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mardi, 03 juillet 2012

Le destin fabuleux de Désirée Clary - Guitry 2/2

 

Le film est d'un tenant mais la transcription de pareil chef d'oeuvre demande la place de deux parties... 2/2

 

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Film : Le destin fabuleux de Désirée Clary (1941, durée 1h50)

Réalisateur : Sacha Guitry 

Désirée (Gaby Morlay), Désirée jeune (Geneviève Guitry), Julie Clary (Yvette Lebon) 
 
Bonaparte (Jean-Louis Barrault), Bernadotte (Jacques Varenne), Talleyrand (Jean Périer), Fouché (Noël Roquevert) 
 
Le conteur (Sacha Guitry) 

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Napoléon : J'ai prié votre altesse royale de bien vouloir se déranger pour répondre à la question suivante : que faites-vous encore à Paris, madame, alors que Bernadotte est en Suède depuis six mois ?

Désirée : Mais rien, Sire. Je continue d'y vivre comme par le passé, n'ayant pas l'intention de me rendre à Stockholm.

Napoléon : Allons donc, ne sentez-vous pas l'inconvenance d'une pareille attitude ?

Désirée : Pourquoi considérer que c'est une attitude ? C'est une préférence. J'aime Paris, j'adore y vivre. Est-ce que votre majesté voit des inconvénients ?

Napoléon : Nnnnon. Mais peut-être trouverais-je des avantages si vous étiez là-bas.

Désirée : Est-ce une mise en demeure ?

Napoléon : Voudriez-vous que ce fut une prière ? Comprenez-moi bien, j'ai été séduit par la glorieuse vision d'un maréchal de France devenant roi et une femme à laquelle je m'intéresse devenant reine, et d'un filleul devenant prince. Laissez-moi le soin de régler votre départ. D'ici là je vous invite au dîner de famille que je donne tous les dimanches aux Tuileries. Et puis, qui sait, j'ai peut-être besoin que vous soyez là-bas ? Oui, et si j'avais besoin de vous ?

Désirée : Besoin de moi ?

Napoléon : Pourquoi donc pas ? Donnez-moi votre main.

Désirée : C'est la seconde fois que vous me la demandez.

Napoléon : Oui, mais la première fois, ce n'était que pour un mariage.

Désirée : Et cette fois-ci ?

Napoléon : C'est pour une alliance. Désirée...

Désirée : Sire...

Napoléon : Qu'est-ce que vous aimez le plus au monde ? Répondez-moi : la France.

Désirée : La France.

Napoléon : Bien, écoutez-moi.

 

Un mois plus tard, le 27 janvier 1811, Désirée faisait son entrée au palais royal de Stockholm. Accueillie par Bernadote, entourée aussitôt de mille prévenances, on lui laisse pas le temps de se changer un peu, ni de se recoiffer, car le vieux roi Charles XIII l'attend depuis trois heures, impatient de connaître enfin sa fille adoptive. Il ne faut même pas qu'elle retire son manteau, ni son chapeau s'ailleurs, car le roi veut la voir à son arrivée telle qu'elle sera venue de France. Il s'en fait une joie.

 

Désirée : Il parle le français ?

Bernadotte : Il n'en sait pas une syllabe.

Désirée : Vous comprenez vous le suédois ?

Bernadotte : Je n'en connais pas un seul mot.

Désirée : Alors comment vous y prenez-vous ?

Bernadotte : Il me parle en suédois, je réponds en français.

Désirée : Tiens.

Bernadotte : Attendez-vous à un accueil très paternel.

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Le roi de Suède : *ù%§¤£µé"'_çè('-($$£^^$**§§ù

L'interprète : Sa majesté demande à votre altesse son impression sur ce palais qui deviendra le vôtre un jour.

Désirée : Je le trouve bien beau, bien magnifique pour la fille d'un négociant de Marseille.

L'interprête : Bravo. 

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Bernadotte : Pourquoi as-tu quitté Paris ?

Désirée : J'ai...

Bernadotte : Oui, puisqu'il était convenu entre nous que tu resterais là-bas une année entière avant de me rejoindre. Pourquoi as-tu quitté Paris sans ma permission ?

Désirée : Mais parce que l'empereur m'en a pour ainsi dire donné l'ordre.

Bernadotte : Allons donc, et sans raison définie ?

Désirée : Ma présence à Paris semblait inconvenante, paraît-il, à beaucoup de personnes.

Bernadotte : Mmm-hmmm... C'est-à-dire qu'elle l'inquiétait lui probablement. Il se méfie de toi. Combien de fois l'as-tu vu depuis mon départ?

Désirée : Trois fois. Tu as eu mes lettres ?

Bernadotte : Combien m'en as-tu envoyées ?

Désirée : Quatre.

[...]

Désirée : Tu te méfies de moi, toi aussi ?

Bernadotte : Non. Non, mon enfant, non. Mais cela n'a pas d'intérêt pour toi. Ma petite Désirée, je vais te parler bien franchement.

Désirée : Je t'en prie.

Bernadotte : Comme tu ne m'es pas du tout nécessaire ici, et comme tu peux m'être extrêmement utile là-bas, tu vas me faire le plaisir de t'en retourner dans une quinzaine de jours.

Désirée : A Paris ?

Bernadotte : Oui.

Désirée : Entendu.

Bernadotte : Rentre sans prévenir personne. Montre-toi le moins possible. Ne fréquente que des personnes dont tu sois absolument sure. Tâche enfin qu'il ignore ton retour le plus longtemps possible. Tu seras partie d'ici pour raisons de santé.

Désirée : Bien, Parfait.

Bernadotte : As-tu reçu chez toi Talleyrand et Fouché ?

Désirée : Pas encore.

Bernadotte : Oh, je t'avais pourtant bien recommandé de le faire dans ma dernière lettre ! Je t'en conjure, ne sois pas négligeante, chérie. Enfin, voyons, tu ne peux pas rester une enfant toute ta vie ! Il faut que je puisse compter sur toi. Je ne te demande pas de mal agir, je te demande de m'aider. Efforce-toi de me comprendre à demi-mot : pour le bien de la France, il ne faut plus d'empereur. Ce n'est pas un titre français d'abord, il faut à la France un roi, mais la race des Bourbons est une race usée. Et je te supplie de ne pas perdre de vue mon unique ambition, le seul rêve de ma vie ici-bas, la raison enfin pour laquelle j'ai fait ce grand détour par la Suède. 

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Quelques semaines plus tard, Désirée est de retour à Paris. Et la voilà bientôt prise dans l'engrenage. Elle reçoit chez elle Talleyrand et Fouché, et suit les directives que son mari lui donne. Elle parle, elle écoute, elle se croit prudente et cherche à deviner les mobiles secrets de ceux qui la renseignent. Hélàs, elle est comme un jouet entre les mains de ces deux hommes pervers, prestigieux, subtiles. Elle a voulu jusqu'alors se venger de l'empereur et lui faire du mal un peu comme une enfant rageuse, mais sans y parvenir réellement en somme. Et voilà qu'aujourd'hui par la force des choses, elle devient responsable un peu des malheurs [...], les erreurs même qu'elle commet volontairement, tout se retourne contre celui qu'elle n'a jamais cessé d'aimer et qui depuis quinze ans n'a eu que des bontés pour elles. 

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Se rendant compte un soir du crime qu'elle commet, elle fausse compagnie à ses invités. Elle sera de retour avant une heure. Elle part.

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Et tente chez l'empereur, au milieu de la nuit, pour le mettre au courant, de cette nouvelle conspiration qui se trame contre lui, et à laquelle elle est mêlée, elle l'avoue. Mais, ne pourrait-elle pas peut-être le sauver, sait-on jamais ? L'empereur est au courant de déjà bien des choses, il se sait entouré d'espions, de scélérats, de traîtres, et rien ne l'étonne plus. Pourtant, s'il veut bien faire une expérience encore, il ne lui demande pas de trahir son mari, mais qu'elle tâche donc de savoir par Talleyrand s'il est exact que l'Angleterre assure à Bernadote un million de livres sterling par an s'il prend les armes contre la France. Elle le pense. Lui, l'empereur, il en est sûr, mais il voudrait savoir si Talleyrand le sait. Elle le lui dira demain. Talleyrand ignore-t-il qu'elle est venue le voir ?

Désirée : Oui.

Or Talleyrand ne l'ignorait pas car il l'avait fait suivre.

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Talleyrand : Ne jouez pas un double jeu, madame, prenez garde. L'empire est condamné, et votre altesse le comprend bien. La France court à grands pas vers une monarchie constitutionnelle. Or, quel homme montera sur le trône de France, si ce n'est celui qui l'aura délivrée du fléau qui la tue ? Et cet homme-là, vous ne voulez donc pas que ce soit Bernadotte ? Le mensonge, la délation, le crime lui-même, tout est permis quand l'intérêt de la nation se trouve en cause. Et pour ma modeste part, je n'ai jamais trahi que lorsque j'avais la moitié de la France pour complice.

Elle ne sait plus que faire. Les uns lui demandent de trahir l'empereur, l'empereur lui demande de trahir les autres, et celui-ci, comme les autres, lui dit que c'est pour sauver la France. Perdant la tête, elle trahit les uns, comme elle trahit l'autre.

Et voici que les événements vont se précipiter, tragiques, impitoyables. Tout d'abord, c'est le traité d'Alliance de la Suède avec la Russie, puis c'est la déclaration de guerre à la Russie trois mois plus tard. C'est l'entreprise téméraire, extravagante, c'est la retraite de Moscou en octobre 1812, c'est aussitôt l'alliance de l'Angleterre avec la Russie et la Suède ; de la Russie et de la Prusse avec l'Autriche, avec la Suède et l'Angleterre. C'est l'Europe entière en armes contre lui. C'est la lutte héroïque et vaine, c'est la défaite, le désastre. Enfin c'est Waterloo plus tard, c'est la France envahie, c'est Paris occupée.

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Et c'est alors l'abdication définitive de l'empereur, trahi de tous côtés, abandonné, vaincu. C'est enfin son départ. C'est l'offre de sa personne à l'Angleterre qui la repousse. Et c'est l'exile à Sainte-Hélène, et c'est la fin.

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Puis, l'ouragan passé, tout se calme, tout s'apaise, l'Europe pousse un immense soupir de soulagement. Le roi Louis XVIII, hypocondre et goutteux, vient reprendre la place sur le trône de ses ancêtres.

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Et voilà tout à coup qu'une autre Désirée se révèle inconnue.

Désirée : Non, non, non et non ! J'y laisserai ma vie s'il le faut, ma santé, ma raison, mais je veux racheter ma faute, et par n'importe quel moyen. Je tiendrai, qu'on allège un peu ses souffrances. Quant à quitter Paris, jamais, jamais-jamais !

- Votre réputation pourrait bien en souffrir.

Désirée : Ma réputation ? Ma conscience d'abord.

- Et cependant, madame, en raisonnant un peu...

Désirée : Messieurs mes conseillers, j'ai pour vous la plus vive estime, mais je ne veux rien entendre.

- Pourtant, si votre majesté daignait...

Désirée : Je ne suis pas une majesté, monsieur. Je suis une pauvre petite bourgeoise de Marseille qui a commis un crime et qui veut l'effacer.

- Mais quel crime avez-vous donc commis, madame ? Vous vous accusez bien à tort. L'empereur a son destin. On ne pouvait lui faire en vérité ni bien ni mal.

- Et vous n'êtes dans son malheur, madame.

Désirée : Non, j'y suis pour rien, c'est vrai, mais je l'ai souhaité.

 

¤     ¤     ¤ 

 

Et de 1815 à 1840, pendant vingt-cinq années, la  fiancée de l'empereur n'a eu que cette idée en tête. Or le roi Louis XVIII, de retour à Paris pour la deuxième fois, assitôt après les cent jours, a pris possession du bureau de l'empereur. Il en admire l'architecture, mais il est des détails qui lui sont bien désagréables, odieux même, il ne veut pas se parer des plumes du paon. Mais, quelqu'un se présente.  Accueillie par le roi, Désirée le supplie d'intervenir en faveur de celui qu'on tenait enchaîné là-bas. 

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Elle frappe à toutes les portes. A tous les cœurs, au cœur des femmes qui sollicitent ses confidences avec un intérêt qui n'est pas toujours exsang d'une certaine indiscrétion. Même on la vit un jour chez l'ambassadeur infléxible d'Angleterre. Devenue reine de Suède, elle continua de vivre à Paris incompréhensiblement, sous le nom de la comtesse de Gotland. Indifférente à l'opinion qu'on avait d'elle, elle se compromettait crânement, mais poursuivait son but. Elle revit Fouché. Eu l'honneur et la joie de connaître un soir Chateaubriand... 

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... Mais elle lassa le monde. Finit par ennuyer le duc de Richelieu qui lui rendit ses lettres. Et eut enfin les yeux ouverts un soir par Talleyrand.

Talleyrand : Mais non, madame. Votre majesté s'obstine en vain. Si voulez plaider sa cause utilement un jour, attendez au moins qu'il soit mort.

Désirée : Ah.

Hélas, il disait vrai. L'empereur entra dans la légende et devint immortel le 5 mai 1821 à six heures du soir. Dès lors, le monde libéré chanta sa gloire, exhalta son génie, et Désirée devint un peu le point de mire.

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Une femme : Vous qui l'avez connu, vous l'aimez aimé. Dites-nous, je vous prie ?

L'ambassadeur d'Angleterre : En vérité, c'était un homme fabuleux, l'un des plus grands soldats que le monde ait connu.

Un homme : Croyez-le bien, messieurs, l'ombre de Napoléon s'élèvera seule, à l'extrêmté du vieux monde détruit.

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Elle revit Marmont, Davout et rencontra le docteur Antomarchi qui avait assisté l'empereur à ses derniers moments. Il revenait de Sainte-Hélène et c'est par lui qu'elle connut la terrible phrase dictée par l'empereur.

Le docteur Antomarchi : "Vous direz que je suis mort dans l'état le plus déplorable, manquant de tout, abandonné à moi-même et à ma gloire. Vous direz qu'en expirant, je lègue à toutes les familles régnantes l'horreur de mes derniers moments."

C'est en entendant ces mots affreux que Désirée prit la décision de quitter la France et de rejoindre le roi de Suède, son mari.

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Désirée : Je ne te savais pas souffrant.

Bernadotte : Oh cela n'a pas été très grave. Et ça va beaucoup mieux déjà. Je t'attendais d'ailleurs.

Désirée : Tu m'attendais ?

Bernadotte : Oh oui, j'étais sûr que tu allais venir maintenant. Comment te portes-tu toi-même ?

Désirée : Oh, moi, je vais très bien.

Bernadotte : Tu sais ce qui m'est arrivé le jour de sa mort ? Eh bien, le 5 mai, à six heures moins dix exactement, du soir, j'ai ressenti au coeur une douleur très vive. S'il n'y avait pas eu des témoins, je ne mentionnerais pas le fait. Mais il est évident que j'ai eu le pressentiment de sa mort. Combien tu as dû souffrir toi-même.

Désirée : Combien je souffre encore.

Bernadotte : Oh, je le pense bien. Tu sais ce qu'il a dit de moi ? [...] Des choses horribles et très injustes ! Ce qu'il a dit de moi d'ailleurs, il a dû le regretter, car le docteur O'Mehara a bien voulu me transmettre la phrase la plus importante que l'empereur ait dite à mon sujet. Je l'ai copiée, tu penses bien. Attends, attends. Tu vas connaître aussi, oh trois lignes abominables, qu'il a dictées au docteur Antomarchi.

Désirée : Oh je les connais. "Je lègue à toutes les familles régnantes l'horreur de mes derniers moments".

Bernadotte : Oui-oui-oui-oui, ah tais-toi, je ne dors plus depuis qu'on me les a rapportées, ces lignes. Mais tiens, tiens, voici, la phrase du docteur O'Mehara qui, elle, efface tout. "Je peux accuser Bernadotte d'ingratitude, mais non de trahison." Oh, cela, il ne faudra jamais l'oublier, n'est-ce pas ?

Désirée : Jamais.  

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Vingt ans plus tard, devenus reine et roi de Suède à la mort du roi Charles XIII, ils gagnèrent l'estime et l'amitié de leurs sujets. Mais combien leur mémoire était restée fidèle. 

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La servante : Bien, votre majesté.

Désirée : Appelez-moi "madame" quand nous sommes seules.

La servante :  Bien, votre majesté. 

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Mais une autre pensée l'obsédait davantage à toute heure en tout lieu.

Bernadotte : Nous nous sommes détestés, tous les deux mais je ne l'ai pas trahi. J'ai agi en Suédois mais je n'ai jamais cessé de penser en Français. Ca a toujours été ma hantise du reste. Et c'est pour cela sans doute que je n'ai jamais pu apprendre le suédois.

[...]

Bernadotte : D'ailleurs, nous ne nous sommes pas réellement détestés, lui et moi.

Désirée : Mais non, j'en suis certaine.

Bernadotte : Et, vingt fois, nous avons failli nous jeter dans les bras l'un de l'autre.

Désirée : Oui mais voilà, il y avait quelque chose entre vous.

Bernadotte : Non, il y avait quelqu'un entre nous. Et si tu étais moins modeste, tu aurais deviné que c'était toi.

Désirée : Qu'est-ce que tu veux dire ?

Bernadotte : Tu as toujours cru que je l'enviais, lui, sans jamais te demander si je n'étais pas jaloux de toi.

Désirée : Tu as été jaloux de moi ?

Bernadotte : Je n'ai jamais cessé de l'être.

Désirée : Oh...

Bernadotte : As-tu cessé, toi, de l'aimer ?

Désirée : Mais... pourquoi ne m'as-tu jamais fait d'observations à cet égard ?

Bernadotte : Pour te le faire aimer d'avantage ? Merci.

Désirée : Mais lui ne m'aimait plus.

Bernadotte : Mmmh, non. Mais on n'est jamais satisfait de voir au bras d'un autre celle qu'on a aimé.

Désirée : Ah... Je pensais bien qu'un jour tout retomberait sur moi.

Bernadotte : Pardon, pardon, mais je suis... si malheureux.

Désirée : Je le vois bien.

Bernadotte : Pense, j'étais maréchal de France, et je suis roi de Suède.

Et nous savons d'ailleurs qu'à son heure dernière, mais... n'anticipons pas.

Bernadotte : Qu'est-ce que c'est que ce pli ?

Désirée : Je ne sais pas. Tu dormais, on l'a déposé.

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Bernadotte : C'est la copie du testament de l'empereur que le roi Louis-Philippe me fait parvenir. Mon Dieu, il y a donc encore un Français qui s'intéresse à moi. "Je meurs dans la religion apostolique et romaine, dans le sein de laquelle je suis né, il y a cinquante ans."

Désirée : "Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j'ai tant aimé". 

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Désirée : Tu ne dors pas ?

Bernadotte : Oh non, du tout.

Désirée : Tu me demandais récemment ce que nous pourrions faire pour lui.

Bernadotte : Oui.

Désirée : Je pense à ce désir qu'il exprime si bien, que ses cendres reposent sur les bords de la Seine.

Bernadotte : Au milieu de ce peuple français que j'ai tant aimé moi-même. Tu as raison. Et je vois deux choses à faire, et tout de suite.

Désirée : Oui, dis.

Ce qu'il a fait, ce qu'elle a fait, jamais on ne le saura sans doute. Et d'autre part, quel a été le sens du voyage mystérieux de la reine de Suède dont la chronique s'est émue ? Et cette visiteuse voilée qui vint se jeter suppliante aux genoux du roi Louis-Philippe, qui était-elle ? Et le jour du retour des cendres de l'empereur, cette même personne voilée, qui se disait en sanglottant "j'y suis un peu pour quelque chose", n'était-elle pas Désirée Clary, la petite fiancée du général Bonaparte, qui naquit à Marseille, et mourut reine de Suède. 

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lundi, 02 juillet 2012

Le destin fabuleux de Désirée Clary - Guitry 1/2

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Film : Le destin fabuleux de Désirée Clary (1941, durée 1h50)

Réalisateur : Sacha Guitry 

Désirée (Gaby Morlay), Désirée jeune (Geneviève Guitry), Julie Clary (Yvette Lebon) 
 
Bonaparte (Jean-Louis Barrault), Bernadotte (Jacques Varenne), Talleyrand (Jean Périer), Fouché (Noël Roquevert) 
 
Le conteur (Sacha Guitry)
 
 

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Napoléon : Bernadotte saura que vous êtes venue ?

Désirée : Non.

Napoléon : Qui trahissez-vous de nous deux ?

Désirée : Ce soir, je me le demande. 

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Napoléon : Faites savoir à Junot qu'il doit cesser de m'écrire sur du gras papier de deuil, c'est contraire au respect que l'on doit à un supérieur et cela me donne des idées sinistres quand je reçois ses lettres. 

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Benadotte : Sire, j'ai pensé longtemps que la France ne pouvait être heuseuse qu'en république. C'est à la sincérité de cette conviction que votre majesté doit attribuer mon attitude pendant trois ans. Mes illusions sont dissipées. Je vous prie d'être persuadé de mon empressement à exécuter les mesures que votre majesté pourra prescrire dans l'intérêt de la patrie.
 
Napoléon : Monsieur le maréchal, la conviction que j'ai que votre langue a toujours été l'interprète fidèle de votre cœur donne à l'aveu que vous venez de faire une grande valeur à mes yeux. C'est seulement par une union complète que nous pouvons espérer achever la gloire, la tranquillité et la prospérité de la France. 

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Napoléon : Tenons-nous prêts à partir en campagne à la fin de l'année. L'Angleterre n'ayant pas respecté les clauses du traité d'Amiens, je forme le projet de porter la guerre dans l'île. Lannes, je te prie de te taire.
 
Lannes : Mais je...
 
Napoléon : Si tu n'es pas content, va-t-en.
 
Lannes : Non.
 
Napoléon : Comment, non ?
 
Lannes : Non. Tu as trop besoin de moi. 

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Et pendant trois années, de juin 1804 à juillet 1807, l'empereur ne va guère quitter des yeux cette carte d'Europe, tandis que Désirée continuera de le haïr. 

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Désirée : Chaque étape de sa prodigieuse carrière est comme une nouvelle humiliation que je ressens, qui me torture et qui m'exaspère.
 
Julie : Je m'en rends compte, hélàs. Et je suis bien obligée de l'admettre. Mais entre nous, ce que je ne comprends pas, c'est que Bernadotte éprouve lui ce sentiment à son égard.
 
Désirée : Mais il est tout différent du mien, son sentiment ! Il ne le déteste pas, lui.
 
Julie : Bernadotte ne déteste pas l'empereur ?
 
Désirée : Pas du tout ! Il admire son génie. Mais, que veux-tu, il le considère comme un homme néfaste.
 
Julie : Sincèrement ?
 
Désirée : Sincèrement oui. Parce qu'il ne sait pas la vérité.
 
Julie : Et quelle est donc la vérité ?
 
Désirée : La vérité, c'est qu'il l'envie, c'est tout. Et c'est l'explication de tout. Depuis le premier jour, il l'envie. Depuis Toulon, depuis Arcole, enfin depuis toujours.  Mais il ne s'en rend pas compte. Car, s'il est incroyablement ambitieux, il est le plus honnête homme du monde.
 
Julie : Ambitieux, il me semble pourtant que l'empereur l'a comblé.
 
Désirée : Oh, oui, de toutes les manières, argent, dignités, faveurs, il lui a tout donné.
 
Julie : Alors, que peut-il envier ?
 
Désirée : Sa place. La seule chose évidemment que l'autre ne lui donnera jamais. Mais Bernadotte ne désespère pas de la lui prendre un jour.
 
Julie : Mais toi non plus.
 
Désirée : Mais moi non plus. Avec cette différence que si même un jour Bernadotte prenait la place de l'empereur, moi je n'occuperais pas celle de Joséphine.
 
Julie : Et cependant, tu l'aurais, sa place.
 
Désirée : Oui, mais pas dans son lit. Parlons d'autre chose, tu veux... [...] Joseph !
 
Joseph : Oui, bonjour, bonjour chérie . J'ai des nouvelles de Bernadotte que l'empereur vient à l'instant de me communiquer. Elles sont excellentes et mon frère m'a prié de vous les transmettre. Ah, pendant que j'y pense, pardon, je suis roi de Naples.
 
Julie : Qu'est-ce que tu dis ?
 
Joseph : Tu as bien entendu.
 
Julie : Tu es roi de... ?
 
Joseph : Oui, et toi reine de Naples.
 
Julie : Et tu ne me l'dis pas ?!
 
Joseph : Mais je te l'dis ! Je l'avais oublié un instant, excuse-moi, chérie, il m'a dit tant de choses aujourd'hui.
 
Julie : Mais pourquoi es-tu roi de Naples ?
 
Joseph : Mais parce qu'il l'a décidé ! Qu'est-ce que tu veux que je te dise, tu le connais, n'est-ce pas ? Et Louis et roi de Hollande.
 
Désirée : Votre fère ?
 
Joseph : Oui, lui il est enchanté.
 
Julie : Vous, non ?
 
Joseph : Oh, ne me dis pas "vous", je t'en supplie. Tu sais que je n'ai jamais eu le goût des titres et des dignités. Déjà quand on m'appelle altesse, je trouve ça inconvenant, c'est bien simple. Mais revenons à Bernadotte.
 
Désirée : Pardon, comment se porte l'empereur ?
 
Joseph : Comment donc ? Il est arrivé ce matin, il repart ce soir. Il dort cinq heures par nuit, déjeune en dix minutes, va de victoire en victoire. Ah, je crois que son divorce est chose décidée.
 
Désirée : Et vous me l'dites pas ?! 
 
Joseph : Mais... j'vous l'dis. Mais revenons à Berdanotte.
 
Désirée : Pardon, un mot. Vous a-t-il dit lui-même qu'il divorçait ou bien est-ce une impression que vous avez ?
 
Joseph : Il me l'a fait comprendre. Donc, Bernadotte annonce une victoire éclatante.
 
Désirée : Je, Je voudrais savoir. Est-ce qu'il se résigne à divorcer ou bien... le désire-t-il un peu déjà ?
 
Joseph : Ca, je ne saurais le dire. Donc, Bernadotte annonce une victoire écrasante à Lübeck, la prise de la ville et la capture par lui de quinze cent Suédois qui combattaient parmi les troupes prussiennes.
 
Julie : Et où est Lübeck ?
 
Joseph : Au Danemark. Or, cette petite armée suédoise était commandée par le colonnel comte Mörner, et aussitôt après la victoire, vous allez reconnaître là votre mari, voici comment les choses se sont passées. 

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Bernadotte : Et vous direz à la maréchalle, que je suis victime d'une abominable machination de Davout et de Berthier. 

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Napoléon : Non, sa disgrâce est un fait accompli désormais. C'est en vain que vous pleurez, mesdames, c'en est fini de Bernadotte. Sa conduite à Iéna, son attitude à Wagram, après toutes ces fanfaronnades exaspérantes, mettent un point final à sa carrière militaire. Non, pas cette fois-ci. J'ai pu lui pardonner tout ce dont vous étiez coupables, ses insinuations, ses médisances, ses intrigues, ses complots eux mêmes. J'ai pu passer l'éponge enfin sur tout ce qui portait la marque de votre inspiration. Mais me désobéir en présence de l'ennemi, cela, vous ne le lui auriez jamais conseillé. C'est la troisième fois qu'il n'est pas fusillé grâce à vous ! Ne m'en demandez pas davantage. La mise en disponibilité de Bernadotte est définitive à présent. Vous pouvez vous retirer, mesdames. 

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Bernadotte : Aujourd'hui, il me nomme gouverneur de Rome, me fait grand dignitaire de l'empire et m'accorde une dotation de deux millions.
 
Désirée : Oooh....
 
Bernadotte : Comment veux-tu que j'y comprenne quelque chose ?
 
Désirée : Oooh....
 
 
Mais le soir-même, quelqu'un que nous allons reconnaître se présentait chez Bernadotte. Cette visite allait bouleverser tous les projets de l'empereur, elle allait ouvrir une voie nouvelle à l'ambition du maréchal, elle venait enfin confirmer quel destin fabuleux fut celui de Désirée Clary. 

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Bernadotte : Ah, colonnel ! Soyez le bienvenu.
 
Fournier : Monsieur le maréchal, je ne puis vous dissimuler l'émotion que j'éprouve à revoir votre altesse. Madame la maréchale ?
 
Bernadotte : Oui. 

Fournier :  Madame, vous êtes l'épouse d'un véritable gentilhomme. Si vous saviez.

Désirée : Oh, mais je sais.

Fournier : Sans doute. Mais ce que vous ignorez, madame, c'est le souvenir que mon pays en a conservé, tant votre altesse est populaire en Suède. Votre fils ?

Bernadotte : Oui.

Fournier : On aime à dire qu'un bienfait n'est jamais perdu. Eh bien, tenez, en voici une preuve éclatante. Prince, vous n'ignorez pas que la Suède se trouve en un état voisin de l'anarchie. D'autre part, vous savez que notre vieux roi, Charles XIII, n'a pas de projéniture. Or, il nous faut un chef, il nous faut un prince royal. Notre pays n'a besoin ni d'un Danois, ni d'un Russe. Ce qu'il désire, c'est un Français, un Français qui adoptera notre religion, qui deviendra suédois, un Français connu pour ses exploits guerriers, pour l'estime où le tient l'auguste empereur des Français, qui appartienne à la famille de l'empereur, étant le beau-frère du roi d'Espagne, enfin qui ait un fils susceptible de lui succéder un jour. Telle est l'mouvant mission que j'avais à remplir auprès de votre altesse.

Bernadotte : Monsieur le comte, votre déclaration m'honore et me touche profondément. Mais elle me prend au dépourvu, je dois le dire. Devant une éventualité aussi considérable, certaines objections me viennent à l'esprit. Cesser d'être français, abjurer ma religion...

Fournier : ... comme l'a fait le roi Henri IV, votre concitoyen.

Bernadotte : Oui, mais... même en admettant la question résolue pour moi, il me resterait encore à poser une condition formelle, que j'hésite à formuler.

Fournier : Parlez, je vous en prie.

Bernadotte : Eh bien...

 
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Napoléon : Je suis ravi d'en être débarrassé. En tout cas, je ne pouvais pas refuser mon consentement, car un maréchal de France sur le trône de Gustav Adolf est l'un des meilleurs tours qu'on puisse jouer à l'Angleterre. J'ai trois valets et deux rois, autant dire cinq valets. 

Napoleon, bonaparte, roi, empereur, guitry

Talma : Sire, on prétend même que si Dieu vous laissait faire, vous lui prendriez sa place.

Napoléon : Eh bien, non, je n'en voudrais pas, car c'est un cul-de-sac. A vous de jouer, Talma. Et d'ailleurs, c'est justice.

Talma : Non, sire, c'est à vous. Monsieur de Talleyrand vient d'abattre le roi.

Napoléon : Je n'en suis point surpris. Eh bien, je joue carreau.

Talleyrand : Mais, sire, puis-je vous faire observer...

Napoléon : ... que ?

Talleyrand : Que vous avez sept cartes en main.

Napoléon : Eh bien ?

Talleyrand : C'est deux de trop.

Napoléon : Nous ne jouons pas d'argent. Alors ?

Talleyrand : Et d'ailleurs, vous avez tous les droits.

Napoléon : Non, prince, je n'ai précisément pas tous les droits, et je ne peux justement pas tout faire. La boutonnière de Talma en est la preuve. Oui, je peux distribuer tous les trônes d'Europe à mes frères, personne n'ose élever la voix, mais si je veux décorer un comédien, cela fait un scandale. Cambronne, c'est à vous de parler.

Cambronne : Mmmmmh.

Napoléon : Vous ne dites rien, Cambronne ?

Cambronne : Mmmmmh.

Napoléon : Et qu'entendez-vous par "Mmmmmh" ?

Cambronne : Rien, sire, je passe.

Napoléon : Bien.

 

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Désirée : Le vieux roi de Suède trouve inacceptable la condition posée par Bernadotte.

Julie : Mais quelle est donc cette condition ?

Désirée : Devenir son fils, oui, enfin, prince héritier.

Julie : Oh, je ne savais pas. Oh...

Désirée : Tu penses bien que Bernadotte ne va pas se faire naturaliser suédois, devenir protestant, s'exiler en Suède, sans courir au moins la chance de monter sur le trône un jour.

 Julie : Evidemment.

Désirée : D'autre part, ce vieux roi, n'est-ce pas, mettons nous à sa place.

Julie : C'est ce que vous étiez en train de faire justement.

Le valet : Un pli pour madame la maréchale.

Désirée : Donnez, donnez. Mon Dieu, pourquoi j'ai le pressentiment qu'un malheur est arrivé ?

Julie : Veux-tu que je ... ?

Désirée : Non-non-non-non... Oh, mon Dieu !

Julie : L'empereur ?

Désiée : Non, mais mon pressentiment ne m'avait pas trompée.

Julie : Ton mari ?

Désirée : Oui.

Julie : Mort ?

Désirée : Non, roi de Suède.

Julie :Qu'est-ce que tu dis ?

Désirée : C'est fait. Charles XIII consent à l'adopter, tiens, lis toi-même. Oh, mon Dieu, mon Dieu...

Julie : Ma chérie, oh non, ne pleure pas.

Désirée : Je le redoutais depuis trois mois. Voilà, c'est fait, je suis reine de Suède... Je ne sais même pas où est la Suède. Moi qui croyais que c'était un petit pays comme P---. Mais pas du tout, il parait que c'est immense ! C'est là-haut, tout là-haut, là-haut.

Julie : Enfin, inclinons-nous devant la destinée.

Désirée : Eh oui, et nous revoilà de nouveau toutes les deux, l'une consolant l'autre.

Julie : Comme le jour où je suis devenue reine d'Espagne.

Désirée : Oui, c'est vrai. Mais qu'est-ce que nous avons bien pu faire au bon Dieu pour qu'il nous arrive tout cela ? Encore toi, tu le sentais que c'était provisoire.

Julie : Et puis enfin moi, je ne suis pas allée en Espagne.

Désirée : Parce que tu t'imagines que je vais aller en Suède ?

Julie : Tu n'iras pas ?

Désirée : Moi ? Ah, jamais de la vie ! Quitter la France ? Non. M'en aller de Paris ? Non-non-non-non-non. Non, et puis...

Julie : Et puis il y a l'autre.

Désirée : Eh oui.

Napoleon, bonaparte, roi, empereur, guitry

Julie : Enfin, quoi qu'il en soit, nous voilà reines toutes les deux.

Désirée : Oui, tu y crois toi ?

Julie : Pas beaucoup. Ca n'a pas l'air sérieux tout cela.

Désirée : C'est peut-être pas sérieux, mais c'est grave.

 

jeudi, 28 juin 2012

L'Amour en fuite - Truffaut

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Film : L'Amour en fuite (1979, durée 1h30)

Réalisateur : François Truffaut

Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud), Christine Doinel (Claude Jade), Colette (Marie-France Pisier)

 

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Antoine Doinel : A quoi reconnait-on qu'on est amoureux ? On est amoureux quand on commence à agir contre son intérêt.

 

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Antoine Doinel : Au cinéma, des images violentes t'ont amenée à chercher refuge contre mon épaule. Ah ! Comme j'étais content ce soir-là que tu n'aimes pas la boxe !

 

mercredi, 27 juin 2012

Domicile conjugal - Truffaut

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Film : Domicile conjugal (1970, durée 1h40)

Réalisateur : François Truffaut

Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud), Christine Doinel (Claude Jade)

 

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Antoine Doinel : Tu es ma petite sœur, tu es ma fille, tu es ma mère.

Christine Doinel : J'aurais bien voulu aussi être ta femme. 

 

mardi, 26 juin 2012

Jules et Jim - Truffaut

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Film : Jules et Jim (1962, durée 1h42)

Réalisateur : François Truffaut

Catherine (Jeanne Moreau), Jules l'Autrichien (Oskar Werner), Jim le Français (Henri Serre)

 

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Voix off : Le bonheur se raconte mal. Il s'use aussi avant que l'on ne remarque l'usure.

 

lundi, 18 juin 2012

Les Amants du Flore - Sartre, de Beauvoir

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Téléfilm : Les Amants du Flore (2006, durée 1h44)

Réalisateur :Ilan Duran Cohen

Jean-Paul Sartre (Laurànt Deutsch), Simone de Beauvoir (Anna Mouglalis), Françoise de Beauvoir (Caroline Sihol), George de Beauvoir (Didier Sandre), Nelson Algren (Kal Weber), Lumi (Clémence Poésy), Tyssen (Julien Baumgartner), Tania (Sarah Stern), Marina (Jennifer Decker), Nizan (Vladislav Galard), Lola (Laetitia Spigarelli), Camus (Robert Plagnol), Mauriac (Philippe Bardy)

 

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A la bibliothèque de la Sorbonne.

 

Sartre : Pas mal la grenouille de bénitier.

- Je l'ai vue le premier.

Sartre : Que le meilleur gagne.

- Il te les faut toutes

Sartre : Ouais.

- Restez, Simone. Veuillez cesser d'importuner mademoiselle de Beauvoir ou je vais chercher l'appariteur.

Sartre : Sale cafard.

 

Bagarre générale.

 

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Lola : Il est nabot, il est méchant, il louche mais on ne compte plus ses conquêtes. On dit que Sartre est génial.

Simone de Beauvoir : Qui "on" ?

Lola : Tous nos maîtres supérieurs ?

Simone de Beauvoir : Il est normalien, ce voyou. Oh la la, j'ai leur cœur qui bat.

Lola : Ca va marcher, j'en suis sure. Bonne chance.

Simone de Beauvoir : Tu ne restes pas ?

Lola : Je peux pas, excuse-moi, Simone.

Simone de Beauvoir : J'ai besoin de toi ! Si le professeur refuse, je vais être à ramasser à la petite cuillère.

Lola : Ma mère vient me chercher, elle doit déjà être là.

Simone de Beauvoir : Elle peut pas te laisser en paix, celle-là.

Lola : Simone, je quitte la Sorbonne.

Simone de Beauvoir : Ta mère est revenue à la charge.

Lola : Je m'fais vieille.

Simone de Beauvoir : Tu te moques de moi ? J'expédie Brancheville et je viens avec toi raisonner ta mère.

Lola : Occupe-toi de ton avenir, c'est beaucoup plus important.

Simone de Beauvoir : C'est criminel de t'empêcher d'étudier. T'es la plus douée d'entre nous.

Lola : Mais pour toi c'est tout simple, le bonheur suprême c'est d'être enseignante.

Simone de Beauvoir : Tu préfères être la domestique d'un homme ?

Lola : Pas sa domestique, Simone, sa femme. Ce n'est pas fatalement pareil. Moi je veux une robe de dentelle blanche et un homme merveilleux à mon bras et des tas d'enfants qui courent dans ma maison. Je ne suis pas comme toi. Mais on s'adore quand même, c'est ça qui est beau, non ? Ne te mets pas en retard, mademoiselle la future agrégée, cours vers ton destin.

 

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Simone de Beauvoir : Père ! Mon p'tit papa chéri, Branchefigue m'autorise à passer l'agrégation et le diplôme d'enseignement la même année. J'ai gagné, je vais faire en un an ce que tous les autres font en deux.

Son père : Viens que je t'embrasse.

Simone de Beauvoir : C'est la première fois que la Sorbonne accorde cette dérogation.

Son père : J'ai toujours dit que tu as un cerveau d'homme. Décroche tes deux diplômes, il le faut.

Simone de Beauvoir : Père, est-ce que vous êtes un peu fier de votre fille ?

Son père : Je suis rassuré. De toute façon, on a aucune chance de te caser. Alors...

Sa mère : Mais pourquoi blesser Simone ? A quoi bon, Georges ?

Son père : Qui voudrait de ta fille ? Elle est laide. Et en plus elle est pauvre. Il faudra bien qu'elle gagne sa vie.

Sa mère : Montrez-lui l'exemple, trouvez-vous du travail.

Son père : Retourne à tes chiffons. Mérite ta pitance, t'es une boniche ici. Tu m'entends ? Une bonniche sans le sou ! Ta dote que ton père m'avait promise, où est-elle ? Il m'a grugé, cet escroc. C'est pour cet argent que je t'ai épousée, pour rien d'autre, tu m'entends ? Il a fait de moi un déclassé.

 

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Sartre : Et ça s'agite, et ça travaille, comme un petit castor. Beaver en anglais, beaver / Beauvoir.

Simone de Beauvoir : Je vous prie de me laisser en paix.

Sartre : Il vous plaît votre surnom ? Il paraît que vous êtes imbattable sur Leibniz ? Je respecte ça. Vous avez des ambitions littéraires, Castor ?

Simone de Beauvoir : C'est mon affaire.

Sartre : Celui qui n'est pas célèbre à 28 ans doit pour toujours renoncer à la gloire.

Simone de Beauvoir : Cette phrase n'est même pas de vous, elle est de Rodolphe Töpffer.

Sartre : Vous m'épatez. Il paraît que vous n'avez que 21 ans. Vous êtes bigrement en avance.

Simone de Beauvoir : Et vous ?

Sartre : Les profs étaient trop cons pour m'apprécier à ma juste valeur. Mais j'ai déjà 24 ans.

Simone de Beauvoir : Il ne vous reste que 4 ans pour devenir célèbre. Vous feriez mieux de pas perdre votre temps.

Sartre : J'écris, comme un forcené, plusieurs livres à la fois. Vous aussi vous écrivez, n'est-ce pas ?

Simone de Beauvoir : Plus modestement.

Sartre : Essais ? Romans ?

Simone de Beauvoir : Un essai.

Sartre : Sur quoi ?

Simone de Beauvoir : Une morale plurielle.

Sartre : Qu'est-ce que ça veut dire une morale plurielle ?

Simone de Beauvoir : Par-delà la religion, il existe des valeurs plus hautes qui sont les valeurs morales.

Sartre : Intéressant.

Simone de Beauvoir : Ma mère est fervente catholique, mon père est athée mais il partage l'essentiel.

Sartre : Et c'est quoi l'essentiel ?

Simone de Beauvoir : Etre et agir de manière respectable.

Sartre : On en a rien à foutre d'être respectable. Inutile de gaspiller de l'encre pour justifier votre mauvaise foi. Vous cherchez simplement à vous fabriquer des raisons de croupir chez les bourgeois, mademoiselle...  Moi aussi, je pleure pour un rien, je suis très féminin.

Simone de Beauvoir : Je pleure pas. Lâchez-moi.

Sartre : Impossible, vous me plaisez trop. On pourrait travailler l'agrég ensemble, qu'est-ce que vous en dites, ma jolie ?

Simone de Beauvoir : Gardez vos boniments pour les oies. Je suis pas jolie mais je suis pas idiote.

Sartre : Vous êtes intelligente, et belle. Je vous ai trouvée belle dès que je vous ai vue.

Simone de Beauvoir : Cessez de me tourmenter, je vous en prie !

Sartre : Vous êtes belle, Castor. Vous avez cette chance, bordel !  Et vous ne le sauriez pas ? Alors vous êtes la femme idéale.

 

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Sartre : Bonjour, je suis votre prof de philosophie, je m'appelle Jean-Paul Sartre. Vous êtes mes premiers élèves.

Un élève : Excusez-moi, c'est vrai que vous remplacez monsieur Moutier parce qu'il a fait une dépression nerveuse ?

Sartre : C'est ce qu'on m'a dit. Je ne connais pas Moutier mais ça me le rend plutôt sympathique. Bon, les gars, ça ne m'emballe pas d'être prof, et je n'ai pas la vocation pour jouer les gardes-chiourme. Alors comptez pas sur moi pour pérorer sur l'estrade pendant que personne n'écoute. [...] Autrui, ce n'est pas seulement celui que je vois. C'est aussi celui qui me voit. Il confère à mon monde l'étendue de son savoir et de l'assurance qu'il me donne. C'est pourquoi, ce que chaque individu parmi vous peut penser m'intéresse. J'ai autant à apprendre de vous que vous de moi.

 

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Sartre : Castor, puisqu'on y est, autant tout clarifier dans nos rapports. Pas de mensonges entre nous.

Simone de Beauvoir : Je hais le mensonge autant que vous.

Sartre : Je n'ai aucune vocation pour la monogamie.

Simone de Beauvoir : Qu'est-ce que vous voulez dire ?

Sartre : Je vous aime comme un fou. Et je vous aimerai toujours. Mais je suis écrivain.

Simone de Beauvoir : Et alors ?

Sartre : Je ne veux pas vivre comme ces vieux cons de l'Académie. Il me faut de l'air, de la nouveauté, de l'excitation. Vous seule m'êtes nécessaire mais j'ai besoin de connaître des amours contingentes.

Simone de Beauvoir : Qu'est-ce que vous entendez par contingentes ?

Sartre : Sans importance, non essentielles, c'est le contraire de nécessaires, vous savez bien.

Simone de Beauvoir : Moi aussi ?

Sartre : Vous aussi quoi ?

Simone de Beauvoir : Je suis un écrivain. Des amours contingentes, moi aussi j'en ai besoin.

Sartre : Ca je sais pas, ça dépend.

Simone de Beauvoir : De quoi ? Mon expérience est bien plus limitée que la vôtre.

Sartre : Vous avez envie de connaître d'autres hommes ?

Simone de Beauvoir : Avouez que vous détesteriez ça.

Sartre : Ce serait justice.

Simone de Beauvoir : Avouez que vous seriez jaloux.

Sartre : Pas si nous nous racontons tout. Jusqu'au moindre détail.

Simone de Beauvoir : Vous êtes dégoûtant.

Sartre : De cette façon, vos expériences sont miennes, et réciproquement, et nous devenons riches de nos deux vies pour écrire.

Simone de Beauvoir : Vous êtes fou.

Sartre : Pour ça, il faut une femme qui ait de l'audace, de la tripe. Et vous êtes celle-là.

Simone de Beauvoir : Je suis pas celle-là.

Sartre : Vous êtes d'une envergure exceptionnelle, j'vous connais, mieux que vous-même.

Simone de Beauvoir : Cessez de me flatter. Je suis pas dupe.

Sartre : Je n'ai jamais été aussi sincère de toute ma vie. J'vous jure, Castor, je vous propose un vrai pacte d'amour, pas un contrat hypocrite comme le mariage bourgeois où tout le monde triche, tout le monde ment.

Simone de Beauvoir : Alors c'est d'accord.

Sartre : Vous bluffez ?

Simone de Beauvoir : Je ne veux plus rien faire comme les bourgeoises. Le seul choix qu'ils nous laissent, c'est d'être mariée de force ou de rancir vieille fille. Alors je vous prends au mot. J'accepte le pacte.

 

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Sartre : Je m'attendais à un amant, vous m'offrez une maîtresse. Vous m'avez épaté, comme d'habitude.

Simone de Beauvoir : Sartre, avec un autre homme que vous, j'aurais pas pu.

 

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Simone de Beauvoir : C'est peut-être dangereux cette saleté.

Sartre : On m'offre d'être le cobbaye pour explorer les effets de la mescaline alors que j'suis en train d'écrire sur l'imagination. Et vous croyez que je vais refuser ?

Simone de Beauvoir : Heureusement que vous n'écrivez pas un essai sur le crime, vous vous croiriez obligé de commettre un assassinat.

Sartre : En attendant le médecin, on s'met au boulot ?

Simone de Beauvoir : C'est pas du luxe. J'ai bien relu votre roman.

Sartre : A qui croyez-vous parler, Castor ? A une de vos élèves ?

Simone de Beauvoir : C'est pareil chaque fois que j'ose proférer la moindre critique. Ne comptez pas sur moi pour vous applaudir si vous ne le méritez pas.

Sartre : Qu'est-ce que vous attendez pour écrire si vous êtes tellement douée ?

Simone de Beauvoir : La critique est aisée, je sais. N'empêche, regardez cette page. C'est trop guindé, c'est mort, c'est un français de marbre.

L'infirmière : Monsieur, le médecin vous attend.

Sartre : Sauvé par la drogue ! Bon, continuez sans moi, et surtout ne m'épargnez pas.

 

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Simone de Beauvoir : Lumi n'est pas avec vous ?

Sartre : Partie. Vous ne trouvez pas qu'elle est une captivante table rase ?

Simone de Beauvoir : Lumi vous captive ?

Sartre : C'est une conscience neuve et spontanée. Une individualité naturelle. Elle rit, elle pleure comme un enfant.

Simone de Beauvoir : C'est souvent insupportable.

Sartre : Mais elle se donne et se refuse comme une femme.

Simone de Beauvoir : Où voulez-vous en venir, Sartre ?

Sartre : Lumi ne veut pas de moi.

Simone de Beauvoir : En quoi cela me concerne ?

Sartre : Vous avez le pouvoir de la convaincre.

Simone de Beauvoir : Vous me prenez pour une mère maquerelle ?

Sartre : Vous rabaissez tout.

Simone de Beauvoir : Il vous la faut parce que je couche avec elle.

Sartre : Bien sûr.

Simone de Beauvoir : La mescaline vous a rendu dément.

Sartre : Ensemble on pourrait la modeler, en faire une incarnation de notre philosophie. Nous serons les parents qu'elle mérite. Des parents sans tabou.

Simone de Beauvoir : Des parents incestueux.

Sartre : Il y a un côté chez vous qui n'arrive pas à se débarrasser des préjugés de sa caste. Quelque chose d'irrémédiablement mesquin.

Simone de Beauvoir : Où allez-vous, Sartre ?

Sartre : Ca ne vous regarde plus.

Simone de Beauvoir : Restez.

Sartre : Vous n'êtes pas à la hauteur de notre pacte.

 

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Lumi : Tu sais, il m'met la main aux fesses dès que t'as le dos tourné.

Simone de Beauvoir : Tais-toi, idiote.

Lumi : Tu m'crois pas ?

Simone de Beauvoir : Tu te rends compte de l'honneur qu'il te fait ?

Lumi : L'honneur ? Mais t'es complètement zinzin.

Simone de Beauvoir : Sartre ou moi, c'est pareil. Rends-lui son sourire, fais-le pour moi, je supporte pas de le voir malheureux.

 

 

Mauriac : Je questionnais monsieur Sartre sur cet étrange animal auquel il a dédié son livre, François Mauriac. Enchanté, mademoiselle.

Simone de Beauvoir : Simone de Beauvoir, enchantée.

Sartre : Je dois tout au Castor. Au fond j'écris pour elle.

Mauriac : Les jeunes gens modernes ont encore leur muse, c'est plutôt rassurant.

Sartre : Ce n'est pas son genre de jouer de la lyre, elle a la dent dure, mais ses critiques tapent dans le mil. Sans son imprimature...

Mauriac : Son imprimature ? Votre fiancée est donc le patron.

Sartre : Ma fiancée ?

Mauriac : Excusez-moi, je... j'ai cru...

Simone de Beauvoir : Je n'épouse pas. Pas d'enfants, pas de travaux ménagers, chacun sa chambre d'hôtel.

Mauriac : La vie de bohême.

Simone de Beauvoir : La vie d'écrivain.

Mauriac : Vous écrivez aussi ? ... J'aperçois monsieur Gallimard, je vais lui dire tout le bien que je pense de La nausée.

 

Sartre :  Vous l'avez affolé, le pape de la république des lettres.

Simone de Beauvoir : Je l'ai fait exprès, pour qu'il parle de nous partout.

 

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Sartre : Jamais vu un castor aussi peu doué pour la natation. Tania a raison, vous avez l'air d'une grenouille enrhumée.

Simone de Beauvoir : Toujours le mot aimable. Et votre punaise ?

Sartre : Une sangsue plutôt. J'ai dû la traîner jusqu'à son train. Elle a refusé de vous céder la place.

Simone de Beauvoir : Ces disputes violentes, ces réconciliations pathétiques, il vous faut ça pour vous sentir vivant ?

Sartre : Et comment va le jeune Tyssen ?

Simone de Beauvoir : N'en parlez à personne, j'ai juré que Lumi ne saurait rien.

Sartre : Vous avez si peur de le perdre ?

Simone de Beauvoir : Je veux la garder elle aussi. Tyssen ne sait pas qu'entre Lumi et moi ça continue.

Sartre : C'est parce que vous couchez avec eux ou parce que vous ne couchez plus avec moi que vous parvenez à écrire ?

 

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Lettre de Sartre à Simone de Beauvoir : Tania est malade et me réclame. Le seul moyen de quitter cette fichue caserne, c'est de l'épouser, un mariage purement symbolique ça va de soi, mais qui me donnera droit à six longs jours de permission. Je ferai croire à Tania que je n'en ai que trois, reste trois grands jours que je vous réserve, mon tout petit, juste vous et moi, quel bonheur.

 

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Simone de Beauvoir : Sartre ! Vous êtes de retour.

Sartre : Je m'suis démerdé un certificat médical bidon, qui me déclarait atteint de cécité partielle et de trouble de l'orientation.

Simone de Beauvoir : On vous a libéré sur la foi d'un faux document ?

Sartre : Ces enfoirés m'ont d'abord fait croupir quinze jours à Drancy. Je les ai bien baisés avec ma dispense.

Simone de Beauvoir : Quinze jours à Drancy, j'comprends que vous soyez de mauvaise humeur, mon tout p'tit.

Sartre : Vous ne comprenez rien du tout. Et arrêtez de m'affubler de noms ridicules.

Simone de Beauvoir : Je ne sais pas comment vous prendre.

Sartre : Vous, vous, il n'y a pas que vous au monde, il serait temps de vous en apercevoir.

Simone de Beauvoir : Pour moi, il n'y a que vous au monde. Rien n'a changé.

Sartre : Arretez les violons. C'est fini les rêves de gloire frelatés, les plaisirs pervers, nos airs de p'tits cons égoïstes, pour moi c'est terminé, basta.

Simone de Beauvoir : Cette humeur de chien, c'est pour m'annoncer votre mariage avec Tania ?

Sartre : Je ne suis pas revenu pour me marier mais pour combattre.

Simone de Beauvoir : Vous vous moquez de moi ? La guerre est finie.

Sartre : Nous ne sommes plus des hommes si nous acceptons le régime de Vichy. On les foutra dehors les Bosches. Ils ont tué Nizan. Il avait tout compris avant tout le monde. C'était mon ami, ma jeunesse, il me manque Nizan.

 

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Sa mère : Je veux faire des études.

Simone de Beauvoir : A votre âge ?

Sa mère : Toujours aussi encourageante. Je vais préparer un certificat d'aide bibliothécaire.

Simone de Beauvoir : Pourquoi faire ?

Sa mère : Il faut que je trouve un emploi, ton père ne m'a pas laissé un sou. J'en rêve depuis que je suis petite fille.

Simone de Beauvoir : Alors pourquoi avoir attendu la mort de Papa pour vous y mettre ?

Sa mère : Je ne voulais pas l'offenser. "Une femme est ce que son mari la fait". Il aimait bien répéter cette phrase.

Simone de Beauvoir : Pour ce qui est d'offenser, il a pas eu les mêmes scrupules à votre égard.

Sa mère : A quoi ça sert tout ce fiel ?

Simone de Beauvoir : Il a fallu qu'il soit six pieds sous terre pour que je vous vois rêver d'un peu de bonheur.

Sa mère : Comme si moi je pouvais me réjouir de la mort de mon mari.

Simone de Beauvoir : Vous vous sentez plus libre, ça crève les yeux.

Sa mère : J'ai toujours obéi, toute ma vie, j'ai le droit de penser un peu à moi. Où est le mal ?

Simone de Beauvoir : "Une femme est ce que son mari la fait". C'est quand même inouï cette phrase, quand on y pense.

Sa mère : Qu'est-ce que tu racontes ?

Simone de Beauvoir : On vous a dressée, comme un animal, vos parents, votre mari. Vous êtes de chair et de feu.

Sa mère : On ne parle pas comme ça à sa mère.

Simone de Beauvoir : On vous a mutilée, mystifiée, mais il reste encore une petite flamme.

 

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Sartre : Roulement de tambours... Primo, Gallimard prend L'Être et le Néant.

Simone de Beauvoir : L'époque est peu propice à une philosophie libertaire, vous savez.

Sartre : Au contraire, rien de tel que l'oppression pour apprécier mon appel à la liberté et à l'anarchisme.

Simone de Beauvoir : Mais vous allez faire l'unanimité contre vous, les Bosches et les vieilles barbes de la Sorbonne

Sartre : Castor, je vous ai dédié les sept-cent vingt-deux pages de mon premier vrai pavé de philosophe.

Simone de Beauvoir : Avouez que j'lai pas volé.

Sartre : J'avoue, en effet. Vous ne voulez pas savoir le deuzio, vous avez deviné peut-être ?

Simone de Beauvoir : Non.

Sartre : Mais si, Gallimard vous publie. Bienvenue au club des auteurs, Castor.

Simone de Beauvoir : Vous et moi, publiés tous les deux chez le même éditeur ? C'est trop beau.

Sartre : Bon, ils veulent changer le titre de votre roman. Ils proposent L'invité au lieu de Légitime défense. Vous êtes d'accord ?

Simone de Beauvoir : Pourquoi pas ? ... Restez, Sartre, il faut fêter ça.

Sartre : Non, pas ce soir, sinon Tania va me chanter Ramona.

 

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Simone de Beauvoir : Vous êtes bien silencieux.

Sartre : J'suis malheureux, Castor.

Simone de Beauvoir : Votre Américaine ? Ce soir, je proscris la tristesse. C'est la première fois que les Gallimards organisent un dîner en notre honneur à tous les deux.

Sartre : J'm'en fous.

Simone de Beauvoir : Parlez-moi de Carmen.

Sartre : Métisse, un esprit curieux, une intelligence vive. C'est extraordinaire comme elle partage mes goûts, mes émotions, l'accord parfait.

Simone de Beauvoir : Répondez sans détour. Qui vous est nécessaire, elle ou moi ?

Sartre : J'ai pensé m'installer en Amérique. Mais j'suis rentré.

 

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Simone de Beauvoir : Je voudrais comprendre.

Sa mère : Comprendre quoi ? Que les hommes sont ingrats, inconstants, injustes, égoïstes et qu'ils sont les plus forts ?

Simone de Beauvoir : C'est moi que je voudrais comprendre. Je me croyais tellement au-dessus du lot et je me retrouve flouée, niée, grugée, comme... comme toutes les femmes.

Sa mère : Ton père, je l'ai aimé, vraiment, et contrairement à ce que tu crois, lui aussi il m'aimait, à sa manière.

Simone de Beauvoir : Vous croyez qu'il m'aime, Sartre ?

Sa mère : Il y a quinze ans, quand tu l'as rencontré, je ne croyais pas à cette union, et pourtant elle dure encore. Elle doit être solide pour survivre, sans enfant ni bague au doigt.

Simone de Beauvoir : C'est moi qui suis solide. Au nom de la liberté, de l'authenticité, pour pas faire comme les bourgeois, j'ai tout accepté.

Sa mère : Tu as 38 ans, Simone. Pourquoi cèderais-tu ta place maintenant qu'elle est enviable ?

 

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Sartre : Je comprends que vous soyez furieuse.

Simone de Beauvoir : Je vous méprise.

Sartre : D'accord, ça n'était pas très glorieux, ce petit complot pour vous éloigner de Paris.

Simone de Beauvoir : Un vaudeville, une comédie de boulevard.

Sartre : Heureusement que le ridicule ne tue pas. Castor, j'ai pensé à me marier, moi.

Simone de Beauvoir : Je sais que c'est elle qui vous a plaqué, ne vous fatiguez pas, Sartre.

Sartre : Elle a compris que j'étais lié à vous pour l'éternité.

Simone de Beauvoir : Ne comptez plus sur moi pour jouer les lots de consolation, cette époque est révolue.

Sartre : Vous seule m'êtes nécessaire, Castor.

Simone de Beauvoir : Trop tard. J'aime ailleurs. Il me donne ce que vous avez toujours été incapable de me donner, du plaisir.

Sartre : Ca ne vous rend pas moins chiante d'être bien baisée.

Simone de Beauvoir : Personne ne vous retient.

Sartre : J'ai mieux à faire qu'une scène de ménage. Et j'en ai déjà eu plus que ma ration.

Simone de Beauvoir : Ce n'est pas une scène de ménage, c'est une rupture. Vous n'avez pas entendu ce que j'ai dit ?

Sartre : Je suis ravi que vous soyez tombée sur un bon coup mais n'en faisons pas un plat. Sur quoi travaillez-vous ? C'est ça qui m'intéresse.

Simone de Beauvoir : Sur ces créatures que vous appréciez tant.

Sartre : Les femmes, c'est vrai ? Vous en êtes où ?

Simone de Beauvoir : Oseriez-vous prétendre que la femme est libre, qu'elle est liberté, comme vous le dites de l'homme ?

Sartre : Vous ne pouvez pas m'accuser d'avoir atenté à votre liberté.

Simone de Beauvoir : Mon père disait qu'une femme est ce que son mari la fait. Hypothèse : les hommes nous fabriqueraient-ils de toutes pièces ?

Sartre : Vous voulez tordre le cou à la nature féminine ? Pas mal. Existentialiste en plein.

Simone de Beauvoir : Est-ce qu'on naît femme, Sartre, ou est-ce qu'on le devient ?

Sartre : Doucement, entre un homme et une femme il y a des différences physiologiques indéniables.

Simone de Beauvoir : Je vais vérifier qu'elles ne servent pas d'alibi à la domination ancestrale des hommes.

Sartre : Vous tenez peut-être un truc énorme.

Simone de Beauvoir : J'ai l'intention de tout passer au crible, puberté, règles, grossesse, avortement, dépucelage, ménopause, masochisme, frigidité, saphisme, adultère.

Sartre : Bravo ! Attaquez-les aux couilles, Castor. La femme comme question philosophique, personne n'y avait jamais pensé avant vous. Personne, même pas moi.

Simone de Beauvoir : Surtout pas vous.

 

vendredi, 15 juin 2012

Ils vont tous bien - Mastroianni

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Film : Ils vont tous bien (1990, durée 2h06)

Réalisateur : Giuseppe Tornatore

Matteo Scuro (Marcello Mastroianni), la femme dans le train (Michèle Morgan), Tosca (Valeria Cavalli), Canio (Marino Cenna), Norma (Norma Martelli), Guillaume (Roberto Nobile), Alvaro enfant (Salvatore Cascio)

 

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Matteo Scuro : Non mais, c'est une vie pour deux parents de ne même pas pouvoir imaginer la vie de leurs enfants ? De n'avoir même jamais vu leur maison, le lit où ils dorment, le bureau où ils travaillent, le bar où ils prennent leur café ? Réponse : non, cent fois non. N'oublie pas mes caleçons longs et la cravate de cachemire que tu m'as offerte. Ah ! et les gouttes pour ma tension, on ne sait jamais. Fais pas une tête pareille, puisque je te raconterai tout, je te rapporterai même des photos

 

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Matteo Scuro : C'était un voyage important, tu sais. Mais tu m'excuses, je ne peux pas te faire voir les photos de tout ça. J'ai beaucoup marché. J'ai appris des tas de choses aussi. Par exemple, que notre terre, elle n'est pas belle en elle-même comme tout le monde le dit. Elle est belle parce que, pour nous qui y vivons, tout ce qui est au loin, nous paraît plus beau. Oui. Comment ? Et nos enfants ? Nos enfants, ils vont tous très bien. Oui, on les respecte là-haut sur le continent. Et nous pouvons marcher la tête haute. Et toute la Sicile aussi peut être fière d'eux. Qu'est-ce que tu dis ? Bien sûr. Eux aussi ils t'envoient le bonjour et ils m'ont dit de t'embrasser bien fort.

 

Il s'approche de la tombe de sa femme et l'embrasse.

 

Matteo Scuro : Ils vont tous très bien.

 

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