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jeudi, 13 septembre 2012

Marre des livres avec rien dedans ?

 Avez-vous entrepris de lire vos contemporains et vos contemporaines ? Ces chers auteurs et chères auteures, écrivains et écrivaines, intellectuels et intellectuelles qui peuplent les émissions littéraires, qui se déplacent pour nous montrer leur dernière coupe de cheveux ou le jaune de leurs dents et le marron de leurs yeux cernés, et qui nous ont concocté une rentrée littéraire qui s'annonce encore d'un grand cru.

Avez-vous été jusqu'à prendre un de leurs livres en main dans une librairie ou une bibliothèque... jusqu'à l'emprunter... jusqu'à l'acheter... jusqu'à le conserver au sein de votre bibliothèque à vous à proximité de vos magnifiques livres de littérature, de poésie et d'histoire !? Fichtre alors...

Je m'adresse donc à vous qui aimez lire et encore davantage à ceux et celles qui auraient répondu par la négative.

Voici un roman (pour son contenu) que l'on peut aussi qualifier de nouvelle (pour sa taille effective en nombre de pages) qui s'intitule tout simplement Psychose. Inséré dans un recueil, il est plus petit que beaucoup de livres que vous trouverez en librairie, où l'on a pris l'habitude de nommer "roman" des livres creux de 130 à 160 pages, des machins qui traînent en longueur, se répètent, tournent autour du pot pour ne pas dire du "je" et finissent par ne laisser qu'un souvenir confus si ce n'est désagréable. Psychose est tout différent : un concentré dense, riche, qui ne vous laissera pas indifférents et encore moins déçus, et vous le lirez d'un trait, en trombe furieuse et joyeuse !

Son auteur, Romain Debluë, n'est pas un habitué des plateaux de télévision, ni des émissions radiophoniques, ni même du salon du livre ou des signatures en librairies. C'est sans doute la raison pour laquelle vous n'avez encore jamais entendu ou lu son nom. Mais il a tout le temps de le devenir et c'est bien là tout le mal qu'on lui souhaite.

 

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Carrefour de l'Odéon, vers 1850

 

Venez donc, suivez-nous, à Paris, dans le quartier latin, à la fin du XIXème siècle. Venez, si vous n'avez pas peur. Je dis bien si vous n'avez pas peur, peur  de voir certaines de vos conceptions quelque peu chahutées, car Romain Debluë a décidé de brouiller les cartes d'emblée : dès les premières lignes de son court roman, un peu plus d'une vingtaine de pages, pages écrites à un âge particulièrement vert, dès les premières lignes, il donne la parole au narrateur, qui vous place à un carrefour : le narrateur nage-t-il dans son propre océan de psychose comme il sait qu'on le dit autour de lui ? ou le monde est-il fou et seul le narrateur est sain d'esprit ? Prendrez-vous position pour ou contre lui ? A vous de voir, chers lecteurs et chères lectrices, et vous ne serez pas au bout de vos surprises.

 

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Rue Soufflot, vers 1850

 

Romain Debluë nous décrit avec force et intensité notre Paris d'avant, son quartier latin et la chambre dans laquelle s'est reclus le narrateur qui enseigne à la Sorbonne. Le style qu'il déploie dans ce livre nous offre des tournures de phrases délicieuses, un vocabulaire moiré, le tout enveloppé dans une parfaite élégance. Il pourra vous évoquer Poe, Baudelaire, des gravures de Rops ou les Contes cruels de Villiers-de l'Isle Adam. Et puis vous ne pourrez rester indifférents au destin du personnage principal, au point que votre chambre à vous - si vous avez le malheur de lire de votre chambre - pourrait bien prendre les allures inquiétantes de la sienne...

 

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Rue saint Séverin, vers 1850

 

Noire est l'encre de Romain Debluë lorsqu'il écrit ce roman-nouvelle en 2009.

Dense est l'encre qui sort de son encrier pour venir se poser sur le papier en caractères forts et ornés de vocabulaire précieux, autant de gemmes qu'il incruste avec virtuosité dans le noir originel de l'encre.  

J'aimerais tant vous en dire plus, il y a tant à dire, à décrire, à discuter... mais j'ôterais à votre plaisir de découvrir et de vous laisser surprendre en lisant. 

 

 

psychose,romain,debluëSe procurer l'ouvrage :

"Psychose" in Sur le fil

Romain Debluë

2009

Ed. Mille Plumes

144 pages

> Chez l'éditeur : http://www.milleplumes.info/nouvelle.html

> Chez Chapitre : http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/BOOK/imperialdream/su...

  

 

 

Du même auteur :

> Ecrits publiés en ligne : http://www.inlibroveritas.net/auteur5163.html

> Blog : http://amicusveritatis.over-blog.com

> Partitions en ligne : http://www.free-scores.com/partitions_gratuites_romain-de...

 

dimanche, 02 septembre 2012

Parisienne 37 au Cret de Rochefort - Guitry

 

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Extrait de Mémoires d'un tricheur, Sacha Guitry, 1935

 

[...]

Paris !

Grande impression, dois-je dire - mais pas très bonne impression, je dois le dire. Non. Trop de monde. Ou, plus exactement, trop de mondes, au pluriel. Trop de riches et trop de pauvres, trop de filles sur les trottoirs, trop de gens qui travaillent et trop de gens qui chôment. Trop de grandeur et de misère. Trop de pluie quand il pleut, trop de chaleur quand il fait chaud, et, quand vient l'hiver, trop de froid. 

C'était en vérité, trop grand, trop beau pour moi, Paris. Il m'a fallu bien des semaines, bien des mois pour en comprendre la splendeur - et, pour en goûter tout le charme, il m'a fallu bien des années.

En vérité, je crois qu'il faut en être, de Paris, pour se vanter de le connaître. [...]

Si l'on me demandait aujourd'hui brusquement ce que c'est que Paris, je répondrais tout de suite : "C'est la capitale de la France et c'est la plus belle ville du monde."

Puis, je réfléchirais - et j'ajouterais : "C'est autre chose également. Et c'est autre chose en plus."

Et j'essaierais de l'expliquer. Je dirais : "Toutes les villes ont un cœur, et ce qu'on appelle le cœur d'une ville, c'est l'endroit où son sang afflue, où sa vie se manifeste intensément, où sa fièvre se déclare, sorte de carrefour où toutes ses artères paraissent aboutir. Mais le cœur de Paris a ceci de particulier, c'est que chacun le place où il l'entend. Chacun a son Paris dans Paris. Le mien commence à l'Arc de Triomphe et se termine place de la République [...]. Ce que les Parisiens appellent entre eux Paris n'en est, en vérité, que la vingtième partie - et le nombre des Parisiens n'excède pas trois mille personnes. [...] Etre Parisien, ce n'est ni une fonction, ni un état, ni un métier - et cependant c'est tout cela. C'est unique et c'est inestimable - et ce n'est d'ailleurs pas à vendre. On en est, ou on n'en est pas. Et ceux qui n'en sont pas se demandent chaque matin ce qu'ils pourraient bien faire pour en être - et ceux-là n'en seront jamais ! Car, être de Paris, ce n'est ni une question de volonté, ni une question de fortune. Ce n'est même pas une question de valeur. C'est un indéfinissable mélange d'esprit, de goût, de snobisme, de jobardise, de bravoure et d'amoralité. On ne doit pas savoir au juste pourquoi on en est - et l'on doit seulement savoir pourquoi les autres n'en sont pas. Un Espagnol ne peut pas être Londonien, un Anglais ne peut pas être Berlinois : un Albanais peut être Parisien. Car pour en être, il ne s'agit pas d'être né à Paris - ni même en France. Il faut autre chose. Il faut être adopté par tous, sans que personne en ait parlé. Il y a dans ces élections quelque chose d'assez mystérieux, une sorte d'entente secrète. On est naturalisé Parisien, tout d'un coup, un beau soir. Oui, tous ces gens qui se haïssent, qui ne se quittent pas de l'année, qui échangent leurs femmes, leurs maîtresses et leurs amis, qui se regardent vieillir mais ne se voient pas changer, qui composent un véritable monde - je veux dire une véritable planète - avec ses moeurs, ses récréations, ses honneurs, son honneur et ses manies, oui, tous ces gens savent tomber d'accord, en un instant, quand il le faut."

S'il me fallait donner quelques conseils à un homme nouvellement élu Parisien, je lui dirais ceci : "Tu es élu ? Parfait. Maintenant, attention - pas de gaffes ! Le jour où tu as été élu, quel chapeau avais-tu ? Celui-là ? Bien. Mets-le. Il est vieux, dis-tu ? Ca ne fait rien. Mets-le. Tu avais cette cravate ridicule ? Tant pis, garde-la. Il ne faut plus jamais que tu en changes. Ceci est presque plus important que tout. Fais-toi refaire ce chapeau, fais-toi refaire cette cravate, prends modèle sur toi-même - et prends modèle aussi sur ceux qui en sont depuis trente ans. Que ta silhouette soit toujours la même, car il faut qu'on puisse te reconnaître de loin. Ta tête se fera petit à petit - c'est l'affaire d'un an ou deux. Quand elle sera faite, on la fera. C'est-à-dire qu'on fera sa caricature. Il faudra t'y conformer. C'est essentiel. Si l'on te fait un peu voûté, reste voûté. Ne grossis pas. Ne maigris pas. N'embête surtout pas les dessinateurs ! Ils ne te feraient plus. Mais la mode, dis-tu ? Là, je te mets tout de suite en garde. Lance-la si tu peux, mais ne la suis jamais. Tu ne dois pas être à la mode. Le vrai Parisien, c'est celui qui est en retard de quinze ans sur elle - ou en avance de quinze jours. Tu aurais l'air d'un provincial si tu suivais la mode. Voilà pour la façade. Le reste est moins facile. Au sujet de ta vie privée, on doit savoir de toi des choses assurément. Mais il n'est pas mauvais qu'elles soient imprécises. Il faut qu'on te croie marié si tu ne l'es pas - et divorcé si tu es marié. On ne doit connaître le nom de tes maîtresses que lorsque tu t'en es séparé. Il faut que tu aies l'air de cacher quelque chose, afin qu'une légende se crée autour de toi. Ainsi, sur ta fortune, il est bon que les avis soient partagés - et si tu peux laisser supposer que Napoléon III a été l'amant de ta grand-mère, ce sera excellent. Aux allusions qui t'y seront faites, tu souriras. D'ailleurs, en principe, n'avoue jamais rien - et tout ce qu'on dira de toi finira par être vrai - et tu finiras par le croire toi-même. Dans la conversation, sois optimiste, indulgent, paradoxal et cruel. Si tu as de l'esprit, sois féroce, impitoyable. Un "mot", c'est sacré. Tu dois le faire contre ta sœur, contre ta femme, s'il le faut - pourvu que le mot soit drôle. On n'a pas le droit de garder pour soi un mot drôle. Il y a des mots mortels. Tant pis ! Les mots qui sont mortels font vivre du moins ceux qui les font. Etre de Paris, cela nourrit son homme - et tu en vivras. Je peux même t'assurer que tu en mourras, ton chapeau sur la tête et ta cravate au cou."

[...] 

 

guitry mémoires d'un tricheur.jpgSe procurer l'ouvrage :

Mémoires d'un tricheur

Sacha Guitry

1935

Ed. Gallimard, folio

157 pages

http://www.amazon.fr/M%C3%A9moires-dun-tricheur-Sacha-Guitry/dp/2070364348

vendredi, 10 août 2012

Saint Jérôme et le lion - Paul Cazin, Fra Filippo Lippi

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 Saint Jérôme et le lion, Fra Filippo Lippi 

 

  

"Le Lion de saint Jérôme" in Bestiaire des deux Testaments, 1927, Paul Cazin

  

Un jour que le grand saint Jérôme se promenait dans le désert de Palestine, il aperçut un lion, couché derrière un palmier.

Sa première impression fut très désagréable. Car il aimait la solitude et, s’il se promenait dans le désert, c’était apparemment pour fuir toute compagnie. Il méditait alors une diatribe contre Rufin. La vue de ce lion avait brouillé le fil de ses idées. Mais il réprima promptement son impatience, réfléchit au danger qui le menaçait et se mit à invoquer Dieu de tout son cœur.

Le lion ne bougeait pas, saint Jérôme s’approcha. Il vit que l’animal se léchait la patte d’une mine dolente; sa queue, raide comme fer, lui battait les flancs à coups secs  des plaques de sang marquaient le sable.

Saint Jérôme fit le signe de la croix, mit un genou en terre, avança la main. Le lion lui tendit la patte. Il avait entre les griffes une grosse épine de cactus.

  

La suite : http://www.biblisem.net/narratio/cazilion.htm

 

lundi, 06 août 2012

Baudelaire et ses contemporains - Les papillons du mal VI - Baudelaire

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 "Les papillons du mal VI"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

La poésie est un des arts qui rapportent le plus ; mais c'est une espèce de placement dont on ne touche que tard les intérêts, - en revanche très gros. Je défie les envieux de me citer de bons vers qui aient ruiné un éditeur.


Est-il même bien nécessaire, pour le contentement de l’auteur, qu’un livre quelconque soit compris, excepté de celui ou de celle pour qui il a été composé ? (…) J’ai, quant à moi, si peu de goût pour le monde vivant, que, pareil à ces femmes sensibles et désœuvrées qui envoient, dit-on, par la poste de leurs confidences à des amies imaginaires, volontiers je n’écrirais que pour les morts.
 

 

¤      ¤      ¤

 

Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé, le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?

 

¤     ¤      ¤

 

Ce qui est créé par l'esprit est plus vivant que la matière.


¤     ¤      ¤


Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise.

 

 

Sur ses contemporains :

 

Je m'ennuie en France, surtout parce que tout le monde y ressemble à Voltaire.

 

Alfred de Musset, féminin sans doctrine, aurait pu exister dans tous les temps et n'eût jamais été qu'un paresseux à effusions gracieuses.

 

Balzac pensait sans doute qu'il n'est pas pour l'homme de plus grande honte ni de plus vive souffrance que l'abdication de sa volonté.

 

Il n'existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer. Les autres hommes sont taillables et corvéables, faits pour l'écurie, c'est-à-dire pour exercer ce qu'on appelle des professions.

 

Presque toute notre vie est employée à des curiosités niaises. En revanche, il y a des choses qui devraient exciter la curiosité des hommes au plus haut degré, et qui, à en juger par leur train de vie ordinaire, ne leur en inspirent aucune.

 

Il y a quelques mois, j'ai fait sur mon ami Théophile Gautier un assez long article qui a soulevé un tel éclat de rire parmi les imbéciles, que j'ai jugé bon d'en faire une petite brochure, ne fût-ce que pour prouver que je ne me repens jamais.

 

J'ai un de ces heureux caractères qui tirent une jouissance de la haine et qui se glorifient dans le mépris.

 

Ceux qui savent me devinent, et pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas comprendre, j'amoncellerais sans fruit les explications.

 

Je n'ai jamais pu souffrir ce maître des gandins, son impudence d'enfant gâté qui invoque le ciel et l'enfer pour des aventures de table d'hôte, son torrent bourbeux de fautes de grammaire et de prosodie.

 

Si sa pâture d'amusement lui est servie, [...] l'homme de lettres candide sera dupe, à moins qu'il ne soit un charlatan obscène comme J.-J. Rousseau ou George Sand.

 

Excepté Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Mérimée, de Vigny, Flaubert, Banville, Gautier, Leconte de Lisle, toute la racaille moderne me fait horreur. La vertu, horreur. Le vice, horreur ? Le style coulant, horreur. Le progrès, horreur. Ne me parlez plus jamais des diseurs de riens. [...] Tout ce qu'on appelle progrès, ce que j'appelle, moi : le paganisme des imbéciles.


Baudelaire est allé écouter une conférence "de ce petit bêta de Deschanel ! professeur pour demoiselles ! démocrate qui ne crois pas aux miracles et ne croit qu'au BON SENS (!) parfait représentant de la petite littérature, petit vulgarisateur de choses vulgaires, etc. !".

 

Je ne dirai pas qu'ils ne sont pas beaux ; ils sont horriblement laids ; et leur âme doit ressembler à leur visage.

 

Ainsi si vous voyez Mme Meurice, il est inutile d'affliger ses convictions. Cette excellente femme qui aurait eu autrefois plaisir à vivre, est tombée, vous le savez, dans la démocratie, comme un papillon dans la gélatine.

 

Vous êtes une preuve nouvelle qu'un vaste talent implique toujours une grande bonté et une exquise indulgence.


 

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Charles Baudelaire (1821-1867)

 

 

Baudelaire à nu :


J'ai cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur. Maintenant j'ai toujours le vertige, et aujourd'hui 23 janver 1862, j'ai subi un singulier avertissement, j'ai senti passer sur moi le vent de l'aile de l'imbécillité.

 

Persuade-toi donc bien d'une chose, que tu sembles toujours ignorer ; c'est que vraiment pour mon malheur, je ne suis pas fait comme les autres hommes.

 

Ma tête devient littéralement unvolcan malade. De grands orages et de grandes aurores.

 

Il y a quelques mois, j'ai fait sur mon ami Théophile Gautier un assez long article qui a soulevé un tel éclat de rire parmi les imbéciles, que j'ai jugé bon d'en faire une petite brochure, ne fût-ce que pour prouver que je ne me repens jamais.

 

Ainsi, que je sois à Paris, à Bruxelles, ou dans une ville inconnue, je suis sûr d'être malade et inguérissable. Il y a une misanthropie qui vient, non pas d'un mauvais caractère, mais d'une sensibilité trop vive et d'un goût trop facile à se scandaliser.

 

C'est un certain état soporeux qui me fait douter de mes facultés.

 

La respiration manque, et l'angoisse va toujours croissant jusqu'à ce que, trouvant un remède dans l'intensite même de la douleur, la nature humaine fasse explosion dans un grand cri et dans un bondissement de tout le corps qui amène enfin une violente délivrance.

 

Je suis exigeant comme un homme qui souffre.

 

Les horizons n'ont pas besoins d'être grands pour que les batailles soient importantes ; les révolutions et les événements les plus curieux se passent sous le ciel du crâne, dans le laboratoire étroit et mystérieux du cerveau.

 

dimanche, 05 août 2012

Considérations sur l'art - Les papillons du mal V - Baudelaire

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"Les papillons du mal V"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

La folie de l’art est égale à l’abus de l’esprit. La création d’une de ces deux suprématies engendre la sottise, la dureté du cœur et une immensité d’orgueil et d’égoïsme. Je me rappelle avoir entendu dire à un artiste farceur qui avait reçu une pièce de monnaie fausse : « Je la garde pour un pauvre. » Le misérable prenait un infernal plaisir à voler le pauvre et à jouir en même temps des bénéfices d’une réputation de charité.

 

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La musique creuse le ciel.

 

La musique donne l'idée de l'espace. Tous les arts, plus ou moins ; puisqu'ils sont nombre et que le nombre est traduction de l'espace.

 

La véritable musique suggère des idées analogues dans des cerveaux différents.

 

La musique creuse le ciel.

 

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Il y a dans l'engendrement de toute pensée sublime une secousse nerveuse qui se fait sentir dans le cervelet.

 

Ce qui n'est pas légèrement difforme a l'air insensible ; d'où il suit que l'irrégularité, c'est-à-dire l'inattendu, la surprise, l'étonnement sont une partie essentielle et la caractéristique de la beauté.

 

Ce que j'ai toujours trouvé de plus beau dans un théâtre [...], c'est le lustre - un bel objet, lumineux, cristallin, compliqué, circulaire et symétrique.

 

Je crois que le charme infini et mystérieux qui gît dans la contemplation d'un navire [...] tient [...] à la régularité et à la symétrie qui sont un des besoins primordiaux de l'esprit humain, au même degré que la complication et l'harmonie.

 

Le Français est un animal de basse-cour, si bien domestiqué qu'il n'ose franchir aucune palissade. Voir ses goûts en art et en littérature. C'est l'animal de race latine ; l'ordure ne lui déplaît pas dans son domicile, et en littérature, il est scatophage. Il raffole des excréments. Les littérateurs d'estaminets appellent cela le sel gaulois.

 

La France, le public français, veux-je dire (si nous en exceptons quelques artistes et quelques écrivains), n'est pas artiste, naturellement artiste ; ce public-là est philosophe, moraliste, ingénieur, amateur de récits et d'anecdotes, tout ce qu'on voudra, mais jamais spontanément artiste. [...] Où il ne faut voir que le beau, notre public ne cherche que le vrai.

 

Je crois sincèrement que la meilleure critique est celle qui est amusante et poétique ; non pas celle-ci, froide et algébrique, qui, sous prétexte de tout expliquer, n'a ni haine ni amour, et se dépouille volontairement de toute espèce de tempérament.


 

S’il est permis à la photographie de suppléer l’art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l’aura bientôt supplanté ou corrompu tout à fait grâce à l’alliance naturelle qu’elle trouvera dans la sottise de la multitude. Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très humble servante, comme l’imprimerie  et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature.

 

Je ne suis donc pas partisan de la nature ; elle trouble le miroir de la pensée.

 

Deux qualités littéraires fondamentales : surnaturalisme et ironie.

 

Est-il même bien nécessaire, pour le contentement de l’auteur, qu’un livre quelconque soit compris, excepté de celui ou de celle pour qui il a été composé ? (…) J’ai, quant à moi, si peu de goût pour le monde vivant, que, pareil à ces femmes sensibles et désœuvrées qui envoient, dit-on, par la poste de leurs confidences à des amies imaginaires, volontiers je n’écrirais que pour les morts.

 

Le jour où le jeune écrivain corrige sa première épreuve, il est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole.

  

 

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Charles Baudelaire (1821-1867) 

 

Les prix portent malheur. Prix académiques, prix de vertu, décorations, toutes ces inventions du diable encouragent l’hypocrisie et glacent les élans spontanés d’un cœur libre.

 

Consentir à être décoré, c'est reconnaître à l'Etat ou au prince le droit de vous juger, de vous illustrer, etc.


Il est une chose mille fois plus dangereuse que le bourgeois, c'est l'artiste-bourgeois, qui a été créé pour s'interposer entre le public et le génie ; il les cache l'un à l'autre.

 

Les singes sont les républicains de l'art, et l'état actuel de la peinture est le résultat d'une liberté anarchique qui glorifie l'individu.

 

La manière dont les Belges discutent la valeur des tableaux. Le chiffre, toujours le chiffre. Cela dure trois heures. Quand, pendant trois heures, ils ont cité des prix de vente, ils croient qu’ils ont disserté peinture. 

 

Chaque concert a une partie française ; on a peur, il est vrai, d’être Français, mais on a peur de ne pas le paraître.


Il n'y a pas de hasard dans l'art, non plus qu'en mécanique. Une chose heureusement trouvée est la simple conséquence qu'un bon raisonnement, dont on a quelque fois sauté les déductions intermédiaires, comme une faute est la conséquence d'un faux principe. Un tableau est une machine dont tous les systèmes sont intelligibles pour un œil exercé.


Parce que l’art, pour être profond, veut une idéalisation perpétuelle qui ne s’obtient qu’en vertu du sacrifice, - sacrifice involontaire.


Ce qui est créé par l'esprit est plus vivant que la matière.

 

La France n'est pas poète, elle éprouve même, pour tout dire, une horreur congénitale de la poésie.


La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d'une haine distinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin, il faut que l'un des deux serve l'autre.


La poésie est un des arts qui rapportent le plus ; mais c'est une espèce de placement dont on ne touche que tard les intérêts, - en revanche très gros. Je défie les envieux de me citer de bons vers qui aient ruiné un éditeur.


Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé, le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?

 

Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise.

 

samedi, 04 août 2012

Considérations sur la foi - Les papillons du mal IV - Baudelaire

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"Les papillons du mal IV"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Passez en revue, analysez tout ce qui est naturel, toutes les actions et les désirs du pur homme naturel, vous ne trouverez rien que d'affreux. [...] Le crime, dont l'animal humain a puisé le goût dans le ventre de sa mère, est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle, puisqu'il a fallu dans tous les temps et chez toutes les nations des dieux et des prophètes pour l'enseigner à l'humanité animalisée, et que l'homme, seul, eût été impuissant à la découvrir. 

 

Le commerce est par son essence satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec sous-entendu : rends-moi plus que je ne te donne. L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux. Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse et la plus vile.

 

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Connais donc les jouissances d'une vie âpre ; et prie, prie sans cesse. La prière est réservoir de force.


Ce sont les mêmes gens qui donneraient volontiers un franc à un pauvre, à condition qu'il s'étouffât avec du pain, et lui refuseront toujours deux sous pour se désaltérer au cabaret.

 

Je ne puis penser à cette stupide créature sans un certain frémissement d'horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m'empêcher de lui jeter un bénitier à la tête.

 

La superstition est le réservoir de toutes les vérités.

 

La folie de l’art est égale à l’abus de l’esprit. La création d’une de ces deux suprématies engendre la sottise, la dureté du cœur et une immensité d’orgueil et d’égoïsme. Je me rappelle avoir entendu dire à un artiste farceur qui avait reçu une pièce de monnaie fausse : « Je la garde pour un pauvre. » Le misérable prenait un infernal plaisir à voler le pauvre et à jouir en même temps des bénéfices d’une réputation de charité. 

 

Oh ! profond (…), profond est le labour de la douleur : mais il ne faut pas moins que cela pour l’agriculture de Dieu. (…) Avec des charrues moins cruelles, le sol réfractaire n’aurait pas été remué. A la terre, notre planète, à l’habitacle de l’homme il faut la secousse ; et la douleur est plus souvent encore nécessaire comme étant le plus puissant outil de Dieu. 

 

Si l’Eglise condamne la magie et la sorcellerie, c’est qu’elles militent contre les intentions de Dieu, qu’elles suppriment le travail du temps et veulent rendre superflues les conditions de pureté et de moralité ; et qu’elle, l’Eglise, ne considère comme légitimes, comme vrais, que les trésors gagnés par la bonne intention assidue. 

 

Mais l'homme n'est pas si abandonné, si privé de moyens honnêtes pour gagner le ciel, qu'il soit obligé d'invoquer la pharmacie et la sorcellerie ; il n'a pas besoin de vendre son âme pour payer les caresses enivrantes et l'amitié des houris. Qu'est-ce qu'un paradis qu'on achète au prix de son salut éternel ?

 

Pourquoi le spectacle de la mer est-il si infiniment et si éternellement agréable ? parce que la mer offre à la fois l'idée de l'immensité et du mouvement. Six ou sept lieues représentent pour l'homme le rayon de l'infini. Voilà un infini diminutif. Qu'importe s'il suffit à suggérer l'idée de l'infini total ? Douze ou quatorze lieues (sur le diamètre), douze ou quatorze de liquide en mouvement suffisent pour donner la plus haute idée de beauté qui soit offert à lhomme sur son habitacle transitoire. 

 

Tout homme qui n'accepte pas les conditions de sa vie vend son âme.

 

Hélas ! les vices de l'homme, si pleins d'horreur qu'on les suppose, contiennent la preuve (quand ce ne serait que leur infinie expansion !) de son goût de l'infini ; seulement, c'est un goût qui se trompe souvent de route.

 

Le vin exalte la volonté ; le haschisch l'annihile. Le vin est un support physique ; le haschisch est une arme pour le suicide. Le vin rend bon et sociable ; le haschisch est isolant. L'un est laborieux pour ainsi dire, l'autre essentiellement paresseux. [...] Le vin est utile, il produit des résultats fructifiants. Le haschisch est inutile et dangereux.

 

Ce seigneur visible de la nature visible (je parle de l'homme) a donc voulu créer le Paradis par la pharmacie, par les boissons fermentées, semblable à un manique qui remplacerait des meubles solides et des jardins véritables par des décors peints sur toile et montés sur châssis. C'est dans cette dépravation du sens de l'infini que gît, selon moi, la raison de tous les excès coupables, depuis l'ivresse solitaire et concentrée du littérateur, qui, obligé de chercher dans l'opium un soulagement à une douleur physique, et ayant ainsi découvert une source de jouissances morbides, en a fait peu à peu son unique hygiène et comme le soleil de sa vie spirituelle, jusqu'à l'ivrognerie la plus répugrante des faubourgs, qui,le cerveau plein de flamme et de gloire, se roule ridiculement dans les ordures de la route. 

 

Un homme qui ne boit que de l'eau a un secret à cacher à ses semblables.

 

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Charles Baudelaire (1821-1867)

 

Je ne croirai jamais que l'âme des Dieux habite dans les plantes, et quand même elle y habiterait, je m'en soucierais médiocrement, et considérerais la mienne comme d'un bien plus hauit prix que celle des légumes sanctifiés.

 

Le vue de tous ces quadrumanes athées a fortement confirmé mes idées de religion.

 

Le mal se fait sans effort, naturellement, par fatalité ; le bien est oujours le produit d'un art.

 

La musique creuse le ciel.

 

La musique donne l'idée de l'espace. Tous les arts, plus ou moins ; puisqu'ils sont nombre et que le nombre est traduction de l'espace.

 

La véritable musique suggère des idées analogues dans des cerveaux différents.

 

La musique creuse le ciel.

 

vendredi, 03 août 2012

Considérations sur la société - Les papillons du mal III - Baudelaire

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"Les papillons du mal III" 

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de certains hommes. C'est par la même raison que je ne chausserais pas les culottes d'un galeux.

 

Il n'y a que deux endroits où l'on paye pour avoir le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.

 

Ainsi dans les Etats où la prostitution légale n'existe pas, toutes les femmes sont vénales.  

 

Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle.

 

¤     ¤     ¤

 

Peu d'hommes ont le droit de régner, car peu d'hommes ont une grande passion.

 

Les dictateurs sont les domestiques du peuple, - rien de plus, - un foutu rôle d'ailleurs, - et la gloire est le résultat de l'adaptation d'un esprit avec la sottise nationale.

 

L'homme, c'est-à-dire chacun, est si naturellement dépravé qu'il souffre moins de l'abaissement universel que de l'établissement d'une hiérarchie raisonnable.

 

La pédérastie est le seul lien qui rattache la magistrature à l'humanité.

 

Il n'y a de gouvernement raisonnable et assuré que l'aristocratique. Monarchie ou république basées sur la démocratie sont également absurdes et faibles.

 

A quoi bon réduire en esclavage des gens qui ne savent pas faire cuire des œufs ?

 

C'est toujours la fête. Grand signe de fainéantise populaire. 

 

Nécessité pour chaque homme de se vanter lui-même dans un pays où personne ne sait rendre justice à personne.Vélocité proportionnelle à la pesanteur. C'est toujours le troupeau de moutons, à droite, à gauche, au nord, au sud, se précipitant en bloc. Aussi, il n'y a rien ici qui soit plus à la mode, ni mieux vu, ni plus honorable que le coup de pied de l'âne.

 

Celui-là seul est l'égal d'un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir. 

 

Le crépuscule excite les fous.

 

Il ne faut jamais livrer certaines questions à la canaille.

 

La familiarité est le fait des brutes et des provinciaux.

 

L'enfance, jolie presque partout, est ici hideuse, teigneuse, galeuse, crasseuse, merdeuse.

 

Il est marchand, c'est-à-dire voleur.

 

Dans un pays où chacun est défiant, il est évident que tout le monde est voleur.

 

Au critique chagrin, à l'observateur importun, la Belgique somnolente et abrutie, répondrait volontiers : "Je suis heureuse ; ne me réveillez pas."

 

Coupé en tronçons, partagé, envahi, vaincu, rossé, pillé, le Belge végète encore, pure merveille de mollusque.

 

Il admire son remords et il se glorifie, pendant qu'il est en train de perdre sa liberté.

 

En somme, devant l'Histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s'emparant du télégraphe et de l'Imprimerie nationale, gouverner une grande nation.

 

Tout journal de la première ligne à la dernière, n'est qu'un tissu d'horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d'atrocité universelle. Et c'est de ce dégoûtant apéritif que l'homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l'homme. Je ne comprends pas qu'une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût.

 

Il faut travailler, sinon par goût, au moins par désespoir, puisque, tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que d'amuser.

 

A chaque minute nous sommes écrasés par l'idée et la sensation du temps. Et il n'y a que deux moyens pour échapper à ce cauchemar, - pour l'oublier : le Plaisir et le Travail. Le Plaisir nous use. Le Travail nous fortifie. Choisissons.

 

D'autres, qui laissent, pendant qu'elles y officient, la porte des latrines ouverte. Des gandins contrefaits qui ont violé toutes les femmes. Des libres-penseurs qui ont peu des revenants. Des patriotes qui veulent massacrer tous les Français (ceux-là portent le bras droit en écharpe pour faire croire qu'ils se sont battus). 

 

Tous les Belges éclatent de rire, parce qu'ils croient qu'il faut rire. Vous contez une histoire drôle ; ils vous regardent avec de gros yeux, d'un air affligé. Vous vous foutez d'eux. Ils se sentent flattés et croient à des compliments. Vous leur faites un compliment. Ils croient que vous vous foutez d'eux.

 

L'Orient, en général, sent le musc et la charogne.

 

Les Belges sont des ruminants qui ne digèrent rien.

 

La croyance au progrès est une doctrine de paresseux, une doctrine de Belges. C'est l'individu qui compte sur ses voisins pour faire sa besogne. Il ne peut y avoir de progrès (vrai, c'est-à-dire moral) que dans l'individu et par l'individu lui-même. Mais le monde est fait de gens qui ne peuvent penser qu'en commun, en bandes. Ainsi les Sociétés belges. Il y a aussi des gens qui ne peuvent s'amuser qu'en troupe. Le vrai héros s'amuse tout seul. 

 

Une suite de petites volontés fait un gros résultat. Tout recul de la volonté est une parcelle de substance perdue. Combien donc l'hésitation est prodigue ! et qu'on juge de l'immensité de l'effort final nécessaire pour réparer tant de pertes !

 

Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables !

 

La mécanique vous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle, que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilège ou antinaturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs [...] alors, le fils fuira la famille, non pas à dix-huit ans, mais à douze, émancipé par sa précocité gloutonne ; il la fuira, non pas pour chercher des aventures héroïques, non pas pour délivrer une beauté prisonnière dans une tour, non pas pour immortaliser un galetas par de sublimes pensées, mais pour fonder un commerce, pour s'enrichir, et pour faire concurrence à son infâme papa.

 

L’imagination humaine peut concevoir, sans trop de peine, des républiques ou autres Etats communautaires, dignes de quelque gloire, s’ils sont dirigés par des hommes sacrés, par de certains aristocrates. Mais ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle, ou le progrès universel ; car peu m’importe le nom. Ce sera par l’avilissement des cœurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et pour créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie ?

 

Voici un homme chargé de ramasser les débris d’une journée de la capitale.(…) Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts. 

 

Malgré les admirables services qu’ont rendus l’éther et le chloroforme, il me semble qu’au point de vue de la philosophie spiritualiste la même flétrissure morale s’applique à toutes les inventions modernes qui tendent à diminuer la liberté humaine et l’indispensable douleur. 

 

Cet homme est si peu élégiaque, si peu éthéré qu’il ferait horreur même à un notaire.

 

Grâce au progrès de ces temps, il ne te restera de tes entrailles que des viscères ! 

 

Quant à l'habit, la pelure du héros moderne [...] n'est-il pas l'habit nécessaire de notre époque, souffrante et portant jusque sur ses épaules noires et maigres le symbole d'un deuil perpétuel ? [...] - une immense défilade de croque-morts amoureux, croque-morts bourgeois. Nous célébrons tous quelque enterrement.

 

 amour,baudelaireCharles Baudelaire (1821-1867) 

 

 

Ceux qui m’ont aimé étaient des gens méprisés, je dirais même méprisables, si je tenais à flatter les honnêtes gens

 

Ce qu'il y a d'enivrant dans le mauvais goût, c'est le plaisir aristocratique de déplaire.

 

Quand j’aurai inspiré le dégoût et l’horreur universels, j’aurai conquis la solitude.

 

Que de fois j’ai contemplé, souriant et attendri, tous ces philosophes à quatre pattes, esclaves complaisants, soumis ou dévoués, que le dictionnaire républicain pourrait aussi bien qualifier d’officieux, si la république, trop occupée du bonheur des hommes, avait le temps de ménager l’honneur des chiens !

 

Un fonctionnaire quelconque, un ministre, un directeur de théâtre ou de journal peuvent être quelquefois des êtres estimables, mais il ne sont jamais divins. Ce sont des personnes sans personnalité, des êtres sans originalité, nés pour la fonction, c'est-à-dire pour la domesticité publique. 

 

Etre un homme utile m'a paru toujours quelque chose de bien hideux.

 

Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

Je ne connais rien de plus compromettant que les imitateurs et je n'aime rien tant que d'être seul.

 

Cette syncope qui est considérée par les vulgaires mortels comme le summum du bonheur.

 

Il y a autant de beautés qu'il y a de manières habituelles de chercher le bonheur.

 

Vers la religion :

 

Théorie de la vraie civilisation. Elle n'est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes, elle est dans la diminution des traces du péché originel.

 

L'impiété belge est une contrefaçon de l'impiété française élevée au cube.

 

En somme, ce que la Belgique, toujours simiesque, imite avec le plus de bonheur et de naturel, c'est la sottise française.

 

La religion catholique en Belgique ressemble à la fois à la superstition napolitaine et à la cuistrerie protestante.

 

Il est défendu de visiter les églises à toute heure ; il est défendu de s'y promener ; il est défendu d'y prier à d'autres heures qu'à celles des offices. Après tout, pourquoi le clergé ne serait-il pas égal en grossièreté au reste de la nation ? Comme les prostituées qui n'ont pas plus l'idée de la galanterie, que certains prêtres celle de la religion.

 

Passez en revue, analysez tout ce qui est naturel, toutes les actions et les désirs du pur homme naturel, vous ne trouverez rien que d'affreux. [...] Le crime, dont l'animal humain a puisé le goût dans le ventre de sa mère, est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle, puisqu'il a fallu dans tous les temps et chez toutes les nations des dieux et des prophètes pour l'enseigner à l'humanité animalisée, et que l'homme, seul, eût été impuissant à la découvrir. 

 

Le commerce est par son essence satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec sous-entendu : rends-moi plus que je ne te donne. L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux. Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse et la plus vile.