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vendredi, 06 juillet 2012

Le Rouge et le noir - Stendhal 2/2

Nouvelle édition, augmentée... 

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Téléfilm : Le Rouge et le noir (1997, durée 1h35 & 1h50)

Réalisateur : Jean-Daniel Verhaeghe

D'après Stendhal.

Julien Sorel (Kim Rossi Stuart), Louise de Rênal (Carole Bouquet), monsieur de Rênal (Bernard Verley), Mathilde de La Môle (Judith Godrèche),  le marquis de La Môle (Claude Rich), Elisa (Camille Verhaeghe), l'abbé Pirard (Rüdiger Vogler), l'abbé Chelan (Maurice Garrel), le comte Altamira (Francesco Acquaroli), madame de Fervaques (Claudine Auger)

 

¤   ¤   ¤   deuxième partie   ¤   ¤   ¤

 

Julien Sorel : Oui, je suis le secrétaire du marquis mais je ne suis pas payé pour assister à leurs soirées. Ils croient me faire plaisir. Je serais cent fois plus heureux de dîner tout seul dans une petite auberge à quatre sous.

L'abbé Pirard : Julien, tout Paris se bat pour être invité dans cette maison. C'est une famille puissante. Leurs amis les respectent et le respect n'est jamais amusant.

Julien Sorel : Vous auriez vu le regard que porte sur eux la fille du marquis. Elle est assez prétencieuse mais elle n'est pas idiote. Tout le contraire de son fiancé, elle, elle n'est pas dupe. C'est le plus doré et le plus ridicule du groupe.

L'abbé Pirard : Calme-toi.

Julien Sorel : Alors c'est décidé ? Vous partez pour la Normandie.

L'abbé Pirard : Dès ce soir.

Julien Sorel : Si seulement vous pouviez faire quelque chose pour ces dîners, ces réceptions, si vous pouviez obtenir, je ne sais pas, que...

L'abbé Pirard : Ne compte pas sur moi.

Julien Sorel : Je serais si heureux tout seul dans ma chambre avec le Mémorial de Sainte-Hélène. J'ai eu la chance de le trouver dans une très belle édition.

L'abbé Pirard : Les leçons du Christ sont aussi profitables et moins dangeureuses pour ta réputation. Je reviendrai dans quelques mois.

Julien Sorel : Je vais être très seul.

 

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Julien Sorel : Je peux vous aider ?

Mathilde de La Môle : Rien ne vous y oblige. Vous n'êtes pas payé pour ça.

Julien Sorel : Je suis payé pour vous répondre avec politesse. Et je vis de mon salaire.

Mathilde de La Môle : Je cherche Beaumarchais et Walter Scott. Vous savez où ils se trouvent ?

Julien Sorel : Je vous demande un instant, je ne suis pas encore habitué.

Mathilde de La Môle : Et Le mémorial de Sainte-Hélène, il y a ça ici ? Ou alors dans votre chambre, peut-être.

Julien Sorel : ... Walter Scott, il me semble en avoir vu un volume ce matin... Moi, mademoiselle, je crois que la France n'a jamais été aussi haut dans l'estime des peuples que pendant les treize années au cours desquelles l'empereur a régné.

Mathilde de La Môle : Régner, c'est bien le mot. Avec ses chambellans, sa noblesse de dentelle et ses réceptions, il a rendu à la France toutes les niaiseries d'avant la révolution.

Julien Sorel : Ce n'est pas tout ce qu'il a fait.

Mathilde de La Môle : Faire tuer dix mille soldats sur les champs de bataille, c'est plus courageux en effet.

Julien Sorel : Oui, mais il y était, lui, sur les champs de bataille !! C'est plus risqué que de se retrancher dans les beaux quartiers, en tremblant de peur que la révolution ne revienne ! Walter Scott, Ivanhoé, voilà.

Mathilde de La Môle : La règle étant de ne parler à dîner ni de Dieu ni du roi, ni de l'opposition ni de la révolution, surtout pour en dire du bien, il ne nous reste plus que le temps qu'il fait. Moi aussi j'trouve ça mortel. Alors si vous avez d'autres idées, surtout ne vous gênez pas.

Julien Sorel : Si vous décidez de parler de cet incident à votre père, je partirai dans l'heure.

 

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Le comte Altamira : On ne s'amuse plus en France, plus de passion, plus de folie. Même la cruauté n'est plus drôle, quel gâchi !

L'homme qui arbitre le duel : Messieurs, quand vous voulez.

Le comte Altamira : J'ai visé l'articulation, j'espère que je ne vous ai pas fait trop mal.

[...]

Le comte Altamira à lui-même : Il y a toujours une première fois, je viens de me battre avec un domestique.

 

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: Je décide où je vais et quand je pars.

Mathilde de La Môle : Oui, mais pas avec qui. Eh bien moi, je ne crois pas que je m'ennuierais moins si je m'appelais la duchesse de Croisenoix. Tiens, regarde. Là, tu vois, je ne lui donne pas cinq minutes pour qu'il me parle de la poésie du midi, des herbes de provence et des bienfaits de l'huile d'olive.

: Mathilde ! Vous avez un teint ! Je sais, la couleur de la Provence, le teint du thin et de la marjorie.

: J'adore cette valse.

 

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: Vous cherchez quelqu'un ?

Mathilde de La Môle : On sait jamais. Il y a peut-être dans tout ça une personne qu'on connait pas, qui a une drôle de tête, je sais pas, quelqu'un d'un peu inattendu.

: Eh bien vous avez de la chance, vous avez derrière vous un condamné à mort.

 

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Le comte Altamira : Vous, les Français, vous manquez de légèreté. Les Lumières, elles sont bien éteintes aujourd'hui ! L'argent a gagné sur les idées. Que serait Danton aujourd'hui ?

Julien Sorel : Un voleur.

Le comte Altamira : Même pas, un vendu ! Mais tous ! Napoléon, n'en parlons pas, quel voleur celui-là.

Mathilde de La Môle : Faut-il mieux voler ou se vendre ? Alors comme ça vous êtes amis ?

Le comte Altamira : Nous avons des tas de choses en commun, comme souvent les personnes... comment dire, dépassées. Parsonnez-moi, j'aperçois une ordure à laquelle je dois dire deux mots.

Mathilde de La Môle : Vous êtes beaucoup sorti à Paris ? On dit que c'est le plus joli bal de la saison.

Julien Sorel : Il m'est difficile d'en juger, c'est mon premier bal, mademoiselle. Mais il a l'air magnifique.

Mathilde de La Môle : Rousseau disait "toutes ces folies m'étonnent mais ne me séduisent pas". Je suppose que mon père ne vous paie pas non plus pour me parler de Jean-Jacques Rousseau. Qu'est-ce qu'il y a ?

Julien Sorel : Rien, je regardais vos yeux. Ils sont... ils sont vraiment très beaux.

Madame la maréchalle de Fervac  : Votre père m'a tuée, je vais boire une tisane, vous en voulez une ? Ca arrêtera les battements de mon cœur.

Mathilde de La Môle : Non merci, je vais danser avec mon fiancé, je pense que ça me fera le même effet.

Madame la maréchalle de Fervac : Julien, un jour vous me la direz au moins, la vérité ? Qui était votre père ? Ne suis-je pas votre amie ? Vous pouvez me le dire, j'adore les confidences.

 

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Mathilde de La Môle : Il y a ici quelqu'un que vous aimiez ?

Julien Sorel : Oui. Il y a quelqu'un, oui. Et vous ?

Mathilde de La Môle : Ah, moi, j'viens souvent ici. J'me promène. Je regarde les noms, les dates. Parfois il y a un médaillon, une épitaphe, on imagine plein de choses. Vous savez, j'me fiche complètement de c'que les gens pensent de moi. On vous a dit pourquoi je porte le deuil le dernier jour d'avril ?

Julien Sorel : Non.

Mathilde de La Môle : Je porte le deuil par amour. Par amour pour une forme d'amour qui n'existe plus. La Môle, mon ancêtre, et Margot, la reine de Navarre, ont bravé les lois, les convenances. Il s'est damné pour elle. Et comme elle n'avait rien à lui sacrifier, à part sa réputation, elle l'a aimé devant tout le monde. Ils ont fini par le tuer. Il avait vingt ans. A la seconde où il l'a rencontrée, il a su, il a su qu'elle serait son seul amour et qu'il en mourrait. A Marguerite, on avait dit, comme on dit aux princesses, qu'elle serait plus heureuse que les autres, à cause de sa naissance et aussi parce qu'elle était très belle. Mais c'était pour mieux l'enfermer. C'est à cause de ce genre de choses que les rois deviennent fous, ou qu'ils meurent d'ennui. Quand il est mort, elle est allée chez le bourreau. Elle a embrassé ses lèvres mortes, elle a entouré sa tête, son cou ensanglanté avec des linges et elle l'a emmené. Elle l'a enterré dans un endroit secret. Et tous les trente avril du mois, jusqu'à ce qu'elle meurt, elle est revenue. Je ne veux pas qu'on les oublie. J'admire cet amour parce qu'il est hasardeux, dangeureux, fougueux. Sinon ça vaut pas la peine de vivre, non ? Il y a ici une femme que vous aimez, que vous aimez encore ? Vous pouvez me le dire, vous savez, je sais garder un secret.

Julien Sorel : Non, pas une femme. J'étais sur la tombe du maréchal Ney. Pour vous, c'est un traître, mais pour moi, non. Ce n'est pas un traître.

Mathilde de La Môle : Oh non, pas lui. A l'époque, on mourait pour une idée, jamais pour une médaille.

Julien Sorel : Moi, il y a vingt ans, j'aurais pu mourir pour de l'espoir.

Mathilde de La Môle : L'espoir d'un monde meilleur ?

Julien Sorel : Vous êtes cynique.

Mathilde de La Môle : Vous êtes bien susceptible.

Julien Sorel : Non, non, je ne suis pas susceptible, je suis jaloux. Vous avez une liberté de parole, de goût que moi je ne connaîtrai sans doute jamais, hélas.

Mathilde de La Môle : Mais pourquoi ?

Julien Sorel : Mais parce que je suis pauvre. Parce que pas même une pensée n'est... pas même une pensée n'est gratuite quand on a les poches vides. Pardonnez-moi, je n'ai... je n'ai pas l'habitude de me livrer, de cette façon.

Mathilde de La Môle : Il y a beaucoup d'orgueil de parler de sa pauvreté à quelqu'un d'aussi riche que moi. Vous méprisez l'argent ?

Julien Sorel : Non, je méprise l'aigreur de ceux qui n'ont rien et l'arrogance de ceux qui ont tout.

Mathilde de La Môle : Vous êtes bien malheureux alors.

Julien Sorel : Et vous, non ? 

 

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Julien Sorel : Et alors elle a buté contre une pierre, elle s'est agrippée à moi, elle s'est agrippée à moi pour se redresser.

Le comte Altamira : Montrez-moi.

Julien Sorel : Voilà, comme ça.

Le comte Altamira : Aussi fort ? La main, sur la main ou sur la manchette ? La peau a touché la peau ?

Julien Sorel : Bien sûr, oui, nous nous sommes effleurés. Ma peau a touché la sienne.

 

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Mathilde de La Môle : Et là tout à coup, il s'est passé une chose complètement inattendue, une chose qui je croyais ne m'arriverait jamais. J'ai arrêté de m'ennuyer. Il venait de m'avouer toute sa pauvreté, ses souffrances, ses humiliations.

 : Après tout, ce n'est qu'un domestique.

Mathilde de La Môle : J'ai eu tellement mal pour lui. Alors j'ai pensé, est-ce que je l'aime ?

 

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Julien Sorel : Pour la première fois, je l'ai trouvée belle, très belle, vraiment très belle [...]. Elle s'est mise à me parler de tout.

Le comte Altamira : Attention, ne rentre pas dans le rôle du confident.

Julien Sorel : Et puis nous sommes rentrés en calèche ensemble et j'ai voulu, j'ai eu envie qu'elle me parle de son fiancé. "Je reçois des dizaines de lettres, de lui, des autres, toutes les mêmes, mélancoliques, passionnées soi-disant, mais d'une prudence." Et là, j'ai commis une erreur, je lui ai dit "Mais il ne comprend rien", et elle "Mais, comprendre quoi ?", "Eh bien, que c'est l'imprudence qui vous intéresse".

 

¤     ¤     ¤

 

Mathilde de La Môle : J'ai détesté qu'il m'ait mise à nu de cette façon, je l'ai haï. Surtout quand il m'a dit "Vous l'aimez bien tout de même, ce que vous détestez en lui, c'est le futur mari, c'est tout." Pfff, quel aplomb, pour qui se prend-il, ce fils de charpentier ? ... Quand nous nous sommes revus dans la bibliothèque, j'ai été odieuse, insupportable.

 

¤     ¤     ¤

 

Julien Sorel : Et alors, depuis ce jour, amie, ennemie, elle passe d'un état à l'autre. Parfois elle est glaciale, hautaine, et puis soudain, elle se tourne vers moi, et elle me sourit, elle est gentille, elle me... elle me regarde mais... mais me regarde comme si...

Le comte Altamira : Elle... elle te regarde comme... comme si elle t'aimait ?

Julien Sorel : Non. Non, je connais le regard d'une femme amoureuse. Et puis pourquoi moi ? Pourquoi moi ? Philippe de Croisenoix à tout ! Il a le nom, les terres, le titre, la famille. Mais j'aime bien les batailles perdues, tu le sais. Au moindre signe d'humeur, je disparais un ou deux jours. Ou bien alors je l'ignore complètement. Et quand je l'ignore, elle vient me chercher. C'est elle qui vient me chercher, c'est toujours elle.

Le comte Altamira : Mais tout ça, c'est de la stratégie. Ce que tu veux, c'est qu'elle te choisisse, toi, plutôt qu'un descendant des Croisenoix qui a fait les croisades, hein, c'est ça, non ?

Julien Sorel : Qu'elle me choisisse. Nous verrons après si je l'aime.

 

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Julien Sorel : Me voilà.

Mathilde de La Môle : Je vous ai vu partir, revenir. J'ai cru que vous alliez jamais vous décider. Il faut enlever l'échelle. Mais arrêtez, qu'est-ce que vous faites !? J'ai préparé une corde.

Julien Sorel : Il semblerait que vous ayez l'habitude.

Mathilde de La Môle : Qu'est-ce que vous voulez dire ?

Julien Sorel : Vous avez couché avec Croisenoix et peut-être avec d'autres, non ?

Mathilde de La Môle : Vous êtes le premier à venir dans cette chambre... Vous avez si peur que ça ?

Julien Sorel : Ce n'est pas lâche d'avoir peur, beaucoup d'imbéciles sont courageux.

Mathilde de La Môle : J'ai décidé de vous aimer parce que vous n'êtes pas comme les autres. Parce que ça n'était pas prévu, parce que je sais pas qui vous êtes.

Julien Sorel : Vous avez "décidé" de m'aimer ? Vous croyez parler d'amour mais vous ne parlez que de vous.

Mathilde de La Môle : Attends ! Je veux être à toi, je suis à toi. Viens. Viens.

 

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Julien Sorel : Alors vous pensez pouvoir me traiter comme un être inférieur qui vous aimera quand ça vous amusera ?

Mathilde de La Môle : Rassurez-vous, ça ne m'amuse plus. Vous osez m'interpeler en public ! Vous voulez faire un scandale ? Crier à tout le monde que je me suis donnée à vous ? Eh bien allez-y, faites-le, allez-y !!

Julien Sorel : C'est vous qui faites un scandale.

Mathilde de La Môle : Et alors ? Je suis chez moi ici. J'ai changé d'avis, je me suis trompée. Vous m'intéressez pas. Et si dans votre petite tête de parvenu, vous vous êtes fait des illusions...

Julien Sorel : Taisez-vous, arrêtez.

Le comte Altamira : J'ai vu vos airs de trimonphe ! Je vous ai vu me regardez comme un propriétaire !

Julien Sorel : Arrêtez !

Le comte Altamira : Vous avez été le premier, benh vous serez pas le dernier !

Julien Sorel : Taisez-vous, arrêtez !

Mathilde de La Môle : Vous êtes qu'un fils de paysan, un batard en plus !

Julien Sorel : Arrêtez !

Mathilde de La Môle : Tue-moi si tu veux ! Vas-y... T'as voulu me tuer ?

Julien Sorel : Vous voyez ces débris ? Ils sont l'image exacte des sentiments que je vous portais.

 

¤     ¤     ¤

 

Julien Sorel : Mathilde, je suis devenu fou, j'ai peur de mes actes, de ce que je suis capable de faire.

Mathilde de La Môle : Plus jamais je me révolterai. Je te le jure. T'as voulu m'tuer, t'as voulu tout risquer pour moi.

Julien Sorel : Qu'est-ce que tu fais ?

Mathilde de La Môle : Si jamais j'te trompe, rappelle-moi que j'ai juré d'être à toi toute ma vie.

Julien Sorel : Mais alors tu m'aimes... Alors tu m'aimes.

Mathilde de La Môle : Benh oui je t'aime.

 

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Le Marquis de La Môle : Il y a une chose que j'aimerais savoir. Au moins y a-t-il eu pour vous, à un moment quelconque, un amour imprévu ?

Julien Sorel : Comment ça, un amour imprévu ?

Le Marquis de La Môle : Vous savez que j'ai cent mille écus de rente, que j'aime ma fille plus que tout. Tout ça vous le saviez ! J'ai du mal à croire que Mathilde, la première, a pris l'initiative, mais admettons. Pourquoi n'avez-vous pas fui ? C'était votre devoir.

Julien Sorel : Je vous l'ai demandé, je vous ai demandé de m'envoyer plutôt à Londres ! Vous vous en souvenez ?

Le Marquis de La Môle : Vos sentiments, il n'y a jamais eu de vulgarité ? De vulgarité matérielle dans vos sentiments ?

Julien Sorel : Je ne suis pas intéressé par l'argent.

Le Marquis de La Môle : Qui es-tu ? Qu'est-ce que tu veux ?

Julien Sorel : J'aime la vie, je veux vivre pour mon fils maintenant ! Vous ne pouvez pas me priver de cet amour, de mon enfant, et de Mathilde. Et je sais que vous ne pouvez pas vivre sans elle. Et elle ne peut pas vivre sans moi. 

 

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Un militaire : Ce qui les énerve, c'est que vous soyez lieutenant sans jamais avoir été sous-lieutenant.

Julien Sorel : C'est compréhensible. Et ils n'ont encore rien vu. Avant mes trente ans, je serai général, c'est moi qui te le dis.  

 

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Julien Sorel : Toi aussi, tu es venu.

Le comte Altamira : Mais qu'est-ce qui t'a pris ? Tu avais tout. Quelle mouche t'a piqué ?

 

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Louise de Rênal : Comment est-il ?

: Oh, c'est difficile à dire. Il a l'air ailleurs, comme si déjà... Il doit se préparer, il paraît qu'il veut se défendre lui-même. Il m'a envoyé un ami, un Italien, il voulait savoir comment tu te portais.

Louise de Rênal : Il a demandé de mes nouvelles ? Mon Dieu, il a demandé comment je me portais...

 

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Julien Sorel : Messieurs les jurés, je n'ai pas l'honneur d'appartenir à votre classe. Je ne vois parmi vous ni artisans, ni ouvriers, ni paysans enrichis. Ce qui veut dire que je ne serai pas jugé par mes pairs, pour l'abominable crime que j'ai commis. Je ne me fais aucune illusion, je ne requiers... je ne requiers aucune faveur. Mon crime est atroce. Il était prémédité. Je mérite donc la mort pour avoir attenté à la vie d'une femme. Une femme digne de respect, pure, une femme que j'ai tellement aimée, que j'ai aimée comme... comme la mère que je n'ai jamais eue, comme une sœur, et pour laquelle j'avais une adoration, une adoration sans borne. Parce qu'elle m'a montré que la douceur et la générosité existaient dans ce monde. Elle seule m'a laissé entrevoir l'horizon du bonheur. Donc je mérite la mort, oui. Je dois être puni pour le crime que j'ai commis. Je vois dans cette salle des hommes qui souhaitent me punir pour un autre crime !! Un crime qui à leurs yeux est encore plus grave !! Je vois dans cette salle des hommes, qui à travers cette faute capitale, veulent essayer de décourager cette génération de jeunes gens !! Ces jeunes gens, nés dans les classes inférieures !! Ces jeunes gens opprimés, opprimés et révoltés par votre mépris, révoltés par l'inégalité. Ces jeunes gens qui ont l'audace de réclamer une bonne éducation, ces jeunes gens qui veulent prendre, qui veulent prendre une place dans ce que vous, les riches, vous appelez "la société" ! Pour vous, ceci est un crime. Regardez-vous, votre terreur est inscrite sur vos visages. Vous avez peur que l'on vous enlève encore une fois tous vos privilèges ! Vos économies ! Vous avez peur, peur, oui, et c'est normal. Oui, c'est normal, parce que la révolution n'est pas loin !! Elle est à vos portes !! Vous ne voulez pas l'entendre, hein !? Vous ne voulez pas l'entendre ! Vous ne voulez pas l'entendre !! Mais elle viendra !! Elle viendra !! Rien ne pourra arrêter les forces de la fraternité !! Les forces de l'égalité !!

 

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Julien Sorel : Tu n'as pas aimé ma plaidoirie ? Dommage. Pour la première fois, j'ai été sincère, j'ai improvisé. Certainement pour la dernière fois aussi.

Mathilde de La Môle : Signe, Julien, signe là et dans deux mois...

Julien Sorel : Je préfère mourir tout de suite, tant que j'ai encore du courage.

Mathilde de La Môle : Tu ne signes pas.

Julien Sorel : Non, je ne signe pas.

Mathilde de La Môle : Toi qui maudis soi-disant l'hypocrisie, t'es le plus hypocrite de tous. Alors s'il te plait, fais un effort, une dernière fois, essaie d'être sincère ! Tu aimes cette femme, tu l'aimes et tu l'as toujours aimée ! Tu crois que tu as voulu la tuer par vengeance ou par amour pour moi ? Tu te mens à toi-même. T'as voulu la tuer parce que tu l'aimes. Et si c'était elle aujourd'hui qui te suppliait de signer ton appel, tu le ferais. T'as toujours fait ce qu'elle a voulu. Et même cette lettre, cette lettre ignoble qu'elle a envoyé pour te perdre, là encore elle a réussi à te faire faire exactement ce qu'elle voulait. Se punir et te perdre. J'la hais ! J'la hais et je maudis le jour où je t'ai rencontré !

 

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Julien Sorel : Tu es venue.

Louise de Rênal : Tais-toi. Laisse-moi te regarder.

Julien Sorel : Pardonne-moi. Je t'en prie.

Louise de Rênal : Non, pardon, c'est toi qui dois m'pardonner.

Julien Sorel : Je t'ai toujours aimée, toujours aimée, tu es la seule que j'aime. Ta blessure ?

Louise de Rênal : Non !

Julien Sorel : Fais voir. Montre-moi.

Louise de Rênal : C'est fini.

Julien Sorel : Comment ai-je pu te faire ça ?

Louise de Rênal : Et moi, comment ai-je pu envoyer cette lettre abominable ? C'est pas moi qui l'ait écrite, tu sais ? Je l'ai recopiée, je l'ai signée. J'ai tellement honte. Pardonne-moi, mais j'étais jalouse, ton bonheur avec cette jeune fille. Tu peux m'le raconter maintenant ?

Julien Sorel : Tu es la seule que j'aime. Tu es la seule que j'ai jamais aimée. Il n'y a que toi.

Louise de Rênal : Pleure pas... J'ai donné une fortune au geôlier. J'pourrai venir tous les jours pendant deux mois. Il faut signer, Julien.

Julien Sorel : C'est pour cette raison que tu es venue ?

Louise de Rênal : Oui, deux mois avec toi. Puis après on se quittera.

Julien Sorel : Que veux-tu dire ?

Louise de Rênal : Rien.

Julien Sorel : Je vais signer, mais à une seule condition. Jamais, jamais tu t'attenteras à tes jours.

Louise de Rênal : Et si nous mourrions ici ensemble.

Julien Sorel : Non. Non. Je préfère passer deux mois avec toi. Tu m'le jures ?

Louise de Rênal : Je te l'jure.

Julien Sorel : Je suis si heureux. Tu viendras tous les jours ?

Louise de Rênal : Tous les jours, oui.

 

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Mathilde de La Môle : L'appel est rejeté. Je ne lui ai pas encore dit. Je pense que ça lui fera plaisir. Pourquoi veut-il mourir, vous le savez ? Il vous parle plus qu'à moi.

Louise de Rênal : Mais non. L'appel est rejeté.

Mathilde de La Môle : Je suis au courant, chacune de vos visites, combien de fois, combien de temps vous restez avec lui. J'vous ai fait surveiller. Au début, j'ai beaucoup pleuré. J'lui ai fait des scènes atroces. Mais j'ai changé. J'ai grandi peut-être. J'ai compris qu'il vous aimait plus que moi. Pourtant vous lui avez fait tant de mal. Il faut beaucoup de force pour accepter ça. Mais j'en ai. J'accepte. Je vais vous surprendre, j'l'aime plus qu'jamais.

Louise de Rênal : Vous m'surprenez pas. Mon Dieu, l'appel est rejeté.

Mathilde de La Môle : Pourquoi n'étiez-vous pas à la prison hier ?

Louise de Rênal : Parce que je suis trop faible quelques fois pour...

Mathilde de La Môle : ... faire semblant d'être bien.

Louise de Rênal : Oui.

Mathilde de La Môle : Il faut y aller demain, c'est important. Il a beau m'dire le contraire, vos visites le rendent très heureux. Vos visites et rien d'autre.

Louise de Rênal : Donnez-moi votre bras, pour que je m'y appuie. Julien est né là où il ne fallait pas, quand il ne fallait pas. Cette noblesse qu'il n'a pas eue, il essaie de la remplacer par la noblesse du cœur. C'est pour ça qu'il veut mourir simplement. Et sans affectation. Pour être digne de vous, de votre enfant.

Mathilde de La Môle : Mon père va voir le roi demain à Saint-Cloud. La grâce est notre dernière chance, mais c'est une chance.

Louise de Rênal : Et si j'y allais moi aussi ? J'me jetterai à ses genoux, je l'implorerai.

Mathilde de La Môle : J'ai voulu faire la même chose, Julien me l'a interdit.

Louise de Rênal : Oui, mais moi je n'ai rien à perdre. Je dirai que je l'ai rendu jaloux, qu'il a menti au procès pour me protéger, que tout est de ma faute. Il y a déjà eu des cas de grâce pour des crimes de ce genre !

Mathilde de La Môle : Julien déteste les scandales. Laissez mon père agir, il y a encore de l'espoir.

Louise de Rênal : J'voudrais vous prendre dans mes bras. Attention, j'ai mal à l'épaule.

 

¤     ¤     ¤

 

Le frère de Mathilde : Le roi n'est plus le roi, il va abdiquer.

Le père de Mathilde : Ce siècle est devenu fou.

 

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Mathilde de La Môle : Pourquoi m'as-tu écrit cette lettre affreuse ? m'ordonner de ne pas te répondre, m'interdire de parler de toi à notre enfant ? Je sors de chez le directeur. J'ai juré que j'étais ta femme, que nous étions mariés secrètement. J'ai tout obtenu : un droit de visite tous les jours, j'habite à deux rues, je me suis installée à Besançon.

Julien Sorel : Mathilde... Je t'en prie, ne me fais pas répéter. Ne me fais pas répéter ce que je t'ai dit dans ma lettre.

Mathilde de Le Môle : Pour les repas, ils te seront livrés deux fois par jour par quelqu'un de chez moi. La cour, celle où il y a les arbres, dorénavant tu peux t'y promener quand tu veux.

Julien Sorel : Je ne veux pas que tu t'occupes de moi, Mathilde... Tu m'oublieras, dans un an tu épouseras Philippe de Croisenoix, tu seras heureuse, tu seras heureuse comme tout le monde. Même si aujourd'hui ça te parait impossible. Tu dois vivre, tu dois quitter le seixième siècle, Mathilde.

Mathilde de Le Môle : Pour l'avocat, j'ai le meilleur, maître Massonnet. Il a sauvé des dizaines d'assassins. Alors que toi, tu ne l'as pas tuée. Tu ne vas pas mourir pour quelqu'un que tu n'as pas tué.

Julien Sorel : Qu'est-ce que tu as dit ? Je ne l'ai pas tuée, c'est ce que tu as dit ? Tu en es certaine ?

Mathilde de Le Môle : Nous allons nous battre. Je te sauverai, Julien. Tu n'as rien fait qui vaille un tel châtiment.

Julien Sorel : Elle est vivante. Mais alors, alors je l'ai blessée, elle doit souffrir, je l'ai blessée. Mais où je l'ai blessée ? Comment va-t-elle ? Tu le sais ? Tu peux te renseigner ? Je veux savoir.

Mathilde de Le Môle : Oui, je peux me renseigner.

Julien Sorel : Elle est vivante. Mais alors, peut-être, va-t-elle me pardonner, peut-être.

Mathilde de Le Môle : Et dans ce cas au procès son pardon sera considéré comme...

Julien Sorel : Procès... C'est vrai, le procès....

Mathilde de Le Môle : Julien, pourquoi as-tu tiré sur cette femme ? Pourquoi ?

Julien Sorel : Il faudra que je me défende, l'éloquence des uns et les injures des autres, les journaux, toute cette vulgarité. Je préfère mourir tranquille.

Mathilde de Le Môle : Si tu meurs, je mourrai. 

 

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Louise de Rênal : Comme vous voyez, monsieur le Juge, je vais très bien. A peine deux mois se sont écoulés et je suis venue en voiture de Verrières à Besançon.

Le juge : Vous souhaitez donc assister au procès.

Louise de Rênal : Oh non, ma présence pourrait faire du tort à monsieur Sorel. On pourrait penser que je suis là pour demander vengeance. Alors que je souhaite plus que tout au monde qu'il soit sauvé.

Le juge : Mais il vous a tiré dessus.

Louise de Rênal : Mais c'était un moment de folie. Tout le monde vous dira à Verrières qu'il avait des lubies, des moments d'égarement. Il passait de l'enthousiasme à la mélancolie comme ça, sans préavis. Mon fils, qui l'adore, pourrait vous le confirmer. Il a des ennemis, qui n'en a pas. Mais personne n'a jamais mis en doute le talent, l'intelligence, la culture profonde de ce jeune homme. Ce n'est pas un être ordinaire que vous allez juger, monsieur. Il connaît la sainte Bible par cœur. C'est un homme pieux, pur.

Le juge : Vous avez écrit le contraire à monsieur de La Môle.

Louise de Rênal : Je le regrette tellement. J'ai été influencée, j'ai été trompée. J'ai perdu la tête. Je comprends que cette lettre l'ait rendu fou.

Le juge : Vous admettez donc que c'est votre lettre qui l'a poussé à ce geste effroyable. D'ailleurs il vous a tiré dessus une deuxième fois, il y a eu préméditation.

Louise de Rênal : Mais ce n'est pas vrai. Je l'ai vu, il ne savait pas ce qu'il faisait. J'ai reconnu son regard, ce regard un peu vague qu'il avait avant ses crises de délire. Je l'ai vu ! Monsieur le Juge, si par ma faute un innocent est conduit à la mort, ma vie entière en sera empoisonnée. Il n'y a pas eu préméditation. 

 

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Julien Sorel : J'ai obéi à des convenances que je ne respectais pas. J'ai été... j'ai été orgueilleux... j'ai été ambitieux... j'ai obéi à des convenances que je ne respectais pas. J'ai voulu ôter la vie de la seule femme qui pleurera ma mort. Vous voulez un peu de vin ? Ca vous f'ra du bien. Il est bon, Mathilde l'a fait venir de Toscane.

L'abbé Chelan : Continue, mon enfant. Continue.

Julien Sorel : Je n'me suis repenti qu'après l'avoir revue. Vivante. Elle était vivante ! Mon père, j'ai réalisé alors quelque chose de très étrange. Je me suis rendu compte que j'aimais follement cette femme et j'ai compris l'horreur de mon acte. Je l'aime éperduement. Merci, mon père, d'être venu. Il fallait que je vous voie.

L'abbé Chelan : J'ai eu tant de chagrin en apprenant... Je venais de recevoir ta lettre de Strasbourg, et tout cet argent que tu m'as envoyé. Et que je t'ai rapporté.

Julien Sorel : Garde-le pour vous, ou donnez-le à quelqu'un. Vous semblez tellement fatigué.

L'abbé Chelan : Je crois qu'il vaut mieux mourir jeune que d'arriver à cette décrépitude.

Julien Sorel : Je voudrais vous demander quelque chose. Avez-vous peur de la mort ?

L'abbé Chelan : La mort est une aventure individuelle. J'ai eu de la chance, je vis la mienne en compagnie de Dieu. Tu lui as tourné le dos mais il te sera beaucoup pardonné, puisque tu as beaucoup aimé.

Julien Sorel : J'aimerais tant que tout... que tout se passe bien simplement.  Et j'espère ne pas avoir honte de moi avant de mourir.

L'abbé Chelan : Si tu sens ton courage fléchir, pense aux plus beaux moments, aux plus belles lumières. Dieu, lui, ne te tournera pas le dos. Tu n'es pas un monstre, mon enfant, moi je le sais.

 

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