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lundi, 02 juillet 2012

Le destin fabuleux de Désirée Clary - Guitry 1/2

Le film est d'un tenant mais la transcription de pareil chef d'oeuvre demande la place de deux parties... 1/2

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Film : Le destin fabuleux de Désirée Clary (1941, durée 1h50)

Réalisateur : Sacha Guitry 

Désirée (Gaby Morlay), Désirée jeune (Geneviève Guitry), Julie Clary (Yvette Lebon) 
 
Bonaparte (Jean-Louis Barrault), Bernadotte (Jacques Varenne), Talleyrand (Jean Périer), Fouché (Noël Roquevert) 
 
Le conteur (Sacha Guitry)
 
 

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Napoléon : Bernadotte saura que vous êtes venue ?

Désirée : Non.

Napoléon : Qui trahissez-vous de nous deux ?

Désirée : Ce soir, je me le demande. 

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Napoléon : Faites savoir à Junot qu'il doit cesser de m'écrire sur du gras papier de deuil, c'est contraire au respect que l'on doit à un supérieur et cela me donne des idées sinistres quand je reçois ses lettres. 

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Benadotte : Sire, j'ai pensé longtemps que la France ne pouvait être heuseuse qu'en république. C'est à la sincérité de cette conviction que votre majesté doit attribuer mon attitude pendant trois ans. Mes illusions sont dissipées. Je vous prie d'être persuadé de mon empressement à exécuter les mesures que votre majesté pourra prescrire dans l'intérêt de la patrie.
 
Napoléon : Monsieur le maréchal, la conviction que j'ai que votre langue a toujours été l'interprète fidèle de votre cœur donne à l'aveu que vous venez de faire une grande valeur à mes yeux. C'est seulement par une union complète que nous pouvons espérer achever la gloire, la tranquillité et la prospérité de la France. 

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Napoléon : Tenons-nous prêts à partir en campagne à la fin de l'année. L'Angleterre n'ayant pas respecté les clauses du traité d'Amiens, je forme le projet de porter la guerre dans l'île. Lannes, je te prie de te taire.
 
Lannes : Mais je...
 
Napoléon : Si tu n'es pas content, va-t-en.
 
Lannes : Non.
 
Napoléon : Comment, non ?
 
Lannes : Non. Tu as trop besoin de moi. 

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Et pendant trois années, de juin 1804 à juillet 1807, l'empereur ne va guère quitter des yeux cette carte d'Europe, tandis que Désirée continuera de le haïr. 

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Désirée : Chaque étape de sa prodigieuse carrière est comme une nouvelle humiliation que je ressens, qui me torture et qui m'exaspère.
 
Julie : Je m'en rends compte, hélàs. Et je suis bien obligée de l'admettre. Mais entre nous, ce que je ne comprends pas, c'est que Bernadotte éprouve lui ce sentiment à son égard.
 
Désirée : Mais il est tout différent du mien, son sentiment ! Il ne le déteste pas, lui.
 
Julie : Bernadotte ne déteste pas l'empereur ?
 
Désirée : Pas du tout ! Il admire son génie. Mais, que veux-tu, il le considère comme un homme néfaste.
 
Julie : Sincèrement ?
 
Désirée : Sincèrement oui. Parce qu'il ne sait pas la vérité.
 
Julie : Et quelle est donc la vérité ?
 
Désirée : La vérité, c'est qu'il l'envie, c'est tout. Et c'est l'explication de tout. Depuis le premier jour, il l'envie. Depuis Toulon, depuis Arcole, enfin depuis toujours.  Mais il ne s'en rend pas compte. Car, s'il est incroyablement ambitieux, il est le plus honnête homme du monde.
 
Julie : Ambitieux, il me semble pourtant que l'empereur l'a comblé.
 
Désirée : Oh, oui, de toutes les manières, argent, dignités, faveurs, il lui a tout donné.
 
Julie : Alors, que peut-il envier ?
 
Désirée : Sa place. La seule chose évidemment que l'autre ne lui donnera jamais. Mais Bernadotte ne désespère pas de la lui prendre un jour.
 
Julie : Mais toi non plus.
 
Désirée : Mais moi non plus. Avec cette différence que si même un jour Bernadotte prenait la place de l'empereur, moi je n'occuperais pas celle de Joséphine.
 
Julie : Et cependant, tu l'aurais, sa place.
 
Désirée : Oui, mais pas dans son lit. Parlons d'autre chose, tu veux... [...] Joseph !
 
Joseph : Oui, bonjour, bonjour chérie . J'ai des nouvelles de Bernadotte que l'empereur vient à l'instant de me communiquer. Elles sont excellentes et mon frère m'a prié de vous les transmettre. Ah, pendant que j'y pense, pardon, je suis roi de Naples.
 
Julie : Qu'est-ce que tu dis ?
 
Joseph : Tu as bien entendu.
 
Julie : Tu es roi de... ?
 
Joseph : Oui, et toi reine de Naples.
 
Julie : Et tu ne me l'dis pas ?!
 
Joseph : Mais je te l'dis ! Je l'avais oublié un instant, excuse-moi, chérie, il m'a dit tant de choses aujourd'hui.
 
Julie : Mais pourquoi es-tu roi de Naples ?
 
Joseph : Mais parce qu'il l'a décidé ! Qu'est-ce que tu veux que je te dise, tu le connais, n'est-ce pas ? Et Louis et roi de Hollande.
 
Désirée : Votre fère ?
 
Joseph : Oui, lui il est enchanté.
 
Julie : Vous, non ?
 
Joseph : Oh, ne me dis pas "vous", je t'en supplie. Tu sais que je n'ai jamais eu le goût des titres et des dignités. Déjà quand on m'appelle altesse, je trouve ça inconvenant, c'est bien simple. Mais revenons à Bernadotte.
 
Désirée : Pardon, comment se porte l'empereur ?
 
Joseph : Comment donc ? Il est arrivé ce matin, il repart ce soir. Il dort cinq heures par nuit, déjeune en dix minutes, va de victoire en victoire. Ah, je crois que son divorce est chose décidée.
 
Désirée : Et vous me l'dites pas ?! 
 
Joseph : Mais... j'vous l'dis. Mais revenons à Berdanotte.
 
Désirée : Pardon, un mot. Vous a-t-il dit lui-même qu'il divorçait ou bien est-ce une impression que vous avez ?
 
Joseph : Il me l'a fait comprendre. Donc, Bernadotte annonce une victoire éclatante.
 
Désirée : Je, Je voudrais savoir. Est-ce qu'il se résigne à divorcer ou bien... le désire-t-il un peu déjà ?
 
Joseph : Ca, je ne saurais le dire. Donc, Bernadotte annonce une victoire écrasante à Lübeck, la prise de la ville et la capture par lui de quinze cent Suédois qui combattaient parmi les troupes prussiennes.
 
Julie : Et où est Lübeck ?
 
Joseph : Au Danemark. Or, cette petite armée suédoise était commandée par le colonnel comte Mörner, et aussitôt après la victoire, vous allez reconnaître là votre mari, voici comment les choses se sont passées. 

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Bernadotte : Et vous direz à la maréchalle, que je suis victime d'une abominable machination de Davout et de Berthier. 

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Napoléon : Non, sa disgrâce est un fait accompli désormais. C'est en vain que vous pleurez, mesdames, c'en est fini de Bernadotte. Sa conduite à Iéna, son attitude à Wagram, après toutes ces fanfaronnades exaspérantes, mettent un point final à sa carrière militaire. Non, pas cette fois-ci. J'ai pu lui pardonner tout ce dont vous étiez coupables, ses insinuations, ses médisances, ses intrigues, ses complots eux mêmes. J'ai pu passer l'éponge enfin sur tout ce qui portait la marque de votre inspiration. Mais me désobéir en présence de l'ennemi, cela, vous ne le lui auriez jamais conseillé. C'est la troisième fois qu'il n'est pas fusillé grâce à vous ! Ne m'en demandez pas davantage. La mise en disponibilité de Bernadotte est définitive à présent. Vous pouvez vous retirer, mesdames. 

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Bernadotte : Aujourd'hui, il me nomme gouverneur de Rome, me fait grand dignitaire de l'empire et m'accorde une dotation de deux millions.
 
Désirée : Oooh....
 
Bernadotte : Comment veux-tu que j'y comprenne quelque chose ?
 
Désirée : Oooh....
 
 
Mais le soir-même, quelqu'un que nous allons reconnaître se présentait chez Bernadotte. Cette visite allait bouleverser tous les projets de l'empereur, elle allait ouvrir une voie nouvelle à l'ambition du maréchal, elle venait enfin confirmer quel destin fabuleux fut celui de Désirée Clary. 

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Bernadotte : Ah, colonnel ! Soyez le bienvenu.
 
Fournier : Monsieur le maréchal, je ne puis vous dissimuler l'émotion que j'éprouve à revoir votre altesse. Madame la maréchale ?
 
Bernadotte : Oui. 

Fournier :  Madame, vous êtes l'épouse d'un véritable gentilhomme. Si vous saviez.

Désirée : Oh, mais je sais.

Fournier : Sans doute. Mais ce que vous ignorez, madame, c'est le souvenir que mon pays en a conservé, tant votre altesse est populaire en Suède. Votre fils ?

Bernadotte : Oui.

Fournier : On aime à dire qu'un bienfait n'est jamais perdu. Eh bien, tenez, en voici une preuve éclatante. Prince, vous n'ignorez pas que la Suède se trouve en un état voisin de l'anarchie. D'autre part, vous savez que notre vieux roi, Charles XIII, n'a pas de projéniture. Or, il nous faut un chef, il nous faut un prince royal. Notre pays n'a besoin ni d'un Danois, ni d'un Russe. Ce qu'il désire, c'est un Français, un Français qui adoptera notre religion, qui deviendra suédois, un Français connu pour ses exploits guerriers, pour l'estime où le tient l'auguste empereur des Français, qui appartienne à la famille de l'empereur, étant le beau-frère du roi d'Espagne, enfin qui ait un fils susceptible de lui succéder un jour. Telle est l'mouvant mission que j'avais à remplir auprès de votre altesse.

Bernadotte : Monsieur le comte, votre déclaration m'honore et me touche profondément. Mais elle me prend au dépourvu, je dois le dire. Devant une éventualité aussi considérable, certaines objections me viennent à l'esprit. Cesser d'être français, abjurer ma religion...

Fournier : ... comme l'a fait le roi Henri IV, votre concitoyen.

Bernadotte : Oui, mais... même en admettant la question résolue pour moi, il me resterait encore à poser une condition formelle, que j'hésite à formuler.

Fournier : Parlez, je vous en prie.

Bernadotte : Eh bien...

 
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Napoléon : Je suis ravi d'en être débarrassé. En tout cas, je ne pouvais pas refuser mon consentement, car un maréchal de France sur le trône de Gustav Adolf est l'un des meilleurs tours qu'on puisse jouer à l'Angleterre. J'ai trois valets et deux rois, autant dire cinq valets. 

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Talma : Sire, on prétend même que si Dieu vous laissait faire, vous lui prendriez sa place.

Napoléon : Eh bien, non, je n'en voudrais pas, car c'est un cul-de-sac. A vous de jouer, Talma. Et d'ailleurs, c'est justice.

Talma : Non, sire, c'est à vous. Monsieur de Talleyrand vient d'abattre le roi.

Napoléon : Je n'en suis point surpris. Eh bien, je joue carreau.

Talleyrand : Mais, sire, puis-je vous faire observer...

Napoléon : ... que ?

Talleyrand : Que vous avez sept cartes en main.

Napoléon : Eh bien ?

Talleyrand : C'est deux de trop.

Napoléon : Nous ne jouons pas d'argent. Alors ?

Talleyrand : Et d'ailleurs, vous avez tous les droits.

Napoléon : Non, prince, je n'ai précisément pas tous les droits, et je ne peux justement pas tout faire. La boutonnière de Talma en est la preuve. Oui, je peux distribuer tous les trônes d'Europe à mes frères, personne n'ose élever la voix, mais si je veux décorer un comédien, cela fait un scandale. Cambronne, c'est à vous de parler.

Cambronne : Mmmmmh.

Napoléon : Vous ne dites rien, Cambronne ?

Cambronne : Mmmmmh.

Napoléon : Et qu'entendez-vous par "Mmmmmh" ?

Cambronne : Rien, sire, je passe.

Napoléon : Bien.

 

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Désirée : Le vieux roi de Suède trouve inacceptable la condition posée par Bernadotte.

Julie : Mais quelle est donc cette condition ?

Désirée : Devenir son fils, oui, enfin, prince héritier.

Julie : Oh, je ne savais pas. Oh...

Désirée : Tu penses bien que Bernadotte ne va pas se faire naturaliser suédois, devenir protestant, s'exiler en Suède, sans courir au moins la chance de monter sur le trône un jour.

 Julie : Evidemment.

Désirée : D'autre part, ce vieux roi, n'est-ce pas, mettons nous à sa place.

Julie : C'est ce que vous étiez en train de faire justement.

Le valet : Un pli pour madame la maréchale.

Désirée : Donnez, donnez. Mon Dieu, pourquoi j'ai le pressentiment qu'un malheur est arrivé ?

Julie : Veux-tu que je ... ?

Désirée : Non-non-non-non... Oh, mon Dieu !

Julie : L'empereur ?

Désiée : Non, mais mon pressentiment ne m'avait pas trompée.

Julie : Ton mari ?

Désirée : Oui.

Julie : Mort ?

Désirée : Non, roi de Suède.

Julie :Qu'est-ce que tu dis ?

Désirée : C'est fait. Charles XIII consent à l'adopter, tiens, lis toi-même. Oh, mon Dieu, mon Dieu...

Julie : Ma chérie, oh non, ne pleure pas.

Désirée : Je le redoutais depuis trois mois. Voilà, c'est fait, je suis reine de Suède... Je ne sais même pas où est la Suède. Moi qui croyais que c'était un petit pays comme P---. Mais pas du tout, il parait que c'est immense ! C'est là-haut, tout là-haut, là-haut.

Julie : Enfin, inclinons-nous devant la destinée.

Désirée : Eh oui, et nous revoilà de nouveau toutes les deux, l'une consolant l'autre.

Julie : Comme le jour où je suis devenue reine d'Espagne.

Désirée : Oui, c'est vrai. Mais qu'est-ce que nous avons bien pu faire au bon Dieu pour qu'il nous arrive tout cela ? Encore toi, tu le sentais que c'était provisoire.

Julie : Et puis enfin moi, je ne suis pas allée en Espagne.

Désirée : Parce que tu t'imagines que je vais aller en Suède ?

Julie : Tu n'iras pas ?

Désirée : Moi ? Ah, jamais de la vie ! Quitter la France ? Non. M'en aller de Paris ? Non-non-non-non-non. Non, et puis...

Julie : Et puis il y a l'autre.

Désirée : Eh oui.

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Julie : Enfin, quoi qu'il en soit, nous voilà reines toutes les deux.

Désirée : Oui, tu y crois toi ?

Julie : Pas beaucoup. Ca n'a pas l'air sérieux tout cela.

Désirée : C'est peut-être pas sérieux, mais c'est grave.

 

lundi, 18 juin 2012

Les Amants du Flore - Sartre, de Beauvoir

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Téléfilm : Les Amants du Flore (2006, durée 1h44)

Réalisateur :Ilan Duran Cohen

Jean-Paul Sartre (Laurànt Deutsch), Simone de Beauvoir (Anna Mouglalis), Françoise de Beauvoir (Caroline Sihol), George de Beauvoir (Didier Sandre), Nelson Algren (Kal Weber), Lumi (Clémence Poésy), Tyssen (Julien Baumgartner), Tania (Sarah Stern), Marina (Jennifer Decker), Nizan (Vladislav Galard), Lola (Laetitia Spigarelli), Camus (Robert Plagnol), Mauriac (Philippe Bardy)

 

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A la bibliothèque de la Sorbonne.

 

Sartre : Pas mal la grenouille de bénitier.

- Je l'ai vue le premier.

Sartre : Que le meilleur gagne.

- Il te les faut toutes

Sartre : Ouais.

- Restez, Simone. Veuillez cesser d'importuner mademoiselle de Beauvoir ou je vais chercher l'appariteur.

Sartre : Sale cafard.

 

Bagarre générale.

 

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Lola : Il est nabot, il est méchant, il louche mais on ne compte plus ses conquêtes. On dit que Sartre est génial.

Simone de Beauvoir : Qui "on" ?

Lola : Tous nos maîtres supérieurs ?

Simone de Beauvoir : Il est normalien, ce voyou. Oh la la, j'ai leur cœur qui bat.

Lola : Ca va marcher, j'en suis sure. Bonne chance.

Simone de Beauvoir : Tu ne restes pas ?

Lola : Je peux pas, excuse-moi, Simone.

Simone de Beauvoir : J'ai besoin de toi ! Si le professeur refuse, je vais être à ramasser à la petite cuillère.

Lola : Ma mère vient me chercher, elle doit déjà être là.

Simone de Beauvoir : Elle peut pas te laisser en paix, celle-là.

Lola : Simone, je quitte la Sorbonne.

Simone de Beauvoir : Ta mère est revenue à la charge.

Lola : Je m'fais vieille.

Simone de Beauvoir : Tu te moques de moi ? J'expédie Brancheville et je viens avec toi raisonner ta mère.

Lola : Occupe-toi de ton avenir, c'est beaucoup plus important.

Simone de Beauvoir : C'est criminel de t'empêcher d'étudier. T'es la plus douée d'entre nous.

Lola : Mais pour toi c'est tout simple, le bonheur suprême c'est d'être enseignante.

Simone de Beauvoir : Tu préfères être la domestique d'un homme ?

Lola : Pas sa domestique, Simone, sa femme. Ce n'est pas fatalement pareil. Moi je veux une robe de dentelle blanche et un homme merveilleux à mon bras et des tas d'enfants qui courent dans ma maison. Je ne suis pas comme toi. Mais on s'adore quand même, c'est ça qui est beau, non ? Ne te mets pas en retard, mademoiselle la future agrégée, cours vers ton destin.

 

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Simone de Beauvoir : Père ! Mon p'tit papa chéri, Branchefigue m'autorise à passer l'agrégation et le diplôme d'enseignement la même année. J'ai gagné, je vais faire en un an ce que tous les autres font en deux.

Son père : Viens que je t'embrasse.

Simone de Beauvoir : C'est la première fois que la Sorbonne accorde cette dérogation.

Son père : J'ai toujours dit que tu as un cerveau d'homme. Décroche tes deux diplômes, il le faut.

Simone de Beauvoir : Père, est-ce que vous êtes un peu fier de votre fille ?

Son père : Je suis rassuré. De toute façon, on a aucune chance de te caser. Alors...

Sa mère : Mais pourquoi blesser Simone ? A quoi bon, Georges ?

Son père : Qui voudrait de ta fille ? Elle est laide. Et en plus elle est pauvre. Il faudra bien qu'elle gagne sa vie.

Sa mère : Montrez-lui l'exemple, trouvez-vous du travail.

Son père : Retourne à tes chiffons. Mérite ta pitance, t'es une boniche ici. Tu m'entends ? Une bonniche sans le sou ! Ta dote que ton père m'avait promise, où est-elle ? Il m'a grugé, cet escroc. C'est pour cet argent que je t'ai épousée, pour rien d'autre, tu m'entends ? Il a fait de moi un déclassé.

 

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Sartre : Et ça s'agite, et ça travaille, comme un petit castor. Beaver en anglais, beaver / Beauvoir.

Simone de Beauvoir : Je vous prie de me laisser en paix.

Sartre : Il vous plaît votre surnom ? Il paraît que vous êtes imbattable sur Leibniz ? Je respecte ça. Vous avez des ambitions littéraires, Castor ?

Simone de Beauvoir : C'est mon affaire.

Sartre : Celui qui n'est pas célèbre à 28 ans doit pour toujours renoncer à la gloire.

Simone de Beauvoir : Cette phrase n'est même pas de vous, elle est de Rodolphe Töpffer.

Sartre : Vous m'épatez. Il paraît que vous n'avez que 21 ans. Vous êtes bigrement en avance.

Simone de Beauvoir : Et vous ?

Sartre : Les profs étaient trop cons pour m'apprécier à ma juste valeur. Mais j'ai déjà 24 ans.

Simone de Beauvoir : Il ne vous reste que 4 ans pour devenir célèbre. Vous feriez mieux de pas perdre votre temps.

Sartre : J'écris, comme un forcené, plusieurs livres à la fois. Vous aussi vous écrivez, n'est-ce pas ?

Simone de Beauvoir : Plus modestement.

Sartre : Essais ? Romans ?

Simone de Beauvoir : Un essai.

Sartre : Sur quoi ?

Simone de Beauvoir : Une morale plurielle.

Sartre : Qu'est-ce que ça veut dire une morale plurielle ?

Simone de Beauvoir : Par-delà la religion, il existe des valeurs plus hautes qui sont les valeurs morales.

Sartre : Intéressant.

Simone de Beauvoir : Ma mère est fervente catholique, mon père est athée mais il partage l'essentiel.

Sartre : Et c'est quoi l'essentiel ?

Simone de Beauvoir : Etre et agir de manière respectable.

Sartre : On en a rien à foutre d'être respectable. Inutile de gaspiller de l'encre pour justifier votre mauvaise foi. Vous cherchez simplement à vous fabriquer des raisons de croupir chez les bourgeois, mademoiselle...  Moi aussi, je pleure pour un rien, je suis très féminin.

Simone de Beauvoir : Je pleure pas. Lâchez-moi.

Sartre : Impossible, vous me plaisez trop. On pourrait travailler l'agrég ensemble, qu'est-ce que vous en dites, ma jolie ?

Simone de Beauvoir : Gardez vos boniments pour les oies. Je suis pas jolie mais je suis pas idiote.

Sartre : Vous êtes intelligente, et belle. Je vous ai trouvée belle dès que je vous ai vue.

Simone de Beauvoir : Cessez de me tourmenter, je vous en prie !

Sartre : Vous êtes belle, Castor. Vous avez cette chance, bordel !  Et vous ne le sauriez pas ? Alors vous êtes la femme idéale.

 

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Sartre : Bonjour, je suis votre prof de philosophie, je m'appelle Jean-Paul Sartre. Vous êtes mes premiers élèves.

Un élève : Excusez-moi, c'est vrai que vous remplacez monsieur Moutier parce qu'il a fait une dépression nerveuse ?

Sartre : C'est ce qu'on m'a dit. Je ne connais pas Moutier mais ça me le rend plutôt sympathique. Bon, les gars, ça ne m'emballe pas d'être prof, et je n'ai pas la vocation pour jouer les gardes-chiourme. Alors comptez pas sur moi pour pérorer sur l'estrade pendant que personne n'écoute. [...] Autrui, ce n'est pas seulement celui que je vois. C'est aussi celui qui me voit. Il confère à mon monde l'étendue de son savoir et de l'assurance qu'il me donne. C'est pourquoi, ce que chaque individu parmi vous peut penser m'intéresse. J'ai autant à apprendre de vous que vous de moi.

 

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Sartre : Castor, puisqu'on y est, autant tout clarifier dans nos rapports. Pas de mensonges entre nous.

Simone de Beauvoir : Je hais le mensonge autant que vous.

Sartre : Je n'ai aucune vocation pour la monogamie.

Simone de Beauvoir : Qu'est-ce que vous voulez dire ?

Sartre : Je vous aime comme un fou. Et je vous aimerai toujours. Mais je suis écrivain.

Simone de Beauvoir : Et alors ?

Sartre : Je ne veux pas vivre comme ces vieux cons de l'Académie. Il me faut de l'air, de la nouveauté, de l'excitation. Vous seule m'êtes nécessaire mais j'ai besoin de connaître des amours contingentes.

Simone de Beauvoir : Qu'est-ce que vous entendez par contingentes ?

Sartre : Sans importance, non essentielles, c'est le contraire de nécessaires, vous savez bien.

Simone de Beauvoir : Moi aussi ?

Sartre : Vous aussi quoi ?

Simone de Beauvoir : Je suis un écrivain. Des amours contingentes, moi aussi j'en ai besoin.

Sartre : Ca je sais pas, ça dépend.

Simone de Beauvoir : De quoi ? Mon expérience est bien plus limitée que la vôtre.

Sartre : Vous avez envie de connaître d'autres hommes ?

Simone de Beauvoir : Avouez que vous détesteriez ça.

Sartre : Ce serait justice.

Simone de Beauvoir : Avouez que vous seriez jaloux.

Sartre : Pas si nous nous racontons tout. Jusqu'au moindre détail.

Simone de Beauvoir : Vous êtes dégoûtant.

Sartre : De cette façon, vos expériences sont miennes, et réciproquement, et nous devenons riches de nos deux vies pour écrire.

Simone de Beauvoir : Vous êtes fou.

Sartre : Pour ça, il faut une femme qui ait de l'audace, de la tripe. Et vous êtes celle-là.

Simone de Beauvoir : Je suis pas celle-là.

Sartre : Vous êtes d'une envergure exceptionnelle, j'vous connais, mieux que vous-même.

Simone de Beauvoir : Cessez de me flatter. Je suis pas dupe.

Sartre : Je n'ai jamais été aussi sincère de toute ma vie. J'vous jure, Castor, je vous propose un vrai pacte d'amour, pas un contrat hypocrite comme le mariage bourgeois où tout le monde triche, tout le monde ment.

Simone de Beauvoir : Alors c'est d'accord.

Sartre : Vous bluffez ?

Simone de Beauvoir : Je ne veux plus rien faire comme les bourgeoises. Le seul choix qu'ils nous laissent, c'est d'être mariée de force ou de rancir vieille fille. Alors je vous prends au mot. J'accepte le pacte.

 

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Sartre : Je m'attendais à un amant, vous m'offrez une maîtresse. Vous m'avez épaté, comme d'habitude.

Simone de Beauvoir : Sartre, avec un autre homme que vous, j'aurais pas pu.

 

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Simone de Beauvoir : C'est peut-être dangereux cette saleté.

Sartre : On m'offre d'être le cobbaye pour explorer les effets de la mescaline alors que j'suis en train d'écrire sur l'imagination. Et vous croyez que je vais refuser ?

Simone de Beauvoir : Heureusement que vous n'écrivez pas un essai sur le crime, vous vous croiriez obligé de commettre un assassinat.

Sartre : En attendant le médecin, on s'met au boulot ?

Simone de Beauvoir : C'est pas du luxe. J'ai bien relu votre roman.

Sartre : A qui croyez-vous parler, Castor ? A une de vos élèves ?

Simone de Beauvoir : C'est pareil chaque fois que j'ose proférer la moindre critique. Ne comptez pas sur moi pour vous applaudir si vous ne le méritez pas.

Sartre : Qu'est-ce que vous attendez pour écrire si vous êtes tellement douée ?

Simone de Beauvoir : La critique est aisée, je sais. N'empêche, regardez cette page. C'est trop guindé, c'est mort, c'est un français de marbre.

L'infirmière : Monsieur, le médecin vous attend.

Sartre : Sauvé par la drogue ! Bon, continuez sans moi, et surtout ne m'épargnez pas.

 

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Simone de Beauvoir : Lumi n'est pas avec vous ?

Sartre : Partie. Vous ne trouvez pas qu'elle est une captivante table rase ?

Simone de Beauvoir : Lumi vous captive ?

Sartre : C'est une conscience neuve et spontanée. Une individualité naturelle. Elle rit, elle pleure comme un enfant.

Simone de Beauvoir : C'est souvent insupportable.

Sartre : Mais elle se donne et se refuse comme une femme.

Simone de Beauvoir : Où voulez-vous en venir, Sartre ?

Sartre : Lumi ne veut pas de moi.

Simone de Beauvoir : En quoi cela me concerne ?

Sartre : Vous avez le pouvoir de la convaincre.

Simone de Beauvoir : Vous me prenez pour une mère maquerelle ?

Sartre : Vous rabaissez tout.

Simone de Beauvoir : Il vous la faut parce que je couche avec elle.

Sartre : Bien sûr.

Simone de Beauvoir : La mescaline vous a rendu dément.

Sartre : Ensemble on pourrait la modeler, en faire une incarnation de notre philosophie. Nous serons les parents qu'elle mérite. Des parents sans tabou.

Simone de Beauvoir : Des parents incestueux.

Sartre : Il y a un côté chez vous qui n'arrive pas à se débarrasser des préjugés de sa caste. Quelque chose d'irrémédiablement mesquin.

Simone de Beauvoir : Où allez-vous, Sartre ?

Sartre : Ca ne vous regarde plus.

Simone de Beauvoir : Restez.

Sartre : Vous n'êtes pas à la hauteur de notre pacte.

 

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Lumi : Tu sais, il m'met la main aux fesses dès que t'as le dos tourné.

Simone de Beauvoir : Tais-toi, idiote.

Lumi : Tu m'crois pas ?

Simone de Beauvoir : Tu te rends compte de l'honneur qu'il te fait ?

Lumi : L'honneur ? Mais t'es complètement zinzin.

Simone de Beauvoir : Sartre ou moi, c'est pareil. Rends-lui son sourire, fais-le pour moi, je supporte pas de le voir malheureux.

 

 

Mauriac : Je questionnais monsieur Sartre sur cet étrange animal auquel il a dédié son livre, François Mauriac. Enchanté, mademoiselle.

Simone de Beauvoir : Simone de Beauvoir, enchantée.

Sartre : Je dois tout au Castor. Au fond j'écris pour elle.

Mauriac : Les jeunes gens modernes ont encore leur muse, c'est plutôt rassurant.

Sartre : Ce n'est pas son genre de jouer de la lyre, elle a la dent dure, mais ses critiques tapent dans le mil. Sans son imprimature...

Mauriac : Son imprimature ? Votre fiancée est donc le patron.

Sartre : Ma fiancée ?

Mauriac : Excusez-moi, je... j'ai cru...

Simone de Beauvoir : Je n'épouse pas. Pas d'enfants, pas de travaux ménagers, chacun sa chambre d'hôtel.

Mauriac : La vie de bohême.

Simone de Beauvoir : La vie d'écrivain.

Mauriac : Vous écrivez aussi ? ... J'aperçois monsieur Gallimard, je vais lui dire tout le bien que je pense de La nausée.

 

Sartre :  Vous l'avez affolé, le pape de la république des lettres.

Simone de Beauvoir : Je l'ai fait exprès, pour qu'il parle de nous partout.

 

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Sartre : Jamais vu un castor aussi peu doué pour la natation. Tania a raison, vous avez l'air d'une grenouille enrhumée.

Simone de Beauvoir : Toujours le mot aimable. Et votre punaise ?

Sartre : Une sangsue plutôt. J'ai dû la traîner jusqu'à son train. Elle a refusé de vous céder la place.

Simone de Beauvoir : Ces disputes violentes, ces réconciliations pathétiques, il vous faut ça pour vous sentir vivant ?

Sartre : Et comment va le jeune Tyssen ?

Simone de Beauvoir : N'en parlez à personne, j'ai juré que Lumi ne saurait rien.

Sartre : Vous avez si peur de le perdre ?

Simone de Beauvoir : Je veux la garder elle aussi. Tyssen ne sait pas qu'entre Lumi et moi ça continue.

Sartre : C'est parce que vous couchez avec eux ou parce que vous ne couchez plus avec moi que vous parvenez à écrire ?

 

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Lettre de Sartre à Simone de Beauvoir : Tania est malade et me réclame. Le seul moyen de quitter cette fichue caserne, c'est de l'épouser, un mariage purement symbolique ça va de soi, mais qui me donnera droit à six longs jours de permission. Je ferai croire à Tania que je n'en ai que trois, reste trois grands jours que je vous réserve, mon tout petit, juste vous et moi, quel bonheur.

 

¤   ¤   ¤

 

Simone de Beauvoir : Sartre ! Vous êtes de retour.

Sartre : Je m'suis démerdé un certificat médical bidon, qui me déclarait atteint de cécité partielle et de trouble de l'orientation.

Simone de Beauvoir : On vous a libéré sur la foi d'un faux document ?

Sartre : Ces enfoirés m'ont d'abord fait croupir quinze jours à Drancy. Je les ai bien baisés avec ma dispense.

Simone de Beauvoir : Quinze jours à Drancy, j'comprends que vous soyez de mauvaise humeur, mon tout p'tit.

Sartre : Vous ne comprenez rien du tout. Et arrêtez de m'affubler de noms ridicules.

Simone de Beauvoir : Je ne sais pas comment vous prendre.

Sartre : Vous, vous, il n'y a pas que vous au monde, il serait temps de vous en apercevoir.

Simone de Beauvoir : Pour moi, il n'y a que vous au monde. Rien n'a changé.

Sartre : Arretez les violons. C'est fini les rêves de gloire frelatés, les plaisirs pervers, nos airs de p'tits cons égoïstes, pour moi c'est terminé, basta.

Simone de Beauvoir : Cette humeur de chien, c'est pour m'annoncer votre mariage avec Tania ?

Sartre : Je ne suis pas revenu pour me marier mais pour combattre.

Simone de Beauvoir : Vous vous moquez de moi ? La guerre est finie.

Sartre : Nous ne sommes plus des hommes si nous acceptons le régime de Vichy. On les foutra dehors les Bosches. Ils ont tué Nizan. Il avait tout compris avant tout le monde. C'était mon ami, ma jeunesse, il me manque Nizan.

 

¤   ¤   ¤

 

Sa mère : Je veux faire des études.

Simone de Beauvoir : A votre âge ?

Sa mère : Toujours aussi encourageante. Je vais préparer un certificat d'aide bibliothécaire.

Simone de Beauvoir : Pourquoi faire ?

Sa mère : Il faut que je trouve un emploi, ton père ne m'a pas laissé un sou. J'en rêve depuis que je suis petite fille.

Simone de Beauvoir : Alors pourquoi avoir attendu la mort de Papa pour vous y mettre ?

Sa mère : Je ne voulais pas l'offenser. "Une femme est ce que son mari la fait". Il aimait bien répéter cette phrase.

Simone de Beauvoir : Pour ce qui est d'offenser, il a pas eu les mêmes scrupules à votre égard.

Sa mère : A quoi ça sert tout ce fiel ?

Simone de Beauvoir : Il a fallu qu'il soit six pieds sous terre pour que je vous vois rêver d'un peu de bonheur.

Sa mère : Comme si moi je pouvais me réjouir de la mort de mon mari.

Simone de Beauvoir : Vous vous sentez plus libre, ça crève les yeux.

Sa mère : J'ai toujours obéi, toute ma vie, j'ai le droit de penser un peu à moi. Où est le mal ?

Simone de Beauvoir : "Une femme est ce que son mari la fait". C'est quand même inouï cette phrase, quand on y pense.

Sa mère : Qu'est-ce que tu racontes ?

Simone de Beauvoir : On vous a dressée, comme un animal, vos parents, votre mari. Vous êtes de chair et de feu.

Sa mère : On ne parle pas comme ça à sa mère.

Simone de Beauvoir : On vous a mutilée, mystifiée, mais il reste encore une petite flamme.

 

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Sartre : Roulement de tambours... Primo, Gallimard prend L'Être et le Néant.

Simone de Beauvoir : L'époque est peu propice à une philosophie libertaire, vous savez.

Sartre : Au contraire, rien de tel que l'oppression pour apprécier mon appel à la liberté et à l'anarchisme.

Simone de Beauvoir : Mais vous allez faire l'unanimité contre vous, les Bosches et les vieilles barbes de la Sorbonne

Sartre : Castor, je vous ai dédié les sept-cent vingt-deux pages de mon premier vrai pavé de philosophe.

Simone de Beauvoir : Avouez que j'lai pas volé.

Sartre : J'avoue, en effet. Vous ne voulez pas savoir le deuzio, vous avez deviné peut-être ?

Simone de Beauvoir : Non.

Sartre : Mais si, Gallimard vous publie. Bienvenue au club des auteurs, Castor.

Simone de Beauvoir : Vous et moi, publiés tous les deux chez le même éditeur ? C'est trop beau.

Sartre : Bon, ils veulent changer le titre de votre roman. Ils proposent L'invité au lieu de Légitime défense. Vous êtes d'accord ?

Simone de Beauvoir : Pourquoi pas ? ... Restez, Sartre, il faut fêter ça.

Sartre : Non, pas ce soir, sinon Tania va me chanter Ramona.

 

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Simone de Beauvoir : Vous êtes bien silencieux.

Sartre : J'suis malheureux, Castor.

Simone de Beauvoir : Votre Américaine ? Ce soir, je proscris la tristesse. C'est la première fois que les Gallimards organisent un dîner en notre honneur à tous les deux.

Sartre : J'm'en fous.

Simone de Beauvoir : Parlez-moi de Carmen.

Sartre : Métisse, un esprit curieux, une intelligence vive. C'est extraordinaire comme elle partage mes goûts, mes émotions, l'accord parfait.

Simone de Beauvoir : Répondez sans détour. Qui vous est nécessaire, elle ou moi ?

Sartre : J'ai pensé m'installer en Amérique. Mais j'suis rentré.

 

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Simone de Beauvoir : Je voudrais comprendre.

Sa mère : Comprendre quoi ? Que les hommes sont ingrats, inconstants, injustes, égoïstes et qu'ils sont les plus forts ?

Simone de Beauvoir : C'est moi que je voudrais comprendre. Je me croyais tellement au-dessus du lot et je me retrouve flouée, niée, grugée, comme... comme toutes les femmes.

Sa mère : Ton père, je l'ai aimé, vraiment, et contrairement à ce que tu crois, lui aussi il m'aimait, à sa manière.

Simone de Beauvoir : Vous croyez qu'il m'aime, Sartre ?

Sa mère : Il y a quinze ans, quand tu l'as rencontré, je ne croyais pas à cette union, et pourtant elle dure encore. Elle doit être solide pour survivre, sans enfant ni bague au doigt.

Simone de Beauvoir : C'est moi qui suis solide. Au nom de la liberté, de l'authenticité, pour pas faire comme les bourgeois, j'ai tout accepté.

Sa mère : Tu as 38 ans, Simone. Pourquoi cèderais-tu ta place maintenant qu'elle est enviable ?

 

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Sartre : Je comprends que vous soyez furieuse.

Simone de Beauvoir : Je vous méprise.

Sartre : D'accord, ça n'était pas très glorieux, ce petit complot pour vous éloigner de Paris.

Simone de Beauvoir : Un vaudeville, une comédie de boulevard.

Sartre : Heureusement que le ridicule ne tue pas. Castor, j'ai pensé à me marier, moi.

Simone de Beauvoir : Je sais que c'est elle qui vous a plaqué, ne vous fatiguez pas, Sartre.

Sartre : Elle a compris que j'étais lié à vous pour l'éternité.

Simone de Beauvoir : Ne comptez plus sur moi pour jouer les lots de consolation, cette époque est révolue.

Sartre : Vous seule m'êtes nécessaire, Castor.

Simone de Beauvoir : Trop tard. J'aime ailleurs. Il me donne ce que vous avez toujours été incapable de me donner, du plaisir.

Sartre : Ca ne vous rend pas moins chiante d'être bien baisée.

Simone de Beauvoir : Personne ne vous retient.

Sartre : J'ai mieux à faire qu'une scène de ménage. Et j'en ai déjà eu plus que ma ration.

Simone de Beauvoir : Ce n'est pas une scène de ménage, c'est une rupture. Vous n'avez pas entendu ce que j'ai dit ?

Sartre : Je suis ravi que vous soyez tombée sur un bon coup mais n'en faisons pas un plat. Sur quoi travaillez-vous ? C'est ça qui m'intéresse.

Simone de Beauvoir : Sur ces créatures que vous appréciez tant.

Sartre : Les femmes, c'est vrai ? Vous en êtes où ?

Simone de Beauvoir : Oseriez-vous prétendre que la femme est libre, qu'elle est liberté, comme vous le dites de l'homme ?

Sartre : Vous ne pouvez pas m'accuser d'avoir atenté à votre liberté.

Simone de Beauvoir : Mon père disait qu'une femme est ce que son mari la fait. Hypothèse : les hommes nous fabriqueraient-ils de toutes pièces ?

Sartre : Vous voulez tordre le cou à la nature féminine ? Pas mal. Existentialiste en plein.

Simone de Beauvoir : Est-ce qu'on naît femme, Sartre, ou est-ce qu'on le devient ?

Sartre : Doucement, entre un homme et une femme il y a des différences physiologiques indéniables.

Simone de Beauvoir : Je vais vérifier qu'elles ne servent pas d'alibi à la domination ancestrale des hommes.

Sartre : Vous tenez peut-être un truc énorme.

Simone de Beauvoir : J'ai l'intention de tout passer au crible, puberté, règles, grossesse, avortement, dépucelage, ménopause, masochisme, frigidité, saphisme, adultère.

Sartre : Bravo ! Attaquez-les aux couilles, Castor. La femme comme question philosophique, personne n'y avait jamais pensé avant vous. Personne, même pas moi.

Simone de Beauvoir : Surtout pas vous.

 

jeudi, 14 juin 2012

Princesse Marie - Freud, Deneuve, Bennet

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Téléfilm : Princesse Marie (2004, durée 1h40)

Réalisateur : Benoît Jacquot

Anne Bonaparte petite-nièce de Napoléon (Catherine Deneuve), Rodolphe Löwenstein (Sebastian Koch), Sigmund Freud (Heinz Bennet) 

 

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Rodolphe Löwenstein : Je suis fou de vous depuis que je vous ai vue et je sais que je vous plais.

Anne Bonaparte : Non.

Rodolphe Löwenstein : Pourquoi ?

Anne Bonaparte : Une femme qui refuse un homme n'a pas à se justifier. Vous me rappelez mon fils. J'ai fait un rêve incestueux cette nuit. Dès que j'en aurais fait l'analyse, je vous la communiquerai.

Rodolphe Löwenstein : Princesse...

Anne Bonaparte : Vous avez été maladroit, ne soyez pas ridicule.

 

mercredi, 13 juin 2012

Agatha - Dustin Hoffmann, Vanessa Redgrave

 

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Film : Agatha  (1979, durée 1h40)

Réalisateur : Michael Apted

Agatha Christie (Vanessa Redgrave), Wally Stanton écrivain américain (Dustin Hoffmann)

 

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Agatha : Offrez-moi une cigarette.

Wally : Etes-vous consciente de l'étendue de votre charme ?

Agatha : Il se fait tard, au revoir.

Wally : Je n'ai pas allumé votre cigarette.

 

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Wally : Je sais que vous souffrez. Je sais que quelque chose vous bouleverse. Disposez de moi. Je vous en prie.

 

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Wally : Je ne suis peut-être pas un auteur aussi réputé que vous, madame Christie, mais même les tâcherons ont leur code d'honneur.

 

mercredi, 06 juin 2012

Camille Claudel - Rodin, Adjani, Depardieu

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Film : Camille Claudel (1988, durée 2h50)

Réalisateur : Bruno Nuytten

Auguste Rodin (Gérard Depardieu), Camille Claudel (Isabelle Adjani), Paul Claudel le frère de Camille (Laurent Grévil), Eugène Blot marchand d'art (Philippe Clévenot), Louis-Prosper Claudel le père de Camille et Paul (Alain Cuny), Louise-Athanaise Claudel la mère de Camille et Paul (Madeleine Robinson), Jessie Lipscomb amie anglaise de Camille (Katrine Boorman), Rose Beuret la compagne de Rodin (Danièle Lebrun) 

 

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Auguste Rodin à Camille Claudel : Ne comptez pas sur l'inspiration, elle n'existe pas. Qu'est-ce que vous voulez que je vous apprenne ? Une sculpture demande du temps. Il faut la laisser se reposer. L'oublier pour mieux la juger. 

 

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Auguste Rodin à Camille Claudel : On n'en parle pas, mais c'est très important, le chauffage. Quand j'avais votre âge, j'avais loué une écurie qui me servait d'atelier. Il faisait un froid de canard. Je devais y faire mon premier buste, d'après nature, une femme du monde. Alors comme je n'avais pas le sou, je suis allé chez le cordonnier du coin, chercher plein de vieilles paires de chaussures. Me voilà parti à fourguer tout ça dans le poêle pour donner un peu de chaleur, n'est-ce pas. La femme est arrivée, s'est installée. Mais l'odeur, l'odeur ! Elle n'a pas résisté. Elle tourne de l'oeil et hop ! la voilà partie dans les pommes. J'ai eu la frousse de ma vie, j'ai cru qu'elle était morte.

 

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La mère de Camille Claudel : Ca vous amuse ? Moi pas. On verra si vous baillerez dimanche devant Papa. Jusqu'ici ton père était d'accord avec cette histoire d'atelier, Camille. Mais cette fois il ne te donnera pas raison. Tu n'as pas supporté la discipline de l'académie de Colarossi. Tu préfères ta liberté, partager un atelier avec une étrangère délurée. Et tu t'en moques que ça nous coûte trois fois plus cher ! Les cours, le loyer... Et si Papa n'est pas là, c'est justement pour gagner cet argent, sou par sou, au point de tout sacrifier. Mais tu crois que c'est une vie pour un homme de son âge ! de voir sa famille une seule fois par semaine. Et pour moi ? Quand il apprendra que tu découches pour aller voler de la terre dehors, que tu nous obliges à passer des nuits blanches, que ton frère risque de tripler sa philo à cause de tes lubies, et tout ça pour ta soi-disant vocation ! Et puis tu le perturbes, à lui faire lire des cochonneries qui ne sont pas de son âge, l'âge de personne d'ailleurs.

 

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Paul Claudel à Camille Claudel : Je te remercie de m'avoir fait connaître la poésie de Rimbaud. Il m'arrache les pieds de la terre. Est-ce que j'arriverais un jour à m'enfuir comme lui ? 

 

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Rodin : Je vais peut-être vous surprendre, mais j'ai failli entrer dans les ordres. J'étais jeune, j'avais une sœur aînée,  Maria, que j'adorais. Maria est devenue novice à la suite d'une promesse de mariage qu'un ami à moi n'a pas tenu. Elle en est morte de chagrin. Alors après sa mort, je suis entré au monastère. Pour la garder vivante, j'ai mené sa vie. A ma grande surprise, mon directeur de conscience m'a demandé de faire un buste de lui. En m'obligeant à sculpter, il m'a rendu à la vie, à la mienne je veux dire.

Le père de Camille Claudel : Par miracle, cet homme-là a su faire la différence entre un chagrin et une vocation.

Rodin : Sans doute, sans doute.

Camille : Je crois que si j'avais un chagrin pareil, je ferais la même chose.

La mère : Toi, Camille, tu deviendrais religieuse ?

Camille : Je m'arrêterai.

La mère : Quel orgueil. Je me demande de qui tu tiens ça.

Le père : Camille n'est pas une orgueilleuse. Seulement elle ne cède jamais une once de ce qu'elle estime devoir lui revenir. Là où elle est violente, ce n'est que parce qu'elle est passionnée. Quand elle était enfant, elle s'amusait à reproduire avec de la glaise des os de squelette humain. Ensuite elle les mettait au four pour les cuire. Elle en perdait le boire et le manger. C'était stupéfiant. Là où elle est ombrageuse, c'est parce qu'elle est d'une grande intention.

Camille : Papa...

Le père : Monsieur Rodin, lui, a dû s'en rendre compte, n'est-ce pas monsieur Rodin ?

Rodin : ah monsieur Claudel, le témpérament, d'où nous vient le tempérament ?

La mère : Ca, on sait pas d'où ça vient mais on sait ce que ça fait, le tempérament. 

 

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Camille Claudel à Auguste Rodin : Peux-tu faire des ronds de jambes à des gens qui ne comprennent pas ce que tu fais ?

 

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Eugène Blot : Votre sœur se remet mal de sa séparation avec Rodin.

Paul Claudel : Elle a tout misé sur lui. Elle a tout perdu avec lui, ma sœur.

 

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Eugène Blot : On vous bafoue parce qu'on ne peut pas vous détuire. Un génie est toujours un effroi pour son temps.  

 

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dimanche, 20 mai 2012

Un amour de Swann - Proust, Irons, Delon, Muti, Ardant

 

Ce qu'il y a de gentil avec vous, c'est que vous n'êtes pas gaie.

 Comment veux-tu que je t'aime si tu es une eau informe qui coule selon la pente
qu'on lui offre, un poisson sans mémoire ni volonté.

 

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Film : Un amour de Swann (1984, durée 1h50)

Réalisateur : Volker Schlöndorf

D'après Proust.

Charles Swann (Jeremy Irons), Odette de Crécy (Ornella Muti), le baron de Charlus (Alain Delon), la duchesse de Guermantes (Fanny Ardant), le duc de Guermantes (Jacques Boudet), madame Verdurin (Marie-Christine Barrault), monsieur Verdurin (Jean-Louis Richard), madame de Cambremier (Charlotte de Turckheim), Forcheville (Geoffroy Tory), Chloé (Anne Bennent).

 

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Voix off de Charles Swann :

L'air est chaud et frais, plein d'ombres et de songes. Mon amour pour Odette va bien au-delà des régions du désir physique. Il est si étroitement mêlé à mes actes, à mes pensées, à mon sommeil, à ma vie, que sans lui je n'existerais plus.

Cela ne vous gêne pas que je remette droites les orchydées de votre corsage ?

Comme ça, en les enfonçant un peu moi-même.

Et si je les respirais ? Je n'en ai jamais senties.

Chaque matin au réveil, je sens à la même place la même douleur. Je sacrifie mes travaux, mes plaisirs, mes amis, finalement toute ma vie, à l'attente quotidienne d'un rendez-vous avec Odette.

Cette maladie qu'est mon amour en est arrivée à un tel degré qu'on ne pourrait me l'arracher sans me détruire tout entier. Comme on dit en chirurgie, il n'est plus opérable.

Lorsqu'un soir au théâtre le baron de Charlus me présenta Odette, elle m'était apparue, non pas sans beauté, mais d'un genre de beauté qui me laissa indifférent, me causa même une sorte de répulsion physique.

 

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Charles Swann : Mémé, vous ne pourriez pas aller la voir et lui dire en passant que j'irai à Bagatelle cet après-midi disons à partir de cinq heures. Où allez-vous ?

Le baron de Chalus : Mais porter votre message.

Charles Swann : Surtout, surtout ne lui dites pas que je la demande. Enfin, si elle veut venir avec vous, ne l'empêchez pas de le faire. Dites-moi Mémé.

Le baron de Charlus : Oui ?

Charles Swann : Vous avez couché avec Odette ?

Le baron de Charlus : Pas que je sache.

 

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La duchesse de Guermantes : Comme c'est ennuyeux de ne plus vous voir. Avouez que la vie est une chose affreuse.

Charles Swann : Oh oui, affreuse.

La duchesse de Guermantes : Il y a des jours où l'on aimerait mieux mourir. Il est vrai que mourir, c'est peut-être tout aussi ennuyeux puisqu'on ne sait pas ce que c'est.

Charles Swann : Ce qu'il y a de gentil avec vous, c'est que vous n'êtes pas gaie.

 

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Charles Swann : Odette, mon chéri, je sais bien que je suis odieux, mais il faut que je te demande des choses. Tu te souviens de l'idée que j'avais eue à propos de toi et de madame Verdurin. Dis-moi si c'était vrai. Avec elle ou avec une autre.

Odette : Qui est-ce qui a pu te mettre une idée pareille dans la tête ? Je ne comprends rien. Qu'est-ce que tu veux dire ?

Charles Swann : Est-ce que tu as déjà fait des choses avec des femmes ?

Odette : Avec des femmes, non.

Charles Swann : Tu en es sure ?

Odette : Tu le sais bien.

Charles Swann : Non, ne me dis pas tu le sais bien ! Dis-moi "je n'ai jamais fait ce genre de chose avec aucune femme". A mon âge on a besoin de connaître la vérité.

Odette : Je n'ai jamais fait ce genre de chose avec aucune femme.

Charles Swann : Tu peux me le jurer sur ta médaille de notre Dame de Laghet ?

Odette : Mais tu auras bientôt fini ! Qu'est-ce que tu as aujourd'hui ? Tu as décidé qu'il fallait que je te déteste.

Charles Swann : Tu as tort de te figurer que je t'en voudrais. Je ne t'en voudrais pas du tout. J'en sais toujours beaucoup plus que je ne dis. Si je suis en colère contre toi, ce n'est pas à cause de ce que tu fais, je te pardonne tout, puisque je t'aime. C'est à cause de ta fausseté. Ta fausseté absurde ! Pourquoi nier des choses que je sais ! Si tu veux ce sera fini dans une seconde. Tu seras délivrée pour toujours. Alors dis-moi, sur ta médaille si, oui ou non, tu l'as fait !

Odette : Mais je n'en sais rien. Peut-être il y a très longtemps. Sans me rendre compte de ce que je faisais. Peut-être deux ou trois fois !

Charles Swann : C'est fini. C'est fini... Dis-moi, c'était avec quelqu'un que je connais ?

Odette : Mai non, bien sûr. Je te le jure. D'ailleurs, je crois que j'ai un peu exagéré. Je n'ai jamais été jusque là.

Charles Swann : Ca ne fait rien. Mais c'est malheureux que tu ne puisses pas au moins me dire le nom. Si je pouvais me représenter la personne, je suis sûr que je n'y penserais plus. Et je ne t'ennuierais plus. Ce qui est affreux, c'est ce qu'on ne peut pas imaginer. Tu as déjà été si gentille. Je ne veux pas te fatiguer. Je te remercie, de tout mon cœur, c'est fini, c'est fini... Un mot seulement : il y a combien de temps ?

Odette : Charles, tu ne vois pas que tu me tues. Tout ça c'est de l'histoire ancienne. Je n'y avais jamais repensé. On dirait que tu veux absolument me redonner ces idées-là. Tu seras bien avancé.

Charles Swann : Je voulais seulement savoir si c'est depuis que je te connais. Est-ce que ça se passait ici ? Mais dis-moi au moins un soir pour que je puisse me rappeler ce que je faisais ce soir-là ! Et ne me dis pas que tu ne te rappelais pas avec qui, parce que ça ça n'est pas possible !

Odette : Mais je ne sais pas moi ! Je crois que c'était au bois. Le soir où tu es venu nous retrouver dans l'île. Tu te rappelles ? Il y avait une femme à la table voisine. Je ne l'avais pas vue depuis très longtemps. Elle me dit : "Venez donc derrière le petit rocher voir l'effet du clair de lune sur l'eau." D'abord j'ai baillé, j'ai répondu : "Non, je suis fatiguée, je suis très bien ici." Elle a insisté : "Vous avez tort, vous n'avez jamais vu un clair de lune pareil." Je lui ai répondu : "Cette blague !" Je savais très bien où elle voulait en venir. Charles, tu es un misérable. Tu te plais à me torturer, n'est-ce pas ? Tu me fais dire des tas de mensonges et je les dis pour que tu me laisses tranquille.

Charles Swann : Jamais je n'aurais pensé que c'était aussi récent. Pardonne-moi. Je sens que je te fais de la peine. C'est fini, je n'y pense plus. Alors, ce catleya...

Odette : Pas maintenant, il faut que je m'habille.

 

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Charles Swann : Et si je te demandais de ne pas y aller ?

Odette : Et pourquoi ?

Charles Swann : Oh ça n'est pas à cause d'Une nuit de Cléopâtre, non, ça ne compte pas. Si je te demande de ne pas sortir ce soir, c'est pour voir si tu m'aimes assez pour renoncer à un plaisir. Je dois savoir qui tu es. Comment veux-tu que je t'aime si tu es une eau informe qui coule selon la pente qu'on lui offre, un poisson sans mémoire ni volonté.

Odette : Toi et tes laïus vous allez finir par me faire rater l'ouverture.

Charles Swann : Je te jure que je ne pense qu'à toi en te demandant cela. Je serais même bien embarrassé si tu restais avec moi car j'ai mille choses à faire ce soir.

Odette : Eh bien fais-les, ce n'est pas moi qui t'en empêcherais.

Charles Swann : Vraiment, tu es bien moins intelligente que je ne le croyais... D'ailleurs j'ai réfléchi, je viens avec toi. Ah oui, ça me fera du bien de voir et d'entendre jusqu'où les gens s'abaissent.

Odette : Mais tu n'es même pas en tenue de soirée. Tu veux seulement afficher notre liaison. Tu me traites comme une fille. Donne-moi ma cape.

 

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Charles Swann : Elle vous ressemble, vous ne trouvez pas ? La saillie des pommettes, la cadence de la nuque, la flexion des paupières. L'air mélancolique.

Odette : Qui est-ce ?

Charles Swann : Zephora, la fille de Jéthro, par Boticelli. Il l'a peinte à la Détrempe au XVème siècle sur des murailles de la Chapelle Sixtine.

Odette : Mais je ne suis pas une pièce de musée, moi.

 

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Odette à Charles Swann : Vous êtes un être si à part. J'aimerais connaître ce que vous aimez. Deviner un peu ce qu'il y a sous ce grand front qui travaille tant.

 

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Charles Swann : J'imagine que vous devez être très prise.

Odette : Moi ? Je n'ai jamais rien à faire. Je suis toujours libre. Et je le serai toujours pour vous. A toute heure du jour ou de la nuit, appelez-moi et je serais trop heureuse d'accourir. Vous le ferez, vous m'appellerez souvent ?

Charles Swann : Je vous demande pardon, mais les amitiés nouvelles m'effrayent un peu.

Odette : Vous avez peur d'une affection ? Comme c'est étrange. Je ne cherche que ça. Je donnerais ma vie pour en trouver une.

 

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Charles Swann à Odette : Tu as mis du sérieux dans ma vie. Et de la délicatesse dans mon cœur. Grâce à toi je vois le monde entier baigné dans une lumière mystérieuse. Si tu savais la sécheresse de ma vie avant toi.

 

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Au dernier moment, Odette décide de rentrer en calèche avec les Verdurin et Forcheville, et non pas avec Charles Swann.

Le cocher : Qu'est-ce qui se passe monsieur, il vous est arrivé un malheur ?

Charles Swann : Non, Rémi. Je vais marcher un peu, suivez-moi.

Charles Swann à lui-même : Vulgaire ! Pauvre petite ! Aaaah ! Surtout tellement bête !! Cette maquerelle ! L'entremetteuse ! La mère Verdurin. Ah c'est vraiment le plus bas dans l'échelle humaine. Ca croit aimer l'art. Quelle idiote. Cette plaisanterie fétide. Moi qui ai voulu tirer Odette de là. Ah c'est vraiment les bas-fonds de la société, le dernier cercle de Dante ! Ah et moi, pourquoi je me soumets à cette humiliation ? Au début je la trouvais laide ! Il a fallu que je décide de l'aimer ! Que je décide qu'elle me rappelait un Botticelli. Et maintenant je décide de ne plus l'aimer, je ne peux pas ! Je ne peux pas, je ne peux pas, je ne peux pas. Ce soir, ce soir, j'ai compris, que son amour pour moi, que j'ai d'abord refusé, que ce sentiment qu'elle a eu, pour moi, ne renaîtra plus jamais. Et sans elle je n'existerais plus. Je sens que c'est une maladie, dont je peux mourir. En même temps j'ai peur de guérir ! Parfois je me dis qu'il vaudrait mieux qu'Odette meurt, sans souffrance, dans un accident. Ce serait fini.

 

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Le jeune homme : Je croyais que vous vouliez vraiment regarder ce clair de lune avec moi.

Le baron de Charlus : Monsieur ! La plus grande des sottises est de trouver ridicules les sentiments que l'on n'éprouve pas ! J'aime la nuit et vous la redoutez. Adieu ! Ma sympathie pour vous est bien morte. Rien ne peut la résusciter.

Le jeune homme : Monsieur, je vous jure que je n'ai rien dit pour vous offenser.

Le baron de Charlus : Et qui vous dit que je suis offensé ! Vous ne savez donc pas quel prodigieux personnage je suis ! [...] Adieu monsieur, nous allons nous quitter pour toujours. Il n'est pas indigne de moi de confesser que je le regrette. Je me sens comme le booz de Victor Hugo. Je suis seul, je suis veuf, et sur moi le soir tombe.

 

Le baron se repoudre le nez. 

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Charles Swann :  Il  est grand temps que je me mette à travailler, s'il n'est pas trop tard déjà. Quand je me suis réveillé ce matin, j'étais tout à coup délivré d'Odette. Maintenant, même son image s'éloigne de moi, son teint pâle, ses pommettes saillantes. Elle m'a peut-être aimé plus que je n'ai cru.

Le baron de Charlus : Elle vous a aussi trompé davantage.

Charles Swann : Elle va partir pour l'Egypte avec Forcheville et les Verdurin.

Le baron de Charlus : C'est vous qui payez le voyage ?

Charles Swann : Oui. Dire que j'ai gâché des années de ma vie. Puis j'ai voulu mourir. J'ai eu mon plus grand amour pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre.

Le baron de Charlus : Quand l'épouserez-vous ?

 

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La duchesse de Guermantes : Ah Charles, comme c'est bien de venir saluer sa vieille amie. D'ailleurs en vous Charles, tout est comme il faut, ce que vous portez, ce que vous dites, ce que vous lisez et ce que vous faites.

 

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lundi, 14 mai 2012

Le concert - Tchaikovsky

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Film : Le concert (2009, durée 1h59)

Réalisateur : Radu Mihaileanu

Côté russe : Andreï Filipov le chef d'orchestre devenu homme de ménage (Aleksey Guskov), Sasha le violoncelliste devenu ambulancer (Dmitri Nazarov), Ivan Gavrilov l'organisateur (Valeriy Barinov)

Côté français : Anne-Marie Jacquet la violoniste (Mélanie Laurent), Guylène de la Rivière l'agent de la violoniste (Miou-Miou), Olivier Duplessis le directeur du Châtelet (François Berléand), Jean-Paul Carrère employé du Châtelet (Lionel Abelanski) 

 

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Sacha : On ne sort jamais indemne deux fois d'une dictature communiste. Vas-y molo.

Andreï Filipov : Sacha, je te considère comme un excellent violoncelliste. Alors, est-ce que tu veux rejouer, ou conduire une ambulance toute ta vie ? Ivan Gavrilov nous doit un concert, on finira ce concert.

 

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Ivan Gavrilov : Et pourquoi moi ?

Andreï Filipov : Ah-ah tu le sais ! Tu connais parfaitement l'art de la négociation, tu as l'expérience, tu as toujours été le meilleur et c'est grâce à toi si les concerts du fameux Bolchoï ont fait date.

Ivan Gavrilov : Paris... J'organiserai ce concert, c'est d'accord.

Sacha : Répète un peu. Où est l'arnaque ?

Andreï Filipov : Allez, on t'écoute, vas-y dis la vérité. Ca va nous coûter combien ?

Ivan Gavrilov : Rien du tout.

Sacha : Il va nous baiser.

Andreï Filipov : Rien du tout, Ivan ?

Ivan Gavrilov : Pas un sou.

Andreï Filipov : Ah, c'est gentil. Si tu veux avoir une carte de vétéran de guerre, je te l'offrirai, en plus tu peux obtenir la gratuité dans le métro, dans les autobus et dans le chemin de fer.

Ivan Gavrilov : J'men fiche, je l'ai déjà. Je vous l'ai dit : je suis d'accord. Ce qui est dit est dit. Vous avez ma parole.

 

Andréï Filipov et Sacha sortent. (On apprendra plus tard au cours du film qu'Ivan Gavrilov avait d'autres motivations pour se rendre à Paris...).

 

Sacha : Tu as vu son regard ? Il a même souri ! Ce mec est un vicelard ! Tu devrais pas lui faire confiance ! Andréï, apporte le fax s'il te plaît.

Andréï Filipov : Je n'ai vu que du désir dans son regard. Il le veut ce concert.

 

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Jean-Paul Carrère : Monsieur Duplessis, je vous en supplie, remboursez-moi. Ma carte de crédit est bloquée, je dois déposer un chèque à ma banque cet après-midi avant 16 heures.

Olivier Duplessis : Calmez-vous Carrère, chaque chose en son temps.

Jean-Paul Carrère : Mais il est temps ! J'les ai sauvés hier ! Ils ont investi un restaurant russe hier, par le Trou Normand ! Et j'ai dû payer toute la note alors qu'ils avaient leur défrayement ! A 6 heures du matin, 1536 euros rien qu'en alcool, ils ont rien mangé ! J'ai fait un chèque en bois !

Olivier Duplessis : Si vous les avez sauvés comme vous le dites, où sont-ils ? Vous entendez de la musique, vous ? Un Tchaikosvy inédit ? Du silence pour violon et orchestre ?

Jean-Paul Carrère : Il y a un malentendu ou peut-être un problème de traduction ?

Olivier Duplessis : C'est un orchestre ou un quatuor ? Où est votre orchestre monsieur Filipov ? Où est-il ?

Ivan Gavrilov : Je suis ravissant de vous rencontrer ! Ne vous perturbez pas, ils seront tous ici très immédiatement. Ils ne sont pas français, monsieur, ni allemands, loin de là. En tant que russes, c'est une affaire de politesse que de parvenir un peu en retard, essayez de comprendre, faire preuve de la courtoisie.

Olivier Duplessis : Ivan Gavrilov ?

Ivan Gavrilov : Oui.

Olivier Duplessis : Vous êtes en retard ! et TOUT votre spasiba Bolchoï aussi !

 

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Andreï Filipov : Ce concert... il... c'est comme, n'est-ce pas, confession, un cri. Dans chaque note de musique, il y a la vie, Anne-Marie. Notes, toutes, recherchent harmonie, recherchent bonheur.

 

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Anne-Marie Jacquet : Je cherche le regard de mes parents depuis que je suis toute petite. Dans la rue, partout. Quand je joue, ce que j'aimerais atteindre, c'est leur regard, une seconde, rien qu'une seconde.

 

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Andreï Filipov : Bolchoï Théâtre... Pleine salle... Monde beaucoup... Journalistes monde entier, managers, collègues... Concerto... commence... miracle... arrive... rires... sublime... violon magique lever moi et orchestre... vers ciel... beaucoup... haut... nous voler... nous public ensemble voler vers ultime harmonie. Mais concerto arrêté au milieu. Nous sommes pas arrivés à harmonie ultime. Brejnev arrêter concerto au milieu pour humilier nous face à public. Brejnev couper nos ailes. Nous beaucoup tomber. Après tous juifs jetés dehors.

 

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http://www.youtube.com/watch?v=_UEs0aubxoY