça dépend. Boris il dit que vous êtes un homosexuel.

Krassky : Saloperie d'enfoiré de merde. Chier.

Johnny : C'est pas une réponse.

 

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Le patron d'un motel : Ouvrez ! 

Krassky : Qu'est-ce que c'est ?

Le patron : On a égorgé une fille dans cette chambre, la police a fermé le motel pour six mois, vous comprenez ?

Krassky : C'est toi qui vas comprendre, mon pote.

Le patron : Moi je veux pas d'ennuis. Faut pas rester là. Vous emmenez la fille ! C'est tout.

Krassky : Connerie. Fait chier ... Les putes ça baise en silence.

 

Je t'aime moi non plus Depardieu.JPG

 

Le paysan (Gérard Depardieu) à Padovan : Je sais ce que tu cherches. Tu veux que je t'en file un grand coup dans les miches. Mais vaut mieux pas, p'tit. Avec c't'engin-là... j'en ai envoyé plus d'un à l'hosto. Alors, j'me dis, la police, les emmerdes, terminé, pas vrai bichon ? Salut p'tit gars.

 

Bichon est son cheval.

 

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Krassky : Dis-donc, t'as couché avec Boris ?

Johnny : Quoi !? Ce gros porc ? Ca va pas, non ? T'es malade dans ta tête ?... Merde ! J'ai quelque chose dans l'oeil.

Krassky : Fais voir. C'est parti ?

Johnny : Parti, mon œil.

Krassky : Ca s'en ira à la première larme.

Johnny : Pourquoi, tu veux déjà me quitter ? ... Krass travaille dans la crasse...

Krassky : Moi je trouve ça beau, cette montagne de merde. C'est la nausée des villes. La vomissure des hommes. La source du Styx.

Johnny : Qu'est-ce-c'est qu'ça ?

Krassky : Le fleuve des enfers, coco. Dans la mythologie grecque. Sur ses bords erraient ceux qui n'avaient pas été ensevelis, et pour l'éternité.

Johnny : Dis donc, t'es vachement calé. Quand même, tu parles d'un job. Tu vas chercher des saloperies pour les mettre ailleurs.

Krassky : Et alors ? Les hommes aussi, quand ça crève, on les met ailleurs.

Johnny : Ca y est, je suis morte. Tu m'emmènes ?

Krassky : Ouais.

Johnny : Où ça ?

Krassky : Je sais pas, on verra. Allez, debout.

Johnny : Oh non, tu vas me faire mal encore.

Krassky : Debout.

 

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Krassky : Avec tes gueulantes on n'y arrivera jamais.

Johnny : C'est pas ma faute si ça fait mal.

Krassky : OK. On va se baigner.

Johnny : J'ai pas de maillot de bain.

Krassky : T'inquiète.

Johnny : J'sais pas nager.

Krassky : Pas de problème.

 

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Krassky : On va rester ici jusqu'à ce que le soleil se fasse la malle.

Johnny : Non, j'peux pas. Faut que je rentre. Je vais me faire engueuler par Boris.

Krassky : Saloperie d'enfoiré de merde. Chier. Tu vois, c'est comme ça la vie : amer.

Johnny : Tu trouves ? Moi pas. Ca dépend de ce que tu lui demandes... Dis-moi, avec un nom comme ça, t'es sûrement pas un mec.

Krassky : Polak.

Johnny : Les yeux slaves... Mais pourquoi t'as toujours l'air triste comme ça ?

Krassky : Y'a des jours, j'sais pas ce que je donnerais pour me chier tout entier. Quand j'étais gosse, mon rêve, c'était de conduire des locomotives à vapeur, tu sais, celles où tu mets du charbon. Aujourd'hui elles sont toutes électriques, c'est con, non ?

 

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Krassky : Qu'est-ce-c'est que ça ?

Johnny : Quoi !?

Krassky : Ce déguisement là, qu'est-ce que c'est ?

Johnny : Benh tu m'as dit.

Krassky : Quoi, j't'ai dit ? J't'ai dit... J'tai dit d'te fringuer, c'est tout !

Johnny : Benh j'suis une fille !! Merde alors !

Krassky : Ok, ça va, grimpe.

 

Johnny porte une robe.

 

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Johnny : Je t'aime... Je t'aime... Je t'aime... Je t'aime... Je t'aime... Je t'aime... Toi, tu m'aimes un petit peu quand même ?

Krassky : C'qui compte, c'est pas par quel côté j'te prends, c'est l'fait qu'on s'mélange, et qu'on ait un coup d'épilepsie synchrone. C'est ça l'amour, bébé, et crois-moi, c'est rare.

 

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Padovan surprend Johnny dans son bain et l'étouffe dans un sac plastic allant presque jusqu'à la tuer. Krassky arrive, en prenant tout le temps pour renverser des tables sur son passage.

 

Krassky : Pauvre con.

Padovan : J'voulais juste lui faire peur, c'est tout.

Johnny : Tu lui casses pas la gueule ? Non mais vas-y ! Qu'est-ce t'attends ?

Krassky : Qu'est-ce que ça changerait ? Regarde-le. Tu veux que j'lui fasse la tronche comme un tartare ?

Johnny : Il manque de m'étrangler et c'est tout ce que tu trouves à dire ? Ne me touche pas !!

Krassky : Ecoute, Johnny.

Johnny : Tu me dégoûtes, fous-le camp. Pédale !!

Krassky : Ok. Allez, Padovan, on s'en va.

Johnny : Je voulais pas dire ça !! Je voulais pas dire ça. Je voulais pas dire ça. Je voulais pas dire ça. 

 

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lundi, 30 juillet 2012

La lune dans le caniveau - Beneix, Yared, Depardieu, Kinski, Abril, Pinon

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Film : La lune dans le caniveau (1983, durée 2h17)

Réalisateur : Jean-Jacques Beneix

D'après le roman The Moon in the Gutter de David Goodis

Musique : Gabriel Yared

Gérard (Gérard Depardieu), Loretta dont Gérard tombe amoureux (Nastassja Kinski), Bella la compagne de Gérard (Victoria Abril), Newton le frère de Loretta (Vittorio Mezzogiorno), Franck (Dominique Pinon), Tom le père de Gérard (Gabriel Monnet), Lola la compagne de Tom (Bertrice Reading), Catherine la sœur de Gérard qui s'est suicidée après avoir été violée (Katia Berger), Frieda (Milena Vukotic).

 

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Newton : C'était magnifique.

Gérard : Qu'est-ce qui était magnifique ?

Newton : Le calendrier.

Gérard : Le calendrier ?

Newton : Le calendrier avec la photo de la fille. Elle portait un manteau d'hermine, il était pas boutonné. Au-dessous, elle avait rien. C'était de ça que je rêvais.

Gérard : Comment elle s'appelait, la fille ?

Newton : Elles ont jamais de nom. Que des numéros de téléphone. Celle-là, elle avait même pas le téléphone. Je les préfère sans téléphone. Celles que j'aime le mieux, c'est les mortes. Elles viennent jamais m'embêter les mortes. Peut-être que je te dois quelque chose ?

Gérard : Pourquoi ?

Newton : Pour avoir arrêté ce rêve. Tu veux que je te paie un rêve ?

Gérard : Peut-être que t'as besoin d'une femme.

Newton : Qui es-tu ?

Gérard : Je suis désolé, monsieur, on ne se connaît pas. Je savais que je vous avais jamais vu mais j'avais besoin de parler à quelqu'un. Je m'appelle Gérard Delmas.

Newton : Moi c'est Newton Channing.

Gérard : Je m'en souviendrai. Vous habitez où ?

Newton : En ville.

Gérard : En haute ville ?

Newton : Oui, la haute. Maison blanche, stores pudiques, pelouse et jets d'eau, parties de tennis invisibles dans des bosquets d'arbres aux essences rares, cris d'enfants blonds, propres, trop propres, purement bourgeois. J'habite avec ma sœur. On s'entend bien. Un soir, la semaine dernière, elle m'a mis KO. C'est vraiment une fille très bien, ma sœur. J'essayais tranquillement de foutre le feu à la baraque, elle a pris sa chaussure, talon aiguille, et paf ! KO, pendant au moins dix minutes.

 

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Loretta : Allez Newton, finis ton verre, on rentre.

Newton : Le dernier tram... Tu es mon ange gardien.

Loretta : Viens, on rentre.

Newton : Je suis pas prêt. Il faut encore que je boive.

Loretta : Tu veux que j'appelle une ambulance ?

Newton : Ca ne fait pas encore d'effet, faut que je reste, jusqu'à ce que ça me fasse de l'effet.

Loretta : Un jour, ça te fera vraiment de l'effet, on t'emportera sur un brancard, c'est ce que tu veux ?

Newton : Ce que je veux, c'est qu'tu me foutes la paix. Tu peux ?

Loretta : Non, je ne peux pas, je tiens beaucoup trop à toi.

Newton : Beaucoup trop. C'est gentil. J'en ai de la chance.

Gérard : Ca n'existe pas, la chance.

Loretta : Tu es mal élevé, Newton. Tu ne m'as pas présentée à ton ami... J'attends toujours, Newton.

Newton : Ici, on ne fait pas de présentations.

Loretta : Je suis désolée, monsieur, je ne pense pas que ce soit cela qu'il veuille dire. C'est parce qu'il a bu.

Gérard : Ca fait rien.

Loretta : Ne le prenez pas mal.

Gérard : Non, j'ai dit ça fait rien.

Newton : Evidemment que ça fait rien.

Loretta : Je m'appelle Loretta.

Newton : C'est très important qu'il sache ton nom. Et ton adresse, invite-le à dîner aussi. Dis-lui : "Vous serez le bienvenu". Prends-lui la main, pour un temps super.

Loretta : Je vais te gifler.

Gérard : C'est pas la peine. Je m'appelle Gérard Delmas.  Votre frère a raison, mademoiselle, vous pouvez venir manger quand vous voulez. J'habite au 7, chemin de l'océan, le 7 ça porte bonheur. C'est la maison la plus pourrie du quartier, vous pouvez pas vous tromper.

 

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Bella : On se marie ou pas ?

Gérard : Je sais pas.

Bella : On se plaît, non ?

Gérard : Ca suffit pas, Bella. T'es trop jalouse.

Bella : J'ai tous les droits d'être jalouse. Peut-être t'as d'autres projets, te fous pas de ma gueule, Gérard.

Gérard : Tu voudrais peut-être que je m'enferme dans un placard.

Bella : Oui. J'aimerais bien. Mais qu'est-ce qui m'arrive !? J'ai ce mec dans la peau, je pense qu'à ça. Je pense qu'à ça. Y'a des nuits, j'peux pas dormir. J'essaie de comprendre. Chaque fois il y a des bonnes femmes, des milliers de femmes, qui veulent toutes t'avoir, elles te courent après.

Gérard : Y'en a pas d'autre, Bella.

Bella : Je peux pas m'empêcher. Je suis jalouse, jalouse ! Tu comprends ça ?

Gérard : J'ai pas regardé un cul depuis qu'on est ensemble.

Bella : Mais c'est pas toi ! C'est pas toi. Comment elles te regardent. T'as vu la gueule que t'as ? Tu vois ta gueule ?

 

Elle lui tend un miroir.

 

Bella : Penche-toi. Encore. Là. Tu vois ta gueule ? C'est cette gueule-là que t'as quand t'es au-dessus d'une femme. Quand tu baises, quand tu me baises... Viens, viens, on rentre, viens ! [...] Tu viens ?

Gérard : J'prends l'air.

Bella : Combien de temps ?

Gérard : J'sais pas.

Bella : J'ai pas envie d'attendre.

 

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Gérard : Vous êtes sure de pas vous gourrer d'adresse ?

Loretta : On peut pas se tromper, c'est la maison la plus pourrie de tout le quartier. J'accepte votre invitation.

Gérard : Il est un peu tard pour dîner.

Loretta : Non, c'est juste une visite, j'avais envie de vous voir.

Gérard : C'est gentil. C'est gentil. Il est deux heures du matin, vous me voyez.

Loretta : Oui, j'espérais que vous ne seriez pas couché.

Gérard : Vous m'auriez réveillé. Vous auriez défoncé la porte de ma chambre.

Loretta : Non, je ne vais jamais jusque là. Jamais.

Gérard : Je n'en suis pas si sûr.

 

¤   ¤   ¤

 

Voix off : Il savait que dans quelques heures la frénésie reviendrait. Des hordes de camions envahiraient le port, le ventre des navires s'ouvrirait, les bras de métal se tendraient, les câbles siffleraient, une chaleur de plomb s'abattrait sur le port et les hommes sueraient au travail.

 

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Loretta : Pourquoi vous serrez toujours les poings ?

Gérard : J'suis un docker, je vois pas les choses comme vous.

Loretta :On voit tous les deux la même chose.

Gérard : Regardez de plus près. Vous êtes venue voir la saleté, alors regardez-là.

Loretta : Pourquoi vous dites saleté ? C'est magnifique.

Gérard : Un rêve, une ville propre, blanche, avec de jets d'eau, des arbres. C'était ça que je rêvais quand vous me réveillez pour me montrer l'endroit où je travaille.

Loretta : Tu n'as jamais voulu t'en aller sur un bateau ?

Gérard : Si.

Loretta : Alors ?

Gérard : Peut-être que j'en ai trop vu partir.

 

¤   ¤   ¤

 

Gérard : Vous faites une promenade, mais faites attention. Vous êtes dans un monde de brutes.

Loretta : Mais vous n'êtes pas une brute, vous vous êtes souvenu de mon nom. Je vous plais ?... Emmenez-moi. Loin.

Gérard : Laissez tomber.

Loretta : Je ne peux pas. J'attends depuis si longtemps.

Gérard : C'est dommage.

Loretta : Dommage pour nous deux.

Gérard : Pas pour moi.

Loretta : C'est faux. Regardez-moi. S'il vous plaît, regardez-moi. Regardez-moi.

Gérard : Foutez le camp.

Loretta : Je te fais peur. Un jour, vous parlerez, vous laisserez s'ouvrir votre cœur, il y aura du bleu dans votre ciel et une route infinie vers le soleil, des bateaux comme des oiseaux, la douceur. Vous n'aurez plus peur. Il fera beau. Il n'y a pas de fatalité au malheur.

Gérard : Foutez le camp.

 

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Gérard : Je voulais pas te frapper, mais y'a un moment où...

Loretta : Ne t'excuse pas ! Ne t'excuse pas. J'aurais pas dû venir sur ce quai, ah non, j'avais pas le droit de te photographier.

Gérard : Tu l'as fait.

Loretta : Oui, je n'ai pas d'excuse, c'est tout, j'ai honte. Pardonne-moi.

Gérard : C'est classé, oublie ça.

Loretta : Je peux pas, je regrette ! Je veux te le dire !

Gérard : Voilà, c'est fait.

Loretta : T'as perdu ton boulot ?

Gérard : Oui, la vie c'est pas un pique-nique.

Loretta : C'est de ma faute. Laisse-moi t'aider.

Gérard : M'aider ?

Loretta : Je connais l'armateur, je vais aller le voir. Ca marchera.

Gérard : Si je retrouve mon travail, ce serait important.

Loretta : Oh oui, oui, pour moi aussi, je suis responsable. Tu me dois rien. C'est de ma faute.

Gérard : Au revoir.

Loretta : Alors je pense qu'on se reverra plus. Hein ?

Gérard : Non. Non.

 

¤    ¤    ¤

 

Frieda : Il te faut une femme, tu peux pas continuer comme ça.

Newton : Une femme comme toi, Frieda.

Frieda : Le couple, ça équilibre. C'est important, l'équilibre.

Newton : Quel âge t'as, Frieda ?

Frieda : Je suis comme neuve.

Newton : Tu pèses combien ?

Frieda : Quarante... habillée.

Newton : Tu sais faire la cuisine ?

Frieda : C'est pas c'que je sais faire de mieux.

Newton : Tu devrais apprendre.

Frieda : Vraiment ?

Newton : Oui, je voudrais que tu apprennes.

Gérard : Il se fout de ta gueule ! Il se fout de ta gueule, j'te dis, pauv'conne ! Il en veut pour son argent.

Frieda : C'est ça qu'il fait ? T'es juste en train de te moquer de moi ?

Newton : T'es belle, Frieda, t'es belle.

Frieda : Ca fait rien. Tu sais, c'est juste pour rire. Ca peut pas être sérieux. Ca fait rien.

Newton : Tu te trompes, crois-moi.

 

¤   ¤   ¤

 

Gérard : T'es belle, t'es pure.

Loretta : Aujourd'hui tu le dis franchement ? C'est toi que je veux, j'ai ressenti tout de suite quelque chose, fort, une sensation, un sentiment que je n'avais jamais eu avant. C'est tout ce que je sais. Seulement, être, près de toi.

Gérard : Pour toujours... Loretta, ne pars jamais.

 

¤   ¤   ¤

 

Gérard : Tu l'aimes, ton frère ?

Loretta : C'est un ivrogne, un paresseux, un excentrique mais, quelques fois, il est très tendre. Oui, je l'aime, je l'aime.

Gérard : Qu'est-ce qu'il vient faire par ici ?

Loretta : Ici, il croit pouvoir se cacher, cacher.

Gérard : De quoi ?

Loretta : De lui-même.

Gérard : Je comprends pas.

Loretta : C'est pas la peine d'en parler.

 

Gérard et Loretta se marient.

 

¤  ¤   ¤

 

Bella : Où tu vas ?

Gérard : J'ai un lit.

Bella : Ah oui ? Ecoute voir un peu, espèce de pouilleux !

Gérard : Ne m'parle pas comme ça !

Bella : Tu vas me raconter, hein, maintenant.

Gérard : Il faut que je dorme, j'ai la gueule de bois.

Bella : Justement, t'as fait quoi hier soir ? Tu bois jamais !

Gérard : Rien !

Bella : Rien ? Je te retrouve dans le coma en train de bécoter une sainte Vierge (une statuette) et c'est normal ?

Gérard : Et alors ?

Bella : Et alors je suis jalouse. Et ça me rend curieuse. Tu pèses lourd, tu sais, je t'ai traîné jusqu'ici.

Gérard : Merci.

Bella : C'est pas pour que tu me dises merci. C'est pour être sure d'être là, raconte !

Gérard : Non, tu manques pas de culot, toi. Mais j't'ai pas demandé de m'amener dans ton pieu. 

Bella : Comme si c'était la première fois. D'habitude il faut pas te traîner, mon salaud. Tu vas pas dormir.

Gérard : Si.

Bella : Tu vas pas dormir, je te dis ! Tu vas me raconter.

 

Il essaie de la calmer avec un câlin.

 

Bella : Non, c'est trop facile.

Gérard : Alors mets quelque chose.

Bella : Ca t'excite ? Tu veux pas que ça t'excite ?

Gérard : Ecoute, Bella. Ecoute.

Bella : J'vais t'aider. Elle est bien restée à t'attendre dans sa belle bagnole. Elle a bien pleuré avec ses beaux yeux. Mais elle s'est tirée, tiens ! Moi je suis plus patiente.

Gérard : J'étais venu chercher mes affaires, tu comprends ? C'est fini, tous les deux.

Bella : Quoi ?

Gérard : Je me suis marié, hier soir.

Bella : C'est pas vrai.

Gérard : Chez le vieux.

Bella : Non.

Gérard : Elle a signé. Moi aussi.

Bella : C'est pas vrai, ça. C'est pas vrai. C'est pas vrai. Avec cette pute de riche ! Tu mens. T'as pas d'alliance.

Gérard : Ah oui. Dans ma chemise.

Bella : Mais c'est du plastic ça, t'étais bourré, t'étais bourré, tu savais pas ce que tu faisais, ça compte pas, ça compte pas !

Gérard : On a bu après.

Bella : Chambre d'hôtel ? Raconte. Les détails, je veux tout savoir, vas-y.

Gérard : Il s'est rien passé, si c'est ça que tu veux savoir. J'suis venu chercher mes affaires. Elle m'attendait. J'sais pas c'qui s'est passé, j'étais bourré, j'suis tombé, j'me suis trompé d'chambre.

Bella : Non, tu t'es trompé pas beaucoup, maintenant t'es dans la bonne, t'es dans la bonne chambre. J'suis là. Baise-moi, baise-moi.

Gérard : J'ai plus envie, Bella. J'ai plus envie.

Bella : Attends ! Attends. T'en veux une ? Tu veux une cigarette ?

Gérard : Faut qu'tu comprennes un truc, Bella. J'suis marié.

Bella : Où elle est ? Où elle est ? Où elle est, la mariée ? Où elle est ? Où elle est la mariée ? Tu sais pas ? Je vais te dire. Elle est dans son p'tit lit bien propre. Elle dort d'un sommeil bien propre. Mais elle dormira jamais dans un taudis ! Elle s'est taillée, la mariée ! Mais vraiment, on peut pas lui en vouloir, c'est dur de vivre ici, faut y être né ! Ca se casse la gueule, on roule sur les bouteilles, c'est crasseux, ça pue ! Tu sais ce qu'elle va faire, hein ? Elle va aller au coiffeur, elle va se nettoyer la tête, s'asperger de DDT, elle va se laver et s'astiquer !!

Gérard : Arrête !! Tu la fermes ! Tu la fermes. Ou j'te casse la tête.

Bella : Là haut, on respire, dans les beaux quartiers.

Gérard : T'as rien compris, Bella, t'as rien compris. Elle est partie mais elle m'a pas quitté.

Bella : C'est toi qui a rien compris. Peut-être qu'elle t'aime, oui, mais elle, elle quittera jamais son quartier. Et toi, toi, t'es d'ici, et tu seras toujours d'ici.

Gérard : Il suffit d'un ticket de train, Bella.

Bella : Mais non.

Gérard : Un ticket.

Bella : Mais non, dépense pas ton fric pour rien. Dépense pas ton fric pour rien !

Gérard : Elle m'attend, là-haut. Dis à la grosse que j'mangerai pas là ce soir.

Bella : Crétin !

 

samedi, 28 juillet 2012

Ave Maria, sois notre secours

 

fra, filippo, lippi, annonciation
Annonciation, Fra Filippo Lippi 

 

 

Ave Maria, sois notre secours

Entends nos prières et prie Dieu pour nous.

 

Toi, notre mère prends-nous par la main,

Montre-nous la route qui conduit vers Dieu.

 

Comblée de grâce, fille de Sion,

Choisie par le Père, tu lui as dit oui.

 

Arche d'alliance tu as cru en Dieu,

Fais que sa parole prenne chair en nous.

 

Espoir des hommes, reste près de nous,

Apprends-nous à vivre unis à ton Fils.

 

Mère très sainte, abri des pécheurs,

Conduis vers le Père ceux qui crient vers toi.

 

vendredi, 27 juillet 2012

Considérations sur l'existence - Rémi Brague, Philippe Caillaud

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Article "Rémi Brague : "métaphysique et vie", Philippe Caillaud

Journal "Le Campanille", Notre Dame d'Auteuil, n°248 avril-mai 2012 

 

Le 17 novembre, à l'invitation d'Art, Culture et Foi, Rémi Brague, philosophe et écrivain membre de l'académie des sciences morales et politiques, a rencontré pour la troisième fois plus d'une centaine de paroissiens de Notre-Dame d'Auteuil.

Abordant la métaphysique par des exemples, il s'interrogeait : "est-il normal, bien ou bon de vivre ?" en l'opposant à la morale qui traite du comment vivre. Constatant que l'édification d'une morale, nécessaire à la vie en société, était faisable sans référence à un dieu, il nous laissait imaginer que la métaphysique pouvait difficilement l'éviter.

Ayant rappelé le célèbre monologue d'Hamlet "être ou ne pas être..." - en d'autres termes : vivre ou se suicider - Rémi Brague est passé à la quetsion "est-il bon ou non d'avoir des enfants ?" interpellant davantage l'assistance, un peu frustrée toutefois d'y avoir déjà répondu sans recours à la métaphusique.

Il a souligné alors, pour les personnes estimant que ces questionnements individuels sont en marge de la vraie vie, la dimension collective qu'ils ont acquise : avènement d'armes capables de détruire le globe, déclin démographique persistant dans certains pays. Après Pascal (nous sommes embarqués), puis Rousseau revisité par Hergé (l'Emile s'abhorre...), nous ne pouvons plus repousser la question de la raison d'être de l'homme sur sa planète.

Nous laissant découvrir le développement dans son dernier livre, il a suggéré conformément au titre "Des ancres dans le ciel", qu'au-delà de l'art et de la culture, c'est la foi qui peut apporter une réponse satisfaisant à la survie de l'espèce.  

 

> A consulter également : http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9mi_Brague