samedi, 05 janvier 2013
L'Enfer de Dante - Chants 7 & 11 - Considérations sur l'Art et l'argent - Delacroix
Les Limbes, Delacroix
Sont représentés Cincinnatus, Orphée, Sapho, Caton d'Utique, Marc Aurèle, Virgile, Dante, Homère, Horace, Jules César, Trajan, Hannibal, Pyrrhus, Alexandre le Grand, Les Muses, Achille, Aristote, Aspasie, Alcibiade, Démosthène, Ovide, Platon, Socrate, Dante
Source à consulter : http://www.insecula.com/oeuvre/photo_ME0000051356.html
CONSIDERATIONS SUR L'ART ET L'ARGENT
Extrait de La divine comédie, L'Enfer, 1314, Dante, traduction de Jacqueline Risset, GF-Flammarion 1985 :
Chant 11
[...]
"O Soleil qui guéris la vue troublée,
tu me rends si content quand tu résous mes doutes,
que le doute m'est doux autant que le savoir.
Mais reviens encore un peu en arrière",
lui dis-je, "là où tu me dis que l'usure
offense la divine bonté, et délie-moi ce nœud."
"La philosophie", dit-il, "à qui l'entend
enseigne, et dans plus d'un écrit,
comment la nature procède
de la divine intelligence et de son art ;
et si tu lis bien ta Physique*,
tu trouveras, dans les premières pages,
que l'art humain, autant qu'il peut, suit la Nature,
comme un élève suit son maître,
si bien que l'art est comme un petit-fils de Dieu.
Des deux, Art et Nature, si tu as en mémoire
les premiers vers de la Genèse, il faut
que l'homme tire vie, et qu'il avance ;
et puisque l'usurier suit d'autres voies,
il méprise Nature pour elle et pour son art,
puisqu'il met son espoir en un autre lieu.
[...]
* Ta Physique : la physique d'Aristote.
Chant 7
[...]
Là je vis des gens, plus nombreux qu'ailleurs,
de çà, de là, avec des hurlements,
pousser des fardeaux à coups de poitrine.
Ils se cognaient l'un contre l'autre ; et à ce point
chacun se retournait, repartant vers l'arrière,
criant : "Pourquoi tiens-tu ?", "pourquoi lâches-tu ?".
C'est ainsi qu'ils tournaient par le cercle lugubre
sur chaque bord, vers le point opposé,
en criant encore leur honteux couplet ;
puis chacun se tournait, quand il était venu
par son demi-cercle à la deuxième joute.
Et moi qui en avais le cœur comme brisé,
je dis : "Mon maître, explique-moi
qui sont ces gens, s'ils furent tous clercs,
ces tonsurés à notre gauche."
Et lui, à moi : "Tous ils furent borgnes
dans leur esprit durant la vie, de sorte
qu'ils n'eurent aucune mesure en leur dépense.
Leur voix l'aboie très clairement,
quand ils parviennent à ces deux points du cercle
où le péché contraire les désassemble.
Ceux-ci furent clercs, qui n'ont pas de couvercle
de poil en tête, et papes et cardinaux,
en qui l'avarice montre sa démesure."
Et moi : "Maître, chez ces gens-là
je devrais bien en reconnaître quelques-uns
qui furent salis par ces deux vices."
Et lui à moi : "Tu as des pensées vaines :
la vie méconnaissante que firent ces méchants
les brunit à présent à la reconnaissance.
Pour toujours ils iront aux deux points de rencontre :
ceux-ci resurgiront de leur sépulcre
avec le poing fermé, ceux-là le poil rogné*.
Mal donner, mal tenir leur a ôté
le beau séjour, et mis en cette échauffourée :
Ce qu'elle est n'a pas besoin de beaux discours.
Tu peux, mon fils, voir à présent le souffle court
des biens qui sont confiés à la fortune,
pour qui les humains se combattent ;
car tout l'or qui est sous la lune
et a été, ne pourrait donner le repos
à une seule de ces âmes lassées."
"Maître", lui dis-je, "enseigne-moi encore :
cette fortune** que tu nommes, qui est-elle,
qui a tous les biens de la terre en ses griffes ?"
Et lui à moi : "Ô stupides créatures,
quelle ignorance vous opprime !
Je veux que tu saisisses ma pensée.
Celui dont le savoir surpasse tout
fit les cieux*** et leur donna des guides,
si bien que chaque partie lui sur les autres
en répandant une lumière égale.
Pareillement pour les splendeurs mondaines
il mit pour guide une intelligence ordinatrice
qui change à temps tous les vains biens
de race à race, de l'un à l'autre sang,
outre l'opposition des volontés humaines.
Ainsi un peuple règne et un autre languit,
suivant la décision de cette intelligence
qui reste cachée comme serpent dans l'herbe.
Votre savoir ne peut lui résister :
elle pourvoit, juge et maintient son règne
ainsi que font les autres dieux****.
Ses mutations n'ont pas de trêve :
et la nécessité la rend rapide ;
ainsi voit-on les hommes changer souvent d'état.
C'est elle qui si souvent est mise en croix
par ceux-là mêmes qui devraient la chanter,
et qui lui font à tort mauvais renom ;
mais elle est bienheureuse et n'entend rien :
et joyeuse parmi les créatures premières,
elle tourne sa sphère et jouit de soi.
[...]
* avec le poing fermé : symbole d'avarice.
le poil rogné : symbole de prodigalité.
** cette fortune : la Fortune est ici représentée comme un Ange, chargé de régler le cours des affaires humaines. [...]
*** fit les cieux : Dieu crée les neuf cieux et leur assigne les intelligences motrices ; chacune d'elle reflète sa lumière intellectuelle sur chaque ciel matériel, sur chaque sphère céleste, en distribuant également la lumière divine dont elle est douée.
**** les autres dieux : les autres intelligences, vulgairement appelées Anges.
Se procurer l'ouvrage :
La divine comédie, L'Enfer
34 chants, écrits en 1314
Dante
1985
Traduction de Jacqueline Risset, GF Flammarion
380 pages, édition bilingue
07:35 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Foi, Peinture, Poësie, Thèse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dante, l'enfer, divine comédie, delacroix
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