mercredi, 06 mars 2013
De l'utilité des études littéraires - Jacqueline de Romilly
Jacqueline de Romilly (1913-2010)
Extraits de Le Trésor des savoirs oubliés, Jacqueline de Romilly, de l'Académie française, 1998, Ed. de Fallois
Tous ces romans que nous avons lus, en avons-nous le souvenir ? Et même ces tragédies ? Et même ces poèmes ? Tout cela est passé, passé à travers nous. Mais d'avoir éprouvé, fût-ce d'une façon fugitive, de la pitié pour des êtres très différents, de la compréhension pour des situations inconnues, des espoirs et des désespoirs qui n'étaient pas les nôtres, comment une telle accumulation d'expériences mêmes rapides ne laisserait-elle pas ouverte en nous la voie pour de tels sentiments, l'habitude et la connaissance de leur possibilité ? La littérature ne passe jamais en nous sans laisser après elle une petite marque qui peut être légère et à peine perceptible, mais pourtant capable de durer. Cette marque appartient au domaine du sentiment ; et chaque connaissance se double d'élans affectifs qui, peu à peu, dessinent nos goûts et nos aspirations.
[...]
Et s'il y a vraiment dans les études littéraires que je viens rapidement d'évoquer, la possibilité d'un remède quelconque, non pas infaillible certes ni suffisant, mais capable au moins d'exercer une action, il serait urgent de leur rendre la place qui était la leur, et que, par une folle imprudence, on leur a progressivement retirée.
En attendant, et d'une façon plus générale, c'est un fait qu'aucune expérience n'est jamais tout à fait froide ni indifférente. Elle s'accompagne de plaisir ou d'hostilité, d'espoir ou de colère, de sympathie, d'admiration ; elle est vivante. Elle rejoint en nous des dispositions qui seront à chaque fois enrichies, stimulées, contrariées, corrigées, complétées, mais dont le premier germe aura été semé alors - cela quel que soit le sort réservé à ces connaissances d'autrefois, et quel que soit le degré d'oubli qui les aura recouvertes.
Cette vie souterraine des souvenirs n'est pas facile à décrire, elle est secrète et impalpable ; on est obligé d'avoir recours à des métaphores plus ou moins heureuses. Après avoir parlé de fiches et de roues dentées, je me suis mise à parler d'élans de sympathie, de connexions comme avec des courants électriques. J'ai conscience que tout cela est à la fois insuffisant et incohérence : je le regrette. Mais la tâche était difficile. Valait-il mieux parler, comme le fait ce grand connaisseur de la complexité des sentiments qu'était Gaston Bachelard, de "dynamisation psychologique" ou d' "irradiation" ? J'emprunte ces mots à des études sur l'expression poétique et les éléments du monde auxquels elle fait appel. Le propos est évidemment différent du nôtre, mais la complexité qu'il veut évoquer est du même ordre : il s'agit là aussi d'échos et de résonnances s'attachant à chaque impression, la prolongeant, lui donnant son sens ; et si Bachelard cherche surtout la source de l'inspiration poétique, il lui arrive de toucher à son effet sur le lecteur, les deux se rejoignant. Les études du philosophe sont toujours plus ou moins orientées vers l'imagination et le rêve ; mais par là, elles aussi cherchent à traquer ce qui se cache derrière l'apparente simplicité du réel. D'où la tentation de chercher en lui un appui.
En fait, on se propose seulement ici de déceler l'élan de sympathie ou d'hostilité qui accompagne tous les souvenirs quels qu'ils soient, oubliés ou non. Je crois que l'on peut à leur sujet employer selon les cas et à son gré un vocabulaire affectif et parler alors de désirs, ou bien un vocabulaire moral et parler alors de valeurs. Or, une des tâches essentielles de l'enseignement, et en particulier de l'enseignement littéraire, est de semer et de renforcer en chacun ces valeurs diverses, qui sont comme l'expérience commune accumulée par l'humanité au cours des âges : sans elles - nous le pressentons aujourd'hui - il n'est pas facile de vivre.
[...]
Bien entendu, tout enfant peut tirer de l'expérience concrète de sa vie des leçons d'ordre affectif et moral qui forment sa personnalité. Il n'est pas indispensable de passer pour cela ni par la classe ni par la littérature. Il reste - on l'a dit - que l'expérience accumulée dans la littérature ou l'histoire d'une civilisation offre un registre infiniment plus étendu et plus frappant que la plupart des vies. Il existe, certes, des enfants qui ont connue à travers des aventures heureuses ou malheureuses des découvertes, des changements, toute une initiation à l'existence ; d'ailleurs la littérature s'en est parfois fait l'écho. Mais ces cas sont des exceptions ; la plupart ne connaissent qu'une expérience médiocre et n'entendent que des conversations familiales sans envergure et parfois non dénuées d'acrimonie. La littérature prend donc le relais.
Et surtout elle présente cet avantage sans pareil d'offrir à l'enfant le choix. Devant les lacunes de la formation actuelle, certains ont regretté les cours de morale et de civisme qui existaient autrefois. Je n'ai rien contre leur rétablissement ; mais je ne suis pas très sûre de leur efficacité ; et, d'autre part, je crains que ces cours n'aient l'air de vouloir imposer aux jeunes esprits des valeurs que l'on soupçonnera d'être liées à certaines situations politiques ou sociales, et qu'en tout cas ils n'auront ni choisies ni senties de l'intérieur. Au contraire la littérature, ainsi que l'histoire ou la philosophie, constitue comme un immense catalogue, illustré et saisissant, de toutes les qualités, de toutes les conduites que les hommes ont pu admirer au cours des temps et de toutes les valeurs qui ont pu leur être chères. La littérature les offre aux enfants, les laisse réagir et c'est ainsi que certaines d'entre elles, peu à peu, les pénètrent. Ils s'y habituent ; mais d'abord ils les choisissent, comme on choisit ses amis ; et, après les avoir choisies, on leur est de plus en plus attaché et on les comprend de mieux en mieux.
La démonstration serait facile à faire pour certaines valeurs qui touchent immédiatement le cœur et l'imagination. Presque tous les enfants seront émus par le sort de victimes d'une injustice ; presque tous admireront au passage tel exemple de générosité ou seront touchés par une certaine promptitude à pardonner ; presque tous vibreront aux grands exemples de fidélité et de dévouement. Ils oublieront les faits, les noms ; mais chaque exemple aura ravivé au passage une disposition qui, sans cela, serait restée vaine et ne se serait pas développée. Mais on peut aller plus loin : même les vertus qui semblent désuètes et périmées, oui, même ces vertus-là peuvent, je crois, laisser à l'occasion leur marque et prendre racine dans l'esprit de ceux qui les rencontrent. On les voit délaissées ; on est prêt à en rire ; et pourtant elles allument au passage une petite étincelle ou bien ouvrent une voie, qui peu à peu s'élargira. Elles prennent seulement dans l'esprit des jeunes soit un autre tour, soit des traits un peu différents, mais, comme les autres valeurs, grâce à l'expérience accumulée par les siècles, elles survivent.
Je commencerai par la plus démodée, peut-être, et en tout cas la plus inaccessible à de jeunes enfants, à savoir la sagesse. Le mot semble appartenir à un autre âge. Il n'est pas de notre temps. Et il agace plutôt les enfants si souvent invités à se montrer "bien sages". Les voilà donc, de prime abord, prêts à rire et à tourner le dos.
Mais peu à peu ils vont découvrir que toutes les cultures en tous les temps ont eu ce respect constant pour ceux qu'ils appelaient les sages. Dans la culture biblique, voici la sagesse de Salomon. Chez les Grecs, voici Solon ou bien encore ceux que dans cette culture on appelait les sept sages ; ou bien voici, à Rome, les sages stoïciens, les sages épicuriens, et toutes ces images laissées dans Sénèque ou dans tant de textes des orateurs ou des philosophes : tous évoquent une sorte de sérénité fière à l'égard des péripéties de l'existence et une ferme résistance à toutes les pressions venues du dehors. Puis vient le domaine du français et l'on rencontre le mot appliqué à tel homme qui a beaucoup lu, beaucoup réfléchi et en est venu à maîtriser ses passions et ses sentiments : voici Montaigne. Suivront les philosophes, les portraits tracés par les moralistes, jusqu'aux images des romans, comme ce vieillard souriant du village qui semble avoir tout connu et pouvoir donner sur tous les sujets d'excellents conseils. Et de celui que rien n'atteint ni n'abaisse, les textes disent : "C'est un sage." Voilà une vertu aux formes bien diverses mais une chose est sûre : partout on rencontre le mot avec une connotation favorable ; partout on sent qu'il attire l'estime et le respect ; et peu à peu cette connotation favorable s'impose comme une habitude et ouvre dans l'esprit des jeunes une indulgence nouvelle. ils auront oublié tous ces exemples, ou presque : ils garderont une image floue, un peu conventionnelle, d'une sorte de sérénité dans les épreuves. Ils garderont aussi l'idée que cette sérénité est louable. Ils garderont l'impression qu'il est sans doute puéril de manifester aussitôt et sans mesure sa déception ou sa colère, et que l'on peut faire mieux.
[...]
Mais ici se pose une question assez grave. Car j'ai pris soin - parfois en me donnant du mal - de joindre aux exemples anciens quelques exemples de notre littérature moderne. Or, en fait, il n'est pas vrai de dire que toute la suite des textes littéraires n'a cessé d'exalter les valeurs et de chanter les héros ou d'encourager au bien : cela a été vrai pendant de longs siècles et a récemment cessé de l'être.
Il est parfaitement exact que les littératures anciennes ont constamment loué directement et sans se cacher les vertus ; il y a eu des traités sur les vertus, sur chaque vertu ; il y a eu des éloges des héros et des grands hommes ; il y a eu des histoires édifiantes. De même la littérature classique, quand elle a montré le mal, s'en est chaque fois excusée en expliquant que c'était pour le flétrir et pour le bannir. Là aussi les textes des moralistes, les romans eux-mêmes ont constamment soutenu des valeurs qui sont en gros celles qui viennent d'être évoquées. Mais de notre temps, tout à changé. Quand s'est fait ce changement, et pour quelles raisons, c'est là une question qui mériterait d'être longuement discutée. J'aurais, a priori, tendance à penser que l'évolution a commencé doucement, dans le cours du dix-huitième siècle, pour s'épanouir ensuite, de plus en plus jusqu'à nos jours. Je ne parle pas, bien entendu, d'une évolution régulière et prenant dans son mouvement tous les auteurs et tous les genres. Bien des exemples cités plus haut prouveraient combien l'idée demande à être nuancée. Mais enfin, il semble bien que la ligne d'ensemble paraisse assez nette.
Déjà un livre comme Les liaisons dangereuses n'est point une invitation au bien ; mais, peu après, il y aura Sade ; l'on verra les romans s'attacher de plus en plus à décrire les maux et les scandales de la société ; on verra les poètes pénétrer dans les domaines jusqu'alors interdits ; cela commence avec Baudelaire mais se précise nettement avec Rimbaud ou Apollinaire. Et bientôt les livres de notre temps deviennent une invitation ouverte au refus ; ils n'écartent aucune situation ni aucun sentiment du champ de leur investigation ; et ils respirent partout la révolte. Le grand éloge, pour un livre, en notre temps, est de dire qu'il est "décapant". On célèbre ce qui ressemble à un cri. Et alors que les littératures anciennes ou classiques célébraient si volontiers la beauté de la vie humaine, les nobles sentiments et la douceur de l'existence, la littérature de notre temps exprime presque toujours une sombre amertume ; et celui qui se permet d'être optimiste passe en général pour naïf. Je ne sais trop comment il faut l'expliquer. Il se peut qu'il y ait là une évolution naturelle de l'expression littéraire : à force de progresser, l'analyse psychologique élargit progressivement son champ d'observation et s'attache à des réalités de plus en plus difficiles à traquer et de moins en moins avouées. Il se peut aussi qu'il y ait une évolution normale liée aux découvertes de la liberté, quand celle-ci, plus ou moins bien comprise, se fait dès lors une gloire de rejeter toutes les contraintes. Il se peut aussi que les contraintes, en fait, aient été trop lourdes. Il est également possible que l'idée de la nécessité du partage, et du partage entre tous, ait rendu plus apparents et plus pesants les défauts qui s'attachent pratiquement à toutes les sociétés. Dès lors le mouvement est lancé et va s'amplifiant.
[...]
> A consulter également : http://www.magazine-litteraire.com/content/rss/article?id=18057
Se procurer l'ouvrage :
Le Trésor des savoirs oubliés
Jacqueline de Romilly
1998
De Fallois
220 pages
En poche : http://www.amazon.fr/tr%C3%A9sor-savoirs-oubli%C3%A9s-J-R...
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vendredi, 01 mars 2013
Pour n'être pas changés en bêtes - Baudelaire
Crédits photographiques Tamara Spitzer-Hobeika
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jeudi, 28 février 2013
La mort baudelairienne
Photo edited from original by Noelia Hobeika
La Mort des pauvres
C'est la Mort qui console, hélas! et qui fait vivre;
C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir
Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,
Et nous donne le coeur de marcher jusqu'au soir;
À travers la tempête, et la neige, et le givre,
C'est la clarté vibrante à notre horizon noir
C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,
Où l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir;
C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques
Le sommeil et le don des rêves extatiques,
Et qui refait le lit des gens pauvres et nus;
C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique,
C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique,
C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus!
— Charles Baudelaire
Photo edited from original by Noelia Hobeika
Recolorisation Jana Hobeika
The Death of the Poor
It's Death that comforts us, alas! and makes us live;
It is the goal of life; it is the only hope
Which, like an elixir, makes us inebriate
And gives us the courage to march until evening;
Through the storm and the snow and the hoar-frost
It is the vibrant light on our black horizon;
It is the famous inn inscribed upon the book,
Where one can eat, and sleep, and take his rest;
It's an Angel who holds in his magnetic hands
Sleep and the gift of ecstatic dreams
And who makes the beds for the poor, naked people;
It's the glory of the gods, the mystic granary,
It is the poor man's purse, his ancient fatherland,
It is the portal opening on unknown Skies!
— William Aggeler, The Flowers of Evil (Fresno, CA: Academy Library Guild, 1954)
Photo edited from original by Noelia Hobeika
Recolorisation Jana Hobeika
The Death of Paupers
It's Death comforts us, alas! and makes us live.
It is the goal of life, it brings us hope,
And, like a rich elixir, seems to give
Courage to march along the darkening slope.
Across the tempest, hail, and hoarfrost, look!
Along the black horizon, a faint gleam!
It is the inn that's written in the book
Where one can sleep, and eat, and sit and dream.
An Angel, in magnetic hands it holds
Sleep and the gift of sweet ecstatic dreams,
And makes a bed for poor and naked souls.
It is God's glory and the mystic grange:
The poor man's purse and fatherland it seems,
And door that opens Heavens vast and strange.
— Roy Campbell, Poems of Baudelaire (New York: Pantheon Books, 1952)
Photo edited from original by Noelia Hobeika
Recolorisation Jana Hobeika
The Death of the Poor
Death? Death is our one comfort! — is the bread whereby
We live, the wine that warms us when all hope is gone;
The very goal of Life. That we shall one day die:
This is the thought which gives us courage to go on.
Clear on the black horizon, through the blinding sleet,
That beacon burns; — oh, Death, thou inn of wide renown!
Is it not written in the book: "Here all may eat;
Here there is rest for all; here all may sit them down?"
Thou hovering Angel, holding in thy magic hand
Slumber and blissful dreams; thou Glory overhead;
Mysterious attic, filled with treasures manifold;
The poor man's purse, and his remembered fatherland;
Thou, that remakest nightly the beggar's crumpled bed;
Thou only door ajar, pledge of the peace foretold!
— Edna St. Vincent Millay, Flowers of Evil (NY: Harper and Brothers, 1936)
Photo edited from original by Noelia Hobeika
Recolorisation Jana Hobeika
La Mort des pauvres
'tis Death that helps us live, 'tis Death consoles;
Death is life's goal; 'tis the one hope that cheers,
and, like a cordial, spurs our slackening souls,
bestowing strength to march till night appears;
through snow and hoar-frost, where the tempest rolls
toward the black hills, Death's leaping fire veers;
Death is the famous Inn the Book extols,
where we shall dine and rest among our peers;
Death is an angel, with his fingers full
of magic sleep and dreams most wonderful,
— who smoothes the bed whereon the beggar lies;
Death is the glory of the gods, the gold
all poor folk hoard, their fatherland of old,
Death is the portal wide to unknown skies!
— Lewis Piaget Shanks, Flowers of Evil (New York: Ives Washburn, 1931)
Source : http://fleursdumal.org/poem/198
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mercredi, 27 février 2013
L'aube baudelairienne
Photo edited from original by Tamara Spitzer-Hobeika
L'Aube spirituelle
Quand chez les débauchés l'aube blanche et vermeille
Entre en société de l'Idéal rongeur,
Par l'opération d'un mystère vengeur
Dans la brute assoupie un ange se réveille.
Des Cieux Spirituels l'inaccessible azur,
Pour l'homme terrassé qui rêve encore et souffre,
S'ouvre et s'enfonce avec l'attirance du gouffre.
Ainsi, chère Déesse, Etre lucide et pur,
Sur les débris fumeux des stupides orgies
Ton souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,
À mes yeux agrandis voltige incessamment.
Le soleil a noirci la flamme des bougies;
Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,
Ame resplendissante, à l'immortel soleil!
— Charles Baudelaire
Photo edited from original by Tamara Spitzer-Hobeika
Recolorisation Jana Hobeika
Spiritual Dawn
When debauchees are roused by the white, rosy dawn,
Escorted by the Ideal which gnaws at their hearts
Through the action of a mysterious, vengeful law,
In the somnolent brute an Angel awakens.
The inaccessible blue of Spiritual Heavens,
For the man thrown to earth who suffers and still dreams,
Opens and yawns with the lure of the abyss.
Thus, dear Goddess, Being, lucid and pure,
Over the smoking ruins of stupid orgies,
Your memory, clearer, more rosy, more charming,
Hovers incessantly before my widened eyes.
The sunlight has darkened the flame of the candles;
Thus, ever triumphant, resplendent soul!
Your phantom is like the immortal sun!
— William Aggeler, The Flowers of Evil (Fresno, CA: Academy Library Guild, 1954)
Photo edited from original by Tamara Spitzer-Hobeika
Recolorisation Jana Hobeika
Spiritual Dawn
When in the company of the Ideal
(That gnawing tooth) Dawn enters, white and pink,
The rooms of rakes — each sated beast can feel
An Angel waking through the fumes of drink.
For downcast Man, who dreams and suffers still,
The azure of the mystic heaven above,
With gulf-like vertigo, attracts his will.
So, Goddess, lucid Being of pure love,
Over the smoking wreck of feasts and scandals,
Your phantom, rosy and enchanting, flies
And still returns to my dilated eyes.
The sun has blackened out the flame of candles.
So your victorious phantom seems as one,
O blazing spirit, with the deathless Sun!
— Roy Campbell, Poems of Baudelaire (New York: Pantheon Books, 1952)
Photo edited from original by Tamara Spitzer-Hobeika
Recolorisation Jana Hobeika
L'Aube spirituelle
when to the drunkard's room the flushing East
comes with her comrade sharply-clawed, the Dream,
she wakens, by a dark avenging scheme,
an angel in the dull besotted beast.
deep vaults of inaccessible azure there,
before the dreamer sick with many a phasm,
open, abysmal as a beckoning chasm.
thus, deity, all pure clear light and air,
over the stupid orgy's reeking track
— brighter and lovelier yet, thine image flies
in fluttering rays before my widening eyes.
the sun has turned the candles' flame to black;
even so, victorious always, thou art one
— resplendent spirit! — with the eternal sun!
— Lewis Piaget Shanks, Flowers of Evil
(New York: Ives Washburn, 1931)
Photo edited from original by Tamara Spitzer-Hobeika
Recolorisation Jana Hobeika
Source : http://fleursdumal.org/poem/141
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mardi, 26 février 2013
Le paquet de gâteaux du dimanche - Delerm
Philippe Delerm (né en 1950)
Extrait de La première gorgée de bière, 1997, Philippe Delerm, Gallimard :
Le paquet de gâteaux du dimanche
Des gâteaux séparés, bien sûr. Une religieuse au café, un paris-brest, deux tartes aux fraises, un mille-feuille. A part pour un ou deux, on sait déjà à qui chacun est destiné - mais quel sera celui-en-supplément-pour-les-gourmands ? On égrène les noms sans hâte. De l'autre côté du comptoir, la vendeuse, la pince à gâteaux à la main, plonge avec soumission vers vos désirs ; elle ne manifeste même pas d'impatience quand elle doit changer de carton - le mille-feuille ne tient pas. C'est important ce carton plat, carré, aux bords arrondis, relevés. Il va constituer le socle solide d'un édifice fragile, au destin menacé.
- Ce sera tout !
Alors la vendeuse engloutit le carton plat dans une pyramide de papier rose, bientôt nouée d'un ruban brun. Pendant l'échange de monnaie, on tient le paquet par en-dessous, mais dès la porte du magasin franchie, on le saisit par la ficelle, et on l'écarte un peu du corps. C'est ainsi. Les gâteaux du dimanche sont à porter comme on tient un pendule. Sourcier des rites minuscules, on avance sans arrogance, ni fausse modestie. Cette espèce de componction, de sérieux de roi mage, n'est-ce pas ridicule ? Mais non. Si les trottoirs dominicaux ont goût de flânerie, la pyramide suspendue y est pour quelque chose - autant que çà et là quelques poireaux dépassant d'un cabas.
Paquet de gâteaux à la main, on a la silhouette du professeur Tournesol - celle qu'il faut pour saluer l'effervescence d'après messe et les bouffées de P.M.U., de café, de tabac. Petits dimanches de famille, petits dimanches d'autrefois, petits dimanches d'aujourd'hui, le temps balance en encensoir au bout d'une ficelle brune. Un peu de crème pâtissière a fait juste une tache en haut de la religieuse au café.
Source : http://petitplatbysk.blogspot.fr/2010/07/patisserie-franc...
Se procurer l'ouvrage :
La première gorgée de bière
Philippe Delerm
1997
Coll. L'Arpenteur, Gallimard
91 pages
07:50 Publié dans Ecrits, littérature contemporaine | Lien permanent | Commentaires (1)
jeudi, 21 février 2013
How ugly an author can get
James, if you happen to land on this page, I here cite your text as I appreciate it and want to share it. Keep blogging.
Texte extrait du blog de James Altucher :
http://www.jamesaltucher.com/2011/01/im-guilty-of-torture/
I used to torture her on almost a daily basis. It was almost to the point where I can’t forgive myself. I remember one sorry anguished moment where she was crying and begging me to stop but I couldn’t because I’m an addict. Sometimes torturers can’t help it. Whether its nature or nurture they feel the need to keep going at it.
I was 24 years old and I had just sent out my very first novel to about 20 publishers and 20 agents. I had misappropriated the copy machine in graduate school right before they kicked me out (cc: Merrick Furst, now a dean at Georgia Tech) so I could print up 50 or so copies of my novel. All of the publishers and all of the agents responded with a form letter rejection but I didn’t know that yet. All I knew was that I had to write the second novel.
Within hours of starting the second novel I had doubts about the topic. Was it boring? I started asking her. We were walking in the street in Pittsburgh. Pittsburgh has no people in it so its ok to walk in the street at all times of the day or night. I kept asking her about who she thought the audience was for the novel. I was skeptical of all her answers but I knew, since I had already put two solid hours of hard work into this masterpiece, that I had to finish it no matter how long it took or what she said. Finally she said: “will you stop talking to me about King fucking David for one second?”
But I couldn’t stop. For months and months thats all I talked about. I would write 1500 words in the morning, read novels for about four hours so I would stay in the flow, and then write about 1500 words at night. Any break I had I would talk to her about what I was writing.
She was working on her PhD in anthropology. What was her topic? I have no clue. We were a couple for three years. We lived together. Two of our bookcases were filled with her books and two with mine. I have no idea what she wrote her PhD on. Something about pregnant women in Sardinia. I think she’s a lawyer now. Or a mother. Or a lawyer/mother.
I took a break once. There was a contest where you had to write a novel in one weekend. I did it. About 120 pages. It was called: “The Porn Novelist, The Romance Novelist, the Prostitute, and They’re Lovers.” Not having any experience with anything remotely related to the protagonists I can now say it is unreadable. Particularly since I just re-read it a few weeks ago.
Finally I finished my novel and I gave it to Sue K. to read. I would use her last name except she de-friended me on Facebook about two years ago and so maybe she wants her privacy.
I sat there while she read it. I didn’t really move at all because its very important to read the facial reactions of the girl who you are going out with and living with who is reading your book. Like if she smirks a little I would need to know what line she was smirking about, why she was smirking, and whether or not she was faking her smirk.
About nine hours later she finished reading all 416 pages. She closed the last page, and said, “that was fantastic. I really really liked it.” She said again, “I really liked it.”
I asked her to describe to me how it ended. The final chapter that was like the code-breaker to the rest of the novel, without which the novel could not be understood. Because I was an artist.
She turned red. “It was great,” she said.
“But ok, just tell me what happened in the last chapter.”
“I’m tired,” she said. She had been sitting there for nine hours. I forget now if I fed her at all during this time.
“Just tell me what happened in the last chapter. How can you say it was great and not know what happened in the last chapter?” She started to cry. And so I began to torture her because she was deliberately ruining my entire life. I feel bad now. She’s a respected lawyer/mother/PhD somewhere in the United States.
“Please,” she said, “I read it but I’m tired right now. I just can’t remember this second. I’m on the spot.”
No, I said. I’M ON THE SPOT! Because you just read my novel and now we need to have a discussion about it.
A few years after we had broken up, we were still friends. We would talk on the phone every few months. Old friends who lived in distant cities used to do that in the late 20th century. She was about to get married to the guy she met after me.
“He makes toys,” she said, “and works from home in a workshop he set up.” That sounds neat, I said, he must be good with his hands. “Oh yes,” she said, and giggled, “he’s very good with his hands.” And, with just those words, she got her revenge.
07:00 Publié dans Ecrits, littérature contemporaine, Trivialités parisiennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : james altucher
mercredi, 20 février 2013
L'autoroute la nuit - Delerm
Crédits photographiques Karim Hobeika
Extrait de La première gorgée de bière, 1997, Philippe Delerm, Gallimard :
L'autoroute la nuit
[...]
Dehors, dans le faisceau des phares, entre le rail à droite et les buissons à gauche, c'est la même inquiétude. Mais on ouvre la vitre d'un seul coup, et le dehors vient gifler la demi-somnolence : c'est la vitesse crue qui resurgit. Dehors, cent vingt kilomètres à l'heure ont la densité compacte d'une bombe d'acier lancée entre deux rails.
[...]
Cafétéria dix kilomètres. On va s'arrêter. Déjà on aperçoit la cathédrale de lumière toute plate au loin, et de plus en plus large, comme le port s'avance à la fin d'un voyage en bateau. Super + 98. Le vent est frais. Cet assentiment mécanique du bec verseur, le ronronnement du compteur. Puis la cafétéria, une épaisseur vaguement poisseuse, comme dans toutes les gares, tous les havres nocturnes. Expresso - supplément sucre. C'est l'idée du café qui compte, pas le goût. Chaleur, amertume. Quelques pas gourds, le regard vague, quelques silhouettes croisées, mais pas de mots. Et puis le vaisseau retrouvé, la coque où l'on se moule. Le sommeil est passé. Tant mieux si l'aube reste loin.
Crédits photographiques Karim Hobeika
Se procurer l'ouvrage :
La première gorgée de bière
Philippe Delerm
1997
Coll. L'Arpenteur, Gallimard
91 pages
07:21 Publié dans Ecrits, littérature contemporaine, Photographie | Lien permanent | Commentaires (0)