jeudi, 23 avril 2015
La vie d'un honnête homme - Guitry, PEPA
Guitry proclamait volontiers qu'il fût "un homme heureux"... Or, on oublie souvent que le bonheur ne rend pas forcément gai. Et, s'il encourage parfois à la bonté, ce n'est pas pour autant qu'il doive immanquablement pousser à l'indulgence.
Je pense que peu de gens - et même, d'amateurs ou admirateurs du talent de Sacha - connaissent ce film... fort peu fréquenté, et encore plus rarement rediffusé, contrairement aux plus célèbres... qui finissent, avouons-le - même, si on y prend un indiscutable plaisir - par "tourner en boucle"... et par nous priver du revers fort intéressant de la personnalité du bonhomme.
C'est pourtant un chef-d’œuvre amer et sans espoir, - d'une drôlerie grinçante, et dont le parfait immoralisme recèle une cruauté lucide, pas éloignée, avant la lettre, de l'absurde de Beckett ou Ionesco... sortie de ce qu'il a de pire et de plus lucide dans Mirbeau, Jules Renard, - et même, chez Tristan Bernard, et plus sûrement encore, pour peu qu'on y aille voir de près, chez les "deux Alfred" : Jarry et Capus... dont Guitry aimait tant à citer le célèbre : "Dans la vie, tout s'arrange toujours ; - même, mal"...
Hâmûr, famille, convenances, mensonges, raison sociale, vertus et apparences... et, jusqu'à la mort elle-même : rien n'en réchappe... et, cette fois, ce n'est pas du tout d'un éclat de rire léger - quoique ravageur -, que sont pulvérisés tour à tour, devant le spectateur, tous ces complaisants miroirs à illusions.
Ici, nous avons affaire au Guitry qui, encore transi par la douche froide qu'il a reçue en 44, note dans ses carnets cette phrase d'Ambrose Bierce : "Dos : partie de l'anatomie de vos amis que vous avez tout loisir d'examiner, lorsque vous vous trouvez dans le malheur, les ennuis ou l'adversité...", et qui place son film sous l'invocation du mot, non moins impitoyable, de Joseph de Maistre : "J'ignore ce qu'est l'existence d'un voyou : je ne l'ai jamais été. Mais, je sais que la vie d'un honnête homme est une chose abominable".
Bref...
Le noir est la couleur qui sied le mieux à l'humour ; - d'aucuns iront même, dont moi, jusqu'à dire que c'est la tenue de soirée, l'élégance en frac du pessimisme absolu.
Pierre-Emmanuel Prouvost d'Agostino
18 février 2015
07:06 Publié dans Ecrits, Films historiques, littéraires, N&B, biopics, Les mots des films | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guitry
samedi, 12 octobre 2013
Etymologie - Poireauter
Source : Direct Matin, jeudi 21 février 2013
*
> Pour davantage : http://fichtre.hautetfort.com/les-mots-francais.html
07:00 Publié dans Les mots français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sacha, guitry, mémoires, tricheur, champignons, empoisonnés, poison
lundi, 18 mars 2013
Considérations sur l'argent - Sacha Guitry, Van Reymerswaele
Le banquier et sa femme, Marinus Van Reymerswaele
Extrait de Mémoires d'un tricheur, Sacha Guitry, 1935
[...]
C'est à Caen qu'il m'a été donné de voir pour la première fois ce qu'on appelle "des gens riches". Très bonne impression, immédiate. Mieux que bonne d'ailleurs, avouons-le : déterminante.
En être un jour, de ces gens-là !
Ca a tout de suite été mon rêve.
Il s'est réalisé plus tard.
Venus de Londres ou de Paris, se rendant à Dinard, allant à Saint-Malo, deux par deux, trois par trois, quelque fois plus nombreux, je les voyais, heureux de vivre et vivant bien. Toujours en quête d'un plaisir ou d'une joie, capables de faire un détour de trente kilomètres pour manger une ratatouille notoire ou bien une omelette fameuse, ils ont une indépendance d'allure, une aisance - et cette autorité joviale que donne l'appétit, et qui ranime à leur approche les volontés déficientes et les courages anémiés.
Je sais bien qu'on dit d'eux qu'ils éclaboussent le pauvre monde de leur luxe - mais je ne suis pas de cet avis, et je voudrais m'expliquer sur ce point.
Il est des gens qu'on nomme "riches" - à l'aveuglette - cette affirmation n'étant d'ordinaire fondée que sur les apparences. Et le mot "riche", dans ce cas, ne fait allusion qu'à l'argent qu'ils dépensent - et dont autrui profite, en somme.
Il en est d'autres dont on dit qu'ils sont riches. Ce qui revient alors à dire que ce sont bien eux qui sont riches et que tout l'argent qu'ils possèdent n'est que pour eux, que pour eux seuls, à tout jamais - tandis que l'argent des premiers est de passage entre leurs doigts.
La différence essentielle entre ceux-ci et ceux qui, comme les Morlot, par exemple, se sont mis de côté, prudemment, sous par sou, de quoi vivre plus tard; de quoi pouvoir manger pendant toute leur vie. Je ne blâme pas leur prévoyance, mais je constate simplement qu'en vue d'une période dont la durée est incertaine, aléatoire, ils se seront privés de tout pendant trente ans !
Ils ne se seront pas privés de tout, d'ailleurs, non, je me trompe et je les flatte, puisqu'ils ne se sont jamais privés de leur argent. Et si leur cœur est partagé, la vanité, seule, et l'envie se le partagent. Ils n'auront dépensé quelque argent superflu que pour les satisfaire.
Et dire qu'ils se croient riches !
La richesse, ce n'est pas ça.
Etre riche, encore une fois, ce n'est pas avoir de l'argent - c'est en dépenser.
L'argent n'a de valeur que quand il sort de votre poche. Il n'en a pas quand il y rentre. A quoi peut-îl servir quand vous l'avez sur vous ! Pour qu'une pièce de cinq francs vaille cent sous, il faut la dépenser, sinon sa valeur est fictive.
L'argent-métal, c'est magnifique. Une soupière d'argent, ça vaut de l'or ! Mais qu'est-ce que vaut une pièce d'or ? Un peu d'argent. Quand un homme riche apprend que telle affaire qu'il vient de conclure lui rapportera deux cent mille francs, il n'en est digne, à mon avis, que si cette somme prend instantanément pour lui, selon ses goûts, la forme d'un bijou pour la femme qu'il aime, d'un tableau qu'il désire ou d'une automobile.
Et je dois dire en outre que s'il n'y avait pas des gens trop riches, il y aurait, à mon sens, bien plus de pauvres sur la terre.
Et, si j'étais le gouvernement, comme dit ma concierge, c'est sur les signes extérieurs de feinte pauvreté, que je taxerais impitoyablement les personnes qui ne dépensent pas leurs revenus.
Je sais des gens qui possèdent sept ou huit cent mille livres de rentes et qui n'en dépensent pas le quart. Je les considère d'abord comme des imbéciles et un peu comme des malhonnêtes gens aussi. Le chèque sans provision est une opération bancaire prévue au Code d'Instruction criminelle, et c'est justice qu'il soit sévèrement puni. Je serais volontiers partisan d'une identique sévérité à l'égard des provisions sans chèques. L'homme qui thésaurise brise la cadence de la vie en interrompant la circulation monétaire. Il n'en a pas le droit.
[...]
En vérité, je les griffonne [ces lignes], et sans effort, et sans façon, à la terrasse ensoleillée d'un modeste bistrot qui fait le coin de la rue des Vignes et de la rue Boulainvilliers - et qui se trouve exactement en face d'un ravissant petit hôtel particulier que j'avais fait construire en 1923, et qu'un huit de carreau m'a fait perdre en 29.
[...]
Se procurer l'ouvrage :
Mémoires d'un tricheur
Sacha Guitry
1935
Ed. Gallimard, folio
157 pages
http://www.amazon.fr/M%C3%A9moires-dun-tricheur-Sacha-Guitry/dp/2070364348
07:13 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Littérature, Peinture, Réflexions, philosophie, Thèse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sacha, guitry, mémoires, tricheur, argent, van, reymerswaele, marinus, banquier, femme
dimanche, 02 septembre 2012
Parisienne 37 au Cret de Rochefort - Guitry
Extrait de Mémoires d'un tricheur, Sacha Guitry, 1935
[...]
Paris !
Grande impression, dois-je dire - mais pas très bonne impression, je dois le dire. Non. Trop de monde. Ou, plus exactement, trop de mondes, au pluriel. Trop de riches et trop de pauvres, trop de filles sur les trottoirs, trop de gens qui travaillent et trop de gens qui chôment. Trop de grandeur et de misère. Trop de pluie quand il pleut, trop de chaleur quand il fait chaud, et, quand vient l'hiver, trop de froid.
C'était en vérité, trop grand, trop beau pour moi, Paris. Il m'a fallu bien des semaines, bien des mois pour en comprendre la splendeur - et, pour en goûter tout le charme, il m'a fallu bien des années.
En vérité, je crois qu'il faut en être, de Paris, pour se vanter de le connaître. [...]
Si l'on me demandait aujourd'hui brusquement ce que c'est que Paris, je répondrais tout de suite : "C'est la capitale de la France et c'est la plus belle ville du monde."
Puis, je réfléchirais - et j'ajouterais : "C'est autre chose également. Et c'est autre chose en plus."
Et j'essaierais de l'expliquer. Je dirais : "Toutes les villes ont un cœur, et ce qu'on appelle le cœur d'une ville, c'est l'endroit où son sang afflue, où sa vie se manifeste intensément, où sa fièvre se déclare, sorte de carrefour où toutes ses artères paraissent aboutir. Mais le cœur de Paris a ceci de particulier, c'est que chacun le place où il l'entend. Chacun a son Paris dans Paris. Le mien commence à l'Arc de Triomphe et se termine place de la République [...]. Ce que les Parisiens appellent entre eux Paris n'en est, en vérité, que la vingtième partie - et le nombre des Parisiens n'excède pas trois mille personnes. [...] Etre Parisien, ce n'est ni une fonction, ni un état, ni un métier - et cependant c'est tout cela. C'est unique et c'est inestimable - et ce n'est d'ailleurs pas à vendre. On en est, ou on n'en est pas. Et ceux qui n'en sont pas se demandent chaque matin ce qu'ils pourraient bien faire pour en être - et ceux-là n'en seront jamais ! Car, être de Paris, ce n'est ni une question de volonté, ni une question de fortune. Ce n'est même pas une question de valeur. C'est un indéfinissable mélange d'esprit, de goût, de snobisme, de jobardise, de bravoure et d'amoralité. On ne doit pas savoir au juste pourquoi on en est - et l'on doit seulement savoir pourquoi les autres n'en sont pas. Un Espagnol ne peut pas être Londonien, un Anglais ne peut pas être Berlinois : un Albanais peut être Parisien. Car pour en être, il ne s'agit pas d'être né à Paris - ni même en France. Il faut autre chose. Il faut être adopté par tous, sans que personne en ait parlé. Il y a dans ces élections quelque chose d'assez mystérieux, une sorte d'entente secrète. On est naturalisé Parisien, tout d'un coup, un beau soir. Oui, tous ces gens qui se haïssent, qui ne se quittent pas de l'année, qui échangent leurs femmes, leurs maîtresses et leurs amis, qui se regardent vieillir mais ne se voient pas changer, qui composent un véritable monde - je veux dire une véritable planète - avec ses moeurs, ses récréations, ses honneurs, son honneur et ses manies, oui, tous ces gens savent tomber d'accord, en un instant, quand il le faut."
S'il me fallait donner quelques conseils à un homme nouvellement élu Parisien, je lui dirais ceci : "Tu es élu ? Parfait. Maintenant, attention - pas de gaffes ! Le jour où tu as été élu, quel chapeau avais-tu ? Celui-là ? Bien. Mets-le. Il est vieux, dis-tu ? Ca ne fait rien. Mets-le. Tu avais cette cravate ridicule ? Tant pis, garde-la. Il ne faut plus jamais que tu en changes. Ceci est presque plus important que tout. Fais-toi refaire ce chapeau, fais-toi refaire cette cravate, prends modèle sur toi-même - et prends modèle aussi sur ceux qui en sont depuis trente ans. Que ta silhouette soit toujours la même, car il faut qu'on puisse te reconnaître de loin. Ta tête se fera petit à petit - c'est l'affaire d'un an ou deux. Quand elle sera faite, on la fera. C'est-à-dire qu'on fera sa caricature. Il faudra t'y conformer. C'est essentiel. Si l'on te fait un peu voûté, reste voûté. Ne grossis pas. Ne maigris pas. N'embête surtout pas les dessinateurs ! Ils ne te feraient plus. Mais la mode, dis-tu ? Là, je te mets tout de suite en garde. Lance-la si tu peux, mais ne la suis jamais. Tu ne dois pas être à la mode. Le vrai Parisien, c'est celui qui est en retard de quinze ans sur elle - ou en avance de quinze jours. Tu aurais l'air d'un provincial si tu suivais la mode. Voilà pour la façade. Le reste est moins facile. Au sujet de ta vie privée, on doit savoir de toi des choses assurément. Mais il n'est pas mauvais qu'elles soient imprécises. Il faut qu'on te croie marié si tu ne l'es pas - et divorcé si tu es marié. On ne doit connaître le nom de tes maîtresses que lorsque tu t'en es séparé. Il faut que tu aies l'air de cacher quelque chose, afin qu'une légende se crée autour de toi. Ainsi, sur ta fortune, il est bon que les avis soient partagés - et si tu peux laisser supposer que Napoléon III a été l'amant de ta grand-mère, ce sera excellent. Aux allusions qui t'y seront faites, tu souriras. D'ailleurs, en principe, n'avoue jamais rien - et tout ce qu'on dira de toi finira par être vrai - et tu finiras par le croire toi-même. Dans la conversation, sois optimiste, indulgent, paradoxal et cruel. Si tu as de l'esprit, sois féroce, impitoyable. Un "mot", c'est sacré. Tu dois le faire contre ta sœur, contre ta femme, s'il le faut - pourvu que le mot soit drôle. On n'a pas le droit de garder pour soi un mot drôle. Il y a des mots mortels. Tant pis ! Les mots qui sont mortels font vivre du moins ceux qui les font. Etre de Paris, cela nourrit son homme - et tu en vivras. Je peux même t'assurer que tu en mourras, ton chapeau sur la tête et ta cravate au cou."
[...]
Se procurer l'ouvrage :
Mémoires d'un tricheur
Sacha Guitry
1935
Ed. Gallimard, folio
157 pages
http://www.amazon.fr/M%C3%A9moires-dun-tricheur-Sacha-Guitry/dp/2070364348
11:00 Publié dans Ecrits, Littérature, Trivialités parisiennes, Votre dévouée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sacha, guitry, mémoires, tricheur, paris, parisiens
mardi, 03 juillet 2012
Le destin fabuleux de Désirée Clary - Guitry 2/2
Le film est d'un tenant mais la transcription de pareil chef d'oeuvre demande la place de deux parties... 2/2
Film : Le destin fabuleux de Désirée Clary (1941, durée 1h50)
Réalisateur : Sacha Guitry
Napoléon : J'ai prié votre altesse royale de bien vouloir se déranger pour répondre à la question suivante : que faites-vous encore à Paris, madame, alors que Bernadotte est en Suède depuis six mois ?
Désirée : Mais rien, Sire. Je continue d'y vivre comme par le passé, n'ayant pas l'intention de me rendre à Stockholm.
Napoléon : Allons donc, ne sentez-vous pas l'inconvenance d'une pareille attitude ?
Désirée : Pourquoi considérer que c'est une attitude ? C'est une préférence. J'aime Paris, j'adore y vivre. Est-ce que votre majesté voit des inconvénients ?
Napoléon : Nnnnon. Mais peut-être trouverais-je des avantages si vous étiez là-bas.
Désirée : Est-ce une mise en demeure ?
Napoléon : Voudriez-vous que ce fut une prière ? Comprenez-moi bien, j'ai été séduit par la glorieuse vision d'un maréchal de France devenant roi et une femme à laquelle je m'intéresse devenant reine, et d'un filleul devenant prince. Laissez-moi le soin de régler votre départ. D'ici là je vous invite au dîner de famille que je donne tous les dimanches aux Tuileries. Et puis, qui sait, j'ai peut-être besoin que vous soyez là-bas ? Oui, et si j'avais besoin de vous ?
Désirée : Besoin de moi ?
Napoléon : Pourquoi donc pas ? Donnez-moi votre main.
Désirée : C'est la seconde fois que vous me la demandez.
Napoléon : Oui, mais la première fois, ce n'était que pour un mariage.
Désirée : Et cette fois-ci ?
Napoléon : C'est pour une alliance. Désirée...
Désirée : Sire...
Napoléon : Qu'est-ce que vous aimez le plus au monde ? Répondez-moi : la France.
Désirée : La France.
Napoléon : Bien, écoutez-moi.
Un mois plus tard, le 27 janvier 1811, Désirée faisait son entrée au palais royal de Stockholm. Accueillie par Bernadote, entourée aussitôt de mille prévenances, on lui laisse pas le temps de se changer un peu, ni de se recoiffer, car le vieux roi Charles XIII l'attend depuis trois heures, impatient de connaître enfin sa fille adoptive. Il ne faut même pas qu'elle retire son manteau, ni son chapeau s'ailleurs, car le roi veut la voir à son arrivée telle qu'elle sera venue de France. Il s'en fait une joie.
Désirée : Il parle le français ?
Bernadotte : Il n'en sait pas une syllabe.
Désirée : Vous comprenez vous le suédois ?
Bernadotte : Je n'en connais pas un seul mot.
Désirée : Alors comment vous y prenez-vous ?
Bernadotte : Il me parle en suédois, je réponds en français.
Désirée : Tiens.
Bernadotte : Attendez-vous à un accueil très paternel.
Le roi de Suède : *ù%§¤£µé"'_çè('-($$£^^$**§§ù
L'interprète : Sa majesté demande à votre altesse son impression sur ce palais qui deviendra le vôtre un jour.
Désirée : Je le trouve bien beau, bien magnifique pour la fille d'un négociant de Marseille.
L'interprête : Bravo.
Bernadotte : Pourquoi as-tu quitté Paris ?
Désirée : J'ai...
Bernadotte : Oui, puisqu'il était convenu entre nous que tu resterais là-bas une année entière avant de me rejoindre. Pourquoi as-tu quitté Paris sans ma permission ?
Désirée : Mais parce que l'empereur m'en a pour ainsi dire donné l'ordre.
Bernadotte : Allons donc, et sans raison définie ?
Désirée : Ma présence à Paris semblait inconvenante, paraît-il, à beaucoup de personnes.
Bernadotte : Mmm-hmmm... C'est-à-dire qu'elle l'inquiétait lui probablement. Il se méfie de toi. Combien de fois l'as-tu vu depuis mon départ?
Désirée : Trois fois. Tu as eu mes lettres ?
Bernadotte : Combien m'en as-tu envoyées ?
Désirée : Quatre.
[...]
Désirée : Tu te méfies de moi, toi aussi ?
Bernadotte : Non. Non, mon enfant, non. Mais cela n'a pas d'intérêt pour toi. Ma petite Désirée, je vais te parler bien franchement.
Désirée : Je t'en prie.
Bernadotte : Comme tu ne m'es pas du tout nécessaire ici, et comme tu peux m'être extrêmement utile là-bas, tu vas me faire le plaisir de t'en retourner dans une quinzaine de jours.
Désirée : A Paris ?
Bernadotte : Oui.
Désirée : Entendu.
Bernadotte : Rentre sans prévenir personne. Montre-toi le moins possible. Ne fréquente que des personnes dont tu sois absolument sure. Tâche enfin qu'il ignore ton retour le plus longtemps possible. Tu seras partie d'ici pour raisons de santé.
Désirée : Bien, Parfait.
Bernadotte : As-tu reçu chez toi Talleyrand et Fouché ?
Désirée : Pas encore.
Bernadotte : Oh, je t'avais pourtant bien recommandé de le faire dans ma dernière lettre ! Je t'en conjure, ne sois pas négligeante, chérie. Enfin, voyons, tu ne peux pas rester une enfant toute ta vie ! Il faut que je puisse compter sur toi. Je ne te demande pas de mal agir, je te demande de m'aider. Efforce-toi de me comprendre à demi-mot : pour le bien de la France, il ne faut plus d'empereur. Ce n'est pas un titre français d'abord, il faut à la France un roi, mais la race des Bourbons est une race usée. Et je te supplie de ne pas perdre de vue mon unique ambition, le seul rêve de ma vie ici-bas, la raison enfin pour laquelle j'ai fait ce grand détour par la Suède.
Quelques semaines plus tard, Désirée est de retour à Paris. Et la voilà bientôt prise dans l'engrenage. Elle reçoit chez elle Talleyrand et Fouché, et suit les directives que son mari lui donne. Elle parle, elle écoute, elle se croit prudente et cherche à deviner les mobiles secrets de ceux qui la renseignent. Hélàs, elle est comme un jouet entre les mains de ces deux hommes pervers, prestigieux, subtiles. Elle a voulu jusqu'alors se venger de l'empereur et lui faire du mal un peu comme une enfant rageuse, mais sans y parvenir réellement en somme. Et voilà qu'aujourd'hui par la force des choses, elle devient responsable un peu des malheurs [...], les erreurs même qu'elle commet volontairement, tout se retourne contre celui qu'elle n'a jamais cessé d'aimer et qui depuis quinze ans n'a eu que des bontés pour elles.
Se rendant compte un soir du crime qu'elle commet, elle fausse compagnie à ses invités. Elle sera de retour avant une heure. Elle part.
Et tente chez l'empereur, au milieu de la nuit, pour le mettre au courant, de cette nouvelle conspiration qui se trame contre lui, et à laquelle elle est mêlée, elle l'avoue. Mais, ne pourrait-elle pas peut-être le sauver, sait-on jamais ? L'empereur est au courant de déjà bien des choses, il se sait entouré d'espions, de scélérats, de traîtres, et rien ne l'étonne plus. Pourtant, s'il veut bien faire une expérience encore, il ne lui demande pas de trahir son mari, mais qu'elle tâche donc de savoir par Talleyrand s'il est exact que l'Angleterre assure à Bernadote un million de livres sterling par an s'il prend les armes contre la France. Elle le pense. Lui, l'empereur, il en est sûr, mais il voudrait savoir si Talleyrand le sait. Elle le lui dira demain. Talleyrand ignore-t-il qu'elle est venue le voir ?
Désirée : Oui.
Or Talleyrand ne l'ignorait pas car il l'avait fait suivre.
Talleyrand : Ne jouez pas un double jeu, madame, prenez garde. L'empire est condamné, et votre altesse le comprend bien. La France court à grands pas vers une monarchie constitutionnelle. Or, quel homme montera sur le trône de France, si ce n'est celui qui l'aura délivrée du fléau qui la tue ? Et cet homme-là, vous ne voulez donc pas que ce soit Bernadotte ? Le mensonge, la délation, le crime lui-même, tout est permis quand l'intérêt de la nation se trouve en cause. Et pour ma modeste part, je n'ai jamais trahi que lorsque j'avais la moitié de la France pour complice.
Elle ne sait plus que faire. Les uns lui demandent de trahir l'empereur, l'empereur lui demande de trahir les autres, et celui-ci, comme les autres, lui dit que c'est pour sauver la France. Perdant la tête, elle trahit les uns, comme elle trahit l'autre.
Et voici que les événements vont se précipiter, tragiques, impitoyables. Tout d'abord, c'est le traité d'Alliance de la Suède avec la Russie, puis c'est la déclaration de guerre à la Russie trois mois plus tard. C'est l'entreprise téméraire, extravagante, c'est la retraite de Moscou en octobre 1812, c'est aussitôt l'alliance de l'Angleterre avec la Russie et la Suède ; de la Russie et de la Prusse avec l'Autriche, avec la Suède et l'Angleterre. C'est l'Europe entière en armes contre lui. C'est la lutte héroïque et vaine, c'est la défaite, le désastre. Enfin c'est Waterloo plus tard, c'est la France envahie, c'est Paris occupée.
Et c'est alors l'abdication définitive de l'empereur, trahi de tous côtés, abandonné, vaincu. C'est enfin son départ. C'est l'offre de sa personne à l'Angleterre qui la repousse. Et c'est l'exile à Sainte-Hélène, et c'est la fin.
Puis, l'ouragan passé, tout se calme, tout s'apaise, l'Europe pousse un immense soupir de soulagement. Le roi Louis XVIII, hypocondre et goutteux, vient reprendre la place sur le trône de ses ancêtres.
Et voilà tout à coup qu'une autre Désirée se révèle inconnue.
Désirée : Non, non, non et non ! J'y laisserai ma vie s'il le faut, ma santé, ma raison, mais je veux racheter ma faute, et par n'importe quel moyen. Je tiendrai, qu'on allège un peu ses souffrances. Quant à quitter Paris, jamais, jamais-jamais !
- Votre réputation pourrait bien en souffrir.
Désirée : Ma réputation ? Ma conscience d'abord.
- Et cependant, madame, en raisonnant un peu...
Désirée : Messieurs mes conseillers, j'ai pour vous la plus vive estime, mais je ne veux rien entendre.
- Pourtant, si votre majesté daignait...
Désirée : Je ne suis pas une majesté, monsieur. Je suis une pauvre petite bourgeoise de Marseille qui a commis un crime et qui veut l'effacer.
- Mais quel crime avez-vous donc commis, madame ? Vous vous accusez bien à tort. L'empereur a son destin. On ne pouvait lui faire en vérité ni bien ni mal.
- Et vous n'êtes dans son malheur, madame.
Désirée : Non, j'y suis pour rien, c'est vrai, mais je l'ai souhaité.
¤ ¤ ¤
Et de 1815 à 1840, pendant vingt-cinq années, la fiancée de l'empereur n'a eu que cette idée en tête. Or le roi Louis XVIII, de retour à Paris pour la deuxième fois, assitôt après les cent jours, a pris possession du bureau de l'empereur. Il en admire l'architecture, mais il est des détails qui lui sont bien désagréables, odieux même, il ne veut pas se parer des plumes du paon. Mais, quelqu'un se présente. Accueillie par le roi, Désirée le supplie d'intervenir en faveur de celui qu'on tenait enchaîné là-bas.
Elle frappe à toutes les portes. A tous les cœurs, au cœur des femmes qui sollicitent ses confidences avec un intérêt qui n'est pas toujours exsang d'une certaine indiscrétion. Même on la vit un jour chez l'ambassadeur infléxible d'Angleterre. Devenue reine de Suède, elle continua de vivre à Paris incompréhensiblement, sous le nom de la comtesse de Gotland. Indifférente à l'opinion qu'on avait d'elle, elle se compromettait crânement, mais poursuivait son but. Elle revit Fouché. Eu l'honneur et la joie de connaître un soir Chateaubriand...
... Mais elle lassa le monde. Finit par ennuyer le duc de Richelieu qui lui rendit ses lettres. Et eut enfin les yeux ouverts un soir par Talleyrand.
Talleyrand : Mais non, madame. Votre majesté s'obstine en vain. Si voulez plaider sa cause utilement un jour, attendez au moins qu'il soit mort.
Désirée : Ah.
Hélas, il disait vrai. L'empereur entra dans la légende et devint immortel le 5 mai 1821 à six heures du soir. Dès lors, le monde libéré chanta sa gloire, exhalta son génie, et Désirée devint un peu le point de mire.
Une femme : Vous qui l'avez connu, vous l'aimez aimé. Dites-nous, je vous prie ?
L'ambassadeur d'Angleterre : En vérité, c'était un homme fabuleux, l'un des plus grands soldats que le monde ait connu.
Un homme : Croyez-le bien, messieurs, l'ombre de Napoléon s'élèvera seule, à l'extrêmté du vieux monde détruit.
Elle revit Marmont, Davout et rencontra le docteur Antomarchi qui avait assisté l'empereur à ses derniers moments. Il revenait de Sainte-Hélène et c'est par lui qu'elle connut la terrible phrase dictée par l'empereur.
Le docteur Antomarchi : "Vous direz que je suis mort dans l'état le plus déplorable, manquant de tout, abandonné à moi-même et à ma gloire. Vous direz qu'en expirant, je lègue à toutes les familles régnantes l'horreur de mes derniers moments."
C'est en entendant ces mots affreux que Désirée prit la décision de quitter la France et de rejoindre le roi de Suède, son mari.
Désirée : Je ne te savais pas souffrant.
Bernadotte : Oh cela n'a pas été très grave. Et ça va beaucoup mieux déjà. Je t'attendais d'ailleurs.
Désirée : Tu m'attendais ?
Bernadotte : Oh oui, j'étais sûr que tu allais venir maintenant. Comment te portes-tu toi-même ?
Désirée : Oh, moi, je vais très bien.
Bernadotte : Tu sais ce qui m'est arrivé le jour de sa mort ? Eh bien, le 5 mai, à six heures moins dix exactement, du soir, j'ai ressenti au coeur une douleur très vive. S'il n'y avait pas eu des témoins, je ne mentionnerais pas le fait. Mais il est évident que j'ai eu le pressentiment de sa mort. Combien tu as dû souffrir toi-même.
Désirée : Combien je souffre encore.
Bernadotte : Oh, je le pense bien. Tu sais ce qu'il a dit de moi ? [...] Des choses horribles et très injustes ! Ce qu'il a dit de moi d'ailleurs, il a dû le regretter, car le docteur O'Mehara a bien voulu me transmettre la phrase la plus importante que l'empereur ait dite à mon sujet. Je l'ai copiée, tu penses bien. Attends, attends. Tu vas connaître aussi, oh trois lignes abominables, qu'il a dictées au docteur Antomarchi.
Désirée : Oh je les connais. "Je lègue à toutes les familles régnantes l'horreur de mes derniers moments".
Bernadotte : Oui-oui-oui-oui, ah tais-toi, je ne dors plus depuis qu'on me les a rapportées, ces lignes. Mais tiens, tiens, voici, la phrase du docteur O'Mehara qui, elle, efface tout. "Je peux accuser Bernadotte d'ingratitude, mais non de trahison." Oh, cela, il ne faudra jamais l'oublier, n'est-ce pas ?
Désirée : Jamais.
Vingt ans plus tard, devenus reine et roi de Suède à la mort du roi Charles XIII, ils gagnèrent l'estime et l'amitié de leurs sujets. Mais combien leur mémoire était restée fidèle.
La servante : Bien, votre majesté.
Désirée : Appelez-moi "madame" quand nous sommes seules.
La servante : Bien, votre majesté.
Bernadotte : Nous nous sommes détestés, tous les deux mais je ne l'ai pas trahi. J'ai agi en Suédois mais je n'ai jamais cessé de penser en Français. Ca a toujours été ma hantise du reste. Et c'est pour cela sans doute que je n'ai jamais pu apprendre le suédois.
[...]
Bernadotte : D'ailleurs, nous ne nous sommes pas réellement détestés, lui et moi.
Désirée : Mais non, j'en suis certaine.
Bernadotte : Et, vingt fois, nous avons failli nous jeter dans les bras l'un de l'autre.
Désirée : Oui mais voilà, il y avait quelque chose entre vous.
Bernadotte : Non, il y avait quelqu'un entre nous. Et si tu étais moins modeste, tu aurais deviné que c'était toi.
Désirée : Qu'est-ce que tu veux dire ?
Bernadotte : Tu as toujours cru que je l'enviais, lui, sans jamais te demander si je n'étais pas jaloux de toi.
Désirée : Tu as été jaloux de moi ?
Bernadotte : Je n'ai jamais cessé de l'être.
Désirée : Oh...
Bernadotte : As-tu cessé, toi, de l'aimer ?
Désirée : Mais... pourquoi ne m'as-tu jamais fait d'observations à cet égard ?
Bernadotte : Pour te le faire aimer d'avantage ? Merci.
Désirée : Mais lui ne m'aimait plus.
Bernadotte : Mmmh, non. Mais on n'est jamais satisfait de voir au bras d'un autre celle qu'on a aimé.
Désirée : Ah... Je pensais bien qu'un jour tout retomberait sur moi.
Bernadotte : Pardon, pardon, mais je suis... si malheureux.
Désirée : Je le vois bien.
Bernadotte : Pense, j'étais maréchal de France, et je suis roi de Suède.
Et nous savons d'ailleurs qu'à son heure dernière, mais... n'anticipons pas.
Bernadotte : Qu'est-ce que c'est que ce pli ?
Désirée : Je ne sais pas. Tu dormais, on l'a déposé.
Bernadotte : C'est la copie du testament de l'empereur que le roi Louis-Philippe me fait parvenir. Mon Dieu, il y a donc encore un Français qui s'intéresse à moi. "Je meurs dans la religion apostolique et romaine, dans le sein de laquelle je suis né, il y a cinquante ans."
Désirée : "Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j'ai tant aimé".
Désirée : Tu ne dors pas ?
Bernadotte : Oh non, du tout.
Désirée : Tu me demandais récemment ce que nous pourrions faire pour lui.
Bernadotte : Oui.
Désirée : Je pense à ce désir qu'il exprime si bien, que ses cendres reposent sur les bords de la Seine.
Bernadotte : Au milieu de ce peuple français que j'ai tant aimé moi-même. Tu as raison. Et je vois deux choses à faire, et tout de suite.
Désirée : Oui, dis.
Ce qu'il a fait, ce qu'elle a fait, jamais on ne le saura sans doute. Et d'autre part, quel a été le sens du voyage mystérieux de la reine de Suède dont la chronique s'est émue ? Et cette visiteuse voilée qui vint se jeter suppliante aux genoux du roi Louis-Philippe, qui était-elle ? Et le jour du retour des cendres de l'empereur, cette même personne voilée, qui se disait en sanglottant "j'y suis un peu pour quelque chose", n'était-elle pas Désirée Clary, la petite fiancée du général Bonaparte, qui naquit à Marseille, et mourut reine de Suède.
09:28 Publié dans Films historiques, littéraires, N&B, biopics, Les mots des films | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : guitry, napoleon, clarisse, destin, fabuleux
lundi, 02 juillet 2012
Le destin fabuleux de Désirée Clary - Guitry 1/2
Le film est d'un tenant mais la transcription de pareil chef d'oeuvre demande la place de deux parties... 1/2
Film : Le destin fabuleux de Désirée Clary (1941, durée 1h50)
Réalisateur : Sacha Guitry
Napoléon : Bernadotte saura que vous êtes venue ?
Désirée : Non.
Napoléon : Qui trahissez-vous de nous deux ?
Désirée : Ce soir, je me le demande.
Napoléon : Faites savoir à Junot qu'il doit cesser de m'écrire sur du gras papier de deuil, c'est contraire au respect que l'on doit à un supérieur et cela me donne des idées sinistres quand je reçois ses lettres.Fournier : Madame, vous êtes l'épouse d'un véritable gentilhomme. Si vous saviez.
Désirée : Oh, mais je sais.
Fournier : Sans doute. Mais ce que vous ignorez, madame, c'est le souvenir que mon pays en a conservé, tant votre altesse est populaire en Suède. Votre fils ?
Bernadotte : Oui.
Fournier : On aime à dire qu'un bienfait n'est jamais perdu. Eh bien, tenez, en voici une preuve éclatante. Prince, vous n'ignorez pas que la Suède se trouve en un état voisin de l'anarchie. D'autre part, vous savez que notre vieux roi, Charles XIII, n'a pas de projéniture. Or, il nous faut un chef, il nous faut un prince royal. Notre pays n'a besoin ni d'un Danois, ni d'un Russe. Ce qu'il désire, c'est un Français, un Français qui adoptera notre religion, qui deviendra suédois, un Français connu pour ses exploits guerriers, pour l'estime où le tient l'auguste empereur des Français, qui appartienne à la famille de l'empereur, étant le beau-frère du roi d'Espagne, enfin qui ait un fils susceptible de lui succéder un jour. Telle est l'mouvant mission que j'avais à remplir auprès de votre altesse.
Bernadotte : Monsieur le comte, votre déclaration m'honore et me touche profondément. Mais elle me prend au dépourvu, je dois le dire. Devant une éventualité aussi considérable, certaines objections me viennent à l'esprit. Cesser d'être français, abjurer ma religion...
Fournier : ... comme l'a fait le roi Henri IV, votre concitoyen.
Bernadotte : Oui, mais... même en admettant la question résolue pour moi, il me resterait encore à poser une condition formelle, que j'hésite à formuler.
Fournier : Parlez, je vous en prie.
Bernadotte : Eh bien...
Napoléon : Je suis ravi d'en être débarrassé. En tout cas, je ne pouvais pas refuser mon consentement, car un maréchal de France sur le trône de Gustav Adolf est l'un des meilleurs tours qu'on puisse jouer à l'Angleterre. J'ai trois valets et deux rois, autant dire cinq valets.
Talma : Sire, on prétend même que si Dieu vous laissait faire, vous lui prendriez sa place.
Napoléon : Eh bien, non, je n'en voudrais pas, car c'est un cul-de-sac. A vous de jouer, Talma. Et d'ailleurs, c'est justice.
Talma : Non, sire, c'est à vous. Monsieur de Talleyrand vient d'abattre le roi.
Napoléon : Je n'en suis point surpris. Eh bien, je joue carreau.
Talleyrand : Mais, sire, puis-je vous faire observer...
Napoléon : ... que ?
Talleyrand : Que vous avez sept cartes en main.
Napoléon : Eh bien ?
Talleyrand : C'est deux de trop.
Napoléon : Nous ne jouons pas d'argent. Alors ?
Talleyrand : Et d'ailleurs, vous avez tous les droits.
Napoléon : Non, prince, je n'ai précisément pas tous les droits, et je ne peux justement pas tout faire. La boutonnière de Talma en est la preuve. Oui, je peux distribuer tous les trônes d'Europe à mes frères, personne n'ose élever la voix, mais si je veux décorer un comédien, cela fait un scandale. Cambronne, c'est à vous de parler.
Cambronne : Mmmmmh.
Napoléon : Vous ne dites rien, Cambronne ?
Cambronne : Mmmmmh.
Napoléon : Et qu'entendez-vous par "Mmmmmh" ?
Cambronne : Rien, sire, je passe.
Napoléon : Bien.
¤ ¤ ¤
Désirée : Le vieux roi de Suède trouve inacceptable la condition posée par Bernadotte.
Julie : Mais quelle est donc cette condition ?
Désirée : Devenir son fils, oui, enfin, prince héritier.
Julie : Oh, je ne savais pas. Oh...
Désirée : Tu penses bien que Bernadotte ne va pas se faire naturaliser suédois, devenir protestant, s'exiler en Suède, sans courir au moins la chance de monter sur le trône un jour.
Julie : Evidemment.
Désirée : D'autre part, ce vieux roi, n'est-ce pas, mettons nous à sa place.
Julie : C'est ce que vous étiez en train de faire justement.
Le valet : Un pli pour madame la maréchale.
Désirée : Donnez, donnez. Mon Dieu, pourquoi j'ai le pressentiment qu'un malheur est arrivé ?
Julie : Veux-tu que je ... ?
Désirée : Non-non-non-non... Oh, mon Dieu !
Julie : L'empereur ?
Désiée : Non, mais mon pressentiment ne m'avait pas trompée.
Julie : Ton mari ?
Désirée : Oui.
Julie : Mort ?
Désirée : Non, roi de Suède.
Julie :Qu'est-ce que tu dis ?
Désirée : C'est fait. Charles XIII consent à l'adopter, tiens, lis toi-même. Oh, mon Dieu, mon Dieu...
Julie : Ma chérie, oh non, ne pleure pas.
Désirée : Je le redoutais depuis trois mois. Voilà, c'est fait, je suis reine de Suède... Je ne sais même pas où est la Suède. Moi qui croyais que c'était un petit pays comme P---. Mais pas du tout, il parait que c'est immense ! C'est là-haut, tout là-haut, là-haut.
Julie : Enfin, inclinons-nous devant la destinée.
Désirée : Eh oui, et nous revoilà de nouveau toutes les deux, l'une consolant l'autre.
Julie : Comme le jour où je suis devenue reine d'Espagne.
Désirée : Oui, c'est vrai. Mais qu'est-ce que nous avons bien pu faire au bon Dieu pour qu'il nous arrive tout cela ? Encore toi, tu le sentais que c'était provisoire.
Julie : Et puis enfin moi, je ne suis pas allée en Espagne.
Désirée : Parce que tu t'imagines que je vais aller en Suède ?
Julie : Tu n'iras pas ?
Désirée : Moi ? Ah, jamais de la vie ! Quitter la France ? Non. M'en aller de Paris ? Non-non-non-non-non. Non, et puis...
Julie : Et puis il y a l'autre.
Désirée : Eh oui.
Désirée : Oui, tu y crois toi ?
Julie : Pas beaucoup. Ca n'a pas l'air sérieux tout cela.
Désirée : C'est peut-être pas sérieux, mais c'est grave.
10:06 Publié dans Films historiques, littéraires, N&B, biopics, Les mots des films, Thèse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : napoleon, bonaparte, roi, empereur, guitry