vendredi, 28 septembre 2012
Le message oublié des fleurs - Philippe Sollers
Paris, le 28 septembre 2012
Le message oublié des F L E U R S
Les belles semblent insouciantes
Dans leurs robes guillerettes
Déployant les mille éclats de leurs couleurs étincelantes ;
Les belles paraissent en état silencieux,
Elles sont pourtant loin d'être muettes ;
Les fleurs sont les délicates messagères de nos cœurs amoureux.
Jana Hobeika
Extrait de Fleurs, 2006, Philippe Sollers, Herrmann Littérature :
[...]
Les fleurs ont, paraît-il, des intentions amoureuses. Il suffit de les faire parler (et, même si ce n'est pas le cas, le récipiendaire des fleurs et une femme). Voici comment on s'exprimait au dix-neuvième siècle :
Acacia, blanc ou rosé, désir de plaire.
Amandier, douceur, bonté.
Amarante, rouge brun, amour durable, rien ne pourra me lasser.
Aubépine, prudence, restons discrets, cachons notre amour.
Azalée, bleu ou rose, joie d'aimer, heureux de vous aimer, heureux d'être aimé.
Bouton d'or, joie d'aimer.
Camélia rouge ou rose, fidélité, je vous trouve la plus belle, je suis fier de votre amour.
Clématite blanche, désir, j'espère vous toucher.
Coquelicot, ardeur fragile, aimons-nous au plus tôt.
Cyclamen rouge, jalousie, votre beauté me désespère.
Dahlia, reconnaissance, merci, merci.
Gardénia blanc, sincérité.
Genêt, préférence.
Géranium, sentiments.
Giroflée rouge brun, jaune feu, constance, je vous aime de plus en plus.
Glaïeul rose ou orange, rendez-vous, le glaïeul au centre d'un bouquet indique, par le nombre de fleurs, l'heure de la rencontre (tout cela avant le téléphone, le portable, et pour déjouer les interceptions postales).
Glycine bleu violacé, tendresse.
Hortensia, caprice.
Iris, cœur tendre.
Jacinthe, joie du cœur.
Jasmin, amour voluptueux.
Laurier-rose, triomphe.
Lilas, amitié.
Lys, pureté.
Marguerite, extrême confiance.
Myosotis, souvenir fidèle.
Narcisse, froideur.
Mimosa, sécurité, personne ne sait que je vous aime.
OEillet, admiration.
Orchidée, ferveur (et même beaucoup plus).
Pavot, désigne l'heure, et complète la signification des glaïeuls (usage inconnu en Afghanistan).
Pensée, affection.
Pervenche, mélancolie.
Pétunia, obstacle, indiscrétion, surveillance.
Pivoine, vigilance, mon amour veille sur vous, veillez sur vous.
Réséda, tendresse.
Rose, amour, rose blanche : soupir, rose rose : serment, rose thé : galanterie, rose rouge vif : passion.
Scabieuse, tristesse.
Tulipe, toutes les couleurs, déclaration d'amour.
Violette, amour caché, clandestinité, secret, ambiguïté sexuelle, unisexualité, etc.
Philippe Sollers
Impossible avec la violette, de ne pas penser au bouquet introduit par Manet dans le corsage de sa belle-sœur Berthe Morisot, elle-même fleur noire et rose au regard vif de noirceur. Du même, le bouquet de violettes, près d'un éventail, petit roman érotique.
Ou bien cette provocation ; le 1er avril 1930, à Berlin, a lieu la première du film de Sternberg, L'Ange bleu, avec Marlène Dietrich. Le soir même, elle part pour New York où elle restera jusqu'en 1960. Elle s'avance sur scène dans un manteau de fourrure blanc, l'enlève et montre, épinglé sur sa robe, dans l'entrejambe, un bouquet de violettes. Rires, photos, rideau.
Tout cela semble loin, très loin, comme d'avant le Déluge. Ces signaux, ces récits de l'oisiveté sensible, nous racontent un monde où les femmes (du moins certaines) vivaient leur vie végétale en retrait, en serre, en marge centrale, en dissimulation, et comme en attente de fécondation. On envoie encore des fleurs, bien entendu, mais sans sous-entendus. Les lys ne filent toujours pas, mais les femmes, désormais, travaillent.
Violette, beau prénom féminin. Mot étrange : viol, viole, violon, violoncelle, voile, violette. "Ô, l'Oméga, rayon de violet de ses yeux". Rimbaud, encore : "L'araignée de la haie ne mange que des violettes."
[...]
Se procurer l'ouvrage :
Fleurs
Philippe Sollers
2006
Hermann Littérature
121 pages
http://www.amazon.fr/Fleurs-grand-roman-l%C3%A9rotisme-fl...
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jeudi, 20 septembre 2012
Considérations sur l'architecture - Stéphane Zagdanski
Extrait de Miroir Amer, 1999, Stéphane Zagdanski, Coll. L'infini, Gallimard :
[...]
Le grand architecte Angel Nivelard avait déjà pondu dans plusieurs capitales de la planète ses gigantesques cubes de glace, ziggourats vitrifiées d'acier et de filins consacrées aux indissociables divinités du reflet, du regard, de la transparence.
Le parcours du génie était célèbre.
Sa mère avait toujours désiré une fille, elle ne l'habilla jamais comme un garçon. Jusqu'à sa puberté, elle lui brandit chaque jour un miroir à la face en minaudant : "Regarde comme tu es jolie !" Angel n'acquit ainsi nullement la notion anodine de différence des sexes. Toute frontière lui devint floue. Il ne supportait pas qu'on trace une limite entre quoi que ce soit et quoi que ce soit. Il vécut longtemps connecté en permanence sur Internet, adepte fanatique du VVVV, Village Virtuel de la Vision Vraie, sans murs, sans portes, sans limites. Client exclusif de Louis Galle - le couturier qui fonda sa réputation subversive en démocratisant les jupes pour hommes -, il mit pour sa part à la mode le piercing des paupières.
Il devint surtout l'intraitable apôtre du voyeurisme polymorphe.
Quand on lui confia le projet de l'hôpital Rembrandt, il considéra que celui-ci renfermait suffisamment de ténèbres au cœur de son nom pour bannir tout ce qui participerait de la nuit au sein de sa structure.
C'est ainsi que s'érigent les plus aberrantes constructions ultramodernes. Leur base insoupçonnée est une tocade singulière, sans queue ni tête, une impulsive répugnance qui ravage tout sur son passage, un Attila de laideur conduisant une cohorte grimaçante de fantasmes asexués. C'est sur cette base enfouie que s'érige à grand renfort de technique informatisée, d'argent détourné et de propagande théorique assermentée, toute une machinerie de matières froides, rigides, frigides.
Faites comme si je n'étais pas là ! semblait être l'impérieux mot d'ordre de l'hôpital Rembrandt où des milliers d'être humains pénétraient chaque jour comme dans un temple de la surveillance révélée.
Il faut dire que la rue Morgue portait bien son nom. Elle ne s'émut pas outre mesure de l'apparition sur son flanc droit de cet étrange bubon miroitant contre lequel s'irisaient ses propres arbres, ses lampadaires, ses passants, ses voitures, et les immeubles de son flanc gauche. Tout y était redoublé, mais teinté d'argent. La rue vibrionnante de couleurs, de mouvements, de cris et de vrombissements, avait été capturée dans un scaphandre de pure étendue grise, une capsule de rutilements à l'épreuve de l'impureté du temps.
Mais au verso de cette intangible, impavide, inexpugnable muraille, une fois enfreint l'amer mirage métallisé, tout s'éclairait.
Rampes de néons lunaires, légions d'halogènes projetant leurs auras boréales, murs translucides et caméras à tous les étages s'entendaient à chasser la moindre parcelle d'ombre avec un acharnement réservé usuellement à la poussière. Les infirmières se déplaçaient, les médecins devisaient, les laborantins manipulaient, les machines clignotaient, les gardiens somnolaient, les ascenseurs s'activaient - aussi diaphanes que les parois contre lesquelles ils glissaient -, sous l'omniprésent regard de tout-un-chacun. L'hôpital Rembrandt était un titan radiographié en permanence depuis l'intimité de ses propres organes. Ici, chacun pouvait assister au spectacle de sa cité limpide suspendue dans les airs, comme un hologramme détaillé projeté à vingt mètres du trottoir dédaigneux de la rue Morgue.
Dès le hall d'entrée éclatait la devise de l'hôpital, sculptée en gros caractères cristallins, sous l'immense bas-relief en verre dépoli représentant La Leçon d'anatomie :
IN VITRO VERITAS
[...]
Bien entendu, dans l'interstice, il y a les corps que ces chiffres concernent. Les malades qui entrent ici, les morts qui en sortent, et tous ceux qui n'entrent ni ne sortent : les cadavres en transit au sous-sol, à la morgue. Il y a les souffrances, les souffles courts, les gémissements, les naissances, les bonnes, les mauvaises, les abominables nouvelles, les faits et les gestes risiblement humains qui ne sont en réalité que la part obscure de l'immense vaisseau vitrifié, sa soute de matières premières, son fuel de sangs, son charbon d'organes, son essence de spermes, son huile de peaux que la machine ingurgite, consomme et consume pour faire fonctionner sa montagne de chiffres.
Chiffres sur les moniteurs, les cadrans, les éprouvettes, les codes barres des étiquettes, les feuilles de soin, les bulletins d'entrée et de sortie, les bons de commande des substances chimiques, les sachets de seringues, les boîtes de compresses, les panneaux indicateurs dans les couloirs, les instruments de mesure, les thermomètres, les chronomètres, le encéphalogrammes, les cardiogrammes, les écrans de radiologie, les télés de surveillance, le réseau des ordinateurs, les balances et les échelles de croissance dans la nurserie, les agendas des chirurgiens, les livres des psychologues, ceux qu'ils lisent, ceux que les plus audacieux écrivent, les sigles sur les portes des labos, les numéros des salles et des chambres, les codes gigantesques peints à même le goudron pour guider les ambulances et ceux sur la grosse cible où atterrissent l'hélicoptère bleu et blanc du Samu et l'hélicoptère rouge sang des pompiers.
[...]
Se procurer l'ouvrage :
Miroir Amer
Stéphane Zagdanski
1999
Coll. L'infini, Gallimard
147 pages
> A consulter également, Paroles des Jours, le très généreux site de Stéphane Zagdanski : http://parolesdesjours.free.fr/
09:07 Publié dans Architecture, Beaux-Arts, Ecrits, littérature contemporaine, Thèse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : miroir, amer, stéphane zagdanski, architecture, hopital
samedi, 15 septembre 2012
Octosyllabes vers le Ciel
Pont de Bir-Hakeim, Paris
Crédits photographiques Karim Hobeika
Le Ciel est beau assurément,
Le Ciel est grand infiniment,
Il est vrai, nous sommes en reste,
Il emporte, sommes palimpseste.
Si nos yeux ne savent pas voir,
Portons-lui toujours nos regards,
En espérant y percevoir
Sa divine pluie azurée,
Pour la joie ô d'en recevoir
Quelque goutte d'or fin bleuté
Dont notre cœur saura goûter
La Vérité et la Beauté.
Eglise Saint-Sulpice
Crédits photographiques Jana Hobeika
08:43 Publié dans Foi, Photographie, Poësie | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 13 septembre 2012
Marre des livres avec rien dedans ?
Avez-vous entrepris de lire vos contemporains et vos contemporaines ? Ces chers auteurs et chères auteures, écrivains et écrivaines, intellectuels et intellectuelles qui peuplent les émissions littéraires, qui se déplacent pour nous montrer leur dernière coupe de cheveux ou le jaune de leurs dents et le marron de leurs yeux cernés, et qui nous ont concocté une rentrée littéraire qui s'annonce encore d'un grand cru.
Avez-vous été jusqu'à prendre un de leurs livres en main dans une librairie ou une bibliothèque... jusqu'à l'emprunter... jusqu'à l'acheter... jusqu'à le conserver au sein de votre bibliothèque à vous à proximité de vos magnifiques livres de littérature, de poésie et d'histoire !? Fichtre alors...
Je m'adresse donc à vous qui aimez lire et encore davantage à ceux et celles qui auraient répondu par la négative.
Voici un roman (pour son contenu) que l'on peut aussi qualifier de nouvelle (pour sa taille effective en nombre de pages) qui s'intitule tout simplement Psychose. Inséré dans un recueil, il est plus petit que beaucoup de livres que vous trouverez en librairie, où l'on a pris l'habitude de nommer "roman" des livres creux de 130 à 160 pages, des machins qui traînent en longueur, se répètent, tournent autour du pot pour ne pas dire du "je" et finissent par ne laisser qu'un souvenir confus si ce n'est désagréable. Psychose est tout différent : un concentré dense, riche, qui ne vous laissera pas indifférents et encore moins déçus, et vous le lirez d'un trait, en trombe furieuse et joyeuse !
Son auteur, Romain Debluë, n'est pas un habitué des plateaux de télévision, ni des émissions radiophoniques, ni même du salon du livre ou des signatures en librairies. C'est sans doute la raison pour laquelle vous n'avez encore jamais entendu ou lu son nom. Mais il a tout le temps de le devenir et c'est bien là tout le mal qu'on lui souhaite.
Carrefour de l'Odéon, vers 1850
Venez donc, suivez-nous, à Paris, dans le quartier latin, à la fin du XIXème siècle. Venez, si vous n'avez pas peur. Je dis bien si vous n'avez pas peur, peur de voir certaines de vos conceptions quelque peu chahutées, car Romain Debluë a décidé de brouiller les cartes d'emblée : dès les premières lignes de son court roman, un peu plus d'une vingtaine de pages, pages écrites à un âge particulièrement vert, dès les premières lignes, il donne la parole au narrateur, qui vous place à un carrefour : le narrateur nage-t-il dans son propre océan de psychose comme il sait qu'on le dit autour de lui ? ou le monde est-il fou et seul le narrateur est sain d'esprit ? Prendrez-vous position pour ou contre lui ? A vous de voir, chers lecteurs et chères lectrices, et vous ne serez pas au bout de vos surprises.
Rue Soufflot, vers 1850
Romain Debluë nous décrit avec force et intensité notre Paris d'avant, son quartier latin et la chambre dans laquelle s'est reclus le narrateur qui enseigne à la Sorbonne. Le style qu'il déploie dans ce livre nous offre des tournures de phrases délicieuses, un vocabulaire moiré, le tout enveloppé dans une parfaite élégance. Il pourra vous évoquer Poe, Baudelaire, des gravures de Rops ou les Contes cruels de Villiers-de l'Isle Adam. Et puis vous ne pourrez rester indifférents au destin du personnage principal, au point que votre chambre à vous - si vous avez le malheur de lire de votre chambre - pourrait bien prendre les allures inquiétantes de la sienne...
Rue saint Séverin, vers 1850
Noire est l'encre de Romain Debluë lorsqu'il écrit ce roman-nouvelle en 2009.
Dense est l'encre qui sort de son encrier pour venir se poser sur le papier en caractères forts et ornés de vocabulaire précieux, autant de gemmes qu'il incruste avec virtuosité dans le noir originel de l'encre.
J'aimerais tant vous en dire plus, il y a tant à dire, à décrire, à discuter... mais j'ôterais à votre plaisir de découvrir et de vous laisser surprendre en lisant.
Se procurer l'ouvrage :
"Psychose" in Sur le fil
Romain Debluë
2009
Ed. Mille Plumes
144 pages
> Chez l'éditeur : http://www.milleplumes.info/nouvelle.html
> Chez Chapitre : http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/BOOK/imperialdream/su...
Du même auteur :
> Ecrits publiés en ligne : http://www.inlibroveritas.net/auteur5163.html
> Blog : http://amicusveritatis.over-blog.com
> Partitions en ligne : http://www.free-scores.com/partitions_gratuites_romain-de...
13:43 Publié dans Ecrits, Littérature | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : psychose, romain, debluë
mardi, 04 septembre 2012
Misères au Jardin du Luxembourg - Stéphane Zagdanski
Misère 1 : eine kleine misère
Jardin du Luxembourg
Extrait de Miroir Amer, 1999, Stéphane Zagdanski, Coll. L'infini, Gallimard :
[...] au mois de mai, le jardin du Luxembourg est une résurrection. Le soleil vaporise son étincelante tiédeur à travers les branches hirsutes des marronniers, traverse les dossiers écaillés des chaises de métal vert, effleure les corps imperturbables des rugueuses reines blanches, inonde les parterres multicolores de fleurs hilares, orgueilleusement insensibles à la fadeur des propos qui se tiennent dans les fraîches entrailles d'ombre du mastodonte de pierre, le Sénat, à dix pas de leur vitalité splendide. Comme si les mots n'avaient été inventés que pour commenter leur sourire de soie, féliciter leur éclosion de coloris incoercibles, vanter leur gloire de crêpe, faire écho à l'éclat rayonnant de leur joie muette. Ce à quoi seuls parviennent, en réalité, les enfants éparpillés dont les cris cisaillent de part en part le large cadran horizontal du bassin, avec une insouciance similaire, une victoire spontanée et cruelle, comme celle des fleurs, comme celle de tous ceux à qui la mort n'a jamais tendu son miroir embué de cendre froide.
[...]
Je trébuche de deux pas en me levant de ma chaise. Pendant à peine une seconde le poids du métal a été aspiré par mon mouvement ascendant avant de se rabattre vers sa masse initiale avec une violence élastique, me rendant à ma légèreté, ou plutôt à cette gravité depuis si longtemps agglomérée à mon être que j'en ai oublié l'existence, de sorte que c'est cet oublié, rappelé à moi avec la brusquerie d'une saute de vent, qui me fait tituber comme s'il me frappait dans le dos à l'aide d'une fronde.
[...]
Je me relève doucement, et quelque chose arrive.
Tout s'accélère, ou plutôt tout réintègre son rythme, tandis que la masse d'aigreur molle et froide remonte de mon estomac à mes lèvres. Je m'écarte du bassin. Elie est déjà plus loin, en train de parler avec une petite fille devant un parterre. J'ai encore le temps, avant de tomber en avant, un bras appuyé sur le dossier d'un fauteuil de fer, de voir distinctement Claire, une cigarette aux lèvres, plongée dans son Gauguin, et d'avoir une dernière pensée pour la froide désapprobation des reines rigides, là-haut, en surplomb, comme les joyaux espacés d'une immense couronne.
Je vomis une longue coulée d'un jus d'orange avalé pourtant depuis plusieurs heures, puis une autre, pétillante et âcre, pénible et salvatrice. Je regarde la flaque visqueuse pailletée de pulpe sale, résidu écœurant d'une alchimie inachevée.
Je crache un dernier filament d'aigreur, toujours courbé en deux, attendant que ma nausée se dissipe avec la flaque constellée de grumeaux orange que le gravier gris absorbe.
[...]
Se procurer l'ouvrage :
Miroir Amer
Stéphane Zagdanski
1999
Coll. L'infini, Gallimard
147 pages
http://www.amazon.fr/Miroir-amer-Zagdanski/dp/2070754391/...
> A consulter également, Paroles des Jours, le très généreux site de Stéphane Zagdanski : http://parolesdesjours.free.fr/
07:37 Publié dans Ecrits, littérature contemporaine, Trivialités parisiennes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : miroir, amer, stéphane, zagdanski, jardin, luxembourg, eugène, cochet
dimanche, 02 septembre 2012
Parisienne 37 au Cret de Rochefort - Guitry
Extrait de Mémoires d'un tricheur, Sacha Guitry, 1935
[...]
Paris !
Grande impression, dois-je dire - mais pas très bonne impression, je dois le dire. Non. Trop de monde. Ou, plus exactement, trop de mondes, au pluriel. Trop de riches et trop de pauvres, trop de filles sur les trottoirs, trop de gens qui travaillent et trop de gens qui chôment. Trop de grandeur et de misère. Trop de pluie quand il pleut, trop de chaleur quand il fait chaud, et, quand vient l'hiver, trop de froid.
C'était en vérité, trop grand, trop beau pour moi, Paris. Il m'a fallu bien des semaines, bien des mois pour en comprendre la splendeur - et, pour en goûter tout le charme, il m'a fallu bien des années.
En vérité, je crois qu'il faut en être, de Paris, pour se vanter de le connaître. [...]
Si l'on me demandait aujourd'hui brusquement ce que c'est que Paris, je répondrais tout de suite : "C'est la capitale de la France et c'est la plus belle ville du monde."
Puis, je réfléchirais - et j'ajouterais : "C'est autre chose également. Et c'est autre chose en plus."
Et j'essaierais de l'expliquer. Je dirais : "Toutes les villes ont un cœur, et ce qu'on appelle le cœur d'une ville, c'est l'endroit où son sang afflue, où sa vie se manifeste intensément, où sa fièvre se déclare, sorte de carrefour où toutes ses artères paraissent aboutir. Mais le cœur de Paris a ceci de particulier, c'est que chacun le place où il l'entend. Chacun a son Paris dans Paris. Le mien commence à l'Arc de Triomphe et se termine place de la République [...]. Ce que les Parisiens appellent entre eux Paris n'en est, en vérité, que la vingtième partie - et le nombre des Parisiens n'excède pas trois mille personnes. [...] Etre Parisien, ce n'est ni une fonction, ni un état, ni un métier - et cependant c'est tout cela. C'est unique et c'est inestimable - et ce n'est d'ailleurs pas à vendre. On en est, ou on n'en est pas. Et ceux qui n'en sont pas se demandent chaque matin ce qu'ils pourraient bien faire pour en être - et ceux-là n'en seront jamais ! Car, être de Paris, ce n'est ni une question de volonté, ni une question de fortune. Ce n'est même pas une question de valeur. C'est un indéfinissable mélange d'esprit, de goût, de snobisme, de jobardise, de bravoure et d'amoralité. On ne doit pas savoir au juste pourquoi on en est - et l'on doit seulement savoir pourquoi les autres n'en sont pas. Un Espagnol ne peut pas être Londonien, un Anglais ne peut pas être Berlinois : un Albanais peut être Parisien. Car pour en être, il ne s'agit pas d'être né à Paris - ni même en France. Il faut autre chose. Il faut être adopté par tous, sans que personne en ait parlé. Il y a dans ces élections quelque chose d'assez mystérieux, une sorte d'entente secrète. On est naturalisé Parisien, tout d'un coup, un beau soir. Oui, tous ces gens qui se haïssent, qui ne se quittent pas de l'année, qui échangent leurs femmes, leurs maîtresses et leurs amis, qui se regardent vieillir mais ne se voient pas changer, qui composent un véritable monde - je veux dire une véritable planète - avec ses moeurs, ses récréations, ses honneurs, son honneur et ses manies, oui, tous ces gens savent tomber d'accord, en un instant, quand il le faut."
S'il me fallait donner quelques conseils à un homme nouvellement élu Parisien, je lui dirais ceci : "Tu es élu ? Parfait. Maintenant, attention - pas de gaffes ! Le jour où tu as été élu, quel chapeau avais-tu ? Celui-là ? Bien. Mets-le. Il est vieux, dis-tu ? Ca ne fait rien. Mets-le. Tu avais cette cravate ridicule ? Tant pis, garde-la. Il ne faut plus jamais que tu en changes. Ceci est presque plus important que tout. Fais-toi refaire ce chapeau, fais-toi refaire cette cravate, prends modèle sur toi-même - et prends modèle aussi sur ceux qui en sont depuis trente ans. Que ta silhouette soit toujours la même, car il faut qu'on puisse te reconnaître de loin. Ta tête se fera petit à petit - c'est l'affaire d'un an ou deux. Quand elle sera faite, on la fera. C'est-à-dire qu'on fera sa caricature. Il faudra t'y conformer. C'est essentiel. Si l'on te fait un peu voûté, reste voûté. Ne grossis pas. Ne maigris pas. N'embête surtout pas les dessinateurs ! Ils ne te feraient plus. Mais la mode, dis-tu ? Là, je te mets tout de suite en garde. Lance-la si tu peux, mais ne la suis jamais. Tu ne dois pas être à la mode. Le vrai Parisien, c'est celui qui est en retard de quinze ans sur elle - ou en avance de quinze jours. Tu aurais l'air d'un provincial si tu suivais la mode. Voilà pour la façade. Le reste est moins facile. Au sujet de ta vie privée, on doit savoir de toi des choses assurément. Mais il n'est pas mauvais qu'elles soient imprécises. Il faut qu'on te croie marié si tu ne l'es pas - et divorcé si tu es marié. On ne doit connaître le nom de tes maîtresses que lorsque tu t'en es séparé. Il faut que tu aies l'air de cacher quelque chose, afin qu'une légende se crée autour de toi. Ainsi, sur ta fortune, il est bon que les avis soient partagés - et si tu peux laisser supposer que Napoléon III a été l'amant de ta grand-mère, ce sera excellent. Aux allusions qui t'y seront faites, tu souriras. D'ailleurs, en principe, n'avoue jamais rien - et tout ce qu'on dira de toi finira par être vrai - et tu finiras par le croire toi-même. Dans la conversation, sois optimiste, indulgent, paradoxal et cruel. Si tu as de l'esprit, sois féroce, impitoyable. Un "mot", c'est sacré. Tu dois le faire contre ta sœur, contre ta femme, s'il le faut - pourvu que le mot soit drôle. On n'a pas le droit de garder pour soi un mot drôle. Il y a des mots mortels. Tant pis ! Les mots qui sont mortels font vivre du moins ceux qui les font. Etre de Paris, cela nourrit son homme - et tu en vivras. Je peux même t'assurer que tu en mourras, ton chapeau sur la tête et ta cravate au cou."
[...]
Se procurer l'ouvrage :
Mémoires d'un tricheur
Sacha Guitry
1935
Ed. Gallimard, folio
157 pages
http://www.amazon.fr/M%C3%A9moires-dun-tricheur-Sacha-Guitry/dp/2070364348
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vendredi, 10 août 2012
Saint Jérôme et le lion - Paul Cazin, Fra Filippo Lippi
Saint Jérôme et le lion, Fra Filippo Lippi
"Le Lion de saint Jérôme" in Bestiaire des deux Testaments, 1927, Paul Cazin
Un jour que le grand saint Jérôme se promenait dans le désert de Palestine, il aperçut un lion, couché derrière un palmier.
Sa première impression fut très désagréable. Car il aimait la solitude et, s’il se promenait dans le désert, c’était apparemment pour fuir toute compagnie. Il méditait alors une diatribe contre Rufin. La vue de ce lion avait brouillé le fil de ses idées. Mais il réprima promptement son impatience, réfléchit au danger qui le menaçait et se mit à invoquer Dieu de tout son cœur.
Le lion ne bougeait pas, saint Jérôme s’approcha. Il vit que l’animal se léchait la patte d’une mine dolente; sa queue, raide comme fer, lui battait les flancs à coups secs des plaques de sang marquaient le sable.
Saint Jérôme fit le signe de la croix, mit un genou en terre, avança la main. Le lion lui tendit la patte. Il avait entre les griffes une grosse épine de cactus.
La suite : http://www.biblisem.net/narratio/cazilion.htm
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