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mardi, 27 mai 2014

Considérations sur la mémoire - La guerre à neuf ans

 Guernica, Picasso

 

Préface d'Emmanuel Berl à La guerre à neuf ans, Pascal Jardin, 1971, Grasset :

 

J'ai connu Pascal Jardin, plongé encore dans cette enfance dont il dit qu'on ne sort jamais.

Il m'a toujours séduit, et tant de fois déconcerté qu'il ne peut plus me surprendre, - par ses apparitions, ses disparitions ; petit ange démoniaque, tendre et dur, esclave ou libre, plus que quiconque : avec ses pieds qui ne touchent pas la terre et y sont, néanmoins, enfoncés.

J'ai aimé son livre, dès sa première version - parce qu'il lui ressemble. Est-il bon ? Est-il mauvais ? Comment savoir. En tout cas, il n'est pas rien. Pour moi, cela seul importe. Les livres sont comme les gens, transparents ou opaques, on entre en eux ou on n'y entre pas. Quand on les juge, on se trompe, non seulement sur eux, mais sur soi.

Celui-ci m'a intéressé pour des raisons multiples.

"La guerre à neuf ans" ? Moi, j'en avais quarante-huit. J'ai vu beaucoup des choses qu'il raconte. Et je ne les reconnais pas. Mais Cézanne aurait-il reconnu Vollard dans le portrait qu'en a peint Picasso ?

Pascal Jardin lui-même a-t-il vu, comme il le dit, ce qu'il nous rapporte ? Je sais trop que la mémoire est une fermentation perpétuelle où les souvenirs se transforment autant qu'ils se conservent.

C'est le cas de chacun. Mais de Pascal Jardin, plus particulièrement : il regarde tout avec tant de passion qu'il modifie tout de suite ce que, chez les autres, modifie, goutte à goutte, le temps écoulé.

Je crois que personne n'est plus véridique, et plus sincère. Mais je suis moi-même étonné quand, par hasard, il m'arrive de croire ou même de vérifier ce qu'il dit.

Chez lui, plus que chez quiconque, la perception, la mémoire ou l'imagination sont un tout que nos pédantismes, abusivement, décomposent.

Il est exactement le contraire de Cocteau "menteur qui disait toujours la vérité".

Pascal, lui, est toujours vrai, quitte à dire des mensonges : il serait, je pense, incapable de mentir. Si la vérité se transmue en imposture, la faute en est à elle, non à lui.

Il serait bien que M. Jacques Monod le fréquente un peu. Ses idées sur "la connaissance objective" y gagneraient le flou, les réserves qui leur manquent.

Sans doute M. Monod répondrait qu'il est un homme de science, et Pascal Jardin, un homme de cinématographe ; et que le laboratoire permet les vérifications expérimentales ; le retour du même prouve la justesse du discours tenu sur lui, oppose ce qui réussit à ce qui échoue.

Mais Pascal Jardin réussit : le scénario vérifie l'imaginaire d'où il provient, ou le film vérifie le scénario qu'il projette. La connaissance objective ne serait donc qu'un certaine attitude morale de celui qui tend vers elle. M. Monod lui-même, d'ailleurs, l'insinue. La guerre, l'enfance, Vichy, la première et la seconde femme de Pascal Jardin existent.

Son album d'images ne concorde pas toujours avec le mien. Mais n'était-il, n'est-il pas mieux placé que moi pour prendre ses photos ? Il est moins assuré que M. Monod de ce qu'il a vu, de ce qu'il se rappelle, de ce qu'il dit. Mais cette méfiance diminue-t-elle la probabilité de ses propos ?

Le cerveau de Pascal Jardin constitue un certain système de coordonnées. Il arrive que ses personnages m'ébahissent, quand je me réfère à ma propre souvenance. Mais la physique n'a-t-elle pas toujours ébahi le public, assuré que le soleil tourne autour de la terre, que l'espace est un milieu homogène, éternel, et que la vitesse de la lumière ne peut pas être constante, puisque les corps se meuvent soit dans le même sens qu'elle, soit dans un sens opposé ?

Je ne serai sans doute pas le seul que le livre de Pascal Jardin rappelle à l'ordre de la modestie. Il y parvient du premier coup, en nous obligeant à considérer que la guerre pourrait être vue, par des enfants - fait trop méconnu par les adultes inguérissables que sont les historiens.

Ils gagneront tous à méditer la scène où l'enfant Pascal cherche à comprendre ce que peut avoir d'insolite la présence simultanée, dans le salon de son père, de M. K. von Nidda, en visite et de Robert Aron en cavale.

De même qu'à relire dans Les dieux ont soif celles où Anatole France montre des Parisiens, inconscients qu'un événement a lieu, le neuf thermidor.

Les psychiatres aussi gagneront à lire ce que Pascal Jardin écrit des bottes et de son rapport avec elles. [...]

 

 

pascal jardin, la guerre à neuf ans, à 9 ansSe procurer l'ouvrage :

La guerre à neuf ans

Pascal Jardin

1971

Grasset

198 pages

www.amazon.fr/guerre-histoire-vichy-culottes-courtes/dp/B...

www.amazon.fr/guerre-à-neuf-ans-récit/dp/B0000DL9ID

 

 

lundi, 26 mai 2014

La guerre à neuf ans - Pascal Jardin

 

pascal jardin, la guerre à neuf ans, à 9 ans

 

 

Biographie d'Alain-Gérard Slama précédant La guerre à neuf ans, Pascal Jardin, 1971, Grasset :

 

"Jardin (Pascal), écrivain, auteur de films. Né le 14 mai 1934 à Paris. Fils de Jean Jardin, diplomate puis banquier, et de Mme, née Simone Duchesne.

Marié en premières noces à Mlle Claudine Fayard (deux enfants, Nathalie, Emmanuel) et en secondes noces, le 3 décembre 1964, à Mlle Stéphane Sauvage (deux enfants, Alexandre, Frédéric).

Études : cours privés par précepteurs, dont Jean Giraudoux et Raymond Abellio.

Carrière : ouvrier papetier, chauffeur de taxi, puis vendeur de cartes de crédit (1952-1958). Journaliste à l'Aurore (1959). Assistant-metteur en scène de Marc Allégret (1960). Dialoguiste d'une centaine de films, dont Classe tous risque (1959), le Tonnerre de Dieu (1965), la série des Angélique, Marquise des Anges (1964-1968), Compartiment tueurs (1964), le Chat (1971), la Veuve Couderc (1971), le Train (1973), la Race des seigneurs (1974), etc.

Œuvres : la Guerre à neuf ans (récit, 1971), Toupie la rage (roman, 1972), Guerre après guerre (récit, 1973).

Adresse : 95 rue de la Faisanderie, 75116 Paris."

Tel est le bilan qu'en 1975, Pascal Jardin traçait, pour le Who's who, de sa carrière et de sa vie. Mort prématurément d'un cancer le 31 juillet 1980, il n'avait encore que cinq années à vivre, et quelques œuvres à produire : au cinéma, le Vieux Fusil, avec Robert Enrico (1975), Sale Rêveur, avec Jean-Marie Périer (1977), la Cage (1977), le Toubib (1979) ; en littérature, Je te reparlerai d'amour (roman, 1975), Comment avant (comédie, 1976), le Nain jaune (récit, 1978), la Bête à bon Dieu (récit, 1980). Mais dans cette notice insolite, l'essentiel, déjà, était dit : la place du père, la place des femmes, la formation autodidacte, le goût de la provocation, le parisianisme mondain, la veine populaire, l'ambition littéraire, la nostalgie du passé, l'appétit de modernité.

Beaucoup de contradictions, et de quoi, au total, remplir plusieurs vies. Mais n'était-ce pas, déjà, le cas de son père, Jean Jardin (1904-1976), haut fonctionnaire d'un capacité de travail débordante, qui dormait cinq heures par nuit ? Collaborateur éminent de Raoul Dautry à la tête de la SNCF, avant 1940, directeur de cabinet de Pierre Laval de mai 1942 à novembre 1943, puis représentant de Vichy à Berne, jusqu'à la Libération, Jean Jardin trouva le moyen de se rétablir dans les affaires, entre la Suisse et la France, sous la IVe République, et même de retrouver une certaine influence politique, depuis la formation du gouvernement Pinay en 1952.

Scénariste et dialoguiste débordant d'activité, à l'exemple de son père, celui que Jean Gabin appelait "le môme Jardin", a participé en vingt ans, depuis ses débuts dans le Petit Prof (écrit en une journée pour Darry Cowl, en 1958), à la réalisation de près de cent cinquante films, dont certains furent marquants comme Classe tous risques, de Claude Sautet, le Deuxième Souffle, de Jean-Pierre Melville, le Chat, de Pierre Granier-Deferre, le Vieux Fusil, avec Robert Enrico. Très vite, son tempérament passionné, sa fantaisie, son aptitude à saisir, dans un détail, la vérité romanesque et un sens aigu de la réplique, lui ont valu, avec un fortune joyeusement gaspillée, un ticket d'entrée dans le club très fermé des auteurs "à texte" les plus recherchés : Francis Weber, Jean-Loup Dabadie, Michel Audiard. En dépit de l'estime dans laquelle le tenaient un Truffaut ou un Godard, ce n'est pourtant pas l’œuvre cinématographique, où se côtoient le meilleur et le pire, qu'il a écrite, dit-il, "pour s'amuser", qui l'a fait connaître du public.

C'est ce petit livre vibrant de souvenirs sur Jean Jardin et Pierre Laval, la Guerre à neuf ans, qui, en 1971, l'a imposé comme écrivain. Par la suite, si l'on excepte Toupie la rage (roman, 1972), et deux pièces de "boulevard", Comme avant, et Madame est sortie, montée, la première par Andréas Voutsinas en 1976, la seconde par Jean-Claude Brialy en 1980, et toutes deux bien accueillies par la critique, son inspiration littéraire est restée largement autobiographique, dominée par deux passions : sa passion pour sa seconde femme (Je te reparlerai d'amour, 1975) et sa passion pour son père (le Nain jaune, 1978 et la Bête à bon Dieu, 1980). En 1978, pour le Nain jaune, cet autodidacte, qui se flattait de ne pas connaître l'orthographe, partagea avec Alain Bosquet le Grand Prix du Roman de l'Académie française.

Dans sa biographie de Jean Jardin (Une éminence grise, 1986), Pierre Assouline raconte que l'ancien directeur de cabinet de Pierre Laval s'est jugé offensé par le portrait "excessif" et "extravagant" donné de lui dans la Guerre à neuf ans : "Seuls les noms y (seraient) vrais, tout les reste (serait) faux." L'artiste, à l'évidence, a forcé le trait. Mais sans l'admiration baroque qu'il vouait à son père, il n'eût probablement pas osé élever ce monument de piété en l'honneur d'un homme qui, pour avoir joué, effectivement, double jeu, abrité des juifs et favorisé le passage de résistants à Alger, n'en a pas moins été un des principaux artisans de la collaboration.

Un quart de siècle, c'est beaucoup. Mais en 1971, pour panser les plaies des années noires, c'était encore trop court. Au-delà de l'effet de surprise créé par la nervosité de son style et par son découpage cinématographique en courtes séquences entrecoupées de "flash-back", la Guerre à neuf ans a créé un choc par la franchise, la grâce, l'absence totale de mauvaise conscience, avec lesquelles le microcosme de Vichy et des châteaux environnants se trouvait décrit. Le premier, en 1968, Patrick Modiano avait ouvert la voie avec la Place de l'Etoile, qui racontait l'histoire d'un collaborateur juif ; la même année, Emmanuel Berl avait contribué à briser les stéréotypes, en avouant ingénument, dans la Fin de la IIIe République, qu'en dépit de son appartenance à la haute société israélite, il avait participé à la rédaction des premiers discours de Pétain : ce n'est pas un hasard si Pascal Jardin lui a demandé de préfacer son livre. 

1971 est aussi l'année où le film de Marcel Ophüls, le Chagrin et la Pitié, fut projeté dans les salles. Mais il s'agissait d'un réquisitoire, destiné à mettre en évidence une responsabilité collectivela Guerre à neuf ans se voulait, au contraire, "Apolitique, avec un A privatif majuscule", et revendiquait le point de vue du "photographe", non de l'historien. Sa thèse, s'il y en avait une, consistait à rappeler que les nécessités de l'histoire sont également faites de beaucoup de hasards particuliers. Chez Jean Jardin, installé près de Vichy dans le petit château de Charmeil, se côtoyaient des ultra-collaborateurs (Abel Bonnard, Paul Marion, Benoist-Méchin), des proches du maréchal (Romier, Le Roy Ladurie), des artistes (Morand, Giraudoux, Pierre Fresnay), des résistants (Georges Bidault), des Allemands (entre autres, Krug von Nidda, le représentant de Hitler auprès de Pétain) et Robert Aron, qui descendait, de temps en temps, pour prendre l'air, des combles où il était caché....

Le monde, semblait dire Pascal Jardin, est-il autre chose que cette fourmilière incohérente et vaine, reflétée dans un regard d'enfant ? Après lui, d'autres regards innocents se sont posés sur la collaboration, avec les souvenirs de Marie Chaix (fille d'un dirigeant du PPF), les Lauriers du lac de Constance, et surtout, avec le film de Louis Malle et Patrick Modiano, Lacombe Lucien (1974). AInsi un livre de deux cents pages, sans autre ambition que d'apporter un témoignage, a-t-il contribué à diffuser dans les sensibilités quelques-uns des thèmes qui avaient inspiré, vingt ans plus tôt, la protestation isolée des "hussards" - entre autres le Jacques Laurent du Petit Canard - contre les conformismes de la Libération. La Guerre à neuf ans, annonçait la vague que, dans l'euphorie des débuts du septennant de Valéry Giscard d'Estaing, on nomma la "mode rétro". Toute une métaphysique de l'absurde, jusqu'alors corsetée de tragédie, se donna libre cours, sur le mode allègre de la comédie.

 

 

pascal jardin, la guerre à neuf ans, à 9 ansSe procurer l'ouvrage :

La guerre à neuf ans

Pascal Jardin

1971

Grasset

198 pages

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www.amazon.fr/guerre-à-neuf-ans-récit/dp/B0000DL9ID