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dimanche, 06 juillet 2014

Jean d'Ormesson II

 

*

 

*              *

 

Réconcilier la culture littéraire et la culture scientifique

Le présent change tout le temps mais c'est toujours le présent

Ne meurent que ceux qui ont vécu

J'ai aimé tout ça. Parce que c'était passager

 

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*

 

  jean d'ormesson,heloise d'ormesson,comme un chant d'espérance  jean d'ormesson,heloise d'ormesson,comme un chant d'espérance
Sources : http://www.saintmartin89.free.fr/hier/appd.htm
http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/jean-dormesson

 

A propos de "l'habit vert" :
http://www.meselegances.com/2010/02/13/lacademie-les-acad...

 

http://ecolesfm.over-blog.com/article-jean-d-ormesson-jui...

 

 

Le titres est un vers d'Aragon, qui est très beau, "C'est une chose étrange à la fin que le monde, un jour je m'en irai sans avoir tout dit". Et tout est dans "à la fin". A la fin.

Parce que le monde nous est donné comme une espèce d'évidence. On n'y réfléchit pas tous les jours. Vous vous occupez de ne pas rater le train, de faire ce que vous avez à faire, vous vous occupez de vos enfants, de gagner de l'argent, de cultiver vos amours,... Mais le monde, vous vous en occupez pas beaucoup. Et à la fin. A la fin, c'est très étrange.

Vous vous émerveillez de tout, Jean d'Ormesson. Vous vous émerveillez d'être là. Vous dites "Je suis là, rien que ça, c'est extraordinaire".

C'est la clé du livre : c'est l'étonnement d'être là. C'est un sentiment que j'ai éprouvé, vous savez, très très tôt. Je m'en rappelle comme enfant, je m'arrêtais quelques fois de jouer, avec des petits amis, et je me disais "Qu'est-ce que je fais là ?" Et ça me prend très très souvent. A l'Académie, ça me prend très très souvent. "Qu'est-ce que je fais là ?"

Mais ça vous a pris un jour après une belle baignade. Vous vous êtes assis au bord de l'eau, et là vous vous êtes dit "Qu'est-ce que je fais là ?" Vous avez eu envie de ce livre.

Oui, vous savez, ce livre, je l'ai vraiment porté en moi des années et des années. C'est pas parce que maintenant je suis vieux que je m'occupe de Dieu et de la mort. Ça m'a toujours fasciné. Un de mes premiers livres s'appelait Au plaisir de Dieu, j'ai écrit un livre qui s'appelait Dieu, sa vie, son œuvre,  j'ai écrit La création du monde. Cet étonnement devant le monde m'a toujours fasciné.

Vous avez l'impression aujourd'hui de savoir davantage ?

De savoir davantage, peut-être pas. Mais peut-être de me poser des questions, qui sont évidentes : d'où venons-nous ? D'où venons-nous ? Nous savons maintenant d'où nous venons. Vous savez, Aristote ne le savait pas. Aristote pensait que l'univers était éternel. Nous savons maintenant que l'univers a un début. Le big bang n'est pas une certitude, n'est-ce pas, mais c'est l'hypothèse qui est acceptée par l'immense majorité des savants. Mais le big bang ne règle pas tout. Qu'est-ce qui avait avant le big bang ?

Vous vous posez de drôles de questions.

Oui. Je ne vais pas vous dire que j'apporte les réponses. Je ne vous dirai pas ce qu'il y avait avant le big bang. Et je ne vous dirai pas ce qu'il y a après notre mort. Mais peut-être la façon de poser les questions est déjà une espèce d'apaisement.

Oui, alors, évidemment, il y a les philosophes, il y a tous ceux qui ont cherché, à travers la littérature, à travers la philosophie, mais aussi les scientifiques, et quelque part aussi ils sont des poètes.

Vous avez tout à fait raison. J'ai essayé de réconcilier, dans ce livre - qui est très facile à lire, je crois qu'un enfant de dix ans peut lire ce livre -, j'ai essayé de réconcilier la culture littéraire et la culture scientifique. Les littéraires ne savent presque rien de la science. Moi je ne savais presque rien. J'ai un peu travaillé. Et les scientifiques connaissent mal la littérature. Alors que les deux choses sont mêlées. Homère et Platon sont inséparables de Pythagore et d'Euclide. Et je dirais que dans cet extraordinaire vingtième siècle, il y a eu bien sûr Gide, Joyce, Proust, Hemingway, mais il y a eu aussi Hemingway - euh - Einstein, Bore, Freulinger, qui sont des gens..., Heisenberg, qui sont des gens qui ont changé notre monde, changé le monde. Et alors, évidemment, à l'étonnement, à l'étonnement se mêle pour moi quelque chose d'un peu vieillot, d'un peu ringard peut-être.

Oh, assumez alors.

Que j'assume, que j'assume. Vous voyez bien que dans le monde où nous vivons, l'ironie règne, la dérision règne, on ne croit plus à grand chose. Et moi je nourris beaucoup d'admiration. D'admiration pour les hommes, pour les œuvres,... pour la vie ! Pour le fait que le soleil se lève, que la nuit arrive, tout ça me paraît des choses extraordinaires. Que nous acceptons, comme ça, comme si c'était tout à fait naturel. C'est stupéfiant. Et c'est pour ça que j'ai appelé le livre - on me l'a reproché -, que j'ai appelé le livre "roman". Parce qu'il semble que cette extraordinaire aventure du monde, de la vie et, au-delà de la vie, de l'univers, est un extraordinaire roman.

Il y a beaucoup de choses évidemment dans ce..., vous vous interrogez, évidemment sur Dieu, sur la vie, l'émerveillement de toute chose, le présent. A un moment, vous dites "le présent est comme une prison de verre".

Oui, le présent est quelque chose d'extraordinaire. Tous les hommes, depuis qu'ils existent, ont vécu dans le présent. Ils ont vécu dans un éternel présent, qui n'a jamais été le même ! N'est-ce pas, le présent change tout le temps mais c'est toujours le présent. Et il y a cette chose extraordinaire qu'est le passé. Où est le passé ? où est-il ? Est-ce qu'il a complètement disparu ? Ou est-ce qu'il est quelque part ? Vous savez, c'est quand même... Ce livre, il n'est pas un livre religieux.

Mais vous interrogez "Qui est Dieu". Vous dites "Dieu est le temps. Et le temps est les hommes".

Je crois que le temps, ce temps, ce temps extraordinaire, d'où nous sortirons, ce temps est quelque chose d'incroyablement compliqué. L'avenir, où est l'avenir ? On ne sait pas. Mais il arrive. Et, vous savez, saint Augustin, il y a deux millénaires et demi, disait "Si tu ne me demandes pas ce qu'est le temps, je sais ce que c'est. Dès que tu me demandes ce qu'est le temps, je ne sais plus ce que c'est". Et Hawkin - Hawkin, vous savez, c'est cet astronome qui est entièrement paralysé, qui ne peut bouger qu'un doigt, et qui communique par ordinateur -, Hawkin dit "Il est impossible de dire de quoi est composé le temps". Il me semble qu'il y a, dans le temps, quelque chose du mystère divin.

Et derrière tout ça, il y a la vie. Parce que vous l'aimez tant !

Oui, je l'aime beaucoup.

Et vous aimez tellement la vie que vous n'avez pas peur de la mort.

Non. Pas du tout. La mort fait partie de la vie. Vous savez, ne meurent que ceux qui ont vécu. C'est une chance merveilleuse de mourir. Ça prouve que vous avez vécu. Moi qui ait tant aimé la vie, j'ai beaucoup aimé la vie, j'ai eu beaucoup de chance, vous savez, dans la vie, et si on me proposait de recommencer, je crois que je refuserais.

Ah bon ?

Ah oui, je refuserais.

Vous refuseriez les descentes en ski que vous aimez tant, les baignades en Grèce ?

J'ai aimé tout ça. Parce que c'était passager. Et si je ne mourais pas, ce serait atroce. Je pense qu'il n'y a pas pire punition que le juge ferrant qui n'arrive pas à mourir. L'immortalité, c'est une horreur, une horreur ! Grâce à Dieu, nous mourrons.

 

 

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C'est une chose étrange à la fin que le monde

Jean D'Ormesson

2010 puis 2011

Robert Laffont puis Pocket

282 pages

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dimanche, 22 juin 2014

Jean d'Ormesson I

*

 

*              *

 

Le Dieu des chrétiens est le seul qui s'incarne par amour
L'amour est la grande nouveauté du christianisme

Nous vivons dans une parenthèse miraculeuse, qui a un commencement et aura une fin

La science et la foi ne sont pas du tout incompatibles

Le mal est indissociable de la conscience du mal
Il procède de l'homme, de sa responsabilité, c'est-à-dire de la liberté de faire le mal


 

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  jean d'ormesson,heloise d'ormesson,comme un chant d'espérance  jean d'ormesson,heloise d'ormesson,comme un chant d'espérance
Sources : http://www.saintmartin89.free.fr/hier/appd.htm
http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/jean-dormesson

 

A propos de "l'habit vert" :
http://www.meselegances.com/2010/02/13/lacademie-les-acad...

 

"Croire en Dieu, on aurait tort de s'en priver...", entretien de Jean d'Ormesson (académicien) par Etienne de Montety - edemontety@lefigaro.fr -, Le Figaro, fascicule Le Figaro et vous, jeudi 12 juin 2014

 

En 1980, Jean d'Ormesson écrivait Dieu, sa vie, son œuvre. En 2014, son panthéisme joyeux s'est transformé en action de grâces. Il publie Comme un chant d'espérance : un court livre où l'écrivain fait part de son émerveillement et de sa stupéfaction face au mystère de l'univers. Il le fait avec brio, comme à son habitude. Commencé comme un court traité de cosmologie, le livre tourne vite à la quête de Dieu. Ce Dieu-là n'est pas celui qui régnait en maître chez ses grands-parents à Saint-Fargeau, il y a cent ans ; c'est une Personne plus insaisissable et plus riche à la fois : l'auteur des beautés de la Création, et celui qui donne la vie et la joie. Et ce Dieu, Jean d'Ormesson l'avoue, l'émeut chaque jour davantage.

A quand remonte votre intérêt pour Dieu ?
Mon livre traite de Dieu, non pas parce que je vieillis, mais parce que ce sujet m'intéresse depuis longtemps. J'ai été élevé dans la religion catholique. Généralement, quand les gens disent ça, c'est pour mieux s'en démarquer. Ce n'est pas mon propos. Je ne suis jamais allé au catéchisme, hormis quelques mois au cours Bossuet, c'est ma mère qui m'a transmis la foi. Enfant, j'ai lu et relu l'Histoire sainte. Je revois mon père, qui était un catholique de gauche, me disant : est-ce bien vrai, tout ça ? Sa remarque m'ouvrit un abîme de perplexité. Je n'ai jamais été très pieux, mais face au mystères de l'existence, j'ai toujours manifesté un sentiment d'étonnement. Je suis étonné d'être en vie, je n'en reviens pas que le soleil se lève le matin ; je suis stupéfait d'écouter l'andante du Concerto 21 de Mozart. L'éternité, le temps, l'histoire me remplissent d'étonnement.

Avez-vous conservé ma foi de votre enfance ?
A trente ans, j'étais toujours dans le même état d'esprit, mais toujours aussi peu pieux : je célébrais Dieu dans sa création. Si j'étais né aztèque, je crois que j'aurais été un adorateur du Soleil. Je trouvais des raisons de croire en découvrant la lumière du matin sur la Méditerranée, dans les calanques de Porto, en Corse, mais aussi en séjournant à Palmyre, à Rome, à Venise, à Damas, devant la mosquée des Omeyyades. Face au mystère de la création, il m'a toujours paru impossible de s'en tenir aux certitudes. Mes doutes m'embarrassaient, me paralysaient jusqu'à ce que j'apprenne que les plus grands saints ont douté. Ainsi Mère Teresa elle-même a connu des périodes de doutes profonds. Léon Bloy a raison : il n'y a qu'une tristesse, c'est de ne pas être un saint. Mais un saint n'est pas un être parfait !

Pas pieux, donc, mais croyant...
Je n'accorde pas une grande importance à l'astrologie, mais je note que je suis Gémeaux, signe de la dualité. Je suis gaulliste et européen, de droite mais assez à l'aise avec des hommes de gauche comme Mitterrand et Mélenchon. Et je suis catholique et agnostique. Songez que lorsque j'assiste à une messe, je suis volontiers un peu ironique. Mais je ne supporte pas qu'on critique la foi catholique devant moi. De nombreux auteurs me confortent dans cette position ambivalente. Il y a une histoire célèbre chez les juifs, ce sont deux rabbins qui se disent : "L'important c'est Dieu, qu'il existe ou non." Un Père de l'Eglise dit par ailleurs : ma foi est la forme de mon espérance. C'est exactement mon cas.

Alors à quoi croyez-vous précisément ?
Ce qui ne laisse pas de m'étonner et de m'émerveiller, c'est l'Incarnation : Dieu s'est fait homme.
Je sais bien, avec Renan, que dans de nombreuses religions anciennes, les dieux prennent forme humaine : Zeus prit les traits d'Amphitryon pour séduire Alcmène. Mais le Dieu des chrétiens est le seul qui s'incarne par amour. L'amour est la grande nouveauté du christianisme qu'on retrouve dans d'innombrables propos du Christ : "Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés", etc. Les chrétiens le savent : quand il font le bien, c'est à l'imitation de Dieu mais je suis rempli d'admiration pour les non-chrétiens qui font eux aussi le bien.

Votre livre montre cependant que votre approche de Dieu procède plutôt de la science que la foi
Le XXe siècle a été un siècle horrible à cause des guerres et des massacres. Et un siècle magnifique à cause de la science. On y fait des découvertes exceptionnelles notamment concernant les origines de l'Univers, de Planck à Hubble. La réflexion sur l'univers est proprement saisissante : nous vivons sur une scène, coincés entre le mur de Planck qui donne le départ de l'Univers et celui de la mort. Nous vivons dans une parenthèse miraculeuse, qui a un commencement et aura une fin.

Tous ces scientifiques nous éclairent sur la façon dont a pu se construire l'Univers. Mais pourquoi tout ceci a-t-il été créé ?
Ça relève de la foi. "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? demandait Leibnitz. Or la nécessité de l'Univers n'est pas nécessaire. D'ailleurs, la science et la foi ne sont pas du tout incompatibles. Il est loin, le temps où Bertrand Russel pouvait, après une longue discussion sur l'existence de Dieu, couper court en disant : "Vous ne m'avez pas donné assez de preuves..." Croire en Dieu, c'est beaucoup plus simple que de ne pas y croire, et c'est beaucoup plus encourageant. On aurait tort de s'en priver !

Il y a le mal qui est un mystère et un scandale, qui peut faire douter de Dieu.
Oui, mais le mal est arrivé avec l'homme et avec la pensée. Avant l'homme, le mal n'existe pas. Il y a la souffrance, mais pas le mal. Le mal est l'apanage de l'homme. Car le mal est indissociable de la conscience du mal. Il procède de l'homme, de sa responsabilité, c'est-à-dire de la liberté de faire le mal. Le mal est le prix de notre liberté. Dieu n'est pour rien là-dedans.

Et l'Eglise catholique dans tout ça, comment la trouvez-vous ?
Les ricaneurs sont nombreux qui cirent Loisy : "Jésus annonçait le royaume, mais c'est l'Eglise qui est venue"... Or la succession de trois papes, Jean-Paul II, Benoît XVI et François, chacun illustrant à sa manière les trois vertus thoélogales, l'espérance, la foi et la charité, montre la caractère durablement exceptionnel de l'Eglise catholique, et ce depuis deux mille ans. Je mourrai dans son sein si elle veut de moi et j'aimerais bien avoir un prêtre à mes côtés.

 

 

jean d'ormesson,heloise d'ormesson,comme un chant d'espéranceSe procurer l'ouvrage :

Comme un chant d'espérance

Jean D'Ormesson

2014

Editions Héloïse d'Ormesson

160 pages

http://www.amazon.fr/Comme-chant-desp%C3%A9rance-Jean-Orm...

 

 

 

jean d'ormesson,heloise d'ormesson,comme un chant d'espéranceSe procurer l'ouvrage :

Dieu, sa vie, son oeuvre

Jean D'Ormesson

1980, 1981

Gallimard, blanche

496 puis 504 pages

http://www.amazon.fr/Dieu-Sa-vie-son-oeuvre/dp/B0000EFJI0

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vendredi, 20 juin 2014

L'Algérie IV

 

 

algérie,virginie buisson,la mort des autres

 

Extraits de L'Algérie ou la mort des autres, Virginie Buisson, 2000, Folio :

[...]

Ils sont arrivés.

Ils ont planté des tentes immenses sur la place de l'église, occupé les granges, installé des miradors et fermé le village.

C'est le premier régiment de tirailleurs algériens.

J'ai goûté mes premières boîtes de rations et j'ai appris à armer un fusil.

Un sergent et quatre soldats ont emménagé sur la terrasse au-dessus de ma chambre.

[...]

Le village s'est offert.
Les maisons se sont ouvertes.
Maman nous emmenait mes frères et moi.
Je pouvais évoluer dans les cours, j'ai appris l'Algérie :
les mains tatouées des femmes,
leurs bijoux,
leur fortune, nouée dans un mouchoir, enfouie entre leurs seins, sous leurs gandouras superposées ;
la chôrba brûlante,
le café au poivre de l'hiver, le café pilé au lever du jour, le café de l'accueil, de l'obligeance ;
la semoule roulée de leurs mains rougies de henné, les jours de fête ;
leurs yeux bordés de khôl,
leurs rires, leurs curiosités.
Il arrivait qu'elles me dévoilent leurs richesses serrées dans leur coffre de mariage :
pièce d'étoffe,
photos d'un aïeul médaillé,
mort pour une guerre française,
montre en or dans son emballage,
dentelle de papier journal,
gandouras de velours,
livre d'école.

Les jours de fête, elles faisaient apporter à la maison des pâtisseries au miel et à la fleur d'oranger.

[...]

J'ai vu la ferme des Gilles. C'était au moment où de Gaulle faisait sa tournée des états-majors.
La ferme avait été choisie comme P.C. d'une opération.

J'étais partie le matin avec ma mère, Jean-Pierre et Patrick.
Nous avons installé l'infirmerie dans la grange.
De Gaulle est arrivé en hélicoptère.
Maman était invitée au repas sous la tente avec le général De Maison Rouge.
J'ai préféré rester avec les soldats.
Nous avons partagé des rations ; ils m'ont donné leurs pâtes de fruit, je leur ai laissé l'eau-de-vie.
Puis nous sommes allés ramasser des raisins dans nos casques.
A l'heure de la sieste, nous avons rejoint le lit de l'oued... il restait un peu d'eau, nous avons dérangé les lézards.
C'est là que j'ai rencontré Daniel.
Il était de garde.
Je lui ai offert des raisins.
J'ai attendu avec lui l'heure de la relève.
Il a lâché son fusil pour un harmonica.
Il m'a emmenée sous les lauriers roses.
J'avais un chemisier en nylon transparent et mon premier soutien-gorge.
Mon père était en opération, j'avais évité la blouse réglementaire.
Daniel me regardait.
Je compris ce qu'était le désir.
Il m'a demandé mon âge.
Je lui ai menti en lui répondant 17 ans.
J'en avais à peine 14.
Il m'a embrassée gentiment.

Pacification.

Nous partions en escorte réduite. Maman montait dans la jeep avec mes frères. Moi, j'allais dans le half-track, je m'agenouillais sur les caisses de munitions.
Je m'offrais au vent, à la poussière et aux bruits.
J'aimais mes lèvres gonflées de chaleur et ma gorge desséchée, cette raideur de mes cheveux collés par la sueur que je libérais à la noria.

[...]

J'avais les cheveux très longs, ils faisaient illusion, ils me donnaient l'air d'une jeune fille.
Un aviateur m'a photographiée, il a donné la photo à mon père.
J'ai été accueillie d'une volée de coups.

Une semaine plus tard, ma mère a loué un taxi et nous sommes partis en escorte à Bouïra à 35 kilomètres.

La coiffeuse me coupa les cheveux, m'entortilla ce qui restait dans des bigoudis minuscules.
En sortant, je ressemblais à la femme du maire en plus jeune mais en plus triste.

[...]

J'aimais les traces dorées que laisse l'encre violette sur mon encrier, j'y trempais mes doigts à cause de l'odeur.

[...]

J'ai passé l'hiver à dessiner des cartes de géographie.
J'ai retrouvé l'ennui.
Je me suis barricadée de rêves.
J'aimais bien cette torpeur qui m'envahissait, cette impression d'absence qui me protégeait.

Ma liaison la plus sûre était celle que j'entretenais avec la mer.
Je l'aimais grise les jours de pluie.
verte boueuse, presque brune les jours de vent.
Elle démolissait patiemment les digues, nous préparait une plage différente pour l'été.
Elle était mon souffle, ma liberté.
La nuit, je l'entendais frapper les rochers.
Elle apaisait mes colères.
J'avais une histoire d'amour avec la mer.

La guerre est revenue.

[...]

J'ai peur de la mort des autres. J'ai peur pour Jacques, pour mon père qui ne parle plus, pour mes frères qui ne jouent pas. Mes frères si sages avec leur blouse grise trop raide, leurs cheveux si courts, et ma mère, qui va un fils à chaque bras, qui ne veut pas avoir peur.

Ma mère qui soignait les fellaghas dans les permanences de l'A.M.G. et les militaires de retour d'opérations. Ma mère sûre de notre innocence.

Jacques a raison, il n'y a plus d'avenir.

Pourtant, il y a des moments où j'aimerais être contre lui immobile, tranquille et sans mémoire.

Alger ne se ressemble plus. [...]

La ville n'est plus qu'un lieu pourrissant, boursouflé de camions qui déménagent des vies en lambeaux.

[...]

 

algérie, virginie buissonSe procurer l'ouvrage :

L'Algérie ou la mort des autres

Virginie Buisson

2000

Folio

96 pages

http://www.amazon.fr/LAlg%C3%A9rie-mort-autres-Virginie-B...

 

 

 

mardi, 10 juin 2014

Blouge, c'est bien blouge

 

 

ramon_casas_y_carbo_apres_le_bal_1895.jpg
Après le bal, Ramon Casas y Carbo

 

 

Text by Maya Kodeih Harmanani, 2014

 

He stuck his blade in her flesh and twisted it in.
He watched the red stains
As her blood flooded out of her body
Following a path down to the white sheets.

He was madly in love with her,
Intoxicated by the smell of her blood,
and the sight of her soul draining from her body.
He felt he owned her and was shivering from ecstasy.

She lay on the bed, asleep,
Feeling the pain throbbing, but wouldn’t wake.
She needed his pains, his pleasurable pains.
She felt he owned her and was shivering in agony.

As he gave his blade another thrust,
Carving deeper into her
Causing another flow of blood,
She remained silent.

Her mouth was unable to scream,
Her mind unable to wake,
Mesmerized in a deep sleep,
Thinking the pain was part of her dream.

She was madly in love with him.
She dreamt of their first kiss.
She tasted blood in her mouth,
And let go …

She remained in her dream,
Looking down on herself
Drowning in red stained sheets,
Tasting her blood,
Feeling his kiss.

 

¤     ¤      ¤      ¤

 

PS : this text is about women abuse.

 

mardi, 03 juin 2014

Considérations sur l'argent - Patrick Duchez

 

les petites gens - image du film Jane Austen.JPG

 

Source : http://arcaneslyriques.centerblog.net/2227425-Les-petites-gens

 

"Les petites gens", 2005, Partick Duchez


Ils donnent un bonjour plein de timidité
Et fixent en marchant la pointe de leurs pieds
Pour avoir toujours dû garder le dos voûté
Devant ceux qui prenaient plaisir à les ployer.

Ils comptent leur monnaie en faisant attention
Car le sou oublié pourrait bien leur manquer
Pour ce mois bien trop long pour la maigre pension
Assurant simplement une vie étriquée.

Ils voyagent parfois sur des cartes postales
Qu’ils reçoivent l’été de leurs voisins partis
Et gardent leur maison, simple geste amical,
Sans jamais demander une contrepartie.

Leurs vacances ne sont que des jours au jardin,
Des balades le soir à la belle saison
Ou devant leur écran pour voir des baladins
Leur montrer des pays plus loin que l’horizon.

Leur demeure est pleine de petits bibelots
Souvenirs des instants où la vie a souri,
La statue de la foire en forme d’angelot
Et des cadres montrant quelques photographies.

Ils pensent l’avenir en payant sou à sou
Un tombeau ouvragé en marbre d’Italie
Où ils reposeront ayant été absous
Et avoir une mort plus belle que la vie.

 
 
 

mardi, 27 mai 2014

Considérations sur la mémoire - La guerre à neuf ans

 Guernica, Picasso

 

Préface d'Emmanuel Berl à La guerre à neuf ans, Pascal Jardin, 1971, Grasset :

 

J'ai connu Pascal Jardin, plongé encore dans cette enfance dont il dit qu'on ne sort jamais.

Il m'a toujours séduit, et tant de fois déconcerté qu'il ne peut plus me surprendre, - par ses apparitions, ses disparitions ; petit ange démoniaque, tendre et dur, esclave ou libre, plus que quiconque : avec ses pieds qui ne touchent pas la terre et y sont, néanmoins, enfoncés.

J'ai aimé son livre, dès sa première version - parce qu'il lui ressemble. Est-il bon ? Est-il mauvais ? Comment savoir. En tout cas, il n'est pas rien. Pour moi, cela seul importe. Les livres sont comme les gens, transparents ou opaques, on entre en eux ou on n'y entre pas. Quand on les juge, on se trompe, non seulement sur eux, mais sur soi.

Celui-ci m'a intéressé pour des raisons multiples.

"La guerre à neuf ans" ? Moi, j'en avais quarante-huit. J'ai vu beaucoup des choses qu'il raconte. Et je ne les reconnais pas. Mais Cézanne aurait-il reconnu Vollard dans le portrait qu'en a peint Picasso ?

Pascal Jardin lui-même a-t-il vu, comme il le dit, ce qu'il nous rapporte ? Je sais trop que la mémoire est une fermentation perpétuelle où les souvenirs se transforment autant qu'ils se conservent.

C'est le cas de chacun. Mais de Pascal Jardin, plus particulièrement : il regarde tout avec tant de passion qu'il modifie tout de suite ce que, chez les autres, modifie, goutte à goutte, le temps écoulé.

Je crois que personne n'est plus véridique, et plus sincère. Mais je suis moi-même étonné quand, par hasard, il m'arrive de croire ou même de vérifier ce qu'il dit.

Chez lui, plus que chez quiconque, la perception, la mémoire ou l'imagination sont un tout que nos pédantismes, abusivement, décomposent.

Il est exactement le contraire de Cocteau "menteur qui disait toujours la vérité".

Pascal, lui, est toujours vrai, quitte à dire des mensonges : il serait, je pense, incapable de mentir. Si la vérité se transmue en imposture, la faute en est à elle, non à lui.

Il serait bien que M. Jacques Monod le fréquente un peu. Ses idées sur "la connaissance objective" y gagneraient le flou, les réserves qui leur manquent.

Sans doute M. Monod répondrait qu'il est un homme de science, et Pascal Jardin, un homme de cinématographe ; et que le laboratoire permet les vérifications expérimentales ; le retour du même prouve la justesse du discours tenu sur lui, oppose ce qui réussit à ce qui échoue.

Mais Pascal Jardin réussit : le scénario vérifie l'imaginaire d'où il provient, ou le film vérifie le scénario qu'il projette. La connaissance objective ne serait donc qu'un certaine attitude morale de celui qui tend vers elle. M. Monod lui-même, d'ailleurs, l'insinue. La guerre, l'enfance, Vichy, la première et la seconde femme de Pascal Jardin existent.

Son album d'images ne concorde pas toujours avec le mien. Mais n'était-il, n'est-il pas mieux placé que moi pour prendre ses photos ? Il est moins assuré que M. Monod de ce qu'il a vu, de ce qu'il se rappelle, de ce qu'il dit. Mais cette méfiance diminue-t-elle la probabilité de ses propos ?

Le cerveau de Pascal Jardin constitue un certain système de coordonnées. Il arrive que ses personnages m'ébahissent, quand je me réfère à ma propre souvenance. Mais la physique n'a-t-elle pas toujours ébahi le public, assuré que le soleil tourne autour de la terre, que l'espace est un milieu homogène, éternel, et que la vitesse de la lumière ne peut pas être constante, puisque les corps se meuvent soit dans le même sens qu'elle, soit dans un sens opposé ?

Je ne serai sans doute pas le seul que le livre de Pascal Jardin rappelle à l'ordre de la modestie. Il y parvient du premier coup, en nous obligeant à considérer que la guerre pourrait être vue, par des enfants - fait trop méconnu par les adultes inguérissables que sont les historiens.

Ils gagneront tous à méditer la scène où l'enfant Pascal cherche à comprendre ce que peut avoir d'insolite la présence simultanée, dans le salon de son père, de M. K. von Nidda, en visite et de Robert Aron en cavale.

De même qu'à relire dans Les dieux ont soif celles où Anatole France montre des Parisiens, inconscients qu'un événement a lieu, le neuf thermidor.

Les psychiatres aussi gagneront à lire ce que Pascal Jardin écrit des bottes et de son rapport avec elles. [...]

 

 

pascal jardin, la guerre à neuf ans, à 9 ansSe procurer l'ouvrage :

La guerre à neuf ans

Pascal Jardin

1971

Grasset

198 pages

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lundi, 26 mai 2014

La guerre à neuf ans - Pascal Jardin

 

pascal jardin, la guerre à neuf ans, à 9 ans

 

 

Biographie d'Alain-Gérard Slama précédant La guerre à neuf ans, Pascal Jardin, 1971, Grasset :

 

"Jardin (Pascal), écrivain, auteur de films. Né le 14 mai 1934 à Paris. Fils de Jean Jardin, diplomate puis banquier, et de Mme, née Simone Duchesne.

Marié en premières noces à Mlle Claudine Fayard (deux enfants, Nathalie, Emmanuel) et en secondes noces, le 3 décembre 1964, à Mlle Stéphane Sauvage (deux enfants, Alexandre, Frédéric).

Études : cours privés par précepteurs, dont Jean Giraudoux et Raymond Abellio.

Carrière : ouvrier papetier, chauffeur de taxi, puis vendeur de cartes de crédit (1952-1958). Journaliste à l'Aurore (1959). Assistant-metteur en scène de Marc Allégret (1960). Dialoguiste d'une centaine de films, dont Classe tous risque (1959), le Tonnerre de Dieu (1965), la série des Angélique, Marquise des Anges (1964-1968), Compartiment tueurs (1964), le Chat (1971), la Veuve Couderc (1971), le Train (1973), la Race des seigneurs (1974), etc.

Œuvres : la Guerre à neuf ans (récit, 1971), Toupie la rage (roman, 1972), Guerre après guerre (récit, 1973).

Adresse : 95 rue de la Faisanderie, 75116 Paris."

Tel est le bilan qu'en 1975, Pascal Jardin traçait, pour le Who's who, de sa carrière et de sa vie. Mort prématurément d'un cancer le 31 juillet 1980, il n'avait encore que cinq années à vivre, et quelques œuvres à produire : au cinéma, le Vieux Fusil, avec Robert Enrico (1975), Sale Rêveur, avec Jean-Marie Périer (1977), la Cage (1977), le Toubib (1979) ; en littérature, Je te reparlerai d'amour (roman, 1975), Comment avant (comédie, 1976), le Nain jaune (récit, 1978), la Bête à bon Dieu (récit, 1980). Mais dans cette notice insolite, l'essentiel, déjà, était dit : la place du père, la place des femmes, la formation autodidacte, le goût de la provocation, le parisianisme mondain, la veine populaire, l'ambition littéraire, la nostalgie du passé, l'appétit de modernité.

Beaucoup de contradictions, et de quoi, au total, remplir plusieurs vies. Mais n'était-ce pas, déjà, le cas de son père, Jean Jardin (1904-1976), haut fonctionnaire d'un capacité de travail débordante, qui dormait cinq heures par nuit ? Collaborateur éminent de Raoul Dautry à la tête de la SNCF, avant 1940, directeur de cabinet de Pierre Laval de mai 1942 à novembre 1943, puis représentant de Vichy à Berne, jusqu'à la Libération, Jean Jardin trouva le moyen de se rétablir dans les affaires, entre la Suisse et la France, sous la IVe République, et même de retrouver une certaine influence politique, depuis la formation du gouvernement Pinay en 1952.

Scénariste et dialoguiste débordant d'activité, à l'exemple de son père, celui que Jean Gabin appelait "le môme Jardin", a participé en vingt ans, depuis ses débuts dans le Petit Prof (écrit en une journée pour Darry Cowl, en 1958), à la réalisation de près de cent cinquante films, dont certains furent marquants comme Classe tous risques, de Claude Sautet, le Deuxième Souffle, de Jean-Pierre Melville, le Chat, de Pierre Granier-Deferre, le Vieux Fusil, avec Robert Enrico. Très vite, son tempérament passionné, sa fantaisie, son aptitude à saisir, dans un détail, la vérité romanesque et un sens aigu de la réplique, lui ont valu, avec un fortune joyeusement gaspillée, un ticket d'entrée dans le club très fermé des auteurs "à texte" les plus recherchés : Francis Weber, Jean-Loup Dabadie, Michel Audiard. En dépit de l'estime dans laquelle le tenaient un Truffaut ou un Godard, ce n'est pourtant pas l’œuvre cinématographique, où se côtoient le meilleur et le pire, qu'il a écrite, dit-il, "pour s'amuser", qui l'a fait connaître du public.

C'est ce petit livre vibrant de souvenirs sur Jean Jardin et Pierre Laval, la Guerre à neuf ans, qui, en 1971, l'a imposé comme écrivain. Par la suite, si l'on excepte Toupie la rage (roman, 1972), et deux pièces de "boulevard", Comme avant, et Madame est sortie, montée, la première par Andréas Voutsinas en 1976, la seconde par Jean-Claude Brialy en 1980, et toutes deux bien accueillies par la critique, son inspiration littéraire est restée largement autobiographique, dominée par deux passions : sa passion pour sa seconde femme (Je te reparlerai d'amour, 1975) et sa passion pour son père (le Nain jaune, 1978 et la Bête à bon Dieu, 1980). En 1978, pour le Nain jaune, cet autodidacte, qui se flattait de ne pas connaître l'orthographe, partagea avec Alain Bosquet le Grand Prix du Roman de l'Académie française.

Dans sa biographie de Jean Jardin (Une éminence grise, 1986), Pierre Assouline raconte que l'ancien directeur de cabinet de Pierre Laval s'est jugé offensé par le portrait "excessif" et "extravagant" donné de lui dans la Guerre à neuf ans : "Seuls les noms y (seraient) vrais, tout les reste (serait) faux." L'artiste, à l'évidence, a forcé le trait. Mais sans l'admiration baroque qu'il vouait à son père, il n'eût probablement pas osé élever ce monument de piété en l'honneur d'un homme qui, pour avoir joué, effectivement, double jeu, abrité des juifs et favorisé le passage de résistants à Alger, n'en a pas moins été un des principaux artisans de la collaboration.

Un quart de siècle, c'est beaucoup. Mais en 1971, pour panser les plaies des années noires, c'était encore trop court. Au-delà de l'effet de surprise créé par la nervosité de son style et par son découpage cinématographique en courtes séquences entrecoupées de "flash-back", la Guerre à neuf ans a créé un choc par la franchise, la grâce, l'absence totale de mauvaise conscience, avec lesquelles le microcosme de Vichy et des châteaux environnants se trouvait décrit. Le premier, en 1968, Patrick Modiano avait ouvert la voie avec la Place de l'Etoile, qui racontait l'histoire d'un collaborateur juif ; la même année, Emmanuel Berl avait contribué à briser les stéréotypes, en avouant ingénument, dans la Fin de la IIIe République, qu'en dépit de son appartenance à la haute société israélite, il avait participé à la rédaction des premiers discours de Pétain : ce n'est pas un hasard si Pascal Jardin lui a demandé de préfacer son livre. 

1971 est aussi l'année où le film de Marcel Ophüls, le Chagrin et la Pitié, fut projeté dans les salles. Mais il s'agissait d'un réquisitoire, destiné à mettre en évidence une responsabilité collectivela Guerre à neuf ans se voulait, au contraire, "Apolitique, avec un A privatif majuscule", et revendiquait le point de vue du "photographe", non de l'historien. Sa thèse, s'il y en avait une, consistait à rappeler que les nécessités de l'histoire sont également faites de beaucoup de hasards particuliers. Chez Jean Jardin, installé près de Vichy dans le petit château de Charmeil, se côtoyaient des ultra-collaborateurs (Abel Bonnard, Paul Marion, Benoist-Méchin), des proches du maréchal (Romier, Le Roy Ladurie), des artistes (Morand, Giraudoux, Pierre Fresnay), des résistants (Georges Bidault), des Allemands (entre autres, Krug von Nidda, le représentant de Hitler auprès de Pétain) et Robert Aron, qui descendait, de temps en temps, pour prendre l'air, des combles où il était caché....

Le monde, semblait dire Pascal Jardin, est-il autre chose que cette fourmilière incohérente et vaine, reflétée dans un regard d'enfant ? Après lui, d'autres regards innocents se sont posés sur la collaboration, avec les souvenirs de Marie Chaix (fille d'un dirigeant du PPF), les Lauriers du lac de Constance, et surtout, avec le film de Louis Malle et Patrick Modiano, Lacombe Lucien (1974). AInsi un livre de deux cents pages, sans autre ambition que d'apporter un témoignage, a-t-il contribué à diffuser dans les sensibilités quelques-uns des thèmes qui avaient inspiré, vingt ans plus tôt, la protestation isolée des "hussards" - entre autres le Jacques Laurent du Petit Canard - contre les conformismes de la Libération. La Guerre à neuf ans, annonçait la vague que, dans l'euphorie des débuts du septennant de Valéry Giscard d'Estaing, on nomma la "mode rétro". Toute une métaphysique de l'absurde, jusqu'alors corsetée de tragédie, se donna libre cours, sur le mode allègre de la comédie.

 

 

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La guerre à neuf ans

Pascal Jardin

1971

Grasset

198 pages

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