lundi, 06 août 2012
Baudelaire et ses contemporains - Les papillons du mal VI - Baudelaire
"Les papillons du mal VI"
Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :
Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.
La poésie est un des arts qui rapportent le plus ; mais c'est une espèce de placement dont on ne touche que tard les intérêts, - en revanche très gros. Je défie les envieux de me citer de bons vers qui aient ruiné un éditeur.
Est-il même bien nécessaire, pour le contentement de l’auteur, qu’un livre quelconque soit compris, excepté de celui ou de celle pour qui il a été composé ? (…) J’ai, quant à moi, si peu de goût pour le monde vivant, que, pareil à ces femmes sensibles et désœuvrées qui envoient, dit-on, par la poste de leurs confidences à des amies imaginaires, volontiers je n’écrirais que pour les morts.
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Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé, le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?
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Ce qui est créé par l'esprit est plus vivant que la matière.
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Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise.
Sur ses contemporains :
Je m'ennuie en France, surtout parce que tout le monde y ressemble à Voltaire.
Alfred de Musset, féminin sans doctrine, aurait pu exister dans tous les temps et n'eût jamais été qu'un paresseux à effusions gracieuses.
Balzac pensait sans doute qu'il n'est pas pour l'homme de plus grande honte ni de plus vive souffrance que l'abdication de sa volonté.
Il n'existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer. Les autres hommes sont taillables et corvéables, faits pour l'écurie, c'est-à-dire pour exercer ce qu'on appelle des professions.
Presque toute notre vie est employée à des curiosités niaises. En revanche, il y a des choses qui devraient exciter la curiosité des hommes au plus haut degré, et qui, à en juger par leur train de vie ordinaire, ne leur en inspirent aucune.
Il y a quelques mois, j'ai fait sur mon ami Théophile Gautier un assez long article qui a soulevé un tel éclat de rire parmi les imbéciles, que j'ai jugé bon d'en faire une petite brochure, ne fût-ce que pour prouver que je ne me repens jamais.
J'ai un de ces heureux caractères qui tirent une jouissance de la haine et qui se glorifient dans le mépris.
Ceux qui savent me devinent, et pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas comprendre, j'amoncellerais sans fruit les explications.
Je n'ai jamais pu souffrir ce maître des gandins, son impudence d'enfant gâté qui invoque le ciel et l'enfer pour des aventures de table d'hôte, son torrent bourbeux de fautes de grammaire et de prosodie.
Si sa pâture d'amusement lui est servie, [...] l'homme de lettres candide sera dupe, à moins qu'il ne soit un charlatan obscène comme J.-J. Rousseau ou George Sand.
Excepté Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Mérimée, de Vigny, Flaubert, Banville, Gautier, Leconte de Lisle, toute la racaille moderne me fait horreur. La vertu, horreur. Le vice, horreur ? Le style coulant, horreur. Le progrès, horreur. Ne me parlez plus jamais des diseurs de riens. [...] Tout ce qu'on appelle progrès, ce que j'appelle, moi : le paganisme des imbéciles.
Baudelaire est allé écouter une conférence "de ce petit bêta de Deschanel ! professeur pour demoiselles ! démocrate qui ne crois pas aux miracles et ne croit qu'au BON SENS (!) parfait représentant de la petite littérature, petit vulgarisateur de choses vulgaires, etc. !".
Je ne dirai pas qu'ils ne sont pas beaux ; ils sont horriblement laids ; et leur âme doit ressembler à leur visage.
Ainsi si vous voyez Mme Meurice, il est inutile d'affliger ses convictions. Cette excellente femme qui aurait eu autrefois plaisir à vivre, est tombée, vous le savez, dans la démocratie, comme un papillon dans la gélatine.
Vous êtes une preuve nouvelle qu'un vaste talent implique toujours une grande bonté et une exquise indulgence.
Charles Baudelaire (1821-1867)
Baudelaire à nu :
J'ai cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur. Maintenant j'ai toujours le vertige, et aujourd'hui 23 janver 1862, j'ai subi un singulier avertissement, j'ai senti passer sur moi le vent de l'aile de l'imbécillité.
Persuade-toi donc bien d'une chose, que tu sembles toujours ignorer ; c'est que vraiment pour mon malheur, je ne suis pas fait comme les autres hommes.
Ma tête devient littéralement unvolcan malade. De grands orages et de grandes aurores.
Il y a quelques mois, j'ai fait sur mon ami Théophile Gautier un assez long article qui a soulevé un tel éclat de rire parmi les imbéciles, que j'ai jugé bon d'en faire une petite brochure, ne fût-ce que pour prouver que je ne me repens jamais.
Ainsi, que je sois à Paris, à Bruxelles, ou dans une ville inconnue, je suis sûr d'être malade et inguérissable. Il y a une misanthropie qui vient, non pas d'un mauvais caractère, mais d'une sensibilité trop vive et d'un goût trop facile à se scandaliser.
C'est un certain état soporeux qui me fait douter de mes facultés.
La respiration manque, et l'angoisse va toujours croissant jusqu'à ce que, trouvant un remède dans l'intensite même de la douleur, la nature humaine fasse explosion dans un grand cri et dans un bondissement de tout le corps qui amène enfin une violente délivrance.
Je suis exigeant comme un homme qui souffre.
Les horizons n'ont pas besoins d'être grands pour que les batailles soient importantes ; les révolutions et les événements les plus curieux se passent sous le ciel du crâne, dans le laboratoire étroit et mystérieux du cerveau.
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samedi, 04 août 2012
Considérations sur la foi - Les papillons du mal IV - Baudelaire
"Les papillons du mal IV"
Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :
Passez en revue, analysez tout ce qui est naturel, toutes les actions et les désirs du pur homme naturel, vous ne trouverez rien que d'affreux. [...] Le crime, dont l'animal humain a puisé le goût dans le ventre de sa mère, est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle, puisqu'il a fallu dans tous les temps et chez toutes les nations des dieux et des prophètes pour l'enseigner à l'humanité animalisée, et que l'homme, seul, eût été impuissant à la découvrir.
Le commerce est par son essence satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec sous-entendu : rends-moi plus que je ne te donne. L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux. Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse et la plus vile.
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Connais donc les jouissances d'une vie âpre ; et prie, prie sans cesse. La prière est réservoir de force.
Ce sont les mêmes gens qui donneraient volontiers un franc à un pauvre, à condition qu'il s'étouffât avec du pain, et lui refuseront toujours deux sous pour se désaltérer au cabaret.
Je ne puis penser à cette stupide créature sans un certain frémissement d'horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m'empêcher de lui jeter un bénitier à la tête.
La superstition est le réservoir de toutes les vérités.
La folie de l’art est égale à l’abus de l’esprit. La création d’une de ces deux suprématies engendre la sottise, la dureté du cœur et une immensité d’orgueil et d’égoïsme. Je me rappelle avoir entendu dire à un artiste farceur qui avait reçu une pièce de monnaie fausse : « Je la garde pour un pauvre. » Le misérable prenait un infernal plaisir à voler le pauvre et à jouir en même temps des bénéfices d’une réputation de charité.
Oh ! profond (…), profond est le labour de la douleur : mais il ne faut pas moins que cela pour l’agriculture de Dieu. (…) Avec des charrues moins cruelles, le sol réfractaire n’aurait pas été remué. A la terre, notre planète, à l’habitacle de l’homme il faut la secousse ; et la douleur est plus souvent encore nécessaire comme étant le plus puissant outil de Dieu.
Si l’Eglise condamne la magie et la sorcellerie, c’est qu’elles militent contre les intentions de Dieu, qu’elles suppriment le travail du temps et veulent rendre superflues les conditions de pureté et de moralité ; et qu’elle, l’Eglise, ne considère comme légitimes, comme vrais, que les trésors gagnés par la bonne intention assidue.
Mais l'homme n'est pas si abandonné, si privé de moyens honnêtes pour gagner le ciel, qu'il soit obligé d'invoquer la pharmacie et la sorcellerie ; il n'a pas besoin de vendre son âme pour payer les caresses enivrantes et l'amitié des houris. Qu'est-ce qu'un paradis qu'on achète au prix de son salut éternel ?
Pourquoi le spectacle de la mer est-il si infiniment et si éternellement agréable ? parce que la mer offre à la fois l'idée de l'immensité et du mouvement. Six ou sept lieues représentent pour l'homme le rayon de l'infini. Voilà un infini diminutif. Qu'importe s'il suffit à suggérer l'idée de l'infini total ? Douze ou quatorze lieues (sur le diamètre), douze ou quatorze de liquide en mouvement suffisent pour donner la plus haute idée de beauté qui soit offert à lhomme sur son habitacle transitoire.
Tout homme qui n'accepte pas les conditions de sa vie vend son âme.
Hélas ! les vices de l'homme, si pleins d'horreur qu'on les suppose, contiennent la preuve (quand ce ne serait que leur infinie expansion !) de son goût de l'infini ; seulement, c'est un goût qui se trompe souvent de route.
Le vin exalte la volonté ; le haschisch l'annihile. Le vin est un support physique ; le haschisch est une arme pour le suicide. Le vin rend bon et sociable ; le haschisch est isolant. L'un est laborieux pour ainsi dire, l'autre essentiellement paresseux. [...] Le vin est utile, il produit des résultats fructifiants. Le haschisch est inutile et dangereux.
Ce seigneur visible de la nature visible (je parle de l'homme) a donc voulu créer le Paradis par la pharmacie, par les boissons fermentées, semblable à un manique qui remplacerait des meubles solides et des jardins véritables par des décors peints sur toile et montés sur châssis. C'est dans cette dépravation du sens de l'infini que gît, selon moi, la raison de tous les excès coupables, depuis l'ivresse solitaire et concentrée du littérateur, qui, obligé de chercher dans l'opium un soulagement à une douleur physique, et ayant ainsi découvert une source de jouissances morbides, en a fait peu à peu son unique hygiène et comme le soleil de sa vie spirituelle, jusqu'à l'ivrognerie la plus répugrante des faubourgs, qui,le cerveau plein de flamme et de gloire, se roule ridiculement dans les ordures de la route.
Un homme qui ne boit que de l'eau a un secret à cacher à ses semblables.
Charles Baudelaire (1821-1867)
Je ne croirai jamais que l'âme des Dieux habite dans les plantes, et quand même elle y habiterait, je m'en soucierais médiocrement, et considérerais la mienne comme d'un bien plus hauit prix que celle des légumes sanctifiés.
Le vue de tous ces quadrumanes athées a fortement confirmé mes idées de religion.
Le mal se fait sans effort, naturellement, par fatalité ; le bien est oujours le produit d'un art.
La musique creuse le ciel.
La musique donne l'idée de l'espace. Tous les arts, plus ou moins ; puisqu'ils sont nombre et que le nombre est traduction de l'espace.
La véritable musique suggère des idées analogues dans des cerveaux différents.
La musique creuse le ciel.
09:03 Publié dans Ecrits, Littérature, Thèse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : foi, charles, baudelaire, papillons, mal, les papillons du mal