vendredi, 11 janvier 2013
L'amour est plus froid que la mort - Fassbinder, Fassbinder, Schygulla
Film : L'amour est plus froid que la mort / Liebe ist kalter als der Tod (1969, durée 1h28)
Réalisateur : Rainer Werner Fassbinder
Bruno (Ulli Lommel), Joanna (Hanna Schygulla), Franz (Rainer Werner Fassbinder), Peter (Hans Hirschmüller), Georges (Les Olvides), Raoul (Howard Gaines), la femme dans le train (Katrin Schaake)
- Vous avez trois condamnations à votre actif, deux pour braquage, une pour proxénétisme. Est-ce exact ?
Franz : A peu près.
- C'est parfaitement exact. Nos renseignements sont de premier ordre. Bien. Vous connaissez la raison de notre présence ici ? Dans ce cas, je vais vous l'expliquer. Le syndicat désire que vous travailliez pour nous. Vous fumez ? ... Et les désirs du syndicat sont des ordres, vous le savez. Sur le principe, c'est simple. Vous travaillez et vous êtes régulièrement rémunéré. Cette perspective vous paraît sympathique ? Vous avez une petite amie. Elle est très mignonne, n'est-ce pas ? Allez-vous travailler pour le syndicat ? Vous allez travailler pour le syndicat.
Franz : Je travaille uniquement pour mon compte.
- Raoul...
Raoul (à droite) se lève.
Franz : Je veux pas travailler pour le syndicat.
- Avez-vous réfléchi à la chose ? Votre avenir est assuré au service du syndicat. Le syndicat a les meilleurs avocats, les meilleures relations.
Franz : Je veux être libre.
Munich, 129 rue Hess.
La femme dans le train : A cette station, je me retrouve souvent en agréable compagnie. Vous la voulez, cette pomme ?... Ce que c'est banal. C'est bien ? ... Elle était bonne la pomme.
Bruno : A douze ans, j'ai tué mon père en lui cassant un vase sur la tête. A seize ans, j'étais meneur de bande. Un jour, on a liquidé un type assis sur un banc avec une gamine. On lui avait pissé dessus du haut de la colline. Il est venu râler. On l'a tabassé. Il a tourné de l'oeil. Avec des coups de poing américains. Il était mort. Clamsé, quoi.
La femme : Je t'ai observé. Tu es garé là depuis un bout de temps. T'es seul, pas vrai ? Moi aussi, je suis seule. Tous les deux, on pourrait peut-être...
Franz : Comment c'était ?
Elle lui tend l'argent, s'en va et revient.
Joanna : On devrait avoir un logement où on puisse rester, et un enfant, et du calme.
Il se lève et part.
Munich, 129 rue Hess.
07:53 Publié dans Films historiques, littéraires, N&B, biopics, Les mots des films, Thèse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fassbinder
jeudi, 10 janvier 2013
Etymologie - Battre en brèche
Source : Direct Matin, mardi 18 décembre 2012
*
> Pour davantage : http://fichtre.hautetfort.com/les-mots-francais.html
08:08 Publié dans Les mots français | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 09 janvier 2013
Cinéphiles & co
Extrait d'un entretien avec Michel Ciment, rédacteur en chef de "Positif", par Stéphane Dreyfus et Arnaud Schwartz, La Croix, vendredi 12 octobre 2012
[...]
Avec la multiplication des sources de cinéma (DVD, VOD), la nouvelle génération de cinéphiles a-t-elle besoin d'avoir des repères ?
M.C. : Le DVD nous a fait beaucoup de bien. [...] J'ai connu une époque où très peu de gens avaient vu La Règle du jeu de Jean Renoir (1939), car il passait tous les trois ans à la Cinémathèque. Ce n'est plus le cas de nos jours avec le DVD.
En 1959, j'avais 20 ans et trente ans me séparaient du cinéma muet. A l'époque, quand nous nous retrouvions à la Cinémathèque, nous avions à peu près tous la même culture : nous avions tous vu Pabst, Mizoguchi, Murnau, etc. Aujourd'hui, cinquante ans nous séparent d'A bout de souffle de Jean-Luc Godard. L'histoire du 7e art est deux fois plus importante dans le temps comme dans l'espace par rapport à ce qu'elle était. Les jeunes cinéphiles ont donc une culture plus fragmentaire, mais sont souvent très spécialisés dans une cinématographie nationale, le paysage cinématographique mondial s'étant considérablement élargi.
Ce noyau dur de cinéphiles se précipite sur des rétrospectives à la Cinémathèque française pour voir, par exemple, des séries B américaines des années 1950 et 1960. Le fait de se sentir un peu seuls et singuliers leur donne du caractère et conforte le souci qu'ils ont de renforcer leur culture artistique. Une culture moins littéraire, mais avec une approche très visuelle du cinéma.
Avec la multiplication des sites sociaux de critiques sur le Net, la fonction critique a-t-elle changé ?
M.C. : Le critique doit avoir la même démarche que le créateur et obéir à lui-même. Le cinéaste doit faire le film qu'il a envie de faire et de voir s'il payait sa place au cinéma. Le critique doit penser au lecteur en étant dans la clarté et en évitant l'amphigouri, l'obscurité qui ont été à un moment très dominants dans ce type de revue. Nous pensons au lecteur comme s'il avait notre goût.
Dans une période où le nombre d'entrées est roi, il n'est pas mauvais de prendre ses distances avec cette forme de populisme. Je regrette d'ailleurs l'aplatissement de l'accueil critique qui se doit de hiérarchiser davantage ses choix éditoriaux. [...]
La cinéphilie peut-elle se déplacer du cinéma vers la série télévisée, très créative de nos jours ?
M.C. : La série télévisée s'est réappropriée le romanesque sans se préoccuper du style. Je ne crois pas qu'existent des séries qui aient l'inventivité et l'originalité formelles d'un long métrage de Stanley Kubrick ou de Robert Altman. Elles sont en revanche beaucoup plus riches du point de vue de la fiction que les films. Un cinéaste comme Alain Resnais adore les séries comme Les Sopranos, car il ne voit pas les oeuvres filmiques de la même façon : il en apprécie avant tout l'histoire en se demandant ce qu'il aurait pu en faire.
Comment le cinéma américain a-t-il évolué depuis la création de Positif ?
M.C. : Les grands cinéastes américains n'ont plus la place prééminente qu'ils avaient dans le box-office des années 1930 à 1950. Les films de Capra, Ford, Lubitsch, Mankiewicz, Hitchcock sortaient dans toutes les salles et avaient un large public populaire. A partir de 1960 et surtout 1970, avec le Nouvel Hollywood, les oeuvres de Scorsese, Pakula, Schatzberg n'ont pas eu le même succès, à quelques exceptions près comme Le Parrain de Francis Ford Coppola.
A partir de 1975, le 7e art américain a été tué par les blockbusters dont les premiers ont été réalisés par Steven Spielberg et George Lucas. Les producteurs se sont alors engouffrés dans des films pour adolescents moins ambitieux et ont rendu la mise en chantier des oeuvres d'artistes comme Robert Altman beaucoup plus ardues. A l'autre bout du spectre, Michael Cimino et les millions qu'il a dépensés sur Les Portes de paradis ont été responsables de la défiance d'Hollywood à l'égard des artistes. Il y a aujourd'hui moins de créativité aux Etats-Unis, malgré les oeuvres des frères Coen, Jeff Nichols, Paul Thomas Anderson, etc. Mais, à son meilleur, le cinéma américain arrive encore à former un trait d'union conciliant tous les publics. Et c'est la chose la plus difficile à faire dans l'expression artistique.
08:00 Publié dans Les mots des films | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 08 janvier 2013
L'équation française : plus en détail
Les prix ne baissent plus,
ils augmentent de 1% à 2%.
(Source : Direct Matin, jeudi 13 décembre 2012)
Le transport dans Paris prend 3,5%.
(Source : Direct Matin, jeudi 13 décembre 2012)
L'essence surprend toujours (et jamais à la baisse) et le gasoil va décevoir.
"Le poids du logement a fortement augmenté dans le budget des ménages aux bas revenus".
(Source : Les Echos, lundi 17 décembre 2012)
Le taux du livret A va baisser de 2,25% à 2% ou 1,75% ...
(Source : Direct Matin, jeudi 13 décembre 2012)
... et son plafond va être re-augmenté.
(Source : 20 Minutes, jeudi 20 décembre 2012)
Et le Smic du smicard
qui consomme en grande distribution,
prend le métro,
est locataire,
et n'épargne pas ou peu... ?
Il stagne à 1 430,22 € mensuels avec une hausse de 0,3%.
Elémentaire.
Sinon, il pourrait profiter de la seule bonne nouvelle :
la hausse du plafond du Livret A.
(Source : 20 Minutes, mardi 16 décembre 2012)
(Source : Les Echos, lundi 17 décembre 2012)
Pour agrandir : L'inflation subie selon le niveau de vie 1-2.jpg
L'inflation subie selon le niveau de vie 2-2.jpg
08:01 Publié dans Politique & co, Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 07 janvier 2013
L'Enfer de Dante - Chants 21, 23, 24, 30, 33 - Delacroix
La barque de Dante (Dante et Virgile aux Enfers), Eugène Delacroix, 1822
Extrait de La divine comédie, L'Enfer, 1314, Dante, traduction de Jacqueline Risset, GF-Flammarion 1985 :
Chant 21
[...]
Je me tournai alors comme un homme anxieux
de voir le danger qu'il doit fuir
et que la peur soudaine désarçonne,
mais qui, pour voir, ne prend pas de retard :
et je vis derrière nous un diable noir
qui venait en courant sur le rocher.
[...]
Chant 23
[...] "Si j'étais de verre étamé
je ne refléterais pas ton image extérieure
plus vite que je n'accueille celle de ton âme.
Car tes pensées venaient parmi les miennes,
si pareilles de geste et de visage,
que j'ai fait de toutes un seul dessein.
Si la berge à main droite est assez douce
pour que nous puissions passer dans l'autre bolge,
nous éviterons la chasse imaginée."
Il n'avait pas fini d'expliquer ce projet
que je les vis venir, les ailes déployées,
non loin de nous, pour nous saisir.
Mon guide me prit aussitôt dans ses bras,
comme une mère éveillée par le bruit
qui, voyant tout près les flammes allumées,
prend son enfant et fuit sans s'arrêter,
ayant plus soin de lui que d'elle,
à peine vêtue d'une seule chemise ;
sur le dos, du haut de la dure falaise,
il se laissa glisser sur le rocher en pente
qui ferme un des côtés de l'autre bolge.
Jamais l'eau ne coula si vite par un canal
pour faire tourner sur terre une roue de moulin,
quand elle approche le plus près de ses aubes,
que ne fit mon maître sur ce rebord
en me portant sur sa poitrine,
comme son enfant, non comme un compagnon.
[...]
Et le moine : "J'ai entendu jadis dire à Bologne
que le diable a beaucoup de vices, et entre autres,
qu'il est menteur et père de mensonge."
Mon guide à ces mots s'en alla à grands pas,
un peu troublé par la colère, en son visage ;
et je quittai alors ces accablés,
suivant la trace de ses pieds bien-aimés.
Chant 24
[...]
Ainsi mon maître me fit m'épouvanter
quand je vis son front se troubler de la sorte,
mais bientôt il mit un baume sur le mal :
car quand nous arrivâmes au pont brisé,
il se tourna vers moi, mon guide, avec cet air
très doux que je lui vis d'abord au pied du mont.
Il ouvrit les bras, après avoir tenu
conseil avec lui-même, et bien considéré
l'éboulement - et puis il me saisit.
Comme celui qui pense et agit à la fois,
et qui semble toujours tout penser à l'avance,
ainsi, me portant vers la cime
d'un gros rocher, il avisa un autre bloc
et dit : "Accroche-toi bien à celui-ci ;
mais éprouve d'abord s'il peut te soutenir."
[...]
L'haleine des poumons s'était faite si courte,
lorsque j'y fus, que je ne pus aller plus loin,
et je m'assis à la première halte.
"Il faut maintenant que tu chasses la paresse",
dit mon maître : "ce n'est pas assis sous la plume
ni sous la couette, qu'on arrive à la gloire ;
or qui consume sa vie sans elle
laisse de soi, sur terre, trace pareille à celle
de la fumée dans l'air, et de l'écume dans l'eau.
Lève-toi donc ; vaincs cette angoisse
par le courage qui gagne les batailles,
s'il ne fléchit pas sous le poids du corps.
Il nous faudra monter plus longue échelle ;
avoir laissé les diables ne suffit pas.
Si tu m'entends, que la leçon te serve."
Je me levai alors, en me montrant pourvu
de plus de souffle que je n'en sentais,
et dis : "Va donc, je suis fort et hardi."
[...]
Chant 30
[...]
J'étais tout entier tendu à les entendre,
quand mon maître me dit : "Prends garde !
encore un peu et je m'emporte contre toi !"
Lorsque je l'entendis parler avec colère,
je me tournai vers lui avec une telle honte
qu'elle s'agite encore dans ma mémoire.
Et tel est celui qui rêve son dommage
et qui en rêvant espère qu'il rêve,
désirant ce qui est, comme si ce n'était pas ;
tel je devins alors, sans plus pouvoir parler,
car je désirais m'excuser, et m'excusais
de fait, tout en croyant ne pas le faire.
"Moins de regret peut laver faute plus grosse",
me dit mon maître, "que n'a été la tienne ;
aussi décharge-toi de tout chagrin,
et rappelle-toi que je suis près de toi,
s'il advient encore que fortune t'amène
là où sont des gens en pareille querelle ;
car vouloir les entendre est bas désir."
Chant 33
[...]
"Mais étends la main à présent jusqu'ici,
ouvre-moi les yeux." Et moi, je ne les ouvris pas,
et ce fut courtoisie de lui être vilain.
[...]
Chant 34
[...]
Comme je devins alors glacé, sans force,
ne le demande pas, lecteur, et je ne l'écris pas,
car toute parole serait trop peu.
Je ne mourus pas, et ne restai pas vivant :
juge par toi-même, si tu as fleur d'intelligence,
ce que je devins, sans mort et sans vie.
[...]
Et si alors je fus troublé,
les gens grossiers le penseront, qui ne voient pas
quel est le point que j'avais dépassé.
[...]
Se procurer l'ouvrage :
La divine comédie, L'Enfer
34 chants, écrits en 1314
Dante
1985
Traduction de Jacqueline Risset, GF Flammarion
380 pages, édition bilingue
08:11 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Foi, Peinture, Poësie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : l'enfer, dante, divine comédie, delacroix
dimanche, 06 janvier 2013
L'Enfer de Dante - Introduction, Chants 8, 10, 15, 16 & 17 - Botticelli
La carte de l'Enfer, Botticelli
Extrait de La divine comédie, L'Enfer, 1314, Dante, traduction de Jacqueline Risset, GF-Flammarion 1985 :
Introduction
[...]
Lorsqu'il parle de son oeuvre, Dante ne parle jamais d'une fiction. Il emploie le mot de Comédie (ce qui veut dire qu'elle finit bien), et la qualification de "poème sacré" - rapportant une expérience ayant valeur de vérité, et l'ayant pour tout les hommes. Elle a pour but, son auteur le précise en ces termes, de "tirer de l'état de misère les vivants dans cette vie et de les conduire à l'état de félicité".
[...]
Chant 8
[...]
"O mon cher guide, toi qui plus de sept fois
m'as rendu la sécurité et m'as tiré
des terribles dangers qui me menaçaient,
ne me laisse pas", lui dis-je, "si défait ;
et s'il est interdit d'aller plus loin,
revenons vite ensemble sur nos pas."
Et ce seigneur qui m'avait mené jusque-là
me dit : "N'aie crainte ; il n'est personne qui puisse
nous barrer le passage : trop grand est qui l'accord.
Mais attends-moi ici : ranime ton esprit harassé
et nourris-le de bonne espérance,
je ne te laisserai pas dans le monde d'en bas."
Il s'en va ainsi, et là m'abandonne,
mon doux père, et moi je reste en suspens,
car oui et non se battent dans ma tête.
[...]
Chant 10
[...]
Il semble qu'avant l'heure, si j'entends bien,
vous puissiez voir ce que le temps apporte,
mais pour le présent vous ayez autre usage.
"Nous voyons, comme ceux qui n'ont pas de bons yeux",
dit-il, "les choses qui sont lointaines ;
c'est ainsi que Dieu nous donne sa lumière.
Notre intellect est vain pour tout ce qui est proche
ou présent ; et si nul ne vient nous parler,
nous ignorons tout de l'état humain.
Tu comprends ainsi que notre connaissance
sera toute morte à partir de l'instant
où sera fermée la porte du futur."
[...]
"Garde en mémoire ce que tu viens d'entendre
contre toi", me commanda ce sage ;
"et à présent sois attentif", et il dressa le doigt :
"quand tu seras devant le doux regard
de celle dont les beaux yeux* voient toutes choses,
tu sauras d'elle tout le voyage de ta vie."
[...]
* de celle dont les beaux yeux : Béatrice.
Chant 15
[...]
"Si ma demande était comblée",
lui répondis-je, "vous ne seriez pas encore
mis au ban de la vie humaine ;
car dans ma mémoire est gravée, et me navre à présent,
la chère et bonne image paternelle
de vous quand sur la terre vous m'enseigniez
heure après heure comment l'homme se rend éternel ;
quel gré je vous en sais durant toute ma vie,
il faut que dans ma langue on le discerne.
Ce que vous avez dit de mon sort, je l'écris ;
et je le garde à commenter avec un autre texte
pour dame* qui saura lire, si je vais jusqu'à elle.
Je veux seulement qu'il vous soit clair,
pour que ma conscience ne me remorde pas,
que pour la fortune, comme elle veut, je suis prêt.
Telle prédiction n'est pas nouvelle à mon oreille :
mais que Fortune tourne sa roue
comme elle voudra, et le vilain sa pelle."
Mon maître alors se retourne
vers le côté droit, me regarda,
et dit : "Bon entendeur qui comprend bien."
[...]
* pour dame : Béatrice.
Chant 16
[...]
Ah comme les hommes doivent être prudents
auprès de ceux qui voient plus que les actes,
et dont l'esprit pénètre les pensées !
[...]
Chant 17
[...]
Et moi qui craignais de fâcher, en restant plus,
celui qui m'avait dit de ne pas m'attarder,
je m'en revins, loin des âmes lassées.
Je trouvai que mon guide était déjà monté
sur les reins de l'animal farouche ;
et il me dit : "A présent, sois fort et hardi.
Nous irons désormais par de telles échelles ;
monte devant, je veux être au milieu,
pour que sa queue ne puisse te blesser."
Tel est celui qui sent le premier frisson
de la fièvre quarte, qui a déjà les ongles blancs,
et tremble tout entier en regardant l'ombre,
tel je devins à ces paroles dites ;
mais la honte me fit ses menaces,
elle qui rend son courage au valet d'un bon maître.
Je m'assis donc sur cette affreuse échine ;
et voulus dire, mais la voix ne vint pas
comme je croyais : "Serre-moi dans tes bras."
Mais lui, qui d'autres fois m'avait tiré déjà
d'autres dangers, sitôt que je montai,
m'entoura de ses bras et me soutint.
[...]
Se procurer l'ouvrage :
La divine comédie, L'Enfer
34 chants, écrits en 1314
Dante
1985
Traduction de Jacqueline Risset, GF Flammarion
380 pages, édition bilingue
07:34 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Foi, Peinture, Poësie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : l'enfer, dante, divine comédie, botticelli
samedi, 05 janvier 2013
L'Enfer de Dante - Chants 7 & 11 - Considérations sur l'Art et l'argent - Delacroix
Les Limbes, Delacroix
Sont représentés Cincinnatus, Orphée, Sapho, Caton d'Utique, Marc Aurèle, Virgile, Dante, Homère, Horace, Jules César, Trajan, Hannibal, Pyrrhus, Alexandre le Grand, Les Muses, Achille, Aristote, Aspasie, Alcibiade, Démosthène, Ovide, Platon, Socrate, Dante
Source à consulter : http://www.insecula.com/oeuvre/photo_ME0000051356.html
CONSIDERATIONS SUR L'ART ET L'ARGENT
Extrait de La divine comédie, L'Enfer, 1314, Dante, traduction de Jacqueline Risset, GF-Flammarion 1985 :
Chant 11
[...]
"O Soleil qui guéris la vue troublée,
tu me rends si content quand tu résous mes doutes,
que le doute m'est doux autant que le savoir.
Mais reviens encore un peu en arrière",
lui dis-je, "là où tu me dis que l'usure
offense la divine bonté, et délie-moi ce nœud."
"La philosophie", dit-il, "à qui l'entend
enseigne, et dans plus d'un écrit,
comment la nature procède
de la divine intelligence et de son art ;
et si tu lis bien ta Physique*,
tu trouveras, dans les premières pages,
que l'art humain, autant qu'il peut, suit la Nature,
comme un élève suit son maître,
si bien que l'art est comme un petit-fils de Dieu.
Des deux, Art et Nature, si tu as en mémoire
les premiers vers de la Genèse, il faut
que l'homme tire vie, et qu'il avance ;
et puisque l'usurier suit d'autres voies,
il méprise Nature pour elle et pour son art,
puisqu'il met son espoir en un autre lieu.
[...]
* Ta Physique : la physique d'Aristote.
Chant 7
[...]
Là je vis des gens, plus nombreux qu'ailleurs,
de çà, de là, avec des hurlements,
pousser des fardeaux à coups de poitrine.
Ils se cognaient l'un contre l'autre ; et à ce point
chacun se retournait, repartant vers l'arrière,
criant : "Pourquoi tiens-tu ?", "pourquoi lâches-tu ?".
C'est ainsi qu'ils tournaient par le cercle lugubre
sur chaque bord, vers le point opposé,
en criant encore leur honteux couplet ;
puis chacun se tournait, quand il était venu
par son demi-cercle à la deuxième joute.
Et moi qui en avais le cœur comme brisé,
je dis : "Mon maître, explique-moi
qui sont ces gens, s'ils furent tous clercs,
ces tonsurés à notre gauche."
Et lui, à moi : "Tous ils furent borgnes
dans leur esprit durant la vie, de sorte
qu'ils n'eurent aucune mesure en leur dépense.
Leur voix l'aboie très clairement,
quand ils parviennent à ces deux points du cercle
où le péché contraire les désassemble.
Ceux-ci furent clercs, qui n'ont pas de couvercle
de poil en tête, et papes et cardinaux,
en qui l'avarice montre sa démesure."
Et moi : "Maître, chez ces gens-là
je devrais bien en reconnaître quelques-uns
qui furent salis par ces deux vices."
Et lui à moi : "Tu as des pensées vaines :
la vie méconnaissante que firent ces méchants
les brunit à présent à la reconnaissance.
Pour toujours ils iront aux deux points de rencontre :
ceux-ci resurgiront de leur sépulcre
avec le poing fermé, ceux-là le poil rogné*.
Mal donner, mal tenir leur a ôté
le beau séjour, et mis en cette échauffourée :
Ce qu'elle est n'a pas besoin de beaux discours.
Tu peux, mon fils, voir à présent le souffle court
des biens qui sont confiés à la fortune,
pour qui les humains se combattent ;
car tout l'or qui est sous la lune
et a été, ne pourrait donner le repos
à une seule de ces âmes lassées."
"Maître", lui dis-je, "enseigne-moi encore :
cette fortune** que tu nommes, qui est-elle,
qui a tous les biens de la terre en ses griffes ?"
Et lui à moi : "Ô stupides créatures,
quelle ignorance vous opprime !
Je veux que tu saisisses ma pensée.
Celui dont le savoir surpasse tout
fit les cieux*** et leur donna des guides,
si bien que chaque partie lui sur les autres
en répandant une lumière égale.
Pareillement pour les splendeurs mondaines
il mit pour guide une intelligence ordinatrice
qui change à temps tous les vains biens
de race à race, de l'un à l'autre sang,
outre l'opposition des volontés humaines.
Ainsi un peuple règne et un autre languit,
suivant la décision de cette intelligence
qui reste cachée comme serpent dans l'herbe.
Votre savoir ne peut lui résister :
elle pourvoit, juge et maintient son règne
ainsi que font les autres dieux****.
Ses mutations n'ont pas de trêve :
et la nécessité la rend rapide ;
ainsi voit-on les hommes changer souvent d'état.
C'est elle qui si souvent est mise en croix
par ceux-là mêmes qui devraient la chanter,
et qui lui font à tort mauvais renom ;
mais elle est bienheureuse et n'entend rien :
et joyeuse parmi les créatures premières,
elle tourne sa sphère et jouit de soi.
[...]
* avec le poing fermé : symbole d'avarice.
le poil rogné : symbole de prodigalité.
** cette fortune : la Fortune est ici représentée comme un Ange, chargé de régler le cours des affaires humaines. [...]
*** fit les cieux : Dieu crée les neuf cieux et leur assigne les intelligences motrices ; chacune d'elle reflète sa lumière intellectuelle sur chaque ciel matériel, sur chaque sphère céleste, en distribuant également la lumière divine dont elle est douée.
**** les autres dieux : les autres intelligences, vulgairement appelées Anges.
Se procurer l'ouvrage :
La divine comédie, L'Enfer
34 chants, écrits en 1314
Dante
1985
Traduction de Jacqueline Risset, GF Flammarion
380 pages, édition bilingue
07:35 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Foi, Peinture, Poësie, Thèse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dante, l'enfer, divine comédie, delacroix