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vendredi, 02 novembre 2012

Considérations sur la littérature - Jacqueline de Romilly

 

Jacqueline de Romilly.jpg Jacqueline de Romilly (1913-2010)

 

Extraits de Le Trésor des savoirs oubliés, Jacqueline de Romilly, de l'Académie française, 1998, Ed. de Fallois

 

[...]

Les écrivains nous apprennent à voir. Tout simplement à voir les choses, à voir le monde. Le plus souvent je suis convaincue que notre perception des choses est superficielle, inattentive, insuffisante. Et je crois que l'observation, le choix des mots souvent attirent notre attention sur des détails présents, frappants, que nous reconnaissons et dont la vérité nous paraît évidente, alors qu'ils nous étaient inconnus. [...] On y verra par exemple Les Chats décrits par Colette, avec leur douceur et leurs griffes et leur luxe ; je n'ai jamais beaucoup observé les chats ni aimé les chats ; mais le temps de lire un tel texte je retrouve la vérité des notations, ou plutôt je les découvre et en même temps, pour un temps, j'aime les chats ; et ce n'est peut-être pas tout car, pour un temps aussi, me pénètre une sorte de sympathie pour ce genre de sensualité qui rend si présentes les beautés des bêtes, des fruits et des plantes. L'admiration se double de compréhension, et la vision liée à un texte porte avec elle des réactions affectives, et proches déjà de jugements de valeur.

Mais surtout, les écrivains nous font ressentir et comprendre les émotions et leur sens. Et à cet égard, j'aimerais raconter une impression toute récente que j'ai éprouvée il y a quelques semaines : je venais d'écouter sur cassette, c'est-à-dire lu à haute voix, l'Othello de Shakespeare. J'étais seule dans une pièce tranquille avec du loisir et j'ai laissé le texte entier passer en moi. Quand il a été fini, je suis restée comme frappée de stupeur et de désolation. J'éprouvais une pitié dévorante pour Desdémone, la si pure et tendre Desdémone, qui venait une fois de plus de mourir victime du malentendu qui dressait contre elle un époux bien-aimé. J'étais déchirée de pitié pour Othello, le Maure, qui venait dans sa folie et son imprudence de tuer celle pour qui il éprouvait une si puissante passion. Les deux pitiés ne se contredisaient pas, elles se complétaient. Il me semblait, depuis l'accablement où je me trouvais, comprendre mieux que jamais comment les êtres humains se font souffrir sans le vouloir, l'un par l'autre, alors qu'ils s'aiment et voudraient tout faire pour se le prouver. Il me semblait atteindre à un niveau de compréhension plus grand que dans toutes les années passées ; peut-être s'ajoutait-il vaguement la condamnation de la perfidie du traître, le regret de l'imprudence d'Othello qui n'avait pas mieux vérifié, l'étonnement devant l'ensemble de petits indices qui finissaient par aboutir à cette fin tragique d'une façon qui semblait presque inévitable. La pitié et la compréhension m'écrasaient. J'ai mis longtemps à me reprendre.

[...]

Le regard du connaisseur est un regard entraîné et qu'on ne trompe pas aisément. Mais, à côté de cet entraînement pratique, le rôle de la littérature est infiniment plus important. Car, dans les textes, nous trouvons, décrits avec des mots, la présence d'objets, d'êtres ou de sensations que nous pouvons avoir rencontrés, mais sans percevoir tous les aspects qu'un écrivain, entraîné à observer et à traduire cette observation par des mots, peut, d'un seul coup, nous communiquer. Parfois, ce sera une découverte et il nous fera voir des réalités de nous inconnues, des pays lointains, des êtres monstrueux, des présences surprenants, des émotions hors de notre portées. D'autres fois ce seront des réalités familières mais que nous n'avions pas remarquées.

Chose étrange : le plus souvent nous reconnaîtrons avec la même certitude un objet que nous ignorons ou un objet que nous connaissons. L'imagination nous présente les choses avec suffisamment de force pour que nous ayons le sentiment de déjà les connaître.

En tout cas, nombreuses sont les descriptions dans les œuvres littéraires qui nous donnent cette impression ; et, par la suite, que le souvenir en soit présent ou bien oublié, cette description nous aide à mieux voir ce qui se présence sous nos yeux.

Je lisais, pas plus tard qu'hier, un texte de Colette relatif à son chat ou sa chatte. Je vois tout. Je vois, comme elle dit, "ces pattes armées de brèves griffes en cimeterres qui savent se fondre, confiantes, dans la main amie". Quand je lis cela, moi qui n'ai pas beaucoup l'habitude, aussitôt je vois ce chat ! Puis, dans la page de Colette, les adjectifs, bientôt se multiplient : "facile..., rêveuse..., passionnée..., gourmande..., caressante..., autoritaire". L'enfant qui poursuit un chat sur le trottoir ne voit pas tout cela ; quand il aura lu ce texte, puis d'autres, peut-être le verra-t-il un peu mieux ; ses yeux se seront ouverts à la présence de ce qui l'entoure. 

Il aura aussi l'occasion (plus fréquente) de rencontrer des chats moins séduisants comme le Raminagrobis de La Fontaine :
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras, 
Arbitre expert sur tous les cas

Ce chat-là, faisant l'arbitre, dévore tranquillement les deux adversaires. Lui aussi, l'enfant, dès lors, le verra mieux.

Ou bien quand un auteur nous décrit la buée légère qui subsiste sur un fruit que l'on vient de cueillir, tout à coup cette description nous rappelle une impression fugitive que nous n'avons pas notée, que nous n'avons pas retenue, mais que, la prochaine fois, nous saluerons avec plus d'amitié et de lucidité.

De même, si la chaleur est quelque chose que l'on perçoit immédiatement et sans qu'il soit besoin pour cela d'aucune aide, je crois qu'une description de l'été algérien dans Camus aide à comprendre ce que cette chaleur a de redoutable et à sentir dans notre corps la splendeur de cette végétation, du soleil et de tout ce qui renaît avec la fraîcheur du soir. On vit, on perçoit, on voit, on entend par la littérature ou du moins on le fait mieux grâce à la littérature.

Et même s'il ne s'agit pas de détails mieux perçus, l'évocation littéraire - soit sur le moment, quand nous sommes confrontés à elle, soit après coup, quand il s'agit de souvenirs oubliés - ajoute une présence et une richesse plus grandes à tout ce que nous voyons, même aux objets les plus familiers, aux circonstances, aux mots connus.

[...] Quand vient la fin du jour, les ombres s'allongent. Nous le voyons, bien entendu - du moins, si nous sommes uin peu attentifs. Mais si un jour a chanté en nous la formule de Virgile disant que le soir les ombres tombent plus longues du haut des monts, avec ces sonorités sourdes que l'on remarque aussitôt dans la langue latine et dont le français garde quelque chose, en l'alourdissant, cette présence nous trouvera plus attentifs ; nous la remarquerons ; et là aussi elle prendra pour nous, parce qu'elle vient de si loin, une richesse accrue. Et voit-on, en contrepartie, le lever du jour ? Je le regarde, je l'avoue, assez rarement. Mais quand je vois le petit matin et les taches roses qui apparaissent partout, délicates et prometteuses, je crois qu'un vague souvenir de l'expression homérique "l'Aurore aux doigts roses" est quelque part dans mon esprit et donne du prix, de la présence, de la force à ce que je perçois.

Au reste, on le constate : ce n'est pas seulement parce qu'un écrivain a su observer la réalité qu'il nous aide à la reconnaître ; ce n'est même pas seulement parce qu'il a su trouver les mots justes pour la décrire : c'est parce que, usant de la valeur poétique des mots et aussi des métaphores et de leurs possibilités de suggestion, il ajoute à l'observation stricte des évocation multiples, presque infinies.

Je sais bien qu'en ce sens, c'est à la peinture que l'on penserait tout d'abord, car elle aussi montre les objets et en même temps, par la composition, les valeurs, l'interprétation, ajoute un sentiment personnel à la simple présente de l'objet. Il est juste de le rappeler, et je suis la première à admettre que l'on voit beaucoup mieux des pommes lorsque l'on a regardé des tableaux de Cézanne représentant des pommes. [...]

Mais si j'insiste sur la littérature et sur son rôle quand il s'agit de nous apprendre à voir, c'est parce que le jeu sur les mots, sur leur longueur, sur leurs sonorités, accompagné du recours aux métaphores, permet par sa précision d'aller plus loin encore.

Citons par exemple deux images d'échassiers. On pourrait avoir des planches d'histoire naturelle les représentant avec une parfaite exactitude ;  et déjà cela nous aiderait à les voir. Mais deux évocations me viennent à l'esprit. La première est le héron de La Fontaine ; l'animal, tout en longueur, est présenté en deux vers où l'adjectif "long" se répète plaisamment avec une insistance qui est proche de l'ironie :

Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,
Le héron au long bec emmanché d'un long cou.

L'image est là en quelques vers nets et secs qui font comme une petite vignette ; mais le procédé même de la répétition et de la simplification aide à le percevoir et permet de s'en amuser.

Le second échassier auquel je pense est plus petit ; il est aussi plus moderne ; aussi se colore-t-il des subtilités de la psychologie évoquées par une image et un changement de registre. C'est le pluvier d'Hector Bianciotti. Il nous le montre "droit sur une patte au milieu du sillon, au bord d'un sentier, l'air de considérer les propositions de l'horizon". Cette brève description, qui appartient au livre Ce que la nuit raconte au jour, m'enchante parce qu'elle me fait d'abord voir l'oiseau dressé sur une patte, tout seul, attentif, mais qu'aussitôt elle évoque son regard en se référant à des sentiments humains qui rendent l'impression plus présente. Il considère les propositions. On voit ce regard rond, attentif, un peu hautain qu'aurait un personnage dans sa situation et aussitôt l'image prend vie, grâce à la comparaison. D'autre part, ces propositions viennent, non pas de quelque partenaire dans un débat humain, mais de l'horizon : ceci confirme l'impression de hauteur qu'il y a dans ce regard de la tête dressée, l'arrogance même de l'expression avec cette façon de tenir le regard au loin ; et ainsi nous est rendue cette attitude de l'oiseau qui est en réalité faite d'attention et de méfiance.

La notation est ici originale ; elle semble aussi à ce point vraie, que l'on est tenté de rire de satisfaction devant cette réussite. Je crois bien n'avoir jamais vu de pluvier ; je suis sûre en tout cas de n'en avoir jamais observé ; et pourtant je reconnais celui-là parce que la littérature nous a dit quelque chose qui dépasse de beaucoup la description et qui n'est plus du tout réel. Il est amusant de penser que cela aura été mon premier pluvier et que je l'aurai vu dans cette pampa de l'Argentine que je ne connais pas et ne connaîtrai jamais. La réalité, en somme, nous atteint à travers une évocation irréelle et une métaphore plus irréelle encore. A chaque page des livres, à chaque vers des poèmes se présentent ainsi des notations, ou fugitives ou insistantes, qui, je le répète, nous apprennent à voir. Et, sauf exception, ces phrases qui nous auront touchés jusqu'au cœur, ces textes sont ensuite presque toujours oubliés : nous rejoignons ainsi le sujet de ce livre. Mais avant d'être oubliés, ils ont comme affiné notre regard et jeté sur les choses une lumière qui nous révèle leur existence. [...] 

On n'est pas obligé de vivre parmi les métaphores des poètes et de s'en faire un univers toujours plus ou moins présent. Mais il reste ce fait important que chaque phrase écrite est un effort pour rendre présent quelque chose et nous habitue ainsi à voir non pas par le regard direct qui n'est pas encore suffisamment entraîné, mais par le regard indirect des œuvres.

[...] 

 

> A consulter également : http://www.magazine-litteraire.com/content/rss/article?id=18057

 

Jaqueline de Romilly, le Trésor des savoirs oubliésSe procurer l'ouvrage :

Le Trésor des savoirs oubliés

Jacqueline de Romilly

1998

De Fallois

220 pages

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En poche : http://www.amazon.fr/tr%C3%A9sor-savoirs-oubli%C3%A9s-J-R...

 

jeudi, 25 octobre 2012

Considérations sur la ponctuation - Anouilh, Aragon, Cioran, Flaubert, Hugo, de Montherlant, Wilde, Sollers

 

sollers,paradis

azartaz/Flickr

 

Oscar Wilde :

"J'ai travaillé toute la matinée à la lecture des épreuves d'un de mes poèmes et j'ai enlevé une virgule. Cet après-midi, je l'ai remis."

 

Victor Hugo :

"Si vous saviez comme la virgule s'acharne et renaît sous le deleatur !"

 

Emil Michel Cioran :

"Les "vérités", nous ne voulons plus en supporter le poids, ni en être dupes ou complices. Je rêve d'un monde où l'on mourrait pour une virgule."

 

Gustave Flaubert :

"Pour moi, la plus belle fille du monde ne vaut pas une virgule mise à sa place."

 

Charles Dantzig :

"On respire par les yeux ! Nous l'avons tous expérimenté, à lire des livres non ponctués, où notre pauvre œil haletant cherche un point, une virgule, le moindre bout de banc où s'asseoir.

  

Jean Anouilh :

"Nous vivons dans un monde qui a complètement perdu l'usage du point-virgule, nous parlons tous par phrases inachevées, avec trois petits points sous-entendus, parce que nous ne trouvons jamais le mot juste."

 

Henry de Montherlant :

"On reconnaît tout de suite un homme de jugement à l'usage qu'il fait du point et virgule."  

 

Louis Aragon :

"Je demande à ce que mes livres soient critiqués avec la dernière rigueur, par des gens qui s'y connaissent, et qui sachant la grammaire et la logique, chercheront sous le pas de mes virgules les poux de ma pensée dans la tête de mon style."

  

> Pour davantage de citations : http://www.dicocitations.com/citation.php?mot=virgule

 

 ¤     ¤     ¤

 

Extrait de Paradis, 1981, Philippe Sollers, Seuil :  

 

Extrait de la quatrième de couverture :

Pourquoi pas de ponctuation visible ? Parce qu'elle vit profondément à l'intérieur des phrases, plus précise, souple, efficace ; plus légère que la grosse machinerie marchande des points, des virgules, des parenthèses, des guillemets, des tirets. Ici, on ponctue autrement et plus que jamais, à la voix, au souffle, au chiffre, à l'oreille ; on étend le volume de l'éloquence lisible !

Pourquoi pas de blancs, de paragraphes, de chapitres ? Parce que tout se raconte et se rythme à la fois maintenant, non pas dans l'ordre restreint de la vieille logique embrouillée terrestre, mais dans celle, merveilleusement claire et continue, à éclipses, des ondes et des satellites. Autour de quoi ça tourne chez l'être humain ? Des mille et une façons de s'illusionner sur le pouvoir et l'argent du sexe. Salut petite planète roulante et pensante dans sa galaxie de galaxies !

[...]

 

Extrait de l'ouvrage :

voix fleur lumière écho des lumières cascade jetée dans le noir chanvre écorcé filet dès le début c'est perdu plus bas je serrais ses mains fermées de sommeil et le courant s'engorgea redevint starter le fleuve la cité des saules soie d'argent sortie du papier juste lin roseau riz plume coton dans l'écume 325 lumen de lumine en 900 remplacement des monnaies 1294 extension persane après c'est tout droit jusqu'à nos deltas ma fantaisie pour l'instant est de tout arrêter de passer les lignes à la nage brise matin feu lacs miroirs brouillant les feuillages calme d'eau marée on ne sait jamais l'aborder pourtant j'ai commencé je commence je prends la sphère commencée j'en viens j'y revais j'y vais commencement commencé tendu affalé sur elle et tenant ses poings dans mes mains elle dormait sec comme un caillou débranché piqué dans son rêve et moi pensant xanadu voûte caverne mer sans soleil vagin sans retour et jamais atteint jardins ruisseaux sinueux arbres d'encens à clairières quel ravin pour s'y détendre au milieu de la nuit couverte dancing rocks and mazy motion voilà la fontaine limite génitale de l'homme flos florum dôme ensoleillé près des caves de glace comment se nourrir de rosée lactée il est rare de saisir ainsi le saisissement dans l'insaisissable on dirait qu'un muscle s'avertit de laisser filer traînée brune gazeuse fissurée dorée allons allons puisque je vous dis que ça veut pas s'inscrire ils ont cru un moment l'isoler sous forme de poches halo bleuté d'atmosphère énergie éponge de l'anti-cancer yeux gris-bleu matière des matières impossible donc d'arriver comme un fleur et de dire j'y fus j'y étais j'y est je m'y fus j'y serai j'irai bien avant abraham lui-même raconté coupé décompté or c'est pas pour rien cependant que j'ai eu ce rêve en collier touches dentées piochées en faisceau de pinces me sautant au cou pour percer fouiller dégrafer une lutte à mort je vous dis pour me l'enlever la mâchoire c'est sanglant partout ça coule partout c'est drôlement gardé la contrée quant aux autres je les vois brûler non non je ne les vois pas je les pense non je ne les pense pas ça se passe de moi contre moi poussière légère cendreuse légère poussière impalpable détour de poussière et toujours encore et toujours tenus avec ce rictus ils se dressent flammes poussières et flammes poussières faut-il manger ce temps qui s'ébrèche qui s'ampute à brèche faut-il le longer le crever s'y plonger ou s'en détourner en réalité aristote dit que la tragédie remonte aux dithyrambes et la comédie aux chants phalliques mais phallus on l'a dit qu'en 1615 peu employé avant le 19e marrant ça je savais pas que tu comprends je ne peux pas considérer comme libre un être n'ayant pas le désir de trancher en lui les liens du langage voyons entre 13 et 18 ans l'espèce a son inondation génésique d'un côté le foutre de l'autre les règles comme le chuchotent les filles à l'école les garçons aussi ils ont ça on le voir à leurs yeux cernés tu crois moi je crois sacrés mâle et fils pissant dans les bois je passe entre eux inondé spongieux plus loin dans la mousse je file maintenant lavé délavé ouah voyons l'arabe appelle solaires les syllabes linguales dentales les autres lunaires l'expression chinoise lianxie veut dire lier en écrivant en avant l'enfant se débrouille d'abord avec ses accents multiples ou encore dans la flûte le si-bémol est la tonalité des adieux adieu o adieu je veux bien que ce soit en français si c'est vous qui le dites n'affirmons plus qu'il n'y a qu'une sorte de lutte il y en a deux la première sera louée de qui la comprendra l'autre est à condamner autrement dit tout ça est aussi vieux que le monde est ronde donc j'avais immédiatement deviné qu'il y avait une liaison entre ponctuation et procréation d'où leurs résistances clichés ponctuant miché leurs journées à savoir qu'ils n'enregistrent que les points de rencontre avec leur image virgule tiret point virgule conclusion vous me croirez si vous voulez mais ce truc donnait directement sur leur hantise à grossesse genre sésame bloqué en deçà de telle sorte que l'inconscient est bien le non-né hors-né jamais né en priorité caisses retraites tiédeur du voilage hagard en nécécité car si tu amènes ta poudre vivante si tu dis en plus de l'en-plus y a l'en-plus ils crachent individués flanchés cramponnés faisant chut chut en livide si tu nais ils meurent si tu meurs tu nais pas mal d'arrive à ça rien qu'avec des mots sur la page viseur effusé télescope vibrant amusé ça vous racle intestin les poches si je vais vite levé tôt ciel enroulé plié battant brillant du bitant moi j'y comprends rien fait-il foetus fait-elle en outre il faut prendre les phrases en ensembles scenarii couplés abrégés comme des microfilms bourrés de documents de formules imagine un peu le calcul facile à transporter à cacher l'histoire dans une boîte d'allumettes dans les défauts du papier voilà tu développes agrandis ouvres et c'est tout le stock qui saute à la gueule quel progrès violé pour qui veut passer tu comprends je suis devenu les six roues à la fois les grandes explosées les petites sujets en reflet les grandes en perte univers les petites en moi ou les autres on peut définir le réel comme l'intersection des dents poussées des six cercles les grands les petits de nouveau les grands les petits les grands toujours plus grands les petits petits que dit ézéchiel au bord du canal en déportation le vent du nord se lève en tempête la nuée arrive fulgurant son feu chacun va selon l'orientation de ses faces souffle-moi les braises la torche volée comme si une septième roue mais est-ce bien une roue se mouvait au milieu des autres les yeux sur les jantes aïe tous ces yeux qui arrivent dans le bruit des ailes des eaux sous les flots soulèvement par-derrière shaddaï el shaddaï vieux nom de montagne sais-tu ce qu'ils font dans les ténèbres chacun dans sa chambre à images les jours s'approchent ainsi que la parole de toute vision je mettrai leurs voix sur leurs têtes je dirai ce que je dirai nom de dieu et ils auront beau crier contre mon oreille je ne les entendrai pas le futur est là sous mes pas maintenant mes lettres commencent par l'enveloppe on dirait qu'un pouce les efface en montant à plat je connais sur le bout des doigts filés dissipés la disparition prévue de tout l'homme qu'est-ce qui reste à la fin des animaux insensés ayant vaincu l'insensé une simple énergie devenue cadence bref un flamboiement cristallin éclairant le rien me voici contre vos bandelettes [...] il suffit de voir les transformations dans l'obscurité de les halluciner et ensuite de tracer les traits luminés là où la vie palpite voilà ma formule le hasard rend le sens plus profond compter ce qui passe mouvement en avant connaître ce qui vient mouvement arrière ici le sud en haut le vent descend la montagne tous ils s'avancent dans le signe de l'éveilleur il est troué père jade métal froid glace rouge sombre c'est un bon cheval un vieux cheval un cheval maigre un cheval sauvage il est droit il est le dragon le vêtement de dessus la voir le réceptif en revanche est l'égal d'une étoffe un chaudron l'économie un veau une vache un grand char c'est la forme la multitude le tronc ou encore le waker est tonnerre jaune foncé étendue grande rue fils aîné bambou jonc se tenant se fléchant la dose bon et du côté du zodiaque les poissons à sec on entre dans le verseau ère de lucidité d'invention d'ivresse y en a pour 2155 ans quelle barbe j'ai envie de crever ce qui dans la bible se dit maintenant je m'en vais par toutes les voies de la terre ainsi parlent josué david au moment de quitter le cirque en improvisant pour finir sur fond de musique et la maint de l'éternel agitant sur eux leurs cheveux comme moi ici sans rien sans cithare toujours en éveil alignant mes bruits mes replis je sens ma nuit des oreilles je deviens tympan sans répit tout se fait granuleux micro clinamen hurlement de calme sacrée vie poker allons je joue pique ou je coupe cœur cellule à l'occidental avec toute l'histoire sur moi sous moi hors de moi tout à l'heure j'ai rêvé de dico descartes il était tout pâle attentif ergo je lui demande si on pense pendant qu'on dort bonne question il fait l'air malin mais mort ne se doutant pas que l'être est en langues attention au décollage salvagente sotto la poltrona je répète life vest under your seat au fond je suis votre bête de somme théologique si vous m'obligez à marcher au pas je dois avouer que cette page résiste comme toutes les femmes de la planète ne donnant pas au premier venu leurs ruisseaux de lait ou de miel non ça se viole pas non ça se prend pas par surprise non on ne peut pas dire n'importe quoi un bon mouvement reconnaissez que ça n'arrive pas des masses en un siècle et la vie d'un individu c'est vite couru tout le reste est tringlage allusif interdit carabiné scié de l'inceste à savoir de la vraie jouissance au-delà que ceux qui y son m'entendent alors pour oublier ils baisent ou ne baisent pas du pareil au même tricotés triqués harponnés n'ayant connu qu'un bof sous orgasthme après quoi fermeture de la tirelire les privant de lire de tirer je vous donne les deux cas extrêmes de l'humanité il tue son père et sa mère fou furieux il ne tue ni son père ni sa mère débile mental si vous mettez ça au féminin ça donne n'importe comment elle jouit même si elle jouit pas puisque de toute façon elle sait pas je précise qu'il ou elle c'est pas la même chose qu'un homme ou femme au sens des planches anatomiques qui vont être affichées pour la première fois dans les écoles preuve que c'est plus le problème [...]

 

sollers,paradis

Pour agrandir : Sollers - Paradis p13.JPG

 

Extrait de Paradis II, 1986, Philippe Sollers, Coll. Blanche, Gallimard :  

 

soleil voix lumières écho des lumières soleil cœur lumière rouleau des lumières moi dessous dessous maintenant toujours plus dessous par-dessous toujours plus dérobé plus caché de plus en plus replié discret sans cesse en train d'écouter de s'en aller de couler de tourner monter s'imprimer voler soleil cœur point cœur point de cœur passant par le cœur il va falloir rester réveillé maintenant absolument réveillé volonté rentrée répétée le temps de quitter ce cœur simplement le temps qu'il se mette enfin comme il voudra quand il voudra de la dure ou douce façon qu'il voudra bien peu de choses en vérité n'est-ce pas poussière de poussière bien peu très très peu comme on exagère comme on a tendance à grossir tout ça moi-moi-moi en vérité presque rien côtoiement d'illusion couverture du cœur d'illusion aujourd'hui j'écris aujourd'hui et aujourd'hui j'écris le cœur d'aujourd'hui et hier j'écrivais aujourd'hui et demain j'écrirais aujourd'hui c'est vraiment aujourd'hui et rien qu'aujourd'hui on devrait l'écrire aujournuit différente manière d'être à jour en suivant ses nuits dans la nuit salle de séjour noire bleue blanche j'attends le vide à sa tranche qu'il décide ou non de bouger de claquer si je reste comme ça réveillé le coup va venir c'est fini le coup va revenir cette fois vraiment c'est fini un deux trois pas tout à fait trois et de nouveau un deux et puis trois on est au cœur du cœur maintenant dans le cœur du cœur battant se taisant c'est lui qui creuse c'est lui qui poursuit c'est lui qui sait ce qu'il faut savoir pour continuer dans la nuit on n'ira jamais assez vite pour coïncider avec lui pour rejoindre son instinct fibré sa folie un muscle dites-vous seulement un muscle au fond d'après vous soleil cœur voix cœur germe en lui de lui tout en lui voilà le vent s'est levé de nouveau maintenant et je suis là de nouveau comme écrivant le temps de nouveau comme si le temps pouvait n'être rien d'autre que des lignes recoupant des lignes à la ligne là comme au bout du monde ne tenant plus que par un bout de bord à ce monde droites diagonales angles cadrans demi-cercles rayons revenant au centre cours des astres reflétés comme ça par le centre danse en cours avec moi reflet du danseur dans la nuit moi spectre et moi poison d'ombre moi squelette abstrait mangé par son ombre pas tout à fait cependant pas encore tout à fait déclic sursaut nerfs juste assez pour tracer conduit ce qui suit voilà on y va le concerte reprend sa cadence joie joie voilà c'est reparti ça se suit en effet un important groupe de taches s'étendant sur près de 300 000 kilomètres se déplace en direction du centre du disque solaire selon un observatoire de thénanie-westphalie elles devraient l'atteindre le 8 ou le 9 avril et ce phénomène qui pourrait perturber l'atmosphère terrestre est une des conséquences de la formidable activité que le soleil connaîtra au cours de l'année elle entraînera cette activité un comble de nervosité d'inexplicables fatigues des dissolutions dépressions décompositions des morts anticipées convoitées brusquées un supplément de crime de frime des séparations guerres convulsions récriminations falsifications dissimulations leucémisations cancérisations expulsions bref un état général de crible agité en noeud du tissu rongé des ponctions une frénésie négation des apoplexies pleins poumons des attaques et contre-attaques rupture de vaisseaux inondation des cervons disjonction des systèmes nervons déhanchements fanatiques rafales d'antibiotiques et puis faim et soif et bile et surtout faim et soif à partir du foie dans sa bile matriciation omnibile dans sa tellurique omnubilation que doit faire le narrateur  [...] je l'aurai attendu longtemps ma vision soufflée en ce monde moment soulevant mon exode à froid dans la monde j'aurai été patient finalement dans ce corps fragment de boue du monde bouée amarrée flottée ballottée respirant bloquée tourniquet voyons ça maintenant que les choses sont devenues sérieuses furieuses voyons ça d'un peu près avant de quitter crevé le procès les mondes enfin ce qu'on est obligé d'appeler comma ça dans les mondes sont donc au féminin c'est la monde absolument intrinsèquement goulûment obséquieusement funéraillement variqueusement platement et secrètement ravalant l'épargne de son logement l'ammonde c'est le dieu des dieux moulé monde la seule vraie valeur en ce monde c'est-à-dire le faux né du faux enclenchant le faux dans le faux mécaniquement machinalement règlement faux d'emblée faux chiffré faux dissimulé contracté plaqué supposé automatisé soudé obturé jalousement suturé passionnellement camouflé la monde c'est la vérité refermée ventre chaud gelé dans sa tombe faux-jour du faux ciel faux parcours nature sous le ciel et l'ammonde se tient sur la monde avec son faux soleil revenant chaque jour pressant son nouveau soleil faux soleil sa faux décapitant l'hors-soleil pour reprendre en main le soleil et la monde se sent bien comme ça [...]

 

sollers,paradis

Pour agrandir : Sollers - Paradis II p10.JPG

 

 [...] personne n'a osé montrer à quel point nous respirons rien dans le rien colères justifications pleurs souffrances adieu romances adieu cadences adieu adieu talkie-walkie déjà-dit adieu l'ardent sanglot qui roule d'âge en âge et vient mourir au bord de l'immense truquage adieu plumages ramages modelages massages baisages adieu visages adieu collages attention par de bruit on va de nouveau tenter la sortie premier acte tête en avant dans la tête et puis retrait descendant vers le cœur point de cœur passant par le cœur deuxième acte arrêt des poumons envoi de la prespiration dans le noeud nerveux des talons troisième acte retour au cerveau images pensées mots ébauches de mots vidéo quatrième acte ventre sexe et dessous du cul dans son sexe remontée méningée vers le cervelet bulbé d'illustré cinquième acte suspens ralentissement réfraction du sang dans le sang plaine fraîche courant dans les veines sixième acte rentrée des antennes septième acte plongée ouf ça y est je suis passé j'ai gagné mais quoi même pas un cent millième de seconde intervalle en tampe du sans-temps fraction brisée sans mesure évanouissement sous piqûre j'ai affaire à de drôles de chiffres maintenant effrités mangés mal notés difficiles atomes invisibles impossibles à imprimer à classer même si j'arrive à tenir la nuit quand je tombe en elle endormi comme si je devenais le carbone où se double en creux le récit je ne sais plus qui se suis je ne sais plus où je suis je ne l'ai jamais su j'ai toujours fait semblant j'ai perdu ils l'ont deviné pour finir que je n'étais pas dans leur trame dans leur transmission mélodrame dans leur romantisme à la gamme triple croches soupirs lunés révolus je n'y crois pas que voulez-vous qu'est-ce que j'y peux je n'y crois pas je n'y ai jamais cru je n'ai jamais pu jouer à leur jeu glorification de la merde en nécessité nature dieu planification d'épluchures logification de l'ordure dissimulation du cadavre aux nouveaux venus dans l'obtus ils arrivent ils ne sont pas prévenus ils tombent dans l'assemblée criminelle bien décidée à se venger sur eux à se rattraper sur eux de leur pus voilà ils font leur entrée dans les usa les utérus sataniques associés avant d'être pris en charge par l'urss l'utérus roulant socialoïdement stimulé ils sont immédiatement enregistrés numérotés contaminés tatoués bridés traumatiquement initiés magnétiquement conforéms électriquement inscrits à l'ursas union de ravalement symbolique animiquement subluné donc salaire retraite assurée apprentissage du mini gigotage rechargeant le nerf de l'effet à partir de là distribution des traits personnalisés indices de perversions de névroses tickets de débilités de psychoses répartition des quotients sexuels nécessaires à la rutilation de la pile centrale entassées tout est prévu chacun a ses illusions son menu ses zones permises ses périphéries défendues chacun et chacune n'oublions pas les chacunes apparemment dominées par les chacuns masculins mais en réalité solidement à la barre de la grande lacune en sous-main ce qui fait que les chacuns féminins surveillent les chacunes à chacun [...] maintenant et encore ici maintenant je n'avance plus je ne m'entends plus je ne comprends plus je ne me sens plus c'est vécu tout ça maintenant ici maintenant c'est connu déjà vu déjà parcouru et pourtant ça tourne et ça continue toujours ici maintenant sans tenir compte des dépenses de lignes ou d'argent répétant l'ici maintenant comme ça pour rien dans une fuite sur place d'harmonie fugue trace qu'est-ce qu'on est loin maintenant moi et moi ici maintenant moi et ma main moi et mes yeux ouverts et ma main devant moi pendant que mon autre main maintient le papier dans la direction d'ici maintenant toujours maintenant folie vrillée délire tempéré tempête figée du clavier ce n'est plus le corps masse volume qui écoute la partition venant de droite ou de gauche mais la clé la clave l'échelle cave lignes portées noires sonores pointillées crevées recevant en elles ce corps abrégé l'allégeant le retournant transparent l'enveloppant dans l'ici maintenant veillant résonnant pinçant chevauchant s'ouvrant voilà ça y est de nouveau dans le spectres en vérité sensation à vif de nouveau seule vérité trempée tympan du temps ici maintenant et j'écris là ici maintenant toute la nuit maintenant et le vent souffle dans les vitres de la nuit montante violente tordant les branches dehors et giflant l'eau qui remonte dehors à travers les herbes et les pierres envahissant de nouveau les canaux de pierres mangées d'herbes toute la nuit dans le clavecin ici maintenant dans sa volonté frêle inflexible algébrique violette ascétique comme si le squelette de touts les éléments s'entendait ici maintenant canon du temps se chiffrant se clavant se claviculant résurrection dans la plaine soufrée du temps maintenant pleine lune d'argent sur la droite et ici maintenant souffle sur les os du temps maintenant pendant que l'eau noire progresse avec la nuit noire se levant à la verticale de l'océan pour y retomber demain matin ici maintenant quand le bleu reviendra dans le soleil ici maintenant et toujours le même vent peu à peu visible sans que cesse pour autant l'impression de clou d'ici maintenant perçant la situation comme frappée d'une vie et d'une mort éternelles simultanées emboîtées s'engendrant et se détruisant pour donner cette annulation de lucidité soulignée parfois par une accalmie une pause solennelle de la machinerie un blanc de mouvement tao central éclairé vidé avec ses cris d'oiseaux saisis d'une ivresse incompréhensible célébrant ou commémorant de tous temps ce passage à vide de la nature débranchée de la substance épuisée lui donc là fou caché peut-être simplement ridicule obstiné buté acharné poursuivant son récit accroché à ses petits signes à son sillage bleuté intra-signes fugue en fa dièse majeur prélude et fugue en fa dièse mineur prélude et fugue en sol majeur prélude et fugue en sol mineur prélude et fugue en la bémol majeur prélude en sol dièse mineur fugue en sol dièse mineur prélude et fugue en la majeur prélude et fugue en la mineur prélude et fugue en si bémol majeur prélude et fugue en si bémol mineur prélude et fuugue en si majeur prélude et fugue en si mineur prélude ici mineur en fugue maintenant majeure d'abord exposition définition délimitation des conditions de la chute condamnation damnation puis extension spiralation explosion de la réanimation rédemption les mêmes mots pour descendre et pour remonter pour se plaindre et pour protester pour gémir et pour adorer pour blasphémer pour louer combien de fois n'a-t-il pas pensé en finir abandonner le projet se retirer se taire couper les ponts les communications les informations disparaîtront dans son coin attendre [...]

 

  

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Paradis

Philippe Sollers

1981

Seuil

254 pages

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Paradis II

Philippe Sollers

1986

Coll Blanche, Gallimard

114 pages

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mercredi, 17 octobre 2012

Le prix de l'art - Philippe Muray

 

"Le goût est la règle du juste prix des choses."
                                                     
                                                      Gracian 

 

la gloire de rubens,philippe muray
Philippe Muray (1945-2006)

 

Extrait de La gloire de Rubens, 1991, Philippe Muray, Grasset :

 

[...]

Il peut paraître provocant de dire que Rubens est la peinture par définition, parce que la peinture, toute la peinture semble au contraire s'étaler pour vous déconseiller ce détour. Et pas seulement la peinture, mais ce qui foisonne dans ses proximités, l'histoire de l'art, la critique d'art, les organisateurs d'art, directeurs d'art, conservateurs d'art, commissaires d'art, animateurs et réanimateurs infatigables d'art. Il y a belle lurette que tout ce petit monde passe son temps à faire maigrir la peinture comme les designers de mode firent maigrir les femmes pour vous dégoûter de la beauté pleine de leurs volumes comme de la splendeur saturante de celles de Rubens. Pourquoi ? Tiens donc ! Parce que si on y était arrivé vraiment, à Rubens, eh bien la mort de l'art, au lieu de se produire au XXe siècle, aurait peut-être eu lieu dès ce moment-là, dans ce milieu du XVIIe siècle où lui-même disparaît.

Le bout du tunnel aux illuminations serait alors apparu. La question esthétique aurait été réglée, quel temps gagné ! On se serait rendu compte que ce n'était plus la peine. Qu'il avait tout fait. Vous imaginez le drame ? Plus de marché ! Plus de cotes ! Pas de "Fondations" ! Pas d'inflation ni d'"installations" ! De catalogues ! De muséographie ! De commissaires ! De commentateurs ! Pas de messes anniversaires autour de l'art défunt ! Rien que le mouvement perpétuel de la gigantomachie rubénienne tournant, ivre, sans fin, jusqu'à la fin des mondes.

Le temps de la peinture est passé. J'établirai en quelques lignes comment et pourquoi il s'est terminé ; c'est fait. Plus on se fout de l'art, et plus il flambe. Il est heureux que la cote des peintres d'aujourd'hui, publiée désormais dans des revues en nombre croissant, dispense les spéculateurs d'avoir à s'approcher des œuvres elles-mêmes : ainsi leur foi a-t-elle des chances de rester intacte et leur enthousiasme inentamé. Les grands trafiquants de drogue, après tout, brassent bien les narcodollars en quantité astronomique sans être obligés d'approcher, dans toute leur vie, d'un gramme de coke ou d'héroïne. C'est d'un cœur plus allègre que l'on change le plomb en or si l'on ne touche pas trop au plomb et qu'on ne voit que l'or. Dans le cas de l'art, évidemment, cette invisibilité se complique d'une mystique sur laquelle il serait mal vu d'ironiser, dans la mesure où elle est le cache-sexe poétique qui permet aux lois du marché de ne pas être mises trop crûment à nu.

Comme toutes les lois, celles-ci reposent sur des cadavres. La poule aux œufs d'or a le croupion sur un cimetière : celui où furent enterrées, au XIXe, ces victimes sacrées de l'âge contemporain qu'on devait appeler Impressionnistes. Nous n'en finissons pas de payer le martyre de ces christs ! Tout est permis, depuis, en leur nom. En réparation de ce qu'ils ont subi. En pénitence de nos péchés. L'art dit moderne est une grande opération religieuse de contribution à la culpabilité publique.

La faillite est complète, mais on garde le moral. Aujourd'hui, tout le monde se marre en annonçant son propre naufrage. Mort aux tristes ! Des millions d'apparatchiks soviétiques ne viennent-ils pas de nous donner l'exemple de la plus saine gaieté en annonçant, tordus de rire, la disparition du communisme, c'est-à-dire, après tout, de leur fonds de commerce ? L'art est en cessation de magie, mais ses liquidateurs s'activent parmi les mouches avec bonne humeur. Pas de quoi pleurer. L'art est une catégorie rentable de l'ère des loisirs pour les masses résignées. L'Etat mécène providence poursuit sa tâche de dressage des citoyens en plantant aux carrefours d'inimaginables gadgets que l'on peut considérer comme autant d'étapes méthodiques et méditées dans la guerre qui se livre contre le goût à seule fin que celui-ci ne soit plus capable de servir d'instrument de mesure, donc de jugement, pour ce qui se présente comme nouveauté à adorer. Multiplier les commandes publiques est devenu le plus sûr moyen d'abolir le souvenir de l'art. On en voudrait encore plus, toujours plus, tous les jours ! Subventionner n'importe quoi est aujourd'hui synonyme de guerre contre l'art d' "avant". Même chose, d'ailleurs, en littérature : il est plus subtil de ne pas brûler les rares livres qui comptent, mais d'en faire écrire d'autres, à tour de bras, par des robots appelés "auteurs", dans l'espoir (en général comblé) que le flot de ces artefacts noiera les rares ouvrages de quelque intérêt qui risqueraient de voir le jour, ici ou là, malgré les considérables mesures de sécurité qui ont été prises.

Depuis que plus personne ne sait à quoi pourrait servir la peinture, on lui a trouvé une destination providentielle : elle sert à blanchir (de l'argent, mais pas seulement). La spéculation sur la nullité est une idée neuve en Europe et dans le reste du monde. Et plus ils payent, plus on sent que c'est aussi leur argent dont les amateurs voudraient qu'on ne sache pas qu'il est mort.

Et plus encore, peut-être, sont-ce les industries désolantes et superflues d'où ils tiennent, pour la plupart, cet argent, dont ils souhaitent que la nullité demeure inconnue. Golden boys japonais, américains, australiens, tous payent, donc, pour ne pas savoir ou pour empêcher qu'on sache.

Les seuls véritables spécialistes du néant contemporain, ce sont eux, pourtant. Comment ignoreraient-ils qu'il n'y a rien, dans le saint des saints, et que ça pourrait être démontré ? Une peur à la mesure des millions de dollars qui y sont engagés règne donc sur cet univers. Le mensonge est si énorme, si planétaire, qu'il faut qu'il soit éternisé pour ne jamais courir le risque d'être révélé.

Art et Thanatos ! Il était fatal que le siècle où les peintres se sont affranchis de toutes les lois soit celui où l'on aura vu les lois du marché venir y mettre leur ordre, le dernier qui puisse encore être respecté. Supprimer les obstacles, comme le déclarait Picasso, à rebrousse-poil de tout le catéchisme moderne, ce n'est pas la liberté, "c'est un affadissement qui rend tout invertébré, informe, dénué de sens, zéro".

En effet : beaucoup de zéros.

On ne raconte jamais à quel point, vers la fin de sa vie, il était exaspéré par le monde qui s'annonçait, Picasso. Je ne vois pas souvent citer ses pires réflexions, les plus amères, les plus lucides :

"Ce qui est terrible aujourd'hui, c'est que personne ne dit du mal de personne... Dans toutes les expositions, il y a quelque chose. En tout cas, à quelque chose près, tout est valable... Tout est sur le même niveau. Pourquoi ? Sûrement pas parce que c'est vrai. Alors ? Parce qu'on ne pense plus. Ou parce qu'on n'ose pas le dire."

Mais qu'importe l'art, après tout ? Tel qu'on le fait consommer de force aux populations hébétées, il n'est qu'une assurance de plus, un de ces "plus petits communs dénominateurs" consensuels dont notre détresse a besoin, et plus que jamais. L'effondrement de ces non-valeurs, s'il arrive un jour, ne fera pas pleurer grand monde. Le temps de la peinture est passé, parlons de Rubens. L'art comme je le conçois est un effort patient pour ne pas donner son consentement à l'ordre du monde, pour ne jamais se résigner à la passivité unanime devant toutes les formes de la mort inéluctable, y compris les plus souriantes, les plus apparemment rassurantes, celles qui veulent le plus votre bien. Ce n'était peut-être que cela, en fin de compte, que Rubens visait, quand il avouait son désir si simple, si "modeste", de mourir un peu plus instruit qu'il n'était né.

[...]  En une époque plus récente, Stendhal a repéré les progrès de l'analphabétisme : "A mesure que les demi-sots deviennent de plus en plus nombreux, la part de la forme diminue." [...]

 

 

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La gloire de Rubens

Philippe Muray

1991

Grasset

284 pages

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jeudi, 20 septembre 2012

Considérations sur l'architecture - Stéphane Zagdanski

 

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Extrait de Miroir Amer, 1999, Stéphane Zagdanski, Coll. L'infini, Gallimard :

 

[...]

Le grand architecte Angel Nivelard avait déjà pondu dans plusieurs capitales de la planète ses gigantesques cubes de glace, ziggourats vitrifiées d'acier et de filins consacrées aux indissociables divinités du reflet, du regard, de la transparence.

Le parcours du génie était célèbre.

Sa mère avait toujours désiré une fille, elle ne l'habilla jamais comme un garçon. Jusqu'à sa puberté, elle lui brandit chaque jour un miroir à la face en minaudant : "Regarde comme tu es jolie !" Angel n'acquit ainsi nullement la notion anodine de différence des sexes. Toute frontière lui devint floue. Il ne supportait pas qu'on trace une limite entre quoi que ce soit et quoi que ce soit. Il vécut longtemps connecté en permanence sur Internet, adepte fanatique du VVVV, Village Virtuel de la Vision Vraie, sans murs, sans portes, sans limites. Client exclusif de Louis Galle - le couturier qui fonda sa réputation subversive en démocratisant les jupes pour hommes -, il mit pour sa part à la mode le piercing des paupières.

Il devint surtout l'intraitable apôtre du voyeurisme polymorphe.

Quand on lui confia le projet de l'hôpital Rembrandt, il considéra que celui-ci renfermait suffisamment de ténèbres au cœur de son nom pour bannir tout ce qui participerait de la nuit au sein de sa structure.

C'est ainsi que s'érigent les plus aberrantes constructions ultramodernes. Leur base insoupçonnée est une tocade singulière, sans queue ni tête, une impulsive répugnance qui ravage tout sur son passage, un Attila de laideur conduisant une cohorte grimaçante de fantasmes asexués. C'est sur cette base enfouie que s'érige à grand renfort de technique informatisée, d'argent détourné et de propagande théorique assermentée, toute une machinerie de matières froides, rigides, frigides.

Faites comme si je n'étais pas là ! semblait être l'impérieux mot d'ordre de l'hôpital Rembrandt où des milliers d'être humains pénétraient chaque jour comme dans un temple de la surveillance révélée.

Il faut dire que la rue Morgue portait bien son nom. Elle ne s'émut pas outre mesure de l'apparition sur son flanc droit de cet étrange bubon miroitant contre lequel s'irisaient ses propres arbres, ses lampadaires, ses passants, ses voitures, et les immeubles de son flanc gauche. Tout y était redoublé, mais teinté d'argent. La rue vibrionnante de couleurs, de mouvements, de cris et de vrombissements, avait été capturée dans un scaphandre de pure étendue grise, une capsule de rutilements à l'épreuve de l'impureté du temps.

Mais au verso de cette intangible, impavide, inexpugnable muraille, une fois enfreint l'amer mirage métallisé, tout s'éclairait.

Rampes de néons lunaires, légions d'halogènes projetant leurs auras boréales, murs translucides et caméras à tous les étages s'entendaient à chasser la moindre parcelle d'ombre avec un acharnement réservé usuellement à la poussière. Les infirmières se déplaçaient, les médecins devisaient, les laborantins manipulaient, les machines clignotaient, les gardiens somnolaient, les ascenseurs s'activaient - aussi diaphanes que les parois contre lesquelles ils glissaient -, sous l'omniprésent regard de tout-un-chacun. L'hôpital Rembrandt était un titan radiographié en permanence depuis l'intimité de ses propres organes. Ici, chacun pouvait assister au spectacle de sa cité limpide suspendue dans les airs, comme un hologramme détaillé projeté à vingt mètres du trottoir dédaigneux de la rue Morgue.

Dès le hall d'entrée éclatait la devise de l'hôpital, sculptée en gros caractères cristallins, sous l'immense bas-relief en verre dépoli représentant La Leçon d'anatomie :

IN VITRO VERITAS

[...]

 

Bien entendu, dans l'interstice, il y a les corps que ces chiffres concernent. Les malades qui entrent ici, les morts qui en sortent, et tous ceux qui n'entrent ni ne sortent : les cadavres en transit au sous-sol, à la morgue. Il y a les souffrances, les souffles courts, les gémissements, les naissances, les bonnes, les mauvaises, les abominables nouvelles, les faits et les gestes risiblement humains qui ne sont en réalité que la part obscure de l'immense vaisseau vitrifié, sa soute de matières premières, son fuel de sangs, son charbon d'organes, son essence de spermes, son huile de peaux que la machine ingurgite, consomme et consume pour faire fonctionner sa montagne de chiffres.

Chiffres sur les moniteurs, les cadrans, les éprouvettes, les codes barres des étiquettes, les feuilles de soin, les bulletins d'entrée et de sortie, les bons de commande des substances chimiques, les sachets de seringues, les boîtes de compresses, les panneaux indicateurs dans les couloirs, les instruments de mesure, les thermomètres, les chronomètres, le encéphalogrammes, les cardiogrammes, les écrans de radiologie, les télés de surveillance, le réseau des ordinateurs, les balances et les échelles de croissance dans la nurserie, les agendas des  chirurgiens, les livres des psychologues, ceux qu'ils lisent, ceux que les plus audacieux écrivent, les sigles sur les portes des labos, les numéros des salles et des chambres, les codes gigantesques peints à même le goudron pour guider les ambulances et ceux sur la grosse cible où atterrissent l'hélicoptère bleu et blanc du Samu et l'hélicoptère rouge sang des pompiers.

[...]

   

 

miroir,amer,stéphane,zagdanskiSe procurer l'ouvrage :

Miroir Amer

Stéphane Zagdanski

1999

Coll. L'infini, Gallimard

147 pages

http://www.amazon.fr/Miroir-amer-Zagdanski/dp/2070754391/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1345723871&sr=1-1

 

 

> A consulter également, Paroles des Jours, le très généreux site de Stéphane Zagdanski : http://parolesdesjours.free.fr/

 

samedi, 04 août 2012

Considérations sur la foi - Les papillons du mal IV - Baudelaire

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"Les papillons du mal IV"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Passez en revue, analysez tout ce qui est naturel, toutes les actions et les désirs du pur homme naturel, vous ne trouverez rien que d'affreux. [...] Le crime, dont l'animal humain a puisé le goût dans le ventre de sa mère, est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle, puisqu'il a fallu dans tous les temps et chez toutes les nations des dieux et des prophètes pour l'enseigner à l'humanité animalisée, et que l'homme, seul, eût été impuissant à la découvrir. 

 

Le commerce est par son essence satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec sous-entendu : rends-moi plus que je ne te donne. L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux. Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse et la plus vile.

 

¤     ¤     ¤


Connais donc les jouissances d'une vie âpre ; et prie, prie sans cesse. La prière est réservoir de force.


Ce sont les mêmes gens qui donneraient volontiers un franc à un pauvre, à condition qu'il s'étouffât avec du pain, et lui refuseront toujours deux sous pour se désaltérer au cabaret.

 

Je ne puis penser à cette stupide créature sans un certain frémissement d'horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m'empêcher de lui jeter un bénitier à la tête.

 

La superstition est le réservoir de toutes les vérités.

 

La folie de l’art est égale à l’abus de l’esprit. La création d’une de ces deux suprématies engendre la sottise, la dureté du cœur et une immensité d’orgueil et d’égoïsme. Je me rappelle avoir entendu dire à un artiste farceur qui avait reçu une pièce de monnaie fausse : « Je la garde pour un pauvre. » Le misérable prenait un infernal plaisir à voler le pauvre et à jouir en même temps des bénéfices d’une réputation de charité. 

 

Oh ! profond (…), profond est le labour de la douleur : mais il ne faut pas moins que cela pour l’agriculture de Dieu. (…) Avec des charrues moins cruelles, le sol réfractaire n’aurait pas été remué. A la terre, notre planète, à l’habitacle de l’homme il faut la secousse ; et la douleur est plus souvent encore nécessaire comme étant le plus puissant outil de Dieu. 

 

Si l’Eglise condamne la magie et la sorcellerie, c’est qu’elles militent contre les intentions de Dieu, qu’elles suppriment le travail du temps et veulent rendre superflues les conditions de pureté et de moralité ; et qu’elle, l’Eglise, ne considère comme légitimes, comme vrais, que les trésors gagnés par la bonne intention assidue. 

 

Mais l'homme n'est pas si abandonné, si privé de moyens honnêtes pour gagner le ciel, qu'il soit obligé d'invoquer la pharmacie et la sorcellerie ; il n'a pas besoin de vendre son âme pour payer les caresses enivrantes et l'amitié des houris. Qu'est-ce qu'un paradis qu'on achète au prix de son salut éternel ?

 

Pourquoi le spectacle de la mer est-il si infiniment et si éternellement agréable ? parce que la mer offre à la fois l'idée de l'immensité et du mouvement. Six ou sept lieues représentent pour l'homme le rayon de l'infini. Voilà un infini diminutif. Qu'importe s'il suffit à suggérer l'idée de l'infini total ? Douze ou quatorze lieues (sur le diamètre), douze ou quatorze de liquide en mouvement suffisent pour donner la plus haute idée de beauté qui soit offert à lhomme sur son habitacle transitoire. 

 

Tout homme qui n'accepte pas les conditions de sa vie vend son âme.

 

Hélas ! les vices de l'homme, si pleins d'horreur qu'on les suppose, contiennent la preuve (quand ce ne serait que leur infinie expansion !) de son goût de l'infini ; seulement, c'est un goût qui se trompe souvent de route.

 

Le vin exalte la volonté ; le haschisch l'annihile. Le vin est un support physique ; le haschisch est une arme pour le suicide. Le vin rend bon et sociable ; le haschisch est isolant. L'un est laborieux pour ainsi dire, l'autre essentiellement paresseux. [...] Le vin est utile, il produit des résultats fructifiants. Le haschisch est inutile et dangereux.

 

Ce seigneur visible de la nature visible (je parle de l'homme) a donc voulu créer le Paradis par la pharmacie, par les boissons fermentées, semblable à un manique qui remplacerait des meubles solides et des jardins véritables par des décors peints sur toile et montés sur châssis. C'est dans cette dépravation du sens de l'infini que gît, selon moi, la raison de tous les excès coupables, depuis l'ivresse solitaire et concentrée du littérateur, qui, obligé de chercher dans l'opium un soulagement à une douleur physique, et ayant ainsi découvert une source de jouissances morbides, en a fait peu à peu son unique hygiène et comme le soleil de sa vie spirituelle, jusqu'à l'ivrognerie la plus répugrante des faubourgs, qui,le cerveau plein de flamme et de gloire, se roule ridiculement dans les ordures de la route. 

 

Un homme qui ne boit que de l'eau a un secret à cacher à ses semblables.

 

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Charles Baudelaire (1821-1867)

 

Je ne croirai jamais que l'âme des Dieux habite dans les plantes, et quand même elle y habiterait, je m'en soucierais médiocrement, et considérerais la mienne comme d'un bien plus hauit prix que celle des légumes sanctifiés.

 

Le vue de tous ces quadrumanes athées a fortement confirmé mes idées de religion.

 

Le mal se fait sans effort, naturellement, par fatalité ; le bien est oujours le produit d'un art.

 

La musique creuse le ciel.

 

La musique donne l'idée de l'espace. Tous les arts, plus ou moins ; puisqu'ils sont nombre et que le nombre est traduction de l'espace.

 

La véritable musique suggère des idées analogues dans des cerveaux différents.

 

La musique creuse le ciel.

 

vendredi, 03 août 2012

Considérations sur la société - Les papillons du mal III - Baudelaire

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"Les papillons du mal III" 

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de certains hommes. C'est par la même raison que je ne chausserais pas les culottes d'un galeux.

 

Il n'y a que deux endroits où l'on paye pour avoir le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.

 

Ainsi dans les Etats où la prostitution légale n'existe pas, toutes les femmes sont vénales.  

 

Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle.

 

¤     ¤     ¤

 

Peu d'hommes ont le droit de régner, car peu d'hommes ont une grande passion.

 

Les dictateurs sont les domestiques du peuple, - rien de plus, - un foutu rôle d'ailleurs, - et la gloire est le résultat de l'adaptation d'un esprit avec la sottise nationale.

 

L'homme, c'est-à-dire chacun, est si naturellement dépravé qu'il souffre moins de l'abaissement universel que de l'établissement d'une hiérarchie raisonnable.

 

La pédérastie est le seul lien qui rattache la magistrature à l'humanité.

 

Il n'y a de gouvernement raisonnable et assuré que l'aristocratique. Monarchie ou république basées sur la démocratie sont également absurdes et faibles.

 

A quoi bon réduire en esclavage des gens qui ne savent pas faire cuire des œufs ?

 

C'est toujours la fête. Grand signe de fainéantise populaire. 

 

Nécessité pour chaque homme de se vanter lui-même dans un pays où personne ne sait rendre justice à personne.Vélocité proportionnelle à la pesanteur. C'est toujours le troupeau de moutons, à droite, à gauche, au nord, au sud, se précipitant en bloc. Aussi, il n'y a rien ici qui soit plus à la mode, ni mieux vu, ni plus honorable que le coup de pied de l'âne.

 

Celui-là seul est l'égal d'un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir. 

 

Le crépuscule excite les fous.

 

Il ne faut jamais livrer certaines questions à la canaille.

 

La familiarité est le fait des brutes et des provinciaux.

 

L'enfance, jolie presque partout, est ici hideuse, teigneuse, galeuse, crasseuse, merdeuse.

 

Il est marchand, c'est-à-dire voleur.

 

Dans un pays où chacun est défiant, il est évident que tout le monde est voleur.

 

Au critique chagrin, à l'observateur importun, la Belgique somnolente et abrutie, répondrait volontiers : "Je suis heureuse ; ne me réveillez pas."

 

Coupé en tronçons, partagé, envahi, vaincu, rossé, pillé, le Belge végète encore, pure merveille de mollusque.

 

Il admire son remords et il se glorifie, pendant qu'il est en train de perdre sa liberté.

 

En somme, devant l'Histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s'emparant du télégraphe et de l'Imprimerie nationale, gouverner une grande nation.

 

Tout journal de la première ligne à la dernière, n'est qu'un tissu d'horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d'atrocité universelle. Et c'est de ce dégoûtant apéritif que l'homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l'homme. Je ne comprends pas qu'une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût.

 

Il faut travailler, sinon par goût, au moins par désespoir, puisque, tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que d'amuser.

 

A chaque minute nous sommes écrasés par l'idée et la sensation du temps. Et il n'y a que deux moyens pour échapper à ce cauchemar, - pour l'oublier : le Plaisir et le Travail. Le Plaisir nous use. Le Travail nous fortifie. Choisissons.

 

D'autres, qui laissent, pendant qu'elles y officient, la porte des latrines ouverte. Des gandins contrefaits qui ont violé toutes les femmes. Des libres-penseurs qui ont peu des revenants. Des patriotes qui veulent massacrer tous les Français (ceux-là portent le bras droit en écharpe pour faire croire qu'ils se sont battus). 

 

Tous les Belges éclatent de rire, parce qu'ils croient qu'il faut rire. Vous contez une histoire drôle ; ils vous regardent avec de gros yeux, d'un air affligé. Vous vous foutez d'eux. Ils se sentent flattés et croient à des compliments. Vous leur faites un compliment. Ils croient que vous vous foutez d'eux.

 

L'Orient, en général, sent le musc et la charogne.

 

Les Belges sont des ruminants qui ne digèrent rien.

 

La croyance au progrès est une doctrine de paresseux, une doctrine de Belges. C'est l'individu qui compte sur ses voisins pour faire sa besogne. Il ne peut y avoir de progrès (vrai, c'est-à-dire moral) que dans l'individu et par l'individu lui-même. Mais le monde est fait de gens qui ne peuvent penser qu'en commun, en bandes. Ainsi les Sociétés belges. Il y a aussi des gens qui ne peuvent s'amuser qu'en troupe. Le vrai héros s'amuse tout seul. 

 

Une suite de petites volontés fait un gros résultat. Tout recul de la volonté est une parcelle de substance perdue. Combien donc l'hésitation est prodigue ! et qu'on juge de l'immensité de l'effort final nécessaire pour réparer tant de pertes !

 

Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables !

 

La mécanique vous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle, que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilège ou antinaturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs [...] alors, le fils fuira la famille, non pas à dix-huit ans, mais à douze, émancipé par sa précocité gloutonne ; il la fuira, non pas pour chercher des aventures héroïques, non pas pour délivrer une beauté prisonnière dans une tour, non pas pour immortaliser un galetas par de sublimes pensées, mais pour fonder un commerce, pour s'enrichir, et pour faire concurrence à son infâme papa.

 

L’imagination humaine peut concevoir, sans trop de peine, des républiques ou autres Etats communautaires, dignes de quelque gloire, s’ils sont dirigés par des hommes sacrés, par de certains aristocrates. Mais ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle, ou le progrès universel ; car peu m’importe le nom. Ce sera par l’avilissement des cœurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et pour créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie ?

 

Voici un homme chargé de ramasser les débris d’une journée de la capitale.(…) Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts. 

 

Malgré les admirables services qu’ont rendus l’éther et le chloroforme, il me semble qu’au point de vue de la philosophie spiritualiste la même flétrissure morale s’applique à toutes les inventions modernes qui tendent à diminuer la liberté humaine et l’indispensable douleur. 

 

Cet homme est si peu élégiaque, si peu éthéré qu’il ferait horreur même à un notaire.

 

Grâce au progrès de ces temps, il ne te restera de tes entrailles que des viscères ! 

 

Quant à l'habit, la pelure du héros moderne [...] n'est-il pas l'habit nécessaire de notre époque, souffrante et portant jusque sur ses épaules noires et maigres le symbole d'un deuil perpétuel ? [...] - une immense défilade de croque-morts amoureux, croque-morts bourgeois. Nous célébrons tous quelque enterrement.

 

 amour,baudelaireCharles Baudelaire (1821-1867) 

 

 

Ceux qui m’ont aimé étaient des gens méprisés, je dirais même méprisables, si je tenais à flatter les honnêtes gens

 

Ce qu'il y a d'enivrant dans le mauvais goût, c'est le plaisir aristocratique de déplaire.

 

Quand j’aurai inspiré le dégoût et l’horreur universels, j’aurai conquis la solitude.

 

Que de fois j’ai contemplé, souriant et attendri, tous ces philosophes à quatre pattes, esclaves complaisants, soumis ou dévoués, que le dictionnaire républicain pourrait aussi bien qualifier d’officieux, si la république, trop occupée du bonheur des hommes, avait le temps de ménager l’honneur des chiens !

 

Un fonctionnaire quelconque, un ministre, un directeur de théâtre ou de journal peuvent être quelquefois des êtres estimables, mais il ne sont jamais divins. Ce sont des personnes sans personnalité, des êtres sans originalité, nés pour la fonction, c'est-à-dire pour la domesticité publique. 

 

Etre un homme utile m'a paru toujours quelque chose de bien hideux.

 

Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

Je ne connais rien de plus compromettant que les imitateurs et je n'aime rien tant que d'être seul.

 

Cette syncope qui est considérée par les vulgaires mortels comme le summum du bonheur.

 

Il y a autant de beautés qu'il y a de manières habituelles de chercher le bonheur.

 

Vers la religion :

 

Théorie de la vraie civilisation. Elle n'est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes, elle est dans la diminution des traces du péché originel.

 

L'impiété belge est une contrefaçon de l'impiété française élevée au cube.

 

En somme, ce que la Belgique, toujours simiesque, imite avec le plus de bonheur et de naturel, c'est la sottise française.

 

La religion catholique en Belgique ressemble à la fois à la superstition napolitaine et à la cuistrerie protestante.

 

Il est défendu de visiter les églises à toute heure ; il est défendu de s'y promener ; il est défendu d'y prier à d'autres heures qu'à celles des offices. Après tout, pourquoi le clergé ne serait-il pas égal en grossièreté au reste de la nation ? Comme les prostituées qui n'ont pas plus l'idée de la galanterie, que certains prêtres celle de la religion.

 

Passez en revue, analysez tout ce qui est naturel, toutes les actions et les désirs du pur homme naturel, vous ne trouverez rien que d'affreux. [...] Le crime, dont l'animal humain a puisé le goût dans le ventre de sa mère, est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle, puisqu'il a fallu dans tous les temps et chez toutes les nations des dieux et des prophètes pour l'enseigner à l'humanité animalisée, et que l'homme, seul, eût été impuissant à la découvrir. 

 

Le commerce est par son essence satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec sous-entendu : rends-moi plus que je ne te donne. L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux. Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse et la plus vile.

 

jeudi, 02 août 2012

Considérations sur les femmes - Les papillons du mal II - Baudelaire

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"Les papillons du mal II"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Que diriez-vous de mes principes, et des conseils que je donne à ce sexe trompeur qui souvent ne fait que feindre l'amour.

 

La bêtise est souvent l'ornement de la beauté : c'est elle qui donne aux yeux cette limpidité morne des étangs noirâtres, et ce calme huileux des mers tropicales. La bêtise est toujours la conservation de la beauté : elle éloigne les rides : c'est un cosmétique divin qui préserve nos idoles des morsures que la pensée garde pour nous, vilains savants que nous sommes !

 

La femme qui veut toujours faire l'homme, signe de grande dépravation.

 

Mais elle gâtait cette grande qualité par une ambition malséante et difforme. C'était une femme qui voulait toujours faire l'homme.

 

C'est parce que tous les vrais littérateurs ont horreur de la littérature à de certains moments, que je n'admets pour eux, - âmes libres et fières, esprits fatigués, qui ont toujours besoin de se reposer leur septième jour, - que deux classes de femmes possibles : les filles ou les femmes bêtes, - l'amour ou le pot-au-feu. - Frères, est-il besoin d'en expliquer les raisons ?

 

Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois. Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ; elle a, dans les idées morales, la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues. [...] Que quelques hommes aient pu s'amouracher de cette latrine, c'est bien la preuve de l'abaissement des hommes de ce siècle. Voir la préface de Mademoiselle La Quintinie, où elle prétend que les vrais chrétiens ne croient pas à l'Enfer. La Sand est pour le Dieu des bonnes gens, le Dieu des concierges et des domestiques filous. Elle a de bonnes raisons pour vouloir supprimer l'Enfer.

 

Il ne faut pas croire que le Diable ne tente que les hommes de génie. Il méprise sans doute les imbéciles, mais il ne dédaigne pas leur concours. Bien au contraire, il fonde ses grands espoirs sur ceux-là. Voyez George Sand. Elle est surtout, et plus que toute autre chose, une grosse bête ; mais elle est possédée. C'est le Diable qui lui a persuadé de se fier à son bon cœur et à son bon sens, afin qu'elle persuadât toutes les autres grosses bêtes de se fier à leur bon cœur et à leur bon sens.

 

Comme nous, ils se sont levés de bon matin, et ils cherchent leur vie ou courent à leurs plaisirs. Il y en a qui couchent dans une ruine de la banlieue et qui viennent, chaque jour, à heure fixe, réclamer la sportule à la porte d'une cuisine du Palais-Royal ; d'autres qui accourent, par troupes, de plus de cinq lieues, pour partager le repas que leur a préparé la charité de certaines pucelles sexagénaires, dont le cœur inoccupé s'est donné aux bêtes, parce que les hommes imbéciles n'en veulent plus.

 

La femme générale. Un nez de Polichinelle, un front de bélier, des paupières en pelure d'oignon, des yeux incolores et sans regard, une bouche monstrueusement petite, ou simplement une absence de bouche (ni parole ni baiser), une mâchoire inférieure rentrée, des pieds plats, avec des jambes d'éléphant (des poutres sur des planches), en teint lilas, et avec tout cela la fatuité et le rengorgement d'un pigeon.

 

La femme ne sait pas séparer l'âme du corps. Elle est simpliste, comme les animaux. Un satirique dirait que c'est parce qu'elle n'a que le corps.

 

Voilà bien la grosse sagesse bourgeoise des femmes.

 

Les mères trouvent-elles dans leur continuelle sollicitude du talent pour reproduire toujours les mêmes pensées, et un style nouveau pour les rajeunir ?

 

Les hommes qui ont été élevés par les femmes et parmi les femmes ne ressemblent pas tout à fait aux autres hommes, en supposant même l'égalité dans le tempérament ou dans les facultés spirituelles. Le bercement des nourrices, les câlineries maternelles, les chatteries des sœurs, surtout des sœurs aînées, espèces de mères diminutives, transforment, pour ainsi dire, en la pétrissant, la pâte masculine. L'homme qui, dès le commencement, a été longtemps baigné dans la molle atmosphère de la femme, dans l'odeur de ses mains, de son sein, de ses genoux, de sa chevelure, de ses vêtements souples et flottants, y a contracté une délicatesse d'épiderme et une distinction d'accent, une espèce d'angrogynéité, sans lesquelles le génie le plus âpre et le plus viril reste, relativement à la perfection dans l'art, un être incomplet. Enfin, je veux dire que le goût précoce du monde féminin, de tout cet appareil ondoyant, scintillant et parfumé, fait des génies supérieurs ; et je suis convaincu que ma très intelligente lectrice absout la forme presque sensuelle de mes expressions, comme elle approuve et comprend la pureté de ma pensée.

 

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Charles Baudelaire (1821-1867) 

 

Je ne crois pas, madame, que les femmes en général connaissent toute l'étendue de leur pouvoir, soit pour le bien, soit pour le mal. Sans doute, il ne serait pas prudent de les en instruire toutes également.

 

Il paraîtrait que sa femme est belle, très bonne, et très grande artiste. Tant de trésors en une seule personne femelle, n'est pas monstrueux ?

 

Mon Dieu ! qu'une ancienne belle femme est donc ridicule quand elle laisse voir son regret de ne plus être adulée. 

 

Ce qui est démontré pour moi, c'est que les femmes ne sont intéressantes que quand elles sont très vieilles.

 

La jeune fille, ce qu'elle est en réalité. Une petite sotte et une petite salope : la plus grande imbécillité unie à la plus grande dépravation. Il y a dans la jeune fille toute l'abjection du voyou et du collégien.

 

La femme est le contraire du Dandy. Donc elle doit faire horreur. La femme a faim, et elle veut manger. Soif, et elle veut boire. Elle est en rut, et elle veut être foutue. Le beau mérite ! la femme est naturelle, c'est-à-dire abominable. Aussi est-elle toujours vulgaire, c'est-à-dire le contraire du Dandy.

 

Si je veux observer la loi des contrastes, qui gouverne l'ordre moral et l'ordre physique, je suis obligé de ranger dans la classe des femmes dangereuses aux gens de lettres, la femme honnête, le bas-bleu et l'actrice ; - la femme honnête, parce qu'elle appartient nécessairement à deux hommes et qu'elle est une médiocre pâture pour l'âme despotique du poète ; - le bas-bleu, parce que c'est un homme manqué ; - l'actrice, parce qu'elle est frottée de littérature et qu'elle parle argot. - Bref, parce que ce n'est pas une femme dans toute l'acception du mot, - le public lui étant une chose plus précieuse que l'amour.

 

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de certains hommes. C'est par la même raison que je ne chausserais pas les culottes d'un galeux.

 

Il n'y a que deux endroits où l'on paye pour avoir le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.

 

Ainsi dans les Etats où la prostitution légale n'existe pas, toutes les femmes sont vénales.

 

Généralement les maîtresses des poètes sont d'assez vilaines gaupes, dont les moins mauvaises sont celles qui font la soupe et ne payent pas un autre amant.

 

Les pauvres petites imitent leurs mamans : elles préludent déjà à leur immortelle puérilité future, et aucune d'elles, à coup sûr, ne deviendra ma femme.

 

Je suis obligé de travailler la nuit afin d'avoir du calme et d'éviter les insupportables tracasseries de la femme avec laquelle je vis. [...] VIVRE AVEC UN ETRE qui ne vous sait aucun gré de vos efforts, qui les contrarie par une maladresse ou une méchanceté permanente, qui ne vous considère que comme son domestique et sa propriété, avec qui il est impossible d'échanger une parole politique ou littéraire, une créature qui ne veut rien apprendre, quoique vous lui ayez proposé de lui donner vous-même des leçons, une créature QUI NE M'ADMIRE PAS, et qui ne s'intéresse même pas à mes études, qui jetterait mes manuscrits au feu si cela lui rapportait plus d'argent que de les laisser publier, [...] qui ne sait pas ou ne veut pas comprendre qu'être très avare, pendant UN mois seulement, me permettrait, grâce à ce repos momentané, de finir un gros livre, - enfin est-ce possible cela ? [...] je pense à tout jamais, que la femme qui a souffert et fait un enfant est la seule qui soit l'égale de l'homme. Engendrer est la seule chose qui donne à la femelle l'intelligence morale. Quand aux jeunes femmes sans état et sans enfants, ce n'est que coquetterie, implacabilité et crapule élégante.

 

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Ah ! voulez-vous savoir pourquoi je vous hais aujourd'hui. Il vous sera sans doute moins facile de le comprendre qu'à moi de vous l'expliquer ; car vous êtes, je crois, le plus bel exemple d'imperméabilité féminine qui se puisse rencontrer.

 

Vous avez l'âme belle, mais en somme, c'est une âme féminine.

 

Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle.