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lundi, 06 août 2012

Baudelaire et ses contemporains - Les papillons du mal VI - Baudelaire

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 "Les papillons du mal VI"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

La poésie est un des arts qui rapportent le plus ; mais c'est une espèce de placement dont on ne touche que tard les intérêts, - en revanche très gros. Je défie les envieux de me citer de bons vers qui aient ruiné un éditeur.


Est-il même bien nécessaire, pour le contentement de l’auteur, qu’un livre quelconque soit compris, excepté de celui ou de celle pour qui il a été composé ? (…) J’ai, quant à moi, si peu de goût pour le monde vivant, que, pareil à ces femmes sensibles et désœuvrées qui envoient, dit-on, par la poste de leurs confidences à des amies imaginaires, volontiers je n’écrirais que pour les morts.
 

 

¤      ¤      ¤

 

Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé, le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?

 

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Ce qui est créé par l'esprit est plus vivant que la matière.


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Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise.

 

 

Sur ses contemporains :

 

Je m'ennuie en France, surtout parce que tout le monde y ressemble à Voltaire.

 

Alfred de Musset, féminin sans doctrine, aurait pu exister dans tous les temps et n'eût jamais été qu'un paresseux à effusions gracieuses.

 

Balzac pensait sans doute qu'il n'est pas pour l'homme de plus grande honte ni de plus vive souffrance que l'abdication de sa volonté.

 

Il n'existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer. Les autres hommes sont taillables et corvéables, faits pour l'écurie, c'est-à-dire pour exercer ce qu'on appelle des professions.

 

Presque toute notre vie est employée à des curiosités niaises. En revanche, il y a des choses qui devraient exciter la curiosité des hommes au plus haut degré, et qui, à en juger par leur train de vie ordinaire, ne leur en inspirent aucune.

 

Il y a quelques mois, j'ai fait sur mon ami Théophile Gautier un assez long article qui a soulevé un tel éclat de rire parmi les imbéciles, que j'ai jugé bon d'en faire une petite brochure, ne fût-ce que pour prouver que je ne me repens jamais.

 

J'ai un de ces heureux caractères qui tirent une jouissance de la haine et qui se glorifient dans le mépris.

 

Ceux qui savent me devinent, et pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas comprendre, j'amoncellerais sans fruit les explications.

 

Je n'ai jamais pu souffrir ce maître des gandins, son impudence d'enfant gâté qui invoque le ciel et l'enfer pour des aventures de table d'hôte, son torrent bourbeux de fautes de grammaire et de prosodie.

 

Si sa pâture d'amusement lui est servie, [...] l'homme de lettres candide sera dupe, à moins qu'il ne soit un charlatan obscène comme J.-J. Rousseau ou George Sand.

 

Excepté Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Mérimée, de Vigny, Flaubert, Banville, Gautier, Leconte de Lisle, toute la racaille moderne me fait horreur. La vertu, horreur. Le vice, horreur ? Le style coulant, horreur. Le progrès, horreur. Ne me parlez plus jamais des diseurs de riens. [...] Tout ce qu'on appelle progrès, ce que j'appelle, moi : le paganisme des imbéciles.


Baudelaire est allé écouter une conférence "de ce petit bêta de Deschanel ! professeur pour demoiselles ! démocrate qui ne crois pas aux miracles et ne croit qu'au BON SENS (!) parfait représentant de la petite littérature, petit vulgarisateur de choses vulgaires, etc. !".

 

Je ne dirai pas qu'ils ne sont pas beaux ; ils sont horriblement laids ; et leur âme doit ressembler à leur visage.

 

Ainsi si vous voyez Mme Meurice, il est inutile d'affliger ses convictions. Cette excellente femme qui aurait eu autrefois plaisir à vivre, est tombée, vous le savez, dans la démocratie, comme un papillon dans la gélatine.

 

Vous êtes une preuve nouvelle qu'un vaste talent implique toujours une grande bonté et une exquise indulgence.


 

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Charles Baudelaire (1821-1867)

 

 

Baudelaire à nu :


J'ai cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur. Maintenant j'ai toujours le vertige, et aujourd'hui 23 janver 1862, j'ai subi un singulier avertissement, j'ai senti passer sur moi le vent de l'aile de l'imbécillité.

 

Persuade-toi donc bien d'une chose, que tu sembles toujours ignorer ; c'est que vraiment pour mon malheur, je ne suis pas fait comme les autres hommes.

 

Ma tête devient littéralement unvolcan malade. De grands orages et de grandes aurores.

 

Il y a quelques mois, j'ai fait sur mon ami Théophile Gautier un assez long article qui a soulevé un tel éclat de rire parmi les imbéciles, que j'ai jugé bon d'en faire une petite brochure, ne fût-ce que pour prouver que je ne me repens jamais.

 

Ainsi, que je sois à Paris, à Bruxelles, ou dans une ville inconnue, je suis sûr d'être malade et inguérissable. Il y a une misanthropie qui vient, non pas d'un mauvais caractère, mais d'une sensibilité trop vive et d'un goût trop facile à se scandaliser.

 

C'est un certain état soporeux qui me fait douter de mes facultés.

 

La respiration manque, et l'angoisse va toujours croissant jusqu'à ce que, trouvant un remède dans l'intensite même de la douleur, la nature humaine fasse explosion dans un grand cri et dans un bondissement de tout le corps qui amène enfin une violente délivrance.

 

Je suis exigeant comme un homme qui souffre.

 

Les horizons n'ont pas besoins d'être grands pour que les batailles soient importantes ; les révolutions et les événements les plus curieux se passent sous le ciel du crâne, dans le laboratoire étroit et mystérieux du cerveau.

 

dimanche, 05 août 2012

Considérations sur l'art - Les papillons du mal V - Baudelaire

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"Les papillons du mal V"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

La folie de l’art est égale à l’abus de l’esprit. La création d’une de ces deux suprématies engendre la sottise, la dureté du cœur et une immensité d’orgueil et d’égoïsme. Je me rappelle avoir entendu dire à un artiste farceur qui avait reçu une pièce de monnaie fausse : « Je la garde pour un pauvre. » Le misérable prenait un infernal plaisir à voler le pauvre et à jouir en même temps des bénéfices d’une réputation de charité.

 

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La musique creuse le ciel.

 

La musique donne l'idée de l'espace. Tous les arts, plus ou moins ; puisqu'ils sont nombre et que le nombre est traduction de l'espace.

 

La véritable musique suggère des idées analogues dans des cerveaux différents.

 

La musique creuse le ciel.

 

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Il y a dans l'engendrement de toute pensée sublime une secousse nerveuse qui se fait sentir dans le cervelet.

 

Ce qui n'est pas légèrement difforme a l'air insensible ; d'où il suit que l'irrégularité, c'est-à-dire l'inattendu, la surprise, l'étonnement sont une partie essentielle et la caractéristique de la beauté.

 

Ce que j'ai toujours trouvé de plus beau dans un théâtre [...], c'est le lustre - un bel objet, lumineux, cristallin, compliqué, circulaire et symétrique.

 

Je crois que le charme infini et mystérieux qui gît dans la contemplation d'un navire [...] tient [...] à la régularité et à la symétrie qui sont un des besoins primordiaux de l'esprit humain, au même degré que la complication et l'harmonie.

 

Le Français est un animal de basse-cour, si bien domestiqué qu'il n'ose franchir aucune palissade. Voir ses goûts en art et en littérature. C'est l'animal de race latine ; l'ordure ne lui déplaît pas dans son domicile, et en littérature, il est scatophage. Il raffole des excréments. Les littérateurs d'estaminets appellent cela le sel gaulois.

 

La France, le public français, veux-je dire (si nous en exceptons quelques artistes et quelques écrivains), n'est pas artiste, naturellement artiste ; ce public-là est philosophe, moraliste, ingénieur, amateur de récits et d'anecdotes, tout ce qu'on voudra, mais jamais spontanément artiste. [...] Où il ne faut voir que le beau, notre public ne cherche que le vrai.

 

Je crois sincèrement que la meilleure critique est celle qui est amusante et poétique ; non pas celle-ci, froide et algébrique, qui, sous prétexte de tout expliquer, n'a ni haine ni amour, et se dépouille volontairement de toute espèce de tempérament.


 

S’il est permis à la photographie de suppléer l’art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l’aura bientôt supplanté ou corrompu tout à fait grâce à l’alliance naturelle qu’elle trouvera dans la sottise de la multitude. Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très humble servante, comme l’imprimerie  et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature.

 

Je ne suis donc pas partisan de la nature ; elle trouble le miroir de la pensée.

 

Deux qualités littéraires fondamentales : surnaturalisme et ironie.

 

Est-il même bien nécessaire, pour le contentement de l’auteur, qu’un livre quelconque soit compris, excepté de celui ou de celle pour qui il a été composé ? (…) J’ai, quant à moi, si peu de goût pour le monde vivant, que, pareil à ces femmes sensibles et désœuvrées qui envoient, dit-on, par la poste de leurs confidences à des amies imaginaires, volontiers je n’écrirais que pour les morts.

 

Le jour où le jeune écrivain corrige sa première épreuve, il est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole.

  

 

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Charles Baudelaire (1821-1867) 

 

Les prix portent malheur. Prix académiques, prix de vertu, décorations, toutes ces inventions du diable encouragent l’hypocrisie et glacent les élans spontanés d’un cœur libre.

 

Consentir à être décoré, c'est reconnaître à l'Etat ou au prince le droit de vous juger, de vous illustrer, etc.


Il est une chose mille fois plus dangereuse que le bourgeois, c'est l'artiste-bourgeois, qui a été créé pour s'interposer entre le public et le génie ; il les cache l'un à l'autre.

 

Les singes sont les républicains de l'art, et l'état actuel de la peinture est le résultat d'une liberté anarchique qui glorifie l'individu.

 

La manière dont les Belges discutent la valeur des tableaux. Le chiffre, toujours le chiffre. Cela dure trois heures. Quand, pendant trois heures, ils ont cité des prix de vente, ils croient qu’ils ont disserté peinture. 

 

Chaque concert a une partie française ; on a peur, il est vrai, d’être Français, mais on a peur de ne pas le paraître.


Il n'y a pas de hasard dans l'art, non plus qu'en mécanique. Une chose heureusement trouvée est la simple conséquence qu'un bon raisonnement, dont on a quelque fois sauté les déductions intermédiaires, comme une faute est la conséquence d'un faux principe. Un tableau est une machine dont tous les systèmes sont intelligibles pour un œil exercé.


Parce que l’art, pour être profond, veut une idéalisation perpétuelle qui ne s’obtient qu’en vertu du sacrifice, - sacrifice involontaire.


Ce qui est créé par l'esprit est plus vivant que la matière.

 

La France n'est pas poète, elle éprouve même, pour tout dire, une horreur congénitale de la poésie.


La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d'une haine distinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin, il faut que l'un des deux serve l'autre.


La poésie est un des arts qui rapportent le plus ; mais c'est une espèce de placement dont on ne touche que tard les intérêts, - en revanche très gros. Je défie les envieux de me citer de bons vers qui aient ruiné un éditeur.


Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé, le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?

 

Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise.

 

samedi, 04 août 2012

Considérations sur la foi - Les papillons du mal IV - Baudelaire

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"Les papillons du mal IV"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Passez en revue, analysez tout ce qui est naturel, toutes les actions et les désirs du pur homme naturel, vous ne trouverez rien que d'affreux. [...] Le crime, dont l'animal humain a puisé le goût dans le ventre de sa mère, est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle, puisqu'il a fallu dans tous les temps et chez toutes les nations des dieux et des prophètes pour l'enseigner à l'humanité animalisée, et que l'homme, seul, eût été impuissant à la découvrir. 

 

Le commerce est par son essence satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec sous-entendu : rends-moi plus que je ne te donne. L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux. Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse et la plus vile.

 

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Connais donc les jouissances d'une vie âpre ; et prie, prie sans cesse. La prière est réservoir de force.


Ce sont les mêmes gens qui donneraient volontiers un franc à un pauvre, à condition qu'il s'étouffât avec du pain, et lui refuseront toujours deux sous pour se désaltérer au cabaret.

 

Je ne puis penser à cette stupide créature sans un certain frémissement d'horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m'empêcher de lui jeter un bénitier à la tête.

 

La superstition est le réservoir de toutes les vérités.

 

La folie de l’art est égale à l’abus de l’esprit. La création d’une de ces deux suprématies engendre la sottise, la dureté du cœur et une immensité d’orgueil et d’égoïsme. Je me rappelle avoir entendu dire à un artiste farceur qui avait reçu une pièce de monnaie fausse : « Je la garde pour un pauvre. » Le misérable prenait un infernal plaisir à voler le pauvre et à jouir en même temps des bénéfices d’une réputation de charité. 

 

Oh ! profond (…), profond est le labour de la douleur : mais il ne faut pas moins que cela pour l’agriculture de Dieu. (…) Avec des charrues moins cruelles, le sol réfractaire n’aurait pas été remué. A la terre, notre planète, à l’habitacle de l’homme il faut la secousse ; et la douleur est plus souvent encore nécessaire comme étant le plus puissant outil de Dieu. 

 

Si l’Eglise condamne la magie et la sorcellerie, c’est qu’elles militent contre les intentions de Dieu, qu’elles suppriment le travail du temps et veulent rendre superflues les conditions de pureté et de moralité ; et qu’elle, l’Eglise, ne considère comme légitimes, comme vrais, que les trésors gagnés par la bonne intention assidue. 

 

Mais l'homme n'est pas si abandonné, si privé de moyens honnêtes pour gagner le ciel, qu'il soit obligé d'invoquer la pharmacie et la sorcellerie ; il n'a pas besoin de vendre son âme pour payer les caresses enivrantes et l'amitié des houris. Qu'est-ce qu'un paradis qu'on achète au prix de son salut éternel ?

 

Pourquoi le spectacle de la mer est-il si infiniment et si éternellement agréable ? parce que la mer offre à la fois l'idée de l'immensité et du mouvement. Six ou sept lieues représentent pour l'homme le rayon de l'infini. Voilà un infini diminutif. Qu'importe s'il suffit à suggérer l'idée de l'infini total ? Douze ou quatorze lieues (sur le diamètre), douze ou quatorze de liquide en mouvement suffisent pour donner la plus haute idée de beauté qui soit offert à lhomme sur son habitacle transitoire. 

 

Tout homme qui n'accepte pas les conditions de sa vie vend son âme.

 

Hélas ! les vices de l'homme, si pleins d'horreur qu'on les suppose, contiennent la preuve (quand ce ne serait que leur infinie expansion !) de son goût de l'infini ; seulement, c'est un goût qui se trompe souvent de route.

 

Le vin exalte la volonté ; le haschisch l'annihile. Le vin est un support physique ; le haschisch est une arme pour le suicide. Le vin rend bon et sociable ; le haschisch est isolant. L'un est laborieux pour ainsi dire, l'autre essentiellement paresseux. [...] Le vin est utile, il produit des résultats fructifiants. Le haschisch est inutile et dangereux.

 

Ce seigneur visible de la nature visible (je parle de l'homme) a donc voulu créer le Paradis par la pharmacie, par les boissons fermentées, semblable à un manique qui remplacerait des meubles solides et des jardins véritables par des décors peints sur toile et montés sur châssis. C'est dans cette dépravation du sens de l'infini que gît, selon moi, la raison de tous les excès coupables, depuis l'ivresse solitaire et concentrée du littérateur, qui, obligé de chercher dans l'opium un soulagement à une douleur physique, et ayant ainsi découvert une source de jouissances morbides, en a fait peu à peu son unique hygiène et comme le soleil de sa vie spirituelle, jusqu'à l'ivrognerie la plus répugrante des faubourgs, qui,le cerveau plein de flamme et de gloire, se roule ridiculement dans les ordures de la route. 

 

Un homme qui ne boit que de l'eau a un secret à cacher à ses semblables.

 

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Charles Baudelaire (1821-1867)

 

Je ne croirai jamais que l'âme des Dieux habite dans les plantes, et quand même elle y habiterait, je m'en soucierais médiocrement, et considérerais la mienne comme d'un bien plus hauit prix que celle des légumes sanctifiés.

 

Le vue de tous ces quadrumanes athées a fortement confirmé mes idées de religion.

 

Le mal se fait sans effort, naturellement, par fatalité ; le bien est oujours le produit d'un art.

 

La musique creuse le ciel.

 

La musique donne l'idée de l'espace. Tous les arts, plus ou moins ; puisqu'ils sont nombre et que le nombre est traduction de l'espace.

 

La véritable musique suggère des idées analogues dans des cerveaux différents.

 

La musique creuse le ciel.

 

vendredi, 03 août 2012

Considérations sur la société - Les papillons du mal III - Baudelaire

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"Les papillons du mal III" 

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de certains hommes. C'est par la même raison que je ne chausserais pas les culottes d'un galeux.

 

Il n'y a que deux endroits où l'on paye pour avoir le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.

 

Ainsi dans les Etats où la prostitution légale n'existe pas, toutes les femmes sont vénales.  

 

Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle.

 

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Peu d'hommes ont le droit de régner, car peu d'hommes ont une grande passion.

 

Les dictateurs sont les domestiques du peuple, - rien de plus, - un foutu rôle d'ailleurs, - et la gloire est le résultat de l'adaptation d'un esprit avec la sottise nationale.

 

L'homme, c'est-à-dire chacun, est si naturellement dépravé qu'il souffre moins de l'abaissement universel que de l'établissement d'une hiérarchie raisonnable.

 

La pédérastie est le seul lien qui rattache la magistrature à l'humanité.

 

Il n'y a de gouvernement raisonnable et assuré que l'aristocratique. Monarchie ou république basées sur la démocratie sont également absurdes et faibles.

 

A quoi bon réduire en esclavage des gens qui ne savent pas faire cuire des œufs ?

 

C'est toujours la fête. Grand signe de fainéantise populaire. 

 

Nécessité pour chaque homme de se vanter lui-même dans un pays où personne ne sait rendre justice à personne.Vélocité proportionnelle à la pesanteur. C'est toujours le troupeau de moutons, à droite, à gauche, au nord, au sud, se précipitant en bloc. Aussi, il n'y a rien ici qui soit plus à la mode, ni mieux vu, ni plus honorable que le coup de pied de l'âne.

 

Celui-là seul est l'égal d'un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir. 

 

Le crépuscule excite les fous.

 

Il ne faut jamais livrer certaines questions à la canaille.

 

La familiarité est le fait des brutes et des provinciaux.

 

L'enfance, jolie presque partout, est ici hideuse, teigneuse, galeuse, crasseuse, merdeuse.

 

Il est marchand, c'est-à-dire voleur.

 

Dans un pays où chacun est défiant, il est évident que tout le monde est voleur.

 

Au critique chagrin, à l'observateur importun, la Belgique somnolente et abrutie, répondrait volontiers : "Je suis heureuse ; ne me réveillez pas."

 

Coupé en tronçons, partagé, envahi, vaincu, rossé, pillé, le Belge végète encore, pure merveille de mollusque.

 

Il admire son remords et il se glorifie, pendant qu'il est en train de perdre sa liberté.

 

En somme, devant l'Histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s'emparant du télégraphe et de l'Imprimerie nationale, gouverner une grande nation.

 

Tout journal de la première ligne à la dernière, n'est qu'un tissu d'horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d'atrocité universelle. Et c'est de ce dégoûtant apéritif que l'homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l'homme. Je ne comprends pas qu'une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût.

 

Il faut travailler, sinon par goût, au moins par désespoir, puisque, tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que d'amuser.

 

A chaque minute nous sommes écrasés par l'idée et la sensation du temps. Et il n'y a que deux moyens pour échapper à ce cauchemar, - pour l'oublier : le Plaisir et le Travail. Le Plaisir nous use. Le Travail nous fortifie. Choisissons.

 

D'autres, qui laissent, pendant qu'elles y officient, la porte des latrines ouverte. Des gandins contrefaits qui ont violé toutes les femmes. Des libres-penseurs qui ont peu des revenants. Des patriotes qui veulent massacrer tous les Français (ceux-là portent le bras droit en écharpe pour faire croire qu'ils se sont battus). 

 

Tous les Belges éclatent de rire, parce qu'ils croient qu'il faut rire. Vous contez une histoire drôle ; ils vous regardent avec de gros yeux, d'un air affligé. Vous vous foutez d'eux. Ils se sentent flattés et croient à des compliments. Vous leur faites un compliment. Ils croient que vous vous foutez d'eux.

 

L'Orient, en général, sent le musc et la charogne.

 

Les Belges sont des ruminants qui ne digèrent rien.

 

La croyance au progrès est une doctrine de paresseux, une doctrine de Belges. C'est l'individu qui compte sur ses voisins pour faire sa besogne. Il ne peut y avoir de progrès (vrai, c'est-à-dire moral) que dans l'individu et par l'individu lui-même. Mais le monde est fait de gens qui ne peuvent penser qu'en commun, en bandes. Ainsi les Sociétés belges. Il y a aussi des gens qui ne peuvent s'amuser qu'en troupe. Le vrai héros s'amuse tout seul. 

 

Une suite de petites volontés fait un gros résultat. Tout recul de la volonté est une parcelle de substance perdue. Combien donc l'hésitation est prodigue ! et qu'on juge de l'immensité de l'effort final nécessaire pour réparer tant de pertes !

 

Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables !

 

La mécanique vous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle, que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilège ou antinaturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs [...] alors, le fils fuira la famille, non pas à dix-huit ans, mais à douze, émancipé par sa précocité gloutonne ; il la fuira, non pas pour chercher des aventures héroïques, non pas pour délivrer une beauté prisonnière dans une tour, non pas pour immortaliser un galetas par de sublimes pensées, mais pour fonder un commerce, pour s'enrichir, et pour faire concurrence à son infâme papa.

 

L’imagination humaine peut concevoir, sans trop de peine, des républiques ou autres Etats communautaires, dignes de quelque gloire, s’ils sont dirigés par des hommes sacrés, par de certains aristocrates. Mais ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle, ou le progrès universel ; car peu m’importe le nom. Ce sera par l’avilissement des cœurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et pour créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie ?

 

Voici un homme chargé de ramasser les débris d’une journée de la capitale.(…) Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts. 

 

Malgré les admirables services qu’ont rendus l’éther et le chloroforme, il me semble qu’au point de vue de la philosophie spiritualiste la même flétrissure morale s’applique à toutes les inventions modernes qui tendent à diminuer la liberté humaine et l’indispensable douleur. 

 

Cet homme est si peu élégiaque, si peu éthéré qu’il ferait horreur même à un notaire.

 

Grâce au progrès de ces temps, il ne te restera de tes entrailles que des viscères ! 

 

Quant à l'habit, la pelure du héros moderne [...] n'est-il pas l'habit nécessaire de notre époque, souffrante et portant jusque sur ses épaules noires et maigres le symbole d'un deuil perpétuel ? [...] - une immense défilade de croque-morts amoureux, croque-morts bourgeois. Nous célébrons tous quelque enterrement.

 

 amour,baudelaireCharles Baudelaire (1821-1867) 

 

 

Ceux qui m’ont aimé étaient des gens méprisés, je dirais même méprisables, si je tenais à flatter les honnêtes gens

 

Ce qu'il y a d'enivrant dans le mauvais goût, c'est le plaisir aristocratique de déplaire.

 

Quand j’aurai inspiré le dégoût et l’horreur universels, j’aurai conquis la solitude.

 

Que de fois j’ai contemplé, souriant et attendri, tous ces philosophes à quatre pattes, esclaves complaisants, soumis ou dévoués, que le dictionnaire républicain pourrait aussi bien qualifier d’officieux, si la république, trop occupée du bonheur des hommes, avait le temps de ménager l’honneur des chiens !

 

Un fonctionnaire quelconque, un ministre, un directeur de théâtre ou de journal peuvent être quelquefois des êtres estimables, mais il ne sont jamais divins. Ce sont des personnes sans personnalité, des êtres sans originalité, nés pour la fonction, c'est-à-dire pour la domesticité publique. 

 

Etre un homme utile m'a paru toujours quelque chose de bien hideux.

 

Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

Je ne connais rien de plus compromettant que les imitateurs et je n'aime rien tant que d'être seul.

 

Cette syncope qui est considérée par les vulgaires mortels comme le summum du bonheur.

 

Il y a autant de beautés qu'il y a de manières habituelles de chercher le bonheur.

 

Vers la religion :

 

Théorie de la vraie civilisation. Elle n'est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes, elle est dans la diminution des traces du péché originel.

 

L'impiété belge est une contrefaçon de l'impiété française élevée au cube.

 

En somme, ce que la Belgique, toujours simiesque, imite avec le plus de bonheur et de naturel, c'est la sottise française.

 

La religion catholique en Belgique ressemble à la fois à la superstition napolitaine et à la cuistrerie protestante.

 

Il est défendu de visiter les églises à toute heure ; il est défendu de s'y promener ; il est défendu d'y prier à d'autres heures qu'à celles des offices. Après tout, pourquoi le clergé ne serait-il pas égal en grossièreté au reste de la nation ? Comme les prostituées qui n'ont pas plus l'idée de la galanterie, que certains prêtres celle de la religion.

 

Passez en revue, analysez tout ce qui est naturel, toutes les actions et les désirs du pur homme naturel, vous ne trouverez rien que d'affreux. [...] Le crime, dont l'animal humain a puisé le goût dans le ventre de sa mère, est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle, puisqu'il a fallu dans tous les temps et chez toutes les nations des dieux et des prophètes pour l'enseigner à l'humanité animalisée, et que l'homme, seul, eût été impuissant à la découvrir. 

 

Le commerce est par son essence satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec sous-entendu : rends-moi plus que je ne te donne. L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux. Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse et la plus vile.

 

jeudi, 02 août 2012

Considérations sur les femmes - Les papillons du mal II - Baudelaire

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"Les papillons du mal II"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Que diriez-vous de mes principes, et des conseils que je donne à ce sexe trompeur qui souvent ne fait que feindre l'amour.

 

La bêtise est souvent l'ornement de la beauté : c'est elle qui donne aux yeux cette limpidité morne des étangs noirâtres, et ce calme huileux des mers tropicales. La bêtise est toujours la conservation de la beauté : elle éloigne les rides : c'est un cosmétique divin qui préserve nos idoles des morsures que la pensée garde pour nous, vilains savants que nous sommes !

 

La femme qui veut toujours faire l'homme, signe de grande dépravation.

 

Mais elle gâtait cette grande qualité par une ambition malséante et difforme. C'était une femme qui voulait toujours faire l'homme.

 

C'est parce que tous les vrais littérateurs ont horreur de la littérature à de certains moments, que je n'admets pour eux, - âmes libres et fières, esprits fatigués, qui ont toujours besoin de se reposer leur septième jour, - que deux classes de femmes possibles : les filles ou les femmes bêtes, - l'amour ou le pot-au-feu. - Frères, est-il besoin d'en expliquer les raisons ?

 

Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois. Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ; elle a, dans les idées morales, la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues. [...] Que quelques hommes aient pu s'amouracher de cette latrine, c'est bien la preuve de l'abaissement des hommes de ce siècle. Voir la préface de Mademoiselle La Quintinie, où elle prétend que les vrais chrétiens ne croient pas à l'Enfer. La Sand est pour le Dieu des bonnes gens, le Dieu des concierges et des domestiques filous. Elle a de bonnes raisons pour vouloir supprimer l'Enfer.

 

Il ne faut pas croire que le Diable ne tente que les hommes de génie. Il méprise sans doute les imbéciles, mais il ne dédaigne pas leur concours. Bien au contraire, il fonde ses grands espoirs sur ceux-là. Voyez George Sand. Elle est surtout, et plus que toute autre chose, une grosse bête ; mais elle est possédée. C'est le Diable qui lui a persuadé de se fier à son bon cœur et à son bon sens, afin qu'elle persuadât toutes les autres grosses bêtes de se fier à leur bon cœur et à leur bon sens.

 

Comme nous, ils se sont levés de bon matin, et ils cherchent leur vie ou courent à leurs plaisirs. Il y en a qui couchent dans une ruine de la banlieue et qui viennent, chaque jour, à heure fixe, réclamer la sportule à la porte d'une cuisine du Palais-Royal ; d'autres qui accourent, par troupes, de plus de cinq lieues, pour partager le repas que leur a préparé la charité de certaines pucelles sexagénaires, dont le cœur inoccupé s'est donné aux bêtes, parce que les hommes imbéciles n'en veulent plus.

 

La femme générale. Un nez de Polichinelle, un front de bélier, des paupières en pelure d'oignon, des yeux incolores et sans regard, une bouche monstrueusement petite, ou simplement une absence de bouche (ni parole ni baiser), une mâchoire inférieure rentrée, des pieds plats, avec des jambes d'éléphant (des poutres sur des planches), en teint lilas, et avec tout cela la fatuité et le rengorgement d'un pigeon.

 

La femme ne sait pas séparer l'âme du corps. Elle est simpliste, comme les animaux. Un satirique dirait que c'est parce qu'elle n'a que le corps.

 

Voilà bien la grosse sagesse bourgeoise des femmes.

 

Les mères trouvent-elles dans leur continuelle sollicitude du talent pour reproduire toujours les mêmes pensées, et un style nouveau pour les rajeunir ?

 

Les hommes qui ont été élevés par les femmes et parmi les femmes ne ressemblent pas tout à fait aux autres hommes, en supposant même l'égalité dans le tempérament ou dans les facultés spirituelles. Le bercement des nourrices, les câlineries maternelles, les chatteries des sœurs, surtout des sœurs aînées, espèces de mères diminutives, transforment, pour ainsi dire, en la pétrissant, la pâte masculine. L'homme qui, dès le commencement, a été longtemps baigné dans la molle atmosphère de la femme, dans l'odeur de ses mains, de son sein, de ses genoux, de sa chevelure, de ses vêtements souples et flottants, y a contracté une délicatesse d'épiderme et une distinction d'accent, une espèce d'angrogynéité, sans lesquelles le génie le plus âpre et le plus viril reste, relativement à la perfection dans l'art, un être incomplet. Enfin, je veux dire que le goût précoce du monde féminin, de tout cet appareil ondoyant, scintillant et parfumé, fait des génies supérieurs ; et je suis convaincu que ma très intelligente lectrice absout la forme presque sensuelle de mes expressions, comme elle approuve et comprend la pureté de ma pensée.

 

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Charles Baudelaire (1821-1867) 

 

Je ne crois pas, madame, que les femmes en général connaissent toute l'étendue de leur pouvoir, soit pour le bien, soit pour le mal. Sans doute, il ne serait pas prudent de les en instruire toutes également.

 

Il paraîtrait que sa femme est belle, très bonne, et très grande artiste. Tant de trésors en une seule personne femelle, n'est pas monstrueux ?

 

Mon Dieu ! qu'une ancienne belle femme est donc ridicule quand elle laisse voir son regret de ne plus être adulée. 

 

Ce qui est démontré pour moi, c'est que les femmes ne sont intéressantes que quand elles sont très vieilles.

 

La jeune fille, ce qu'elle est en réalité. Une petite sotte et une petite salope : la plus grande imbécillité unie à la plus grande dépravation. Il y a dans la jeune fille toute l'abjection du voyou et du collégien.

 

La femme est le contraire du Dandy. Donc elle doit faire horreur. La femme a faim, et elle veut manger. Soif, et elle veut boire. Elle est en rut, et elle veut être foutue. Le beau mérite ! la femme est naturelle, c'est-à-dire abominable. Aussi est-elle toujours vulgaire, c'est-à-dire le contraire du Dandy.

 

Si je veux observer la loi des contrastes, qui gouverne l'ordre moral et l'ordre physique, je suis obligé de ranger dans la classe des femmes dangereuses aux gens de lettres, la femme honnête, le bas-bleu et l'actrice ; - la femme honnête, parce qu'elle appartient nécessairement à deux hommes et qu'elle est une médiocre pâture pour l'âme despotique du poète ; - le bas-bleu, parce que c'est un homme manqué ; - l'actrice, parce qu'elle est frottée de littérature et qu'elle parle argot. - Bref, parce que ce n'est pas une femme dans toute l'acception du mot, - le public lui étant une chose plus précieuse que l'amour.

 

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de certains hommes. C'est par la même raison que je ne chausserais pas les culottes d'un galeux.

 

Il n'y a que deux endroits où l'on paye pour avoir le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.

 

Ainsi dans les Etats où la prostitution légale n'existe pas, toutes les femmes sont vénales.

 

Généralement les maîtresses des poètes sont d'assez vilaines gaupes, dont les moins mauvaises sont celles qui font la soupe et ne payent pas un autre amant.

 

Les pauvres petites imitent leurs mamans : elles préludent déjà à leur immortelle puérilité future, et aucune d'elles, à coup sûr, ne deviendra ma femme.

 

Je suis obligé de travailler la nuit afin d'avoir du calme et d'éviter les insupportables tracasseries de la femme avec laquelle je vis. [...] VIVRE AVEC UN ETRE qui ne vous sait aucun gré de vos efforts, qui les contrarie par une maladresse ou une méchanceté permanente, qui ne vous considère que comme son domestique et sa propriété, avec qui il est impossible d'échanger une parole politique ou littéraire, une créature qui ne veut rien apprendre, quoique vous lui ayez proposé de lui donner vous-même des leçons, une créature QUI NE M'ADMIRE PAS, et qui ne s'intéresse même pas à mes études, qui jetterait mes manuscrits au feu si cela lui rapportait plus d'argent que de les laisser publier, [...] qui ne sait pas ou ne veut pas comprendre qu'être très avare, pendant UN mois seulement, me permettrait, grâce à ce repos momentané, de finir un gros livre, - enfin est-ce possible cela ? [...] je pense à tout jamais, que la femme qui a souffert et fait un enfant est la seule qui soit l'égale de l'homme. Engendrer est la seule chose qui donne à la femelle l'intelligence morale. Quand aux jeunes femmes sans état et sans enfants, ce n'est que coquetterie, implacabilité et crapule élégante.

 

¤     ¤     ¤

 

Ah ! voulez-vous savoir pourquoi je vous hais aujourd'hui. Il vous sera sans doute moins facile de le comprendre qu'à moi de vous l'expliquer ; car vous êtes, je crois, le plus bel exemple d'imperméabilité féminine qui se puisse rencontrer.

 

Vous avez l'âme belle, mais en somme, c'est une âme féminine.

 

Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle.

 

mercredi, 01 août 2012

Considérations sur l'amour - Les papillons du mal I - Baudelaire

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"Les papillons du mal I"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Trois milliards d'êtres qui broutent les orties du sentiment !

 

Laissez les écoliers ivres de leur première pipe chanter à tue-tête les louanges de la femme grasse.

 

Dans l'amour comme dans presque toutes les affaires humaines, l'entente cordiale est le résultat d'un malentendu. Ce malentendu, c'est le plaisir. L'homme crie : "Ô mon ange !" La femme roucoule "Maman ! Maman !" et ces deux imbéciles sont persuadés qu'ils pensent de concert. - Le gouffre infranchissable, qui fait l'incommunicabilité, reste infranchi.

 

Il y a dans l'acte d'amour une grande ressemblance avec la torture, ou avec une opération chirurgicale.

 

Ce qu'il y a d'ennuyeux dans l'amour, c'est que c'est un crime où l'on ne peut se passer d'un complice.

 

Dans Les Oreilles du comte de Chesterfield, Voltaire plaisante sur cette âme immortelle qui a résidé pendant neuf mois entre des excréments et des urines. Voltaire, comme tous les paresseux, haïssait le mystère. Au moins aurait-il pu deviner dans cette localisation une malice ou une satire de la providence contre l'amour, et, dans le mode de la génération, un signe du péché originel. De fait, nous ne pouvons faire l'amour qu'avec des organes excrémentiels.

 

Ce qu'il y a de plus désolant, c'est que tout amour fait toujours une mauvaise fin, d'autant plus mauvaise qu'il était plus divin, plus ailé à son commencement. Il n'est pas de rêve, quelque idéal qu'il soit, qu'on ne retrouve avec un poupard glouton suspendu au sein.

 

Ne pouvant pas supprimer l'amour, l'Eglise a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage.

 

Cette histoire de fouterie provinciale, dans un lieu sacré, n'a-t-elle pas tout le sel classique des vieilles saletés françaises ?

 

Il me semble que quand le mari ne se plaint pas, le Cocuage est une institution, à la manière du Duel.

 

Je chante les chiens calamiteux, soit ceux qui errent, solitaires, dans les ravines sinueuses des immenses villes, soit ceux qui ont dit à l'homme abandonné, avec des yeux clignotants et spirituels : "Prends-moi avec toi, et de nos deux misères nous ferons peut-être une espèce de bonheur !"

 

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Charles Baudelaire (1821-1867) 

 

Plus l'homme cultive les arts, moins il bande. Il se fait un divorce de plus en plus sensible entre l'esprit et la brute. La brute seule bande bien, et la fouterie est le lyrisme du peuple. Foutre, c'est aspirer à entrer dans l'autre, et l'artiste ne sort jamais de lui-même.

 

Le sentiment pousse l'enfant, s'il est très énergique, à tuer son père pour un pot de confiture, ou pour acheter des dentelles pour une fille, s'il a dix-huit ans, pousse la femme à tuer son mari pour acheter des bijoux ou pour entretenir un drôle ; - exactement comme il pousse le chient à tout bousculer pour s'emparer d'un morceau de viande.

 

Goût invincible de la prostitution dans le cœur de l'homme, d'où naît son horreur de la solitude - il veut être deux. L'homme de génie veut être un, donc solitaire. La gloire, c'est rester un, et se prostituer d'une manière particulière. C'est cette horreur de la solitude, le besoin d'oublier son moi dans la chair extérieure, que l'homme appelle noblement besoin d'aimer.

 

Après une débauche, on se sent toujours plus seul, plus abandonné.

 

L'amour brille pas son absence. Ce qu'on appelle amour ici est une pure opération gymnastique animale que je n'ai pas à vous décrire.

 

Mais ce que je sais bien, c'est que j'ai horreur de la passion, - parce que je la connais, avec toutes ses ignominies.

 

Mais quelque fois votre amitié pour moi vous pousse à me traiter un peu mal, je subis un paquet de reproches qui ne me concernent pas.

 

La haine est une liqueur précieuse, un poison plus cher que celui des Borgia, - car il est fait avec notre sang, notre saleté, notre sommeil et les deux tiers de notre amour ! Il faut en être avare !

 

Que diriez-vous de mes principes, et des conseils que je donne à ce sexe trompeur qui souvent ne fait que feindre l'amour.

 

vendredi, 06 juillet 2012

Le Rouge et le noir - Stendhal 2/2

Nouvelle édition, augmentée... 

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Téléfilm : Le Rouge et le noir (1997, durée 1h35 & 1h50)

Réalisateur : Jean-Daniel Verhaeghe

D'après Stendhal.

Julien Sorel (Kim Rossi Stuart), Louise de Rênal (Carole Bouquet), monsieur de Rênal (Bernard Verley), Mathilde de La Môle (Judith Godrèche),  le marquis de La Môle (Claude Rich), Elisa (Camille Verhaeghe), l'abbé Pirard (Rüdiger Vogler), l'abbé Chelan (Maurice Garrel), le comte Altamira (Francesco Acquaroli), madame de Fervaques (Claudine Auger)

 

¤   ¤   ¤   deuxième partie   ¤   ¤   ¤

 

Julien Sorel : Oui, je suis le secrétaire du marquis mais je ne suis pas payé pour assister à leurs soirées. Ils croient me faire plaisir. Je serais cent fois plus heureux de dîner tout seul dans une petite auberge à quatre sous.

L'abbé Pirard : Julien, tout Paris se bat pour être invité dans cette maison. C'est une famille puissante. Leurs amis les respectent et le respect n'est jamais amusant.

Julien Sorel : Vous auriez vu le regard que porte sur eux la fille du marquis. Elle est assez prétencieuse mais elle n'est pas idiote. Tout le contraire de son fiancé, elle, elle n'est pas dupe. C'est le plus doré et le plus ridicule du groupe.

L'abbé Pirard : Calme-toi.

Julien Sorel : Alors c'est décidé ? Vous partez pour la Normandie.

L'abbé Pirard : Dès ce soir.

Julien Sorel : Si seulement vous pouviez faire quelque chose pour ces dîners, ces réceptions, si vous pouviez obtenir, je ne sais pas, que...

L'abbé Pirard : Ne compte pas sur moi.

Julien Sorel : Je serais si heureux tout seul dans ma chambre avec le Mémorial de Sainte-Hélène. J'ai eu la chance de le trouver dans une très belle édition.

L'abbé Pirard : Les leçons du Christ sont aussi profitables et moins dangeureuses pour ta réputation. Je reviendrai dans quelques mois.

Julien Sorel : Je vais être très seul.

 

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Julien Sorel : Je peux vous aider ?

Mathilde de La Môle : Rien ne vous y oblige. Vous n'êtes pas payé pour ça.

Julien Sorel : Je suis payé pour vous répondre avec politesse. Et je vis de mon salaire.

Mathilde de La Môle : Je cherche Beaumarchais et Walter Scott. Vous savez où ils se trouvent ?

Julien Sorel : Je vous demande un instant, je ne suis pas encore habitué.

Mathilde de La Môle : Et Le mémorial de Sainte-Hélène, il y a ça ici ? Ou alors dans votre chambre, peut-être.

Julien Sorel : ... Walter Scott, il me semble en avoir vu un volume ce matin... Moi, mademoiselle, je crois que la France n'a jamais été aussi haut dans l'estime des peuples que pendant les treize années au cours desquelles l'empereur a régné.

Mathilde de La Môle : Régner, c'est bien le mot. Avec ses chambellans, sa noblesse de dentelle et ses réceptions, il a rendu à la France toutes les niaiseries d'avant la révolution.

Julien Sorel : Ce n'est pas tout ce qu'il a fait.

Mathilde de La Môle : Faire tuer dix mille soldats sur les champs de bataille, c'est plus courageux en effet.

Julien Sorel : Oui, mais il y était, lui, sur les champs de bataille !! C'est plus risqué que de se retrancher dans les beaux quartiers, en tremblant de peur que la révolution ne revienne ! Walter Scott, Ivanhoé, voilà.

Mathilde de La Môle : La règle étant de ne parler à dîner ni de Dieu ni du roi, ni de l'opposition ni de la révolution, surtout pour en dire du bien, il ne nous reste plus que le temps qu'il fait. Moi aussi j'trouve ça mortel. Alors si vous avez d'autres idées, surtout ne vous gênez pas.

Julien Sorel : Si vous décidez de parler de cet incident à votre père, je partirai dans l'heure.

 

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Le comte Altamira : On ne s'amuse plus en France, plus de passion, plus de folie. Même la cruauté n'est plus drôle, quel gâchi !

L'homme qui arbitre le duel : Messieurs, quand vous voulez.

Le comte Altamira : J'ai visé l'articulation, j'espère que je ne vous ai pas fait trop mal.

[...]

Le comte Altamira à lui-même : Il y a toujours une première fois, je viens de me battre avec un domestique.

 

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: Je décide où je vais et quand je pars.

Mathilde de La Môle : Oui, mais pas avec qui. Eh bien moi, je ne crois pas que je m'ennuierais moins si je m'appelais la duchesse de Croisenoix. Tiens, regarde. Là, tu vois, je ne lui donne pas cinq minutes pour qu'il me parle de la poésie du midi, des herbes de provence et des bienfaits de l'huile d'olive.

: Mathilde ! Vous avez un teint ! Je sais, la couleur de la Provence, le teint du thin et de la marjorie.

: J'adore cette valse.

 

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: Vous cherchez quelqu'un ?

Mathilde de La Môle : On sait jamais. Il y a peut-être dans tout ça une personne qu'on connait pas, qui a une drôle de tête, je sais pas, quelqu'un d'un peu inattendu.

: Eh bien vous avez de la chance, vous avez derrière vous un condamné à mort.

 

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Le comte Altamira : Vous, les Français, vous manquez de légèreté. Les Lumières, elles sont bien éteintes aujourd'hui ! L'argent a gagné sur les idées. Que serait Danton aujourd'hui ?

Julien Sorel : Un voleur.

Le comte Altamira : Même pas, un vendu ! Mais tous ! Napoléon, n'en parlons pas, quel voleur celui-là.

Mathilde de La Môle : Faut-il mieux voler ou se vendre ? Alors comme ça vous êtes amis ?

Le comte Altamira : Nous avons des tas de choses en commun, comme souvent les personnes... comment dire, dépassées. Parsonnez-moi, j'aperçois une ordure à laquelle je dois dire deux mots.

Mathilde de La Môle : Vous êtes beaucoup sorti à Paris ? On dit que c'est le plus joli bal de la saison.

Julien Sorel : Il m'est difficile d'en juger, c'est mon premier bal, mademoiselle. Mais il a l'air magnifique.

Mathilde de La Môle : Rousseau disait "toutes ces folies m'étonnent mais ne me séduisent pas". Je suppose que mon père ne vous paie pas non plus pour me parler de Jean-Jacques Rousseau. Qu'est-ce qu'il y a ?

Julien Sorel : Rien, je regardais vos yeux. Ils sont... ils sont vraiment très beaux.

Madame la maréchalle de Fervac  : Votre père m'a tuée, je vais boire une tisane, vous en voulez une ? Ca arrêtera les battements de mon cœur.

Mathilde de La Môle : Non merci, je vais danser avec mon fiancé, je pense que ça me fera le même effet.

Madame la maréchalle de Fervac : Julien, un jour vous me la direz au moins, la vérité ? Qui était votre père ? Ne suis-je pas votre amie ? Vous pouvez me le dire, j'adore les confidences.

 

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Mathilde de La Môle : Il y a ici quelqu'un que vous aimiez ?

Julien Sorel : Oui. Il y a quelqu'un, oui. Et vous ?

Mathilde de La Môle : Ah, moi, j'viens souvent ici. J'me promène. Je regarde les noms, les dates. Parfois il y a un médaillon, une épitaphe, on imagine plein de choses. Vous savez, j'me fiche complètement de c'que les gens pensent de moi. On vous a dit pourquoi je porte le deuil le dernier jour d'avril ?

Julien Sorel : Non.

Mathilde de La Môle : Je porte le deuil par amour. Par amour pour une forme d'amour qui n'existe plus. La Môle, mon ancêtre, et Margot, la reine de Navarre, ont bravé les lois, les convenances. Il s'est damné pour elle. Et comme elle n'avait rien à lui sacrifier, à part sa réputation, elle l'a aimé devant tout le monde. Ils ont fini par le tuer. Il avait vingt ans. A la seconde où il l'a rencontrée, il a su, il a su qu'elle serait son seul amour et qu'il en mourrait. A Marguerite, on avait dit, comme on dit aux princesses, qu'elle serait plus heureuse que les autres, à cause de sa naissance et aussi parce qu'elle était très belle. Mais c'était pour mieux l'enfermer. C'est à cause de ce genre de choses que les rois deviennent fous, ou qu'ils meurent d'ennui. Quand il est mort, elle est allée chez le bourreau. Elle a embrassé ses lèvres mortes, elle a entouré sa tête, son cou ensanglanté avec des linges et elle l'a emmené. Elle l'a enterré dans un endroit secret. Et tous les trente avril du mois, jusqu'à ce qu'elle meurt, elle est revenue. Je ne veux pas qu'on les oublie. J'admire cet amour parce qu'il est hasardeux, dangeureux, fougueux. Sinon ça vaut pas la peine de vivre, non ? Il y a ici une femme que vous aimez, que vous aimez encore ? Vous pouvez me le dire, vous savez, je sais garder un secret.

Julien Sorel : Non, pas une femme. J'étais sur la tombe du maréchal Ney. Pour vous, c'est un traître, mais pour moi, non. Ce n'est pas un traître.

Mathilde de La Môle : Oh non, pas lui. A l'époque, on mourait pour une idée, jamais pour une médaille.

Julien Sorel : Moi, il y a vingt ans, j'aurais pu mourir pour de l'espoir.

Mathilde de La Môle : L'espoir d'un monde meilleur ?

Julien Sorel : Vous êtes cynique.

Mathilde de La Môle : Vous êtes bien susceptible.

Julien Sorel : Non, non, je ne suis pas susceptible, je suis jaloux. Vous avez une liberté de parole, de goût que moi je ne connaîtrai sans doute jamais, hélas.

Mathilde de La Môle : Mais pourquoi ?

Julien Sorel : Mais parce que je suis pauvre. Parce que pas même une pensée n'est... pas même une pensée n'est gratuite quand on a les poches vides. Pardonnez-moi, je n'ai... je n'ai pas l'habitude de me livrer, de cette façon.

Mathilde de La Môle : Il y a beaucoup d'orgueil de parler de sa pauvreté à quelqu'un d'aussi riche que moi. Vous méprisez l'argent ?

Julien Sorel : Non, je méprise l'aigreur de ceux qui n'ont rien et l'arrogance de ceux qui ont tout.

Mathilde de La Môle : Vous êtes bien malheureux alors.

Julien Sorel : Et vous, non ? 

 

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Julien Sorel : Et alors elle a buté contre une pierre, elle s'est agrippée à moi, elle s'est agrippée à moi pour se redresser.

Le comte Altamira : Montrez-moi.

Julien Sorel : Voilà, comme ça.

Le comte Altamira : Aussi fort ? La main, sur la main ou sur la manchette ? La peau a touché la peau ?

Julien Sorel : Bien sûr, oui, nous nous sommes effleurés. Ma peau a touché la sienne.

 

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Mathilde de La Môle : Et là tout à coup, il s'est passé une chose complètement inattendue, une chose qui je croyais ne m'arriverait jamais. J'ai arrêté de m'ennuyer. Il venait de m'avouer toute sa pauvreté, ses souffrances, ses humiliations.

 : Après tout, ce n'est qu'un domestique.

Mathilde de La Môle : J'ai eu tellement mal pour lui. Alors j'ai pensé, est-ce que je l'aime ?

 

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Julien Sorel : Pour la première fois, je l'ai trouvée belle, très belle, vraiment très belle [...]. Elle s'est mise à me parler de tout.

Le comte Altamira : Attention, ne rentre pas dans le rôle du confident.

Julien Sorel : Et puis nous sommes rentrés en calèche ensemble et j'ai voulu, j'ai eu envie qu'elle me parle de son fiancé. "Je reçois des dizaines de lettres, de lui, des autres, toutes les mêmes, mélancoliques, passionnées soi-disant, mais d'une prudence." Et là, j'ai commis une erreur, je lui ai dit "Mais il ne comprend rien", et elle "Mais, comprendre quoi ?", "Eh bien, que c'est l'imprudence qui vous intéresse".

 

¤     ¤     ¤

 

Mathilde de La Môle : J'ai détesté qu'il m'ait mise à nu de cette façon, je l'ai haï. Surtout quand il m'a dit "Vous l'aimez bien tout de même, ce que vous détestez en lui, c'est le futur mari, c'est tout." Pfff, quel aplomb, pour qui se prend-il, ce fils de charpentier ? ... Quand nous nous sommes revus dans la bibliothèque, j'ai été odieuse, insupportable.

 

¤     ¤     ¤

 

Julien Sorel : Et alors, depuis ce jour, amie, ennemie, elle passe d'un état à l'autre. Parfois elle est glaciale, hautaine, et puis soudain, elle se tourne vers moi, et elle me sourit, elle est gentille, elle me... elle me regarde mais... mais me regarde comme si...

Le comte Altamira : Elle... elle te regarde comme... comme si elle t'aimait ?

Julien Sorel : Non. Non, je connais le regard d'une femme amoureuse. Et puis pourquoi moi ? Pourquoi moi ? Philippe de Croisenoix à tout ! Il a le nom, les terres, le titre, la famille. Mais j'aime bien les batailles perdues, tu le sais. Au moindre signe d'humeur, je disparais un ou deux jours. Ou bien alors je l'ignore complètement. Et quand je l'ignore, elle vient me chercher. C'est elle qui vient me chercher, c'est toujours elle.

Le comte Altamira : Mais tout ça, c'est de la stratégie. Ce que tu veux, c'est qu'elle te choisisse, toi, plutôt qu'un descendant des Croisenoix qui a fait les croisades, hein, c'est ça, non ?

Julien Sorel : Qu'elle me choisisse. Nous verrons après si je l'aime.

 

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Julien Sorel : Me voilà.

Mathilde de La Môle : Je vous ai vu partir, revenir. J'ai cru que vous alliez jamais vous décider. Il faut enlever l'échelle. Mais arrêtez, qu'est-ce que vous faites !? J'ai préparé une corde.

Julien Sorel : Il semblerait que vous ayez l'habitude.

Mathilde de La Môle : Qu'est-ce que vous voulez dire ?

Julien Sorel : Vous avez couché avec Croisenoix et peut-être avec d'autres, non ?

Mathilde de La Môle : Vous êtes le premier à venir dans cette chambre... Vous avez si peur que ça ?

Julien Sorel : Ce n'est pas lâche d'avoir peur, beaucoup d'imbéciles sont courageux.

Mathilde de La Môle : J'ai décidé de vous aimer parce que vous n'êtes pas comme les autres. Parce que ça n'était pas prévu, parce que je sais pas qui vous êtes.

Julien Sorel : Vous avez "décidé" de m'aimer ? Vous croyez parler d'amour mais vous ne parlez que de vous.

Mathilde de La Môle : Attends ! Je veux être à toi, je suis à toi. Viens. Viens.

 

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Julien Sorel : Alors vous pensez pouvoir me traiter comme un être inférieur qui vous aimera quand ça vous amusera ?

Mathilde de La Môle : Rassurez-vous, ça ne m'amuse plus. Vous osez m'interpeler en public ! Vous voulez faire un scandale ? Crier à tout le monde que je me suis donnée à vous ? Eh bien allez-y, faites-le, allez-y !!

Julien Sorel : C'est vous qui faites un scandale.

Mathilde de La Môle : Et alors ? Je suis chez moi ici. J'ai changé d'avis, je me suis trompée. Vous m'intéressez pas. Et si dans votre petite tête de parvenu, vous vous êtes fait des illusions...

Julien Sorel : Taisez-vous, arrêtez.

Le comte Altamira : J'ai vu vos airs de trimonphe ! Je vous ai vu me regardez comme un propriétaire !

Julien Sorel : Arrêtez !

Le comte Altamira : Vous avez été le premier, benh vous serez pas le dernier !

Julien Sorel : Taisez-vous, arrêtez !

Mathilde de La Môle : Vous êtes qu'un fils de paysan, un batard en plus !

Julien Sorel : Arrêtez !

Mathilde de La Môle : Tue-moi si tu veux ! Vas-y... T'as voulu me tuer ?

Julien Sorel : Vous voyez ces débris ? Ils sont l'image exacte des sentiments que je vous portais.

 

¤     ¤     ¤

 

Julien Sorel : Mathilde, je suis devenu fou, j'ai peur de mes actes, de ce que je suis capable de faire.

Mathilde de La Môle : Plus jamais je me révolterai. Je te le jure. T'as voulu m'tuer, t'as voulu tout risquer pour moi.

Julien Sorel : Qu'est-ce que tu fais ?

Mathilde de La Môle : Si jamais j'te trompe, rappelle-moi que j'ai juré d'être à toi toute ma vie.

Julien Sorel : Mais alors tu m'aimes... Alors tu m'aimes.

Mathilde de La Môle : Benh oui je t'aime.

 

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Le Marquis de La Môle : Il y a une chose que j'aimerais savoir. Au moins y a-t-il eu pour vous, à un moment quelconque, un amour imprévu ?

Julien Sorel : Comment ça, un amour imprévu ?

Le Marquis de La Môle : Vous savez que j'ai cent mille écus de rente, que j'aime ma fille plus que tout. Tout ça vous le saviez ! J'ai du mal à croire que Mathilde, la première, a pris l'initiative, mais admettons. Pourquoi n'avez-vous pas fui ? C'était votre devoir.

Julien Sorel : Je vous l'ai demandé, je vous ai demandé de m'envoyer plutôt à Londres ! Vous vous en souvenez ?

Le Marquis de La Môle : Vos sentiments, il n'y a jamais eu de vulgarité ? De vulgarité matérielle dans vos sentiments ?

Julien Sorel : Je ne suis pas intéressé par l'argent.

Le Marquis de La Môle : Qui es-tu ? Qu'est-ce que tu veux ?

Julien Sorel : J'aime la vie, je veux vivre pour mon fils maintenant ! Vous ne pouvez pas me priver de cet amour, de mon enfant, et de Mathilde. Et je sais que vous ne pouvez pas vivre sans elle. Et elle ne peut pas vivre sans moi. 

 

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Un militaire : Ce qui les énerve, c'est que vous soyez lieutenant sans jamais avoir été sous-lieutenant.

Julien Sorel : C'est compréhensible. Et ils n'ont encore rien vu. Avant mes trente ans, je serai général, c'est moi qui te le dis.  

 

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Julien Sorel : Toi aussi, tu es venu.

Le comte Altamira : Mais qu'est-ce qui t'a pris ? Tu avais tout. Quelle mouche t'a piqué ?

 

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Louise de Rênal : Comment est-il ?

: Oh, c'est difficile à dire. Il a l'air ailleurs, comme si déjà... Il doit se préparer, il paraît qu'il veut se défendre lui-même. Il m'a envoyé un ami, un Italien, il voulait savoir comment tu te portais.

Louise de Rênal : Il a demandé de mes nouvelles ? Mon Dieu, il a demandé comment je me portais...

 

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Julien Sorel : Messieurs les jurés, je n'ai pas l'honneur d'appartenir à votre classe. Je ne vois parmi vous ni artisans, ni ouvriers, ni paysans enrichis. Ce qui veut dire que je ne serai pas jugé par mes pairs, pour l'abominable crime que j'ai commis. Je ne me fais aucune illusion, je ne requiers... je ne requiers aucune faveur. Mon crime est atroce. Il était prémédité. Je mérite donc la mort pour avoir attenté à la vie d'une femme. Une femme digne de respect, pure, une femme que j'ai tellement aimée, que j'ai aimée comme... comme la mère que je n'ai jamais eue, comme une sœur, et pour laquelle j'avais une adoration, une adoration sans borne. Parce qu'elle m'a montré que la douceur et la générosité existaient dans ce monde. Elle seule m'a laissé entrevoir l'horizon du bonheur. Donc je mérite la mort, oui. Je dois être puni pour le crime que j'ai commis. Je vois dans cette salle des hommes qui souhaitent me punir pour un autre crime !! Un crime qui à leurs yeux est encore plus grave !! Je vois dans cette salle des hommes, qui à travers cette faute capitale, veulent essayer de décourager cette génération de jeunes gens !! Ces jeunes gens, nés dans les classes inférieures !! Ces jeunes gens opprimés, opprimés et révoltés par votre mépris, révoltés par l'inégalité. Ces jeunes gens qui ont l'audace de réclamer une bonne éducation, ces jeunes gens qui veulent prendre, qui veulent prendre une place dans ce que vous, les riches, vous appelez "la société" ! Pour vous, ceci est un crime. Regardez-vous, votre terreur est inscrite sur vos visages. Vous avez peur que l'on vous enlève encore une fois tous vos privilèges ! Vos économies ! Vous avez peur, peur, oui, et c'est normal. Oui, c'est normal, parce que la révolution n'est pas loin !! Elle est à vos portes !! Vous ne voulez pas l'entendre, hein !? Vous ne voulez pas l'entendre ! Vous ne voulez pas l'entendre !! Mais elle viendra !! Elle viendra !! Rien ne pourra arrêter les forces de la fraternité !! Les forces de l'égalité !!

 

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Julien Sorel : Tu n'as pas aimé ma plaidoirie ? Dommage. Pour la première fois, j'ai été sincère, j'ai improvisé. Certainement pour la dernière fois aussi.

Mathilde de La Môle : Signe, Julien, signe là et dans deux mois...

Julien Sorel : Je préfère mourir tout de suite, tant que j'ai encore du courage.

Mathilde de La Môle : Tu ne signes pas.

Julien Sorel : Non, je ne signe pas.

Mathilde de La Môle : Toi qui maudis soi-disant l'hypocrisie, t'es le plus hypocrite de tous. Alors s'il te plait, fais un effort, une dernière fois, essaie d'être sincère ! Tu aimes cette femme, tu l'aimes et tu l'as toujours aimée ! Tu crois que tu as voulu la tuer par vengeance ou par amour pour moi ? Tu te mens à toi-même. T'as voulu la tuer parce que tu l'aimes. Et si c'était elle aujourd'hui qui te suppliait de signer ton appel, tu le ferais. T'as toujours fait ce qu'elle a voulu. Et même cette lettre, cette lettre ignoble qu'elle a envoyé pour te perdre, là encore elle a réussi à te faire faire exactement ce qu'elle voulait. Se punir et te perdre. J'la hais ! J'la hais et je maudis le jour où je t'ai rencontré !

 

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Julien Sorel : Tu es venue.

Louise de Rênal : Tais-toi. Laisse-moi te regarder.

Julien Sorel : Pardonne-moi. Je t'en prie.

Louise de Rênal : Non, pardon, c'est toi qui dois m'pardonner.

Julien Sorel : Je t'ai toujours aimée, toujours aimée, tu es la seule que j'aime. Ta blessure ?

Louise de Rênal : Non !

Julien Sorel : Fais voir. Montre-moi.

Louise de Rênal : C'est fini.

Julien Sorel : Comment ai-je pu te faire ça ?

Louise de Rênal : Et moi, comment ai-je pu envoyer cette lettre abominable ? C'est pas moi qui l'ait écrite, tu sais ? Je l'ai recopiée, je l'ai signée. J'ai tellement honte. Pardonne-moi, mais j'étais jalouse, ton bonheur avec cette jeune fille. Tu peux m'le raconter maintenant ?

Julien Sorel : Tu es la seule que j'aime. Tu es la seule que j'ai jamais aimée. Il n'y a que toi.

Louise de Rênal : Pleure pas... J'ai donné une fortune au geôlier. J'pourrai venir tous les jours pendant deux mois. Il faut signer, Julien.

Julien Sorel : C'est pour cette raison que tu es venue ?

Louise de Rênal : Oui, deux mois avec toi. Puis après on se quittera.

Julien Sorel : Que veux-tu dire ?

Louise de Rênal : Rien.

Julien Sorel : Je vais signer, mais à une seule condition. Jamais, jamais tu t'attenteras à tes jours.

Louise de Rênal : Et si nous mourrions ici ensemble.

Julien Sorel : Non. Non. Je préfère passer deux mois avec toi. Tu m'le jures ?

Louise de Rênal : Je te l'jure.

Julien Sorel : Je suis si heureux. Tu viendras tous les jours ?

Louise de Rênal : Tous les jours, oui.

 

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Mathilde de La Môle : L'appel est rejeté. Je ne lui ai pas encore dit. Je pense que ça lui fera plaisir. Pourquoi veut-il mourir, vous le savez ? Il vous parle plus qu'à moi.

Louise de Rênal : Mais non. L'appel est rejeté.

Mathilde de La Môle : Je suis au courant, chacune de vos visites, combien de fois, combien de temps vous restez avec lui. J'vous ai fait surveiller. Au début, j'ai beaucoup pleuré. J'lui ai fait des scènes atroces. Mais j'ai changé. J'ai grandi peut-être. J'ai compris qu'il vous aimait plus que moi. Pourtant vous lui avez fait tant de mal. Il faut beaucoup de force pour accepter ça. Mais j'en ai. J'accepte. Je vais vous surprendre, j'l'aime plus qu'jamais.

Louise de Rênal : Vous m'surprenez pas. Mon Dieu, l'appel est rejeté.

Mathilde de La Môle : Pourquoi n'étiez-vous pas à la prison hier ?

Louise de Rênal : Parce que je suis trop faible quelques fois pour...

Mathilde de La Môle : ... faire semblant d'être bien.

Louise de Rênal : Oui.

Mathilde de La Môle : Il faut y aller demain, c'est important. Il a beau m'dire le contraire, vos visites le rendent très heureux. Vos visites et rien d'autre.

Louise de Rênal : Donnez-moi votre bras, pour que je m'y appuie. Julien est né là où il ne fallait pas, quand il ne fallait pas. Cette noblesse qu'il n'a pas eue, il essaie de la remplacer par la noblesse du cœur. C'est pour ça qu'il veut mourir simplement. Et sans affectation. Pour être digne de vous, de votre enfant.

Mathilde de La Môle : Mon père va voir le roi demain à Saint-Cloud. La grâce est notre dernière chance, mais c'est une chance.

Louise de Rênal : Et si j'y allais moi aussi ? J'me jetterai à ses genoux, je l'implorerai.

Mathilde de La Môle : J'ai voulu faire la même chose, Julien me l'a interdit.

Louise de Rênal : Oui, mais moi je n'ai rien à perdre. Je dirai que je l'ai rendu jaloux, qu'il a menti au procès pour me protéger, que tout est de ma faute. Il y a déjà eu des cas de grâce pour des crimes de ce genre !

Mathilde de La Môle : Julien déteste les scandales. Laissez mon père agir, il y a encore de l'espoir.

Louise de Rênal : J'voudrais vous prendre dans mes bras. Attention, j'ai mal à l'épaule.

 

¤     ¤     ¤

 

Le frère de Mathilde : Le roi n'est plus le roi, il va abdiquer.

Le père de Mathilde : Ce siècle est devenu fou.

 

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Mathilde de La Môle : Pourquoi m'as-tu écrit cette lettre affreuse ? m'ordonner de ne pas te répondre, m'interdire de parler de toi à notre enfant ? Je sors de chez le directeur. J'ai juré que j'étais ta femme, que nous étions mariés secrètement. J'ai tout obtenu : un droit de visite tous les jours, j'habite à deux rues, je me suis installée à Besançon.

Julien Sorel : Mathilde... Je t'en prie, ne me fais pas répéter. Ne me fais pas répéter ce que je t'ai dit dans ma lettre.

Mathilde de Le Môle : Pour les repas, ils te seront livrés deux fois par jour par quelqu'un de chez moi. La cour, celle où il y a les arbres, dorénavant tu peux t'y promener quand tu veux.

Julien Sorel : Je ne veux pas que tu t'occupes de moi, Mathilde... Tu m'oublieras, dans un an tu épouseras Philippe de Croisenoix, tu seras heureuse, tu seras heureuse comme tout le monde. Même si aujourd'hui ça te parait impossible. Tu dois vivre, tu dois quitter le seixième siècle, Mathilde.

Mathilde de Le Môle : Pour l'avocat, j'ai le meilleur, maître Massonnet. Il a sauvé des dizaines d'assassins. Alors que toi, tu ne l'as pas tuée. Tu ne vas pas mourir pour quelqu'un que tu n'as pas tué.

Julien Sorel : Qu'est-ce que tu as dit ? Je ne l'ai pas tuée, c'est ce que tu as dit ? Tu en es certaine ?

Mathilde de Le Môle : Nous allons nous battre. Je te sauverai, Julien. Tu n'as rien fait qui vaille un tel châtiment.

Julien Sorel : Elle est vivante. Mais alors, alors je l'ai blessée, elle doit souffrir, je l'ai blessée. Mais où je l'ai blessée ? Comment va-t-elle ? Tu le sais ? Tu peux te renseigner ? Je veux savoir.

Mathilde de Le Môle : Oui, je peux me renseigner.

Julien Sorel : Elle est vivante. Mais alors, peut-être, va-t-elle me pardonner, peut-être.

Mathilde de Le Môle : Et dans ce cas au procès son pardon sera considéré comme...

Julien Sorel : Procès... C'est vrai, le procès....

Mathilde de Le Môle : Julien, pourquoi as-tu tiré sur cette femme ? Pourquoi ?

Julien Sorel : Il faudra que je me défende, l'éloquence des uns et les injures des autres, les journaux, toute cette vulgarité. Je préfère mourir tranquille.

Mathilde de Le Môle : Si tu meurs, je mourrai. 

 

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Louise de Rênal : Comme vous voyez, monsieur le Juge, je vais très bien. A peine deux mois se sont écoulés et je suis venue en voiture de Verrières à Besançon.

Le juge : Vous souhaitez donc assister au procès.

Louise de Rênal : Oh non, ma présence pourrait faire du tort à monsieur Sorel. On pourrait penser que je suis là pour demander vengeance. Alors que je souhaite plus que tout au monde qu'il soit sauvé.

Le juge : Mais il vous a tiré dessus.

Louise de Rênal : Mais c'était un moment de folie. Tout le monde vous dira à Verrières qu'il avait des lubies, des moments d'égarement. Il passait de l'enthousiasme à la mélancolie comme ça, sans préavis. Mon fils, qui l'adore, pourrait vous le confirmer. Il a des ennemis, qui n'en a pas. Mais personne n'a jamais mis en doute le talent, l'intelligence, la culture profonde de ce jeune homme. Ce n'est pas un être ordinaire que vous allez juger, monsieur. Il connaît la sainte Bible par cœur. C'est un homme pieux, pur.

Le juge : Vous avez écrit le contraire à monsieur de La Môle.

Louise de Rênal : Je le regrette tellement. J'ai été influencée, j'ai été trompée. J'ai perdu la tête. Je comprends que cette lettre l'ait rendu fou.

Le juge : Vous admettez donc que c'est votre lettre qui l'a poussé à ce geste effroyable. D'ailleurs il vous a tiré dessus une deuxième fois, il y a eu préméditation.

Louise de Rênal : Mais ce n'est pas vrai. Je l'ai vu, il ne savait pas ce qu'il faisait. J'ai reconnu son regard, ce regard un peu vague qu'il avait avant ses crises de délire. Je l'ai vu ! Monsieur le Juge, si par ma faute un innocent est conduit à la mort, ma vie entière en sera empoisonnée. Il n'y a pas eu préméditation. 

 

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Julien Sorel : J'ai obéi à des convenances que je ne respectais pas. J'ai été... j'ai été orgueilleux... j'ai été ambitieux... j'ai obéi à des convenances que je ne respectais pas. J'ai voulu ôter la vie de la seule femme qui pleurera ma mort. Vous voulez un peu de vin ? Ca vous f'ra du bien. Il est bon, Mathilde l'a fait venir de Toscane.

L'abbé Chelan : Continue, mon enfant. Continue.

Julien Sorel : Je n'me suis repenti qu'après l'avoir revue. Vivante. Elle était vivante ! Mon père, j'ai réalisé alors quelque chose de très étrange. Je me suis rendu compte que j'aimais follement cette femme et j'ai compris l'horreur de mon acte. Je l'aime éperduement. Merci, mon père, d'être venu. Il fallait que je vous voie.

L'abbé Chelan : J'ai eu tant de chagrin en apprenant... Je venais de recevoir ta lettre de Strasbourg, et tout cet argent que tu m'as envoyé. Et que je t'ai rapporté.

Julien Sorel : Garde-le pour vous, ou donnez-le à quelqu'un. Vous semblez tellement fatigué.

L'abbé Chelan : Je crois qu'il vaut mieux mourir jeune que d'arriver à cette décrépitude.

Julien Sorel : Je voudrais vous demander quelque chose. Avez-vous peur de la mort ?

L'abbé Chelan : La mort est une aventure individuelle. J'ai eu de la chance, je vis la mienne en compagnie de Dieu. Tu lui as tourné le dos mais il te sera beaucoup pardonné, puisque tu as beaucoup aimé.

Julien Sorel : J'aimerais tant que tout... que tout se passe bien simplement.  Et j'espère ne pas avoir honte de moi avant de mourir.

L'abbé Chelan : Si tu sens ton courage fléchir, pense aux plus beaux moments, aux plus belles lumières. Dieu, lui, ne te tournera pas le dos. Tu n'es pas un monstre, mon enfant, moi je le sais.

 

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