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mercredi, 20 août 2014

Irving Penn, photographe

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Kate Moss par Irving Penn

http://www.stylecloseup.net/2014/05/27/irving-penn-palazzo-grassi-venice-italy/

 

"Irving Penn ou la somptueuse simplicité", Valérie Duponchelle, Figaro et vous, supplément Figaro, lundi 5 mai 2014 :

C'est la première grande exposition Irving Penn depuis la mort, à 92 ans, du photographe, le 7 octobre 2009 à New York. Un événement en soi car l'homme était d'une discrétion radicale, au point de disparaître de son vivant derrière sa légende de perfectionniste insensé (en témoigne la mouche qui transforme Still Life with Watermelon en hommage à la peinture hollandaise). Irving Penn, c'est l'anti-Blow-Up, ce héros copié sur David Bailey, bad boy anglais comme le rock. Rien de débridé, de tapageur, d'improvisé, ni même de vaguement spontané dans celui qui est toujours resté dans son studio, quitte à transporter son royaume à Cuzco, Pérou. Irving Penn a d'emblée œuvré d'éternité, magnifié à jamais les corps parfaits du New York City Ballet, la douceur des fleurs dansant comme des robes de soie ou les belles mains jazzy de Miles Davis.

Pas de flou artistique chez cet Américain qui peignait littéralement avec l'objectif. Ses photographies de mode étaient des portraits volés à la forme, une ode à l'artificiel, à la pose, à la froideur des statues trop belles pour être humaines.

 

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Lisa Fonssagrives-Penn par Irving Penn
http://www.photogriffon.com/les-maitres-de-la-photographie/Irving-PENN/Maitre-de-la-photo-Irving-PENN-5.html

 

Sa femme et muse, la Suédoise Lisa Fonssagrives-Penn, ouvre l'exposition de toute sa maigreur chic et de son port hautain si années 1950. Très incarnés, les fameux portraits d'Irving Penn étaient des flagrants délits. Quitte à souligner l'épaisseur dantesque de sir Hitchcock, les rides poudrées de Colette, l’œil perçant et sans merci de Picasso, le snobisme génétique de Cecil Beaton, le cabotinage de Woody Allen en triste Charlot. De Truman Capote, tendre tueur et dandy, à Barnett Newman, sosie au monocle de Carl Gustav Jung, ils sont là qui vous toisent et vous sidèrent comme des chocs amoureux. Ils valent, à eux seuls, le voyage à Venise.

 

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Truman Capote par Irving Penn
http://www.g-truc.net/post-0294.html
http://www.loeildelaphotographie.com/fr/2014/04/18/exposition/24690/irving-penn-ouverture-de-l-exposition-resonance-a-venise

 

C'est la première fois que je Palazzo Grassi de François Pinault accueille pareil accrochage photographique. On ne savait d'ailleurs pas l'homme, si ardent défenseur d'art contemporain, aussi collectionneur de photos. Seulement 130 de ses photographies d'Irving Penn sont exposées sur "un total oscillant entre 200 et 220". Cet ensemble spectaculaire n'a été constitué que "depuis 2007" et découle en grande partie de la collection de feue Mme Nomura, réunie dans les année 1980 à Tokyo et rachetée quasi en bloc. Cela donne assurément de l'harmonie au tout. Deux étages au noir et blanc velouté et à la beauté éloquente qui se passe de logique (la salle des "best of" mélange les genres, du nu de Kate Moss au petit couple poignant de Cuzco).

Cela donne une idée de la force de frappe du milliardaire breton, propriétaire de Christie's, où le jeune co-comissaire Matthieu Humery dirige le département photo. Elle est impressionnante, vu la cote de l'artiste. Et la splendeur des 82 tirages au platine, des 29 tirages argentiques, des 5 rarissimes dye-transfer aux couleurs merveilleuses et des 17 internégatifs qui racontent comment Irving Penn composa ses icônes par un jeu de contrastes magistralement accentués. "L'illusion des lumières", dirait l'artiste Doug Wheeler, roi de l'atrium. 

 

irving penn,truman capote,kate moss, dali, picasso  irving penn,truman capote,kate moss, dali, picasso
Dali par Irving Penn
                                       Picasso par Irving Penn
http://www.g-truc.net/post-0294.html

 

 

Pour une grande série de photos :

Al Pacino, Alfred Hitchcock, Audrey Hepburn, Cindy Crawford, Lisa Fonssagrives,
autoportrait, Yves Saint Laurent, Grace Kelly, Marlène Dietrich, Isabella Rossellini, 
John Fitzgerald Kennedy, Miles Davis, Nicole Kidman, Pablo Picasso,
Richard Avedon, Sophia Lauren, Woody Allen en Chaplin
> http://www.photogriffon.com/les-maitres-de-la-photographi...

 

vendredi, 17 mai 2013

The-blue-pipe - V - and she is soon to be mine - Alphonse Rabbe

  

Extrait d'Album d'un Pessimiste, 1835 (posthume), Alphonse Rabbe (1784-1829) :

Jeune homme, allume ma pipe ; allume et donne, pour que je chasse un peu l'ennui de vivre ; pour que je me livre à l'oubli de toutes choses, tandis que ce peuple imbécile, avide de grossières émotions, précipite ses pas vers la pompeuse cérémonie du sacré coeur, dans l'opulente et superstitieuse Marseille. 

 

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Image du film "Rimbaud Verlaine" (1995), Leonaro di Caprio                      Rimbaud croqué par Verlaine

 

Pour moi, je hais la multitude et son stupide empressement : je hais ces tréteaux sacrés ou profanes, ces fêtes, aux prix desquels un peuple malheureux consent si aisément à l'oubli des maux qui l'accablent. Je hais ces marques d'un servile respect, que la foule abusée prodigue à qui la trompe et l’opprime. Je hais ce culte d'erreur qui absout le crime, contriste l'innocence et pousse au meurtre le fanatique, par ses inhumaines doctrines d'exclusion.

Pardonnons aux dupes ! Tous ceux qui vont là, se sont promis du plaisir. Infortunés humains ! nous poursuivons sur toutes les routes ce fantôme attrayant. N'être pas où l'on est, changer de place et d'affections, quitter le supportable pour le pire ; voguer de nouveautés en nouveautés pour obtenir une sensation de plus ; vieillir chargé de désirs non satisfaits, mourir enfin d'avoir vécu, telle est notre destinée.

 

gregory peck   humphrey bogart
Gregory Peck                                     Humphrey Bogart

 

Que cherché-je moi-même au fond de ton petit fourneau, ô ma pipe ? Je cherche, comme un alchimiste, à transmuer les chagrins du présent en passagères délices. Je pompe ta vapeur à coups pressés, pour porter dans mon cerveau une heureuse confusion, un rapide délire préférable à la froide réflexion. Je cherche le doux oubli de ce qui est, le rêve de ce qui n'est pas, et même de ce qui ne peut pas être.

Tu me fais payer tes consolations faciles : le cerveau s’use et s'alanguit peut‑être, par le retour journalier de ces mouvements désordonnés. La pensée devient paresseuse, et l'imagination se fait vagabonde, par l'habitude d'ébaucher en vacillant d'agréables fictions.

La pipe est la pierre de touche des nerfs : le véritable dynamomètre de la fibre déliée. Jeunes gens qui cachez une organisation délicate et féminine sous des vêtements d'hommes, ne fumez pas, ou redoutez de cruelles convulsions ; et, ce qui serait plus cruel encore, la perte des faveurs de Vénus.

Fumez, au contraire, amants malheureux, esprits ardents et inquiets, obsédés du poids de vos pensées.

 

Mallarmé, manet
Mallarmé par Manet

 

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Van Gogh, autoportrait

 

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Monet, autoportrait


Les savants de l'Allemagne tiennent une pipe à côté de leur écritoire. C'est à travers les flots de fumée de tabac, qu'ils poursuivent les vérités de l'ordre intellectuel et transcendantal. Voilà pourquoi leurs ouvrages, toujours un peu nuageux, passent la portée de nos philosophes français, que la mode et les salons obligent de s'imbiber de parfums plus suaves et plus gracieux.

Lorsque le député des muses d'Erlangen arriva dans la maison de Kotzebue, le vieillard, avant que de venir le joindre, lui fit présenter du café et une pipe. Ce signe d'une hospitalité touchante ne désarma point l'intrépide jeune homme : une larme vint mouiller sa paupière ; mais il persista. Pourquoi ? il s'immolait pour la liberté.

Le malheureux travaille le jour ; et le soir, quand son pain est gagné, les bras croisés, devant sa porte en ruines, il dissipe dans la fumée de sa pipe le peu de pensée que le repos de ses membres pourrait lui laisser.

J'honore vos intentions, philosophes modernes qui voulez que cet homme réfléchisse, raisonne, discute, approuve ou blâme, tout comme vous. Par l'exercice de sa pensée, il évitera, je l'avoue, quelques‑uns des nombreux écueils de la vie ; il échappera à quelques embûches ; mais il tombera dans l'abîme du doute et s'instruira tristement du néant de son propre coeur. Ah ! tant que l'ordre éternel ne lui fera pas des destins meilleurs, laissez-le boire et fumer; c'est le plus sûr.
Maupertuis ne fut pas un homme vulgaire : il avait mesuré le pôle, et sondé les mystères de la génération. Enhardi par ses premiers succès, il entreprit de lever le voile qui cache à nos yeux le monde inconnu. Il voulut relever le trépied prophétique de l'avenir ! L'infortuné ! son châtiment suivit de près cette audace insensée...

Bientôt, se plongeant dans l'oubli de lui‑même, il se tua par l'usage immodéré des spiritueux. N'eût‑il pas mieux valu pour lui, fumer et moins penser ? s'étourdir doucement chaque jour, au lieu de s’empoisonner en désespéré, à grands flots d'eau-de-vie! Objet digne de pitié, même pour ces misérables Lapons, qu'il avait si curieusement observés !

 

cary grant  clarck gable
Cary Grant                                         Clarck Gable

 

gary cooper   henry fonda
Gary Cooper                              Henry Fonda

 

O ma pipe, que je te dois de biens ! Qu'un importun, un sot discoureur, un méprisable fanatique vienne à m'aborder, soudain je tire un cigare de mon étui ; je commence à fumer, et dès lors si je suis condamné au déplaisir de l'entendre, j'échappe du moins au supplice de lui répondre.

Par intervalles, un sourire amer fait contracter mes lèvres ; et le sot s'applaudit, croyant que je l'approuve. Il attribue à l'effet du cigare indiscret 1’expression équivoque dont je paie son babil... il redouble d audace... Mais suffoqué de son impertinence, je pousse tout à coup les flots d'une épaisse fumée amassée dans ma bouche, comme le dépit dans mon sein.

J'exhale tout à la fois une vapeur brûlante et une indignation contrainte. Oh ! que la sottise d'autrui est nauséabonde à qui déjà est mécontent et las de son propre poids !... je le submerge de fumée... que ne puis-je 1’asphyxier, le sot, de la lave de mon petit volcan ! ...

 

Dali    Errol Flynn
Dali                                        Errol Flynn

 

Mais lorsqu'un ami, aimable d'esprit et de coeur, vient au‑devant de moi, le plaisir de la pipe me rend plus vif encore le bonheur de cette rencontre. Après les premiers discours qui s'élancent rapides, tandis que le punch enflammé dissipe, dans la flamme pétillante, les parties spiritueuses dont la liqueur surabonde, les verres se touchent... Ami, de ce jour en un an, puissions‑nous vider la coupe fraternelle, sous des auspices meilleurs !

Alors nous allumons nos cigares : pressé de lui parler de mille choses diverses, je laisse souvent éteindre le mien, et il me donne de son feu... je suis comme un vieil époux qui rallume vingt fois de suite, sur les lèvres d'une jeune beauté, 1’énergie de sa flamme vingt fois impuissante ; ô mon ami, quand donc luiront des jours plus heureux ?

Dis‑le moi, mon ami : dans les lieux d'où tu viens, les hommes sont‑ils pleins d'espérance et de courage ? Gardent‑ils une fidélité constante au culte de notre grande divinité ? Combien de temps encore nous faudra‑t‑il ronger le frein humiliant qui nous condamne au silence...

Qu'il me tarde de jeter ma part de servitude ! Qu'il me tarde de voir réduire en poudre les titres vains de la tyrannie qui nous opprime ! De voir les cendres d'un diadème déshonoré se dissiper au souffle des patriotes, comme la cendre de ma pipe se dissipe au mien. Mon âme est lasse d'attendre je calcule avec effroi les manoeuvres d'une ténébreuse perversité.

Regarde comme ce peuple, soulevé tout entier par l'infâme secte de Loyola, court se précipiter au-devant de leurs bizarres processions : vieux et jeunes, hommes et femmes, tous s'empressent de recevoir leurs hypocrites et inutiles bénédictions. Les imbéciles ! Si la peste passait en procession, ils iraient la voir aussi. Dis‑moi ? Un tel peuple est‑il fait pour la liberté ? N'est‑il pas plutôt condamné à vieillir enfant dans les langes d'un double esclavage ?

 

Rainier   andré breton
Rainier                                         André Breton

 

Heureusement la liberté a ses secrets et ses ressources. Ce peuple, qui nous semble à jamais abruti, s'instruit cependant, et s'éclaire chaque jour : pardonnons aux esclaves de courir aux distractions. Souffrons qu'une mère impudique se flatte que ses filles passeront pour vierges, quand elles auront été bénies. Ne nous étonnons pas que de vieux scélérats espèrent suer le levain du crime, en se fatiguant à porter des simulacres méprisés.

Les hommes sont encore enfants ; pourtant le genre humain grandit, et brise, en marchant, ses lisières. Le temps approche où il n'écoutera plus le boiteux qui criera d'arrêter, où il ne demandera plus son chemin à l'aveugle. Que le monde s'éclaire, Dieu le veut... Pour nous, fumons en attendant une aurore nouvelle.

O ma pipe ! Je te dois chaque jour cet emblème expressif d’humilité que la religion ne place qu’une fois par an sur le front de 1’adorateur chrétien. L'homme n est que cendre et poussière... C'est, en effet, tout ce qui reste à la fin, du coeur le plus tendre ou le plus magnanime, du coeur le plus enivré de joie et d'orgueil, ou le plus consumé de peines amères.

Ce faible reste, ces cendres mêmes le plus léger zéphyr les dissipe dans le vague de l'air. Où donc est maintenant la poussière d'Alexandre, la cendre de Gengis ? Ils ne sont plus que de vains fantômes historiques ; que es noms sonores, objet d'enthousiasme vain, ou d'inutiles malédictions.

 

 

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Man Ray                                                         Alain (philosophe)

 

 

Je périrai bientôt : tout ce qui compose mon être et le nom même dont on me nomme, disparaîtra comme cette légère fumée... Dans quelques jours, peut‑être, à la place où j'écris, on ne saura pas même si ai jamais vécu... Mais, de ce corps si périssable, s'exhalera‑t‑il quelque chose qui ne périsse pas et s'élève en haut ? Réside‑t‑il en effet dans l'homme une étincelle digne d'allumer le calumet des anges sur le parvis des cieux ? ...

O ma Pipe ! chasse, bannis ce désir ambitieux et funeste de l'inconnu, de l'impénétrable.  

 

 

pipe  pipe
Celles-ci sont des pipes de lecture

A consulter également : 
Textes et images : http://mes-ecrits-vains.over-blog.net/article-la-pipe-1-4...
En peinture, écrivains, cinéastes,... : http://mes-ecrits-vains.over-blog.net/article-la-pipe-sui...
En Littérature : http://fumeursdepipe.net/litterature1.htm
En chansons, textes, poëmes : http://fumeursdepipe.net/litterature.htm

Pour une encyclopédie de portraits : http://fumeursdepipe.net/personnalites.htm
Se fournir en articles pour fumer : http://www.pipe.fr/boutique/liste_rayons.cfm

 

 

mardi, 18 décembre 2012

Tous surréalistes - Dali, Man Ray

 

Source : Madame Figaro supplément au Figaro n°21229 et 212230 des 2 et 3 novembre 2012

"Que reste-t-il des surréalistes ?" 

 

Ils voulaient transformer le monde... et aujourd'hui notre monde leur ressemble. C'est en tout cas la conviction de Michel Meffesoli, professeur de sociologie, auteur d' "Homo eroticus"*. En cinq principes clés, il nous en fait la démonstration. Propos recueillis par Philippe Nassif 

* "Homo eroticus" vient de paraître aux Editions CNRS ; Michel Maffesoli est aussi l'auteur, avec Brice Perrier, de "l'Homme postmoderne", chez François Bourin Editeur.

 

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Leda Atomica, Dali

 

"L'amour fou"* ou l'érotisation du lien social

 "Nous ne prêtons jamais assez attention au mot même de "surréalisme". Il nous rappelle que le réel ne se réduit pas à la réalité, qu'il est bien plus riche que ce principe de réalité à courte vue et déconnecté de la société que brandissent les politiques, les universitaires, les économistes ou les journalistes. Car ce qui fut l'apanage des surréalistes et reste la marque de bien des pratiques juvéniles contemporaines, c'est l'idée que la vie sociale est toujours d'abord portée par une dimension de surréel ou d'irréel. La religion, par exemple, pendant longtemps. Fondamentalement, les avant-gardes rappelaient qu'on ne peut pas réduire l'existence à un plan épargne-logement. Parce qu'il est d'autres exigences : l'amour fou de Breton, la vie festive, la dépense chère à Georges Bataille. Autrement dit, ce qui compte, c'est le prix des choses sans prix. Ce qui se déploie à travers l'idée que c'est bien plus beau lorsque c'est inutile, c'est une érotisation du lien social : un "homo eroticus" vient désormais compenser le rationalisme abstrait par une culture émotionnelle."

* André Breton

 

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La madone de port Ligat, Dali

 

"Tout est dada"* ou la chute du bourgeois

 "La métamorphose des sociétés obéit à une loi que je résumerai ainsi : un mouvement est d'abord secret, puis discret et enfin affiché. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, une poignée de romantiques, happy few très marginaux, tels Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, vont secrètement expérimenter un mode de vie alternatif au bourgeoisisme alors triomphant. Et cela va réapparaître de manière discrète dans l'entre-deux-guerres à travers les avant-gardes, de dada à la grande aventure du surréalisme, puis plus tard avec l'Internationale situationniste. Là il y a une exploration à 360 degrés des préceptes romantiques. Et ces valeurs viennent contaminer, à partir des années 1960, et cette fois de manière affichée, la jeunesse occidentale. Ce que j'ai appelé la "conquête du présent" domine le corps social. Un exemple a priori anecdotique : les titres des journaux qui, dans le sillage de "Libération", procèdent par détournement et collage pour faire jaillir un sens nouveau. C'est devenu une banalité de soigner les titres. Mais on oublie que de tels procédés ont été mis en œuvre par les situationnistes et avant eux par les lettristes et les surréalistes."

* Tristan Tzara

 

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La main de Dali retirant la toison d'or, Dali

 

"La toute-puissance du rêve"* ou la culture du virtuel

"La toute-puissance du rêve, le jeu désintéressé... : ce que le "Manifeste du surréalisme" a promu est aujourd'hui au fondement de la culture du virtuel sur le Web, dans les jeux vidéo ou à travers les mondes imaginaires du cinéma. Mais, en France, ce virtuel est encore peu étudié. Parce que "ce n'est pas réel", que "ça ne mange pas de pain", qu' "on ne sait pas à quoi ça sert" ? Précisément, il s'opère à travers les technologies numériques un véritable réenchantement du monde. "J'ai plusieurs vies dans ma vie." Ainsi, sur le Web, 70% des pseudos féminins sont utilisés par des hommes. Moi, dont la réalité physico-chimique est masculine, je vais pouvoir laisser libre cours à mes fantasmagories, me défouler réellement. C'est cela, la virtualité : une perte de son identité stable et étroite dans quelque chose qui nous dépasse. Un apprivoisement quelque peu païen de l'entièreté de sa personne, que les surréalistes, déjà fascinés par le cinématographe, avaient anticipé."

* Premier "Manifeste surréaliste"

 

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Noire et Blanche, Man Ray

 

"Être à plusieurs un seul"* ou la loi des frères

"Désormais, on n'est plus dans la loi du père, mais dans la loi des frères. Cela veut dire qu'il y a à la fois un refus du pouvoir et un besoin d'autorité. Le pouvoir, c'est le père : le supposé sachant. L'autorité qui, comme l'indique l'étymologie latine "auctoritas", renvoie à ce qui fait croître, c'est le frère. Au père qui impose se substituent des grands frères successifs, des autorités changeantes. D'où l'essor des communautés postmodernes, des tribus juvéniles aux familles recomposées, en passant par les nouvelles pratiques religieuses. Cela correspond à l'idée, à l'oeuvre dans les avant-gardes, que je n'existe que par et pour le regard de l'autre. Je ne suis pas un individu enfermé dans la citadelle de mon ego. Mais une personne aux facettes multiples, que révèle chaque nouvelle rencontre. Je le vois bien avec mes étudiants : il n'y a plus cette vénération du père, encore prégnante il y a quarante ans. Mais il y a un désir d'initiation, une logique postulant qu'il y a un trésor que chacun possède, qui n'aspire qu'à se dévoiler et à enrichir le bien commun, si je parviens à bien l'accompagner. On retrouve cela dans la culture du coaching. Là encore, les surréalistes ont été prophétiques."

* Georges Bataille

 

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En pleine occultation de Vénus, Man Ray 

 

"Ne travaillez jamais" ou créez plutôt

"Guy Debord est à l'origine de l'un des slogans les plus connus de Mai 68 : "Ne travaillez jamais !" Mais ce mot d'ordre a parfois été mal compris. Il ne s'agissait pas d'un éloge de la paresse. Mais d'une critique du travail conçu comme un instrument de torture, un "tripalium" si l'on suit l'étymologie du mot. Pour les modernes, la réalisation de soi passait nécessairement par le travail. Et cette valeur travail est aujourd'hui défendue aussi bien par la gauche que par la droite. Or, le travail n'a jamais été une valeur ! C'était réservé aux esclaves ! Et ce que Debord signale, c'est un glissement du travail vers la création. Et une capacité à intégrer le rêve, le jeu, l'intuition à mon action. Autant de paramètres que le travail salarié a évacué par souci d'efficacité. Et qui reviennent ! A travers Google, par exemple, on peut consacrer 15% à 20% du temps de travail à autre chose : se documenter sur son hobby, échanger des blagues, écrire de la poésie, draguer... Et c'est essentiel, car c'est à partir de l'appétence que se forge la compétence. L'idée s'impose que je serai, par exemple, un bon manager seulement si je sais aussi faire des confitures ou jouer de la musique ; si j'ai cultivé les capacités des sens, du corps vivant. Guy Debord et ses amis aimaient cette formule : "La vie, ce huitième art."

 

surréalisme,dali,man raySalvator Dali et Man Ray

 

> A consulter également à propos du surréalisme : 
http://garrusart.blogspot.fr/2012/01/le-surrealisme-les-p...

 

> Et à propos de Dali : http://annievorama.blogspot.fr/2007/06/salvator-dali.html

 

> Et de Man Ray: http://www.monalyz.fr/5.html

 

> Et pour d'autres photos de Man Ray : http://anthonylukephotography.blogspot.fr/2011/04/photoga...

 

mardi, 29 mai 2012

Considérations sur le temps - saint Augustin, Dali

permanence du temps_dali.jpg
La permanence du temps, Salvator Dali

 

Extrait des Confessions, livre XI, saint Augustin

 

Peut-être, dira-t-on avec vérité : il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l'avenir. Car ce triple mode de présence existe dans l'esprit ; je ne le vois pas ailleurs.  Le présent du passé, c'est la mémoire ; le présent du présent, c'est l'attention actuelle ; le présent de l'avenir, c'est mon attente...

Toute ma vie à moi n'est qu'une dissipation ; et votre main m'a rassemblé en mon Seigneur, fils de l'homme, médiateur en votre unité et nous, multitude, multiplicité et division, afin qu'en lui j'appréhende celui qui m'a appréhendé par lui ; et que ralliant mon être dissipé au caprice de mes anciens jours, je demeure à la suite de votre unité, sans souvenance de ce qui n'est plus, sans aspiration inquiète vers ce qui doit venir et passer, mais recueilli "dans l'immutabilité toujours présente," et ravi par un attrait sans distraction à la poursuite de cette palme que votre voix me promet dans la gloire où j'entendrai l'hymne de vos louanges, où je contemplerai votre joie sans avenir et sans passé. 

 

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Saint Augustin (354-450)