mardi, 05 juin 2012
La désenchantée - Rimbaud
Film : La désenchantée (1990, durée 1h18)
Réalisateur : Benoît Jacquot
Beth (Judith Godrèche), Alphonse (Marcel Bozonnet), l'oncle (Ivan Desny), l'autre (Malcom Conrath), la mère de Beth (Thérèse Liotard), Rémi le petit frère de Beth (Thomas Salsmann)
Beth présente son travail à la classe. Elle écrit au tableau : "Je croyais à tous les enchantements".
Beth : Rimaud est né désenchanté et voulait partir. Personne ne pourra définir son enchantement. Etait-il de ne pas être enchanté, de toujours chercher à l'être, ou de subir l'enchantement du désenchantement ? La ligne éperdue séparant son menton de sa bouche en dit long sur ses pensées, dévoilant l'éternelle amertume, la volonté d'enchantement qui toujours échoit. Cette ombre sur le visage n'est pas muette, elle dit sur quel enfant ténébreux elle jeta son aencre*.
Elle écrit au tableau : "Je comprends en ne sachant m'expliquer sans paroles païennes je voudrais me taire".
Beth : Invoquer l'horreur et trouver la beauté, être des désenchantés le plus chantant, de pas desserrer les dents et avoir les yeux d'outre-tombe des raisons de partir. En partant, Rimbaud a cessé d'écrire mais pas d'être poète. Quel besoin a-t-il, lui qui veut de l'or et du soleil pour bronzer son visage d'un crayon pour être poète ? Rimbaud existant, Rimbaud poète. Rimbaud trafiquant, Rimbaud poète. Quelques-uns regardant la photo de Rimbaud si jeune et celle de lui en Abyssinie seront déçus. Il est beau que cette photo déçoive, d'aventurier désenchanté, de sauvage à l'apogée de sa sauvagerie, de liberté dans l'enfer. C'est une photo de silencieux, d'un poète sans plume, représentant de la ténèbre. S'étonner de son départ revient au même que de lui poser la question.
Elle écrit au tableau : "Pour êtes-vous étrange et étranger à tout ?"
Son enseignante : Ecoute, ce que je veux te faire comprendre, c'est que si tu es aussi excessive au Bac, si tu te laisses emporter, tu n'auras pas la note à laquelle tu peux prétendre. Tu n'es pas obligée de m'écouter pour Rimbaud, mais pour le Bac, tu peux me croire.
Beth : Pour moi ce sera un sujet bien tiède, bien mou, comme ça il n'y aura pas de danger.
¤ ¤ ¤
Alphonse : Si je t'avais pas vue avec ton frère, je dirais que tu es fille unique, typique fille unique, tout tout de suite.
Beth : Je suis pas fille unique, je suis femme unique.
Alphonse : Je croyais que tu étais une enfant. Il faudrait savoir.
Beth : Je serai une femme quand je serai unique pour un seul.
Alphonse : Aimer un homme ou une femme toute une vie, autant dire qu'une bougie peut brûler toute une vie. Ca dure un mois, ça dure un an, de toute façon on finit par en avoir marre, on finit même dans le dégoût.
Beth : C'est bien pour ça qu'il faut trouver autre chose. Deux personnes ensemble pour vous, c'est forcément deux qui couchent ensemble ? Enfin je veux dire qui font des cochonneries ?
Alphonse : Autre chose ? Tu me fais rigoler. Y'a pas autre chose ! C'est cochonneries et compagnie. Le roi des animaux, pas mal trouvé, enfin, les animaux, ils font ça pour se reproduire, hein, pas pour la petite secousse. Heureusement, y'a les maladies, les choses se remettent en place.
Beth : Si personne fait plus ça, y'aura plus de genre humain, non ?
Alphonse : Et pourquoi il devrait se reproduire, le genre humain ?
Beth : Benh pour qu'on existe.
Alphonse : Et à quoi bon exister, hein ?
Beth : Pour vivre.
Alphonse : Vivre pour quoi ? ... Si on n'a pas de but, si on vit la vie pour la vie, on n'a pas de raison de vivre. Et si le but est atteint, c'est clair, benh la vie doit s'arrêter. Et le but, c'est pas l'idéal des lapins, se reproduire le plus possible. C'est pas l'idéal des singes, jouir le plus possible. Tout ça, on peut pas dire que c'est idéal. Ignoble, voilà ce qu'on peut dire. Le genre humain doit disparaître ? Pas de doute, je dois mourir, tu dois mourir. Le genre humain aussi. En attendant, l'ennemi, c'est la bête à dos.
Beth : C'est qui la bête deux dos ?
Alphonse : Je vais te montrer, tu vas voir.
Il l'enlace.
Beth : Et la cloche vous connaissez ?
Alphonse : Ah non, la cloche, non.
Beth : C'est facile, ça va vous plaire, on se met dos à dos comme ça. Voilà, maintenant vous me soulevez et après moi je vous soulève. C'est la cloche !
Beth : Ca vous ennuie pas de me le donner (un couteau) ?
Alphonse : Ce que je donne, personne ne pourra jamais me le prendre. Ce que je donne m'appartient, pour toujours.
Beth : Ce que je donne, pers... C'est votre habitude de raisonner comme ça ?
Alphonse : Oui, et tu noteras que c'est toujours tordu, y'a que les couteaux que je lance droit.
L'oncle : Prends place, Beth. Comme tu voudras. Un jour tu me parleras, ce ne sera pas pour m'injurier. Non, pas pour m'injurier... Tu es sure que tu n'as pas faim ?
Il jette le poisson qu'il allait cuire pour Beth.
L'oncle : Merci, Beth, le gâchi aiguise mon appétit. Il n'y a pas que la voix à être éloquente. Le regard fait partie de la voix. Tout de toi est éloquent, si je veux. Je le sais assez, mon Dieu. Ces voix que j'ai entendues, ces regards que j'ai vus, ces corps que j'ai palpés. Ta mère est mal. Je ne sais pas ce qu'on peut. Elle souffre ta mère. L--- (amecide?) n'est pas une fée. La douleur est une fée, une fée cruelle mais une fée. Rémi m'a dit que tu veux partir, loin. Il me parle, Rémi, au moins. Il crache pas sur les cadeaux, ce garçon. Evidemment, jamais il ne m'en dira autant que toi quand tu ne me parles pas... J'ai vu Rimbaud dans ta chambre hier. "On ne part pas", c'est Rimbaud qui a écrit ça. Moi je ne pars plus. Partir c'est trop facile. C'est rester qui est difficile. Ceux qui restent, voilà les héros. Si tu pars, je risque de ne pas te revoir avant longtemps, telle que je te connais. Mais enfin, les âmes hors du commun s'entendent, même lorsqu'elles s'éloignent. Et puis, il n'y a rien de plus beau que ce que nous ne voyons plus... Tu as raison, les fraises ne devraient se manger qu'en avril, quand elles sont rares...
Le téléphone sonne.
L'oncle : Je hais tout ça, avion, train, téléphone. On veut détruire l'absence. Comment s'aimera-t-on si on détruit l'absence ? Il parait que c'est cruel ce que je dis. Quand on creuse la pensée, on trouve toujours le froid. A une certaine profondeur, le froid qu'on appelle cruauté. Maintenant que tu es ici, tu voudrais bien t'en aller. Pourtant tu ne t'en iras pas... Qu'est-ce que tu fais Beth, laisse-ça ! Quelqu'un va venir. Montre-moi tes mains. Toi tu soignes tes mains au Paic Citron. Bientôt tu n'auras plus de mains, tout juste des pattes.
Il lui donne un chèque.
L'oncle : Tu devrais le faire encadrer entre deux plaques de verres et t'en faire un petit écran pare-feu. Va au milieu. Tu es toujours belle, mais ta beauté jaillit à différents moments, de différentes sources.
* Hésitant entre les vocables "encre" (qui fixe les mots) et "ancre" (qui fixe le galion), lesquels nous paraissent tous deux ici plausibles, nous les marions, tout simplement, pour donner naissance à "aencre". Dans un esprit similaire, "aevenement" est non moins fichtrement né il y a quelques semaines de la paire "avènement" - "événement".
lundi, 04 juin 2012
Une soirée - Maupassant
Téléfilm : Une soirée (2008, durée 40min)
Réalisateur : Philippe Monnier
D'après Maupassant
Prosper Saval notaire et chanteur lyrique amateur à Vernon (Thierry Frémont), Romantin peintre à Montmartre (Clément Sibony), Mathilde la compagne de Romantin (Marie Favasuli)
¤ ¤ ¤
Maître Saval : Paris, Paris,... On y croise les musiciens, les hommes de lettres, les peintres... Ses cafés, ses boulevards... L'air est chargé de talent, de génie.
¤ ¤ ¤
Mathilde, voyant que Romantin prépare une soirée en cachette : Ah ! sale mufle, c'est comme ça que tu me lâches ? Ah ! gredin. Tu faisais le gentil encore en m'envoyant à la campgne. Tu vas voir un peu comme je vais l'arranger ta fête. [...] Je ne te suis bonne qu'au lit !
Romantin : Mathilde, ma petite Mathile, écoute. Tu vas être bien raisonnable. Tu sais, si je donne une fête, c'est pour remercier ces messieurs pour ma médaille du Salon. Je ne peux pas recevoir de femmes. Tu devrais comprendre ça. Avec les artistes, ça n'est pas comme avec tout le monde.
Mathilde : Pourquoi ne me l'as-tu pas dit ?
Romantin C'était pour ne point te fâcher, ne point te faire de peine. Ecoute,je vais te reconduire chez toi. Tu seras bien sage, bien gentille, tu resteras tranquillement à m'attendre dans le dodo et je deviendrai sitôt que ce sera fini."
Mathilde : Oui, mais tu ne recommanceras pas ?
Romantin : Non, je te lejure.
09:11 Publié dans Ecrits, Les mots des films | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maupassant, romantin
dimanche, 03 juin 2012
La sainte Trinité - Dürer
L'adoration de la sainte Trinité - Albtrecht Dürer
> A consulter également : http://www.schola-sainte-cecile.com/2007/06/03/catechisme...
15:36 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : trinité, dürer
vendredi, 01 juin 2012
Considérations sur le temps - Ratzinger
Extrait de la Foi chrétienne, hier et aujourd'hui, 2005, Joseph Ratzinger
La pensée actuelle est tributaire de cette idée que l'éternité est pour ainsi dire enfermée dans son immutabilité. Dieu apparaît comme le prisonnier de son dessein formé "avant tous les temps". Etre et devenir ne se mélangent pas. L'éternité est ainsi comprise de façon purement négative comme l'absence de temps ; elle est ce qui est autre par rapport au temps, et qui ne saurait exercer aucune influence dans le temps, ne serait-ce que parce qu'elle cesserait alors d'être immuable et deviendrait elle-même temporelle...
Or l'éternité n'est pas ce qu'il y a de plus ancien, ce qui était avant le temps, mais ce qui est tout autre ; elle est pour chaque moment du temps qui passe l'aujourd'hui, elle est pour lui présent ; elle n'est pas enfermée entre un avant et un après, elle est au contraire puissance du présent en tous les temps. L'éternité n'est pas à côté du temps, sans rapport avec lui, elle est la force créatrice qui porte tous les temps, qui englobe le temps qui passe en son unique présent et lui permet d'être. Elle n'est pas absence de temps mais domination du temps. Et parce qu'elle est l'aujourd'hui contemporaine à tous les temps, elle peut aussi agir dans le temps, à chaque instant.
Joseph Ratzinger, le Pape Benoît XVI (né en 1927)
09:47 Publié dans Foi, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : temps, ratzinger, pape, benoî
jeudi, 31 mai 2012
Considérations sur le temps - Maurice Blondel
Crédits photographiques Karim Hobeika
Extrait de L'action, 1893, Maurice Blondel
C'est pour avoir prétendu se contenter de la durée et se borner à la nature, que l'homme meurt ; non qu'il ne puisse emplir et dépasser l'espace ou le temps : mais il a tant agrandi ce domaine des sens et de la science qu'il pourrait presque feindre de s'y mouvoir à l'aise et d'y trouver une demeure définitive s'il ne lui fallait, bon gré mal gré, toujours en sortir par l'inévitable avertissement de la conscience, par le scandale de la souffrance et de la mort. Si mourir au temps lui apprend ce qu'est vivre, c'est parce que cette vie qui ne passe pas dans le temps, est exposée à la seconde mort, à celle qui subsiste à jamais. Faire, ce n'a été l'oeuvre que d'un instant ; avoir fait et vouloir, c'est pour toujours. Ce qui est fait ne peut pas ne pas avoir été fait... sous les apparences qui se succèdent dans notre connaissance, se cache l'action qui en fixe la réalité permanente.
Maurice Blondel (1861-1949)
07:54 Publié dans Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : temps, blondel
mercredi, 30 mai 2012
Considérations sur le temps - Rainer Maria Rilke
Extrait des Lettres à un jeune poète, 23 avril 1903, Rainer Maria Rilke
Tout n'est que porter à terme, puis mettre au monde. Laisser chaque impression et chaque germe de sentiment parvenir à la maturité au fond de soi, dans l'obscurité, dans l'indicible, l'inconscient, l'inaccessible à l'entendement, et attendre avec une profonde humilité, une profonde patience, l'heure de l'accouchement d'une nouvelle clarté : vivre dans l'art, c'est cela, et c'est cela seul : pour comprendre aussi bien que pour créer.
Là, il n'y a point de mesure temporelle, une année ne compte pas et dix ans ne sont rien, être artiste signifie : ne point calculer ni compter ; mûrir comme l'arbre, qui ne fait pas monter sa sève plus vite qu'elle ne va et se dresse avec confiance au milieu des tempêtes du printemps sans avoir peur que ne vienne aucun été. Il viendra. Mais il ne viendra que pour ceux qui sont patients, qui sont là comme s'ils avaient l'éternité devant eux, dans l'insouciance de son calme et de son immensité. Je l'apprends tous les jours, je l'apprends dans la douleur, à qui j'en ai la gratitude : la patience est tout.
Rainer Maria Rilke (1875-1926)
07:09 Publié dans Ecrits, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : temps, rilke
mardi, 29 mai 2012
Considérations sur le temps - saint Augustin, Dali
La permanence du temps, Salvator Dali
Extrait des Confessions, livre XI, saint Augustin
Peut-être, dira-t-on avec vérité : il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l'avenir. Car ce triple mode de présence existe dans l'esprit ; je ne le vois pas ailleurs. Le présent du passé, c'est la mémoire ; le présent du présent, c'est l'attention actuelle ; le présent de l'avenir, c'est mon attente...
Toute ma vie à moi n'est qu'une dissipation ; et votre main m'a rassemblé en mon Seigneur, fils de l'homme, médiateur en votre unité et nous, multitude, multiplicité et division, afin qu'en lui j'appréhende celui qui m'a appréhendé par lui ; et que ralliant mon être dissipé au caprice de mes anciens jours, je demeure à la suite de votre unité, sans souvenance de ce qui n'est plus, sans aspiration inquiète vers ce qui doit venir et passer, mais recueilli "dans l'immutabilité toujours présente," et ravi par un attrait sans distraction à la poursuite de cette palme que votre voix me promet dans la gloire où j'entendrai l'hymne de vos louanges, où je contemplerai votre joie sans avenir et sans passé.
Saint Augustin (354-450)
09:46 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Foi, Peinture, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : temps, saint augustin, dali