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samedi, 10 novembre 2012

Considérations sur la Jalousie - Corneille, Blake

jalousie, poésie, peinture, corneille, blake
La forme spirituelle du guide des abîmes, William Blake

 
 
 
Extrait de "Jalousie", Pierre de Corneille
 

N'aimez plus tant, Phylis, à vous voir adorée :
Le plus ardent amour n'a pas grande durée ;
Les nœuds les plus serrés sont le plus tôt rompus ;
A force d'aimer trop, souvent on n'aime plus,
Et ces liens si forts ont des lois si sévères
Que toutes leurs douceurs en deviennent amères.

Je sais qu'il vous est doux d'asservir tous nos soins :
... Mais qui se donne entier n'en exige pas moins ;
Sans réserve il se rend, sans réserve il se livre,
Hors de votre présence il doute s'il peut vivre :
Mais il veut la pareille, et son attachement
Prend compte de chaque heure et de chaque moment.
C'est un esclave fier qui veut régler son maître,
Un censeur complaisant qui cherche à trop connaître,
Un tyran déguisé qui s'attache à vos pas,
Un dangereux Argus qui voit ce qui n'est pas ;
Sans cesse il importune, et sans cesse il assiège,
Importun par devoir, fâcheux par privilège,
Ardent à vous servir jusqu'à vous en lasser,
Mais au reste un peu tendre et facile à blesser.
Le plus léger chagrin d'une humeur inégale,
Le moindre égarement d'un mauvais intervalle,
Un sourire par mégarde à ses yeux dérobé,
Un coup d'œil par hasard sur un autre tombé,
Le plus faible dehors de cette complaisance
Que se permet pour tous la même indifférence ;
Tout cela fait pour lui de grands crimes d'état ;
Et plus l'amour est fort, plus il est délicat.
Vous avez vu, Phylis, comme il brise sa chaîne
Sitôt qu'auprès de vous quelque chose le gêne ;
Et comme vos bontés ne sont qu'un faible appui
Contre un murmure sourd qui s'épand jusqu'à lui.
Que ce soit vérité, que ce soit calomnie,
Pour vous voir en coupable il suffit qu'on le dit ;
Et lorsqu'une imposture a quelque fondement
Sur un peu d'imprudence, ou sur trop d'enjouement,
Tout ce qu'il sait de vous et de votre innocence
N'ose le révolter contre cette apparence,
Et souffre qu'elle expose à cent fausses clartés
Votre humeur sociable et vos civilités.
Sa raison au dedans vous fait en vain justice,
Sa raison au dehors respecte son caprice ;
La peur de sembler dupe aux yeux de quelques fous
Etouffe cette voix qui parle trop pour vous.
La part qu'il prend sur lui de votre renommée
Forme un sombre dépit de vous avoir aimée ;
Et, comme il n'est plus temps d'en faire un désaveu,
Il fait gloire partout d'éteindre un si beau feu :
Du moins s'il ne l'éteint, il l'empêche de luire,
Et brave le pouvoir qu'il ne saurait détruire.

Voilà ce que produit le don de trop charmer.
Pour garder vos amants faites-vous moins aimer ;
Un amour médiocre est souvent plus traitable :
Mais pourriez-vous, Phylis, vous rendre moins aimable ?
Pensez-y, je vous prie, et n'oubliez jamais,
Quand on vous aimera, que l'amour est doux ; mais...

  

jalousie, poésie, peinture, corneille, blake
Pierre Corneille (1606-1684)

 
 
 
 

samedi, 03 novembre 2012

Considérations sur la mémoire - Albert Chapelle

 

albert chapelle, anthropologie
Albert Chapelle (1929-2003)

 

Extrait d'Anthropologie, 1998, Albert Chapelle, Institut d'études théologiques de Bruxelles :

 

La mémoire est la puissance de l'esprit par laquelle la liberté fait acte de présence à ce qu'elle a vécu. Faire mémoire de ce qui a été vécu, c'est y découvrir le sens...

Quand la mémoire n'a pas travaillé à recueillir les restes de sa douleur, l'homme reste sans raison, enfermé dans sa souffrance...

Il faut la réminiscence de la mémoire pour que l'homme se retrouve, se reconnaisse et par là même connaisse le chemin qu'il veut emprunter...

Ce travail de la mémoire est décisif pour l'éducation de la vie spirituelle, pour la reconnaissance des personnes, pour l'intelligence de leur destinée.

 

> http://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Chapelle

 

albert chapelle, anthropologieSe procurer l'ouvrage :

Anthropologie

Albert Chapelle

1998, 2007

Institut d'études théologiques de Bruxelles

282 pages

http://www.amazon.fr/Anthropologie-Albert-Chapelle/dp/2872991611

 

 

vendredi, 02 novembre 2012

Considérations sur la littérature - Jacqueline de Romilly

 

Jacqueline de Romilly.jpg Jacqueline de Romilly (1913-2010)

 

Extraits de Le Trésor des savoirs oubliés, Jacqueline de Romilly, de l'Académie française, 1998, Ed. de Fallois

 

[...]

Les écrivains nous apprennent à voir. Tout simplement à voir les choses, à voir le monde. Le plus souvent je suis convaincue que notre perception des choses est superficielle, inattentive, insuffisante. Et je crois que l'observation, le choix des mots souvent attirent notre attention sur des détails présents, frappants, que nous reconnaissons et dont la vérité nous paraît évidente, alors qu'ils nous étaient inconnus. [...] On y verra par exemple Les Chats décrits par Colette, avec leur douceur et leurs griffes et leur luxe ; je n'ai jamais beaucoup observé les chats ni aimé les chats ; mais le temps de lire un tel texte je retrouve la vérité des notations, ou plutôt je les découvre et en même temps, pour un temps, j'aime les chats ; et ce n'est peut-être pas tout car, pour un temps aussi, me pénètre une sorte de sympathie pour ce genre de sensualité qui rend si présentes les beautés des bêtes, des fruits et des plantes. L'admiration se double de compréhension, et la vision liée à un texte porte avec elle des réactions affectives, et proches déjà de jugements de valeur.

Mais surtout, les écrivains nous font ressentir et comprendre les émotions et leur sens. Et à cet égard, j'aimerais raconter une impression toute récente que j'ai éprouvée il y a quelques semaines : je venais d'écouter sur cassette, c'est-à-dire lu à haute voix, l'Othello de Shakespeare. J'étais seule dans une pièce tranquille avec du loisir et j'ai laissé le texte entier passer en moi. Quand il a été fini, je suis restée comme frappée de stupeur et de désolation. J'éprouvais une pitié dévorante pour Desdémone, la si pure et tendre Desdémone, qui venait une fois de plus de mourir victime du malentendu qui dressait contre elle un époux bien-aimé. J'étais déchirée de pitié pour Othello, le Maure, qui venait dans sa folie et son imprudence de tuer celle pour qui il éprouvait une si puissante passion. Les deux pitiés ne se contredisaient pas, elles se complétaient. Il me semblait, depuis l'accablement où je me trouvais, comprendre mieux que jamais comment les êtres humains se font souffrir sans le vouloir, l'un par l'autre, alors qu'ils s'aiment et voudraient tout faire pour se le prouver. Il me semblait atteindre à un niveau de compréhension plus grand que dans toutes les années passées ; peut-être s'ajoutait-il vaguement la condamnation de la perfidie du traître, le regret de l'imprudence d'Othello qui n'avait pas mieux vérifié, l'étonnement devant l'ensemble de petits indices qui finissaient par aboutir à cette fin tragique d'une façon qui semblait presque inévitable. La pitié et la compréhension m'écrasaient. J'ai mis longtemps à me reprendre.

[...]

Le regard du connaisseur est un regard entraîné et qu'on ne trompe pas aisément. Mais, à côté de cet entraînement pratique, le rôle de la littérature est infiniment plus important. Car, dans les textes, nous trouvons, décrits avec des mots, la présence d'objets, d'êtres ou de sensations que nous pouvons avoir rencontrés, mais sans percevoir tous les aspects qu'un écrivain, entraîné à observer et à traduire cette observation par des mots, peut, d'un seul coup, nous communiquer. Parfois, ce sera une découverte et il nous fera voir des réalités de nous inconnues, des pays lointains, des êtres monstrueux, des présences surprenants, des émotions hors de notre portées. D'autres fois ce seront des réalités familières mais que nous n'avions pas remarquées.

Chose étrange : le plus souvent nous reconnaîtrons avec la même certitude un objet que nous ignorons ou un objet que nous connaissons. L'imagination nous présente les choses avec suffisamment de force pour que nous ayons le sentiment de déjà les connaître.

En tout cas, nombreuses sont les descriptions dans les œuvres littéraires qui nous donnent cette impression ; et, par la suite, que le souvenir en soit présent ou bien oublié, cette description nous aide à mieux voir ce qui se présence sous nos yeux.

Je lisais, pas plus tard qu'hier, un texte de Colette relatif à son chat ou sa chatte. Je vois tout. Je vois, comme elle dit, "ces pattes armées de brèves griffes en cimeterres qui savent se fondre, confiantes, dans la main amie". Quand je lis cela, moi qui n'ai pas beaucoup l'habitude, aussitôt je vois ce chat ! Puis, dans la page de Colette, les adjectifs, bientôt se multiplient : "facile..., rêveuse..., passionnée..., gourmande..., caressante..., autoritaire". L'enfant qui poursuit un chat sur le trottoir ne voit pas tout cela ; quand il aura lu ce texte, puis d'autres, peut-être le verra-t-il un peu mieux ; ses yeux se seront ouverts à la présence de ce qui l'entoure. 

Il aura aussi l'occasion (plus fréquente) de rencontrer des chats moins séduisants comme le Raminagrobis de La Fontaine :
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras, 
Arbitre expert sur tous les cas

Ce chat-là, faisant l'arbitre, dévore tranquillement les deux adversaires. Lui aussi, l'enfant, dès lors, le verra mieux.

Ou bien quand un auteur nous décrit la buée légère qui subsiste sur un fruit que l'on vient de cueillir, tout à coup cette description nous rappelle une impression fugitive que nous n'avons pas notée, que nous n'avons pas retenue, mais que, la prochaine fois, nous saluerons avec plus d'amitié et de lucidité.

De même, si la chaleur est quelque chose que l'on perçoit immédiatement et sans qu'il soit besoin pour cela d'aucune aide, je crois qu'une description de l'été algérien dans Camus aide à comprendre ce que cette chaleur a de redoutable et à sentir dans notre corps la splendeur de cette végétation, du soleil et de tout ce qui renaît avec la fraîcheur du soir. On vit, on perçoit, on voit, on entend par la littérature ou du moins on le fait mieux grâce à la littérature.

Et même s'il ne s'agit pas de détails mieux perçus, l'évocation littéraire - soit sur le moment, quand nous sommes confrontés à elle, soit après coup, quand il s'agit de souvenirs oubliés - ajoute une présence et une richesse plus grandes à tout ce que nous voyons, même aux objets les plus familiers, aux circonstances, aux mots connus.

[...] Quand vient la fin du jour, les ombres s'allongent. Nous le voyons, bien entendu - du moins, si nous sommes uin peu attentifs. Mais si un jour a chanté en nous la formule de Virgile disant que le soir les ombres tombent plus longues du haut des monts, avec ces sonorités sourdes que l'on remarque aussitôt dans la langue latine et dont le français garde quelque chose, en l'alourdissant, cette présence nous trouvera plus attentifs ; nous la remarquerons ; et là aussi elle prendra pour nous, parce qu'elle vient de si loin, une richesse accrue. Et voit-on, en contrepartie, le lever du jour ? Je le regarde, je l'avoue, assez rarement. Mais quand je vois le petit matin et les taches roses qui apparaissent partout, délicates et prometteuses, je crois qu'un vague souvenir de l'expression homérique "l'Aurore aux doigts roses" est quelque part dans mon esprit et donne du prix, de la présence, de la force à ce que je perçois.

Au reste, on le constate : ce n'est pas seulement parce qu'un écrivain a su observer la réalité qu'il nous aide à la reconnaître ; ce n'est même pas seulement parce qu'il a su trouver les mots justes pour la décrire : c'est parce que, usant de la valeur poétique des mots et aussi des métaphores et de leurs possibilités de suggestion, il ajoute à l'observation stricte des évocation multiples, presque infinies.

Je sais bien qu'en ce sens, c'est à la peinture que l'on penserait tout d'abord, car elle aussi montre les objets et en même temps, par la composition, les valeurs, l'interprétation, ajoute un sentiment personnel à la simple présente de l'objet. Il est juste de le rappeler, et je suis la première à admettre que l'on voit beaucoup mieux des pommes lorsque l'on a regardé des tableaux de Cézanne représentant des pommes. [...]

Mais si j'insiste sur la littérature et sur son rôle quand il s'agit de nous apprendre à voir, c'est parce que le jeu sur les mots, sur leur longueur, sur leurs sonorités, accompagné du recours aux métaphores, permet par sa précision d'aller plus loin encore.

Citons par exemple deux images d'échassiers. On pourrait avoir des planches d'histoire naturelle les représentant avec une parfaite exactitude ;  et déjà cela nous aiderait à les voir. Mais deux évocations me viennent à l'esprit. La première est le héron de La Fontaine ; l'animal, tout en longueur, est présenté en deux vers où l'adjectif "long" se répète plaisamment avec une insistance qui est proche de l'ironie :

Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,
Le héron au long bec emmanché d'un long cou.

L'image est là en quelques vers nets et secs qui font comme une petite vignette ; mais le procédé même de la répétition et de la simplification aide à le percevoir et permet de s'en amuser.

Le second échassier auquel je pense est plus petit ; il est aussi plus moderne ; aussi se colore-t-il des subtilités de la psychologie évoquées par une image et un changement de registre. C'est le pluvier d'Hector Bianciotti. Il nous le montre "droit sur une patte au milieu du sillon, au bord d'un sentier, l'air de considérer les propositions de l'horizon". Cette brève description, qui appartient au livre Ce que la nuit raconte au jour, m'enchante parce qu'elle me fait d'abord voir l'oiseau dressé sur une patte, tout seul, attentif, mais qu'aussitôt elle évoque son regard en se référant à des sentiments humains qui rendent l'impression plus présente. Il considère les propositions. On voit ce regard rond, attentif, un peu hautain qu'aurait un personnage dans sa situation et aussitôt l'image prend vie, grâce à la comparaison. D'autre part, ces propositions viennent, non pas de quelque partenaire dans un débat humain, mais de l'horizon : ceci confirme l'impression de hauteur qu'il y a dans ce regard de la tête dressée, l'arrogance même de l'expression avec cette façon de tenir le regard au loin ; et ainsi nous est rendue cette attitude de l'oiseau qui est en réalité faite d'attention et de méfiance.

La notation est ici originale ; elle semble aussi à ce point vraie, que l'on est tenté de rire de satisfaction devant cette réussite. Je crois bien n'avoir jamais vu de pluvier ; je suis sûre en tout cas de n'en avoir jamais observé ; et pourtant je reconnais celui-là parce que la littérature nous a dit quelque chose qui dépasse de beaucoup la description et qui n'est plus du tout réel. Il est amusant de penser que cela aura été mon premier pluvier et que je l'aurai vu dans cette pampa de l'Argentine que je ne connais pas et ne connaîtrai jamais. La réalité, en somme, nous atteint à travers une évocation irréelle et une métaphore plus irréelle encore. A chaque page des livres, à chaque vers des poèmes se présentent ainsi des notations, ou fugitives ou insistantes, qui, je le répète, nous apprennent à voir. Et, sauf exception, ces phrases qui nous auront touchés jusqu'au cœur, ces textes sont ensuite presque toujours oubliés : nous rejoignons ainsi le sujet de ce livre. Mais avant d'être oubliés, ils ont comme affiné notre regard et jeté sur les choses une lumière qui nous révèle leur existence. [...] 

On n'est pas obligé de vivre parmi les métaphores des poètes et de s'en faire un univers toujours plus ou moins présent. Mais il reste ce fait important que chaque phrase écrite est un effort pour rendre présent quelque chose et nous habitue ainsi à voir non pas par le regard direct qui n'est pas encore suffisamment entraîné, mais par le regard indirect des œuvres.

[...] 

 

> A consulter également : http://www.magazine-litteraire.com/content/rss/article?id=18057

 

Jaqueline de Romilly, le Trésor des savoirs oubliésSe procurer l'ouvrage :

Le Trésor des savoirs oubliés

Jacqueline de Romilly

1998

De Fallois

220 pages

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En poche : http://www.amazon.fr/tr%C3%A9sor-savoirs-oubli%C3%A9s-J-R...

 

jeudi, 01 novembre 2012

Considérations sur l'amour - "Tel qu'il est" - Fréhel

 fréhel,tel qu'il est

Fréhel (1891-1951)

 

 
 
 
 
Paroles de la chanson "Tel qu'il est" :

 

Couplet

J'avais rêvé d'avoir un homme,
un vrai de vrai, bien balancé,
mais je suis chipée pour la pomme,
d'un avorton, complet'ment j'té.
Ce n'est pas un Apollon mon Jules,
il n'est pas taillé comme un Hercule.
Malgré qu'il ait bien des défauts,
C'est lui que j'ai dans la peau.

 

Refrain

Tel qu'il est, il me plaît,
Il me fait de l'effet,
Et je l'aime.
C'est un vrai gringalet,
aussi laid qu'un basset,
mais je l'aime.
Il est bancal,
du côté cérébral
mais ça m'est bien égal
qu'il ait l'air anormal.
C'est complet, il est muet,
ses quinquets sont en biais.
C'est un fait que tel qu'il est,
il me plaît.

 

Couplet

Il est carré mais ses épaules
par du carton sont rembourrées.
Quand il est tout nu, ça fait drôle,
on n'en voit plus que la moitié.
Il n'a pas un seul poil sur la tête,
mais il en a plein les gambettes.
Et celui qu'il a dans la main, 
c'est pas du poil, c'est du crin.

 

Couplet

Le travail pour lui c'est la chose
la plus sacrée, il n'y touche pas.
Pour tenir le coup, il se dose
de quintonine, à tous les r'pas.
Ce qui n'est pas marrant c'est qu'il ronfle,
on dirait un pneu qui se dégonfle.
Et quand il faut se bagarrer,
il est encore dégonflé.

 

fréhel.jpg

 
 
> A consulter à propos de Fréhel : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9hel_(chanteuse)
 
 
 

mercredi, 31 octobre 2012

Considérations sur l'amour - Marcelle Auclair

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Marcelle Auclair (1899-1983)

  

 

  

Extrait de L'amour, notes et maximes, 1963, Marcelle Auclair, Hachette :  

 

L'accord physique ? Ne suffit pas. L'accord des caractères ? Ne suffit pas. La complicité des ambitions, des rêves ? Ne suffit pas. Pour un grand amour il faut tout. A moins qu'il ne faille rien, que l'amour.

 

En amour, comme en toutes choses, on n'est jamais victime que de soi-même.

 

Triste : Le réveil d'une jeune femme auprès d'un vieil homme. Plus triste : Le réveil d'un jeune homme auprès d'une vieille femme. Plus triste que tout : Cette femme.

 

Pour se contenter de peu, il faut aimer bien peu. A moins qu'on aime tant qu'on supplée à tout.

 

Mme Y. à une jeune veuve : "Remariez-vous, épousez un homme important, riche, que votre beauté, votre savoir-faire aideront à devenir plus important encore, et plus riche.
- Et s'il me plaît d'aimer ?
- L'amour ? Paris est si grand !

 

Dans les âmes fortes, l'amour se glisse par les points faibles.

 

Un homme ne connaît une femme, une femme ne connaît un homme, que lorsqu'ils ont travaillé, ou dormi ensemble.

 

"L'amour, écrit Stendhal, se forme par cristallisation." Pour certains cœurs prompts à s'attendrir, c'est caramélisation qu'il faudrait dire.

 

L'ambition fait flèches de tout, même de l'amour. C'est l'une des rares occasions où l'amour soit humilié.

 

L'amour se mesure au besoin de la présence.

 

Le secret est l'âme des grandes amours.

    

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Le Christ lui-même posait l'éternelle question des amants : "M'aimes-tu ?"

 

Les surprises de Dieu et celles de l'amour se ressemblent : l'amour, lui aussi, vient comme un voleur.

 

Dans la Bible, posséder une femme se dit "la connaître". C'est déjà un art d'aimer.

 

Le temps n'existe ni pour l'amant ni pour le mystique. L'un et l'autre reçoivent tout en un instant.

 

"L'aimes-tu ?
- Il fait courir mon sang plus vite." 

 

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On sait rarement pourquoi on aime. On croit toujours savoir pourquoi on n'aime plus.

 

Quand on crois savoir pourquoi on aime - ou pourquoi on n'aime plus -, on ne s'avoue pas toujours les vraies raisons.

 

Est-ce mentir que se mentir à soi-même ? Nul amant ne connaît le fond de son cœur.

 

Elle. - J'aurais aimé l'aimer, s'il avait été aimable...

 

Peut-on aimer et ne jamais craindre, ne jamais être faible, ne jamais vouloir davantage ?

 

Il est des fous pour découvrir qu'ils aimaient, qu'ils aiment, lorsque, à force de s'être rendus haïssables, ils sont haïs.

 

Elle le mène par le bout du nez : son teint ne supporte pas la contrariété.

 
 
"Est-elle heureuse ?
- D'un bonheur menacé qu'elle n'échangerait pas contre la paix du cœur."

 

Manoeuvre délicate : retirer votre main de la sienne pour manger chaud.

 

La main dans la main, les yeux dans les yeux. Mais l'âme est ailleurs.

 

Réfléchir n'a jamais empêché d'aimer, mais aimer empêche de réfléchir. 

 

Partager le lit, la table, l'existence : bonheur des amants dans le désert de l'amour. Mais vient le jour où il faut partager ses amis : c'est peut-être l'épreuve la plus périlleuse.

 
Fastidieux : L'amour de quelqu'un qu'on n'aime pas.
Exaspérant : L'amour de quelqu'un qu'on n'aime plus. 

 

L'amour qui s'exhibe  s'évapore. Il est rare que "les amoureux qui s'bécottent sur les bancs publics" s'aiment longtemps.

 

"Être amoureux" n'est pas toujours synonyme d'aimer.

 

Il en est de l'amour comme de tout au monde : quand il ne progresse point, il déchoit.

 

Vous croyez aimer cette personne compliquée ? Ce sont les complications que vous aimez.

 

Certains coups au cœur ne sont que des coups de tête. 

 

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On parle des pays où les époux ne se voient qu'après la cérémonie.

L'optimiste : Peut-on aimer un homme qu'on ne connaît pas ?
La pessimiste : On ne peut aimer qu'un homme qu'on ne connaît pas...

 

L'amant, variété transhumante de l'époux...

 

On a si longtemps dissocié l'idée d'amour de celle de mariage que la plupart des couples n'y cherchent qu'une liaison "sous garantie". Or, il y a loin de s'engager dans la passion à persévérer dans la patience.

 

Que d'amours médiocres deviennent, après rupture, de grandes amours !

 

Le président H. disait : "J'ai commencé à payer les femmes de bonne heure. Ainsi, je ne me vois pas vieillir..."

 

Ceux qui ont peur de l'amour comme on a peur de l'eau risquent fort de s'y noyer.

 

Par lâcheté devant les exigences de l'amour, certains ne conjuguent plus le verbe aimer qu'au passé.

 

Amour : Ce qui demeure quand on a oublié toutes les raisons d'aimer.

 

Jamais, en amour, on ne ressaisit ce qu'on a perdu.

 

L'amour humain, souvent, se nourrit de ses déceptions et s'exalte de sa misère.

 

Prétendre à l'absolu dans l'amour humain, c'est éponger l'océan avec un mouchoir.

 

L'amour heureux rend heureux tout de suite.

 

De nos jours, la cause des drames du cœur n'est pas dans le mépris des sentiments, mais dans l'erreur sur les sentiments.

 

Quiconque refuse les souffrances de l'amour est indigne de ses joies.

 

L'amoureux le plus fou se fait l'habile avocat de sa mauvaise cause.

 
A l'amoureuse folle qui demande : "Que faire ?"
On peut répondre sans peur de se tromper : "Le contraire..."

 

Mieux vaut avouer une passion folle qu'un sot calcul.

 

Vivre simultanément le passé, le présent, et l'avenir : privilège des amants.

 

Certains, doués de l'imagination du cœur, parent au jour le jour un penchant banal de tous les prestiges du souvenir.

 

Les "explications" entre amants compliquent de littérature des sentiments simples : on aime, ou on n'aime pas, ou on n'aime plus.

 

Il en est des mots tendres murmurés la nuit comme des étoiles : seuls les plus ardents ne pâlissent point, au premier signe de l'aurore.

 

Quelle femme doute de l'amour d'un homme qui lui téléphone de New York, de Rome, ou de Tokio ? "Longue distance" équivaut à "passionnément". Handicap pour l'amant qui n'appelle que de Bécon-les-Bruyères.

 

Aimer l'égoïste pour son égoïsme, le menteur (ou la menteuse) pour ses mensonges : c'est plus sûr que d'espérer leur transformation par la grâce de l'amour.

 

On ne change guère, par amour, que provisoirement. Mais une passion profonde peut métamorphoser une chenille en papillon.

 

Pitié n'est pas amour ; toutefois, les cœurs généreux s'y trompent souvent.

 

Pour une femme, la seule défaite : n'avoir pas su rendre heureux l'homme qu'elle aimait.

 

L'amoureuse aime à être entourée, enveloppée, relancée, serrée de près jusque dans son sommeil. C'est pourquoi elle poursuit de ses soins l'homme, qui déteste cela.

 

Elle l'aime tant, et si généreusement, qu'il ignorera toujours qu'elle vaut mieux que lui.

 

Celle qui reconnaît qu'un chagrin d'amour l'enlaidit est déjà à moitié guérie.

 

Souvent, les amants célèbres tiennent à leur légende, les simples amoureux à leurs habitudes, plus qu'ils ne tiennent l'un à l'autre.

  

  

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Marcelle Auclair (1899-1983)

 

  

 > A consulter également :

http://www.babelio.com/auteur/Marcelle-Auclair/10101

http://pagesfeuilletees.free.fr/chroniques/MAuclair.htm

 

 

amour, marcelle auclairSe procurer l'ouvrage :

L'amour, notes et maximes

Marcelle Auclair

1963

Hachette

341 pages

http://www.amazon.fr/Lamour-AUCLAIR-Marcelle/dp/B003WS0DU...

  

dimanche, 28 octobre 2012

La Somme théologique - Saint Thomas d'Aquin

 

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 Apothéose de saint Thomas d'Aquin, Francisco de Zurbaran

 

 

Extrait de Famille Chrétienne, n°1803 du 4 au 10 août 2012

Article "Le roman sacré de... LA SOMME THEOLOGIQUE", Edouard Huber

 

[...] En voyant ce grand jeune moine massif, toujours occupé à des méditations qui avaient l'air de rêveries nébuleuses, ils l'avaient baptisé "le grand boeuf muet de Sicile". Saint Albert, qui avait vu, lui, quelle intelligence stupéfiante de vivacité et de clarté cachait ce corps pesant, les avait sèchement repris : "Ah ! Vous l'appelez le boeuf muet ! Je vous le dis, quand ce boeuf mugira, ses mugissements rempliront l'univers !

[...] Certes, il pouvait donner l'impression de faire un petit somme. Mais "somme", oui ; "petit", non : il était en train de concevoir l'immense "Somme" théologique qui serait désormais, jusqu'à sa mort, son travail prioritaire, et qui resterait le chef-d'oeuvre de cette vie intellectuelle surhumaine. Vie d'autant plus féconde qu'elle aura été en même temps une vie spirituelle de haute sainteté, marquée par la vertu la plus nécessaire aux grands esprits, et la plus difficile pour eux : l'humilité. Quand il était arrêté par une difficulté théologique, il laissait reposer sa tête, longuement, contre le tabernacle pour y puiser les réponses.

Un autre trait de simplicité : Thomas revient de l'abbaye de Saint-Denys avec ses disciples, et le chemin permet d'admirer une vue magnifique de Paris. Un moine qui connaît la noble naissance de Frère Thomas, fils du comte d'Aquin, lui demande : "Vous n'aimeriez pas être le roi de cette belle cité ? - J'aimerais bien mieux avoir les homélies de saint Jean Chrysostome sur saint Matthieu !", lui répond-il.

Tel est l'homme qui jette les premières pierres de sa Somme en cette année 1266. L'édifice aura des proportions immenses : environ deux millions de mots, soit quatorze millions de caractères, presque trois fois le volume de la Bible complète. [...] Tout le monde sait bien que c'est un traité pour spécialistes, illisible pour qui n'a pas fait d'études de scolastique ! Tout le monde le sait bien... parce que personne ne la lit. C'est la remarque que fait chaque jour, dans son travail de théologien, le Père Thierry-Dominique Humbrecht, fin connaisseur actuel de la pensée de saint Thomas : "On cite toujours, déplore-t-il, ce qui a été dit ou écrit sur saint Thomas, et on discute à partir de là, mais on ne veut pas le lire lui-même. C'est pourtant le plus intéressant !" [cf. Lire saint Thomas d'Aquin, de T.-D. Humbrecht, Ed. Ellipse].

Lisons donc ce qu'écrit Thomas au début de sa Somme : "Le docteur de la vérité catholique doit non seulement enseigner les plus avancés, mais aussi instruire les commençants, selon ces mots de l'Apôtre (1 Co 3, 1-2) : "Comme à de petits enfants dans le Christ, c'est du lait que je vous ai donné à boire, non de la nourriture solide." Notre intention est donc, dans cet ouvrage, d'exposer ce qui concerne la religion chrétienne de la façon la plus convenable à la formation des débutants [...] nous tenterons, confiants dans le pouvoir divin, de présenter la doctrine sacrée brièvement et clairement, autant que la matière le permettra".

La chose est donc entendue : ce livre est pour les "commençants" ! Pour chacun de nous ! C'est du "lait pour petits enfants". Peut-on croire aussi saint Thomas quand il dit que c'est écrit "brièvement" ? Oui, quand on ne s'arrête plus à la masse intimidante de la Somme complète, et qu'on s'aventure dans sa lecture, en ouvrant une page au hasard. On s'aperçoit alors que le texte est composé d'"articles" souvent brefs, en effet, et le plus souvent faciles d'accès, pour peu qu'on connaisse quelques mots-clés de la philosophie aristotélicienne, en petit nombre, tels que forme et matière, acte et puissance, substance et accident, essence et existence, fin et moyen, nécessaire et contingent... Même si les "articles" de la Somme sont ordonnés en ensembles plus vastes (les "questions"), elles-mêmes groupées en "livres", chacun d'eux constitue une unité de lecture autonome. De sorte qu'on peut venir à bout de tout l'ouvrage en faisant une lecture quotidienne d'un ou quelques articles seulement, beaucoup plus facilement qu'on ne lit un roman russe !

 

apotheose, saint thomas d'aquin, francisco de Zurbaran

 

Chaque article pose une question, par exemple : "Dieu existe-t-il ?", à laquelle la réponse est habituellement "oui" (en tout cas, c'est la réponse de Thomas dans cet exemple précis !). Mais conformément à la méthode médiévale de la "disputatio", l'article commence par énumérer les "objections" à cette réponse. Dans notre exemple, la première objection est la plus terrible : Dieu étant par définition le Bien infini, il ne peut pas exister de mal en face de Lui, qui serait la négation de son infinité. "Or, reconnaît Thomas - avec comme un étonnement attristé -, on trouve du mal dans le monde."

Après l'objection vient le "sed contra" ("mais là-contre") qui se borne à opposer un argument en sens inverse. Ici, le verset solennel et capital du livre de l'Exode (3, 14) : "Je suis celui qui suis". Le "sed contra" ouvre au corps de l'article, toujours annoncé avec la formule d'autorité du maître : "Respondeo dicendum quod : Je réponds en disant que..."

Dans l'exemple, je réponds en énumérant les fameuses "cinq voies", qui sont les cinq possibilités pour notre intelligence de remonter du visible à l'invisible, des effets observables dans le monde à la "cause première" de tout, qui est Dieu. Cinq voies qui donneront du grain à moudre à tous les philosophes futurs et qui n'ont pas fini de faire immensément réfléchir et méditer.

Finalement l'article se conclut par la réponse aux objections. Pour l'argument du mal - l'objection universelle de toutes les générations humaines contre l'existence de Dieu - Thomas n'a qu'à citer son maître révéré, saint Augustin : "Dieu, souverainement bon, ne permettrait aucunement que quelque mal s'introduise dans ses œuvres, s'il n'était tellement puissant et bon que du mal même il puisse faire du bien". Et pour ceux qui douteraient, Thomas enfonce lui-même un peu plus le coup en disant : "C'est donc bien à l'infinie bonté de Dieu que les maux doivent d'avoir la permission d'exister, pour qu'Il en tire du bien".

Du XIIIe siècle à nos jours, la liste des papes qui ont recommandé l'étude de saint Thomas, en louant sa pensée et sa méthode, est vertigineuse. Pour Pie XII : "La méthode de l'Aquinate l'emporte singulièrement sur toutes les autres [...] ; sa doctrine forme comme un accord harmonieux avec la révélation divine ; elle est, de toutes, la plus efficace pour mettre en sûreté les fondements de la foi (Humani Generi, 1950)".

[...] "le propre du sage est d'ordonner". Il en donne la preuve la plus impressionnante dans l'organisation de la Somme théologique, admirable d'ampleur et de finesse, véritable cathédrale intellectuelle. L'oeuvre a trois parties : prima pars, secunda pars et tertia pars (première, deuxième et troisième partie), la secunda, de loin la plus longue, étant elle-même divisée en deux, prima secundae et secunda secundae. On utilise couramment les abréviations : Ia, IaIIae, IIaIIae, IIIa.

La prima pars consiste en l'étude de Dieu en Lui-même, puis de sa Création, spécialement l'homme. La secunda pars étudie les actes humains ; d'abord "en général", autrement dit la morale entendu comme le moyen pour l'homme de parvenir à sa fin, la béatitude, puis "en particulier", en détaillant notamment les vertus. Enfin, la tertia pars étudie le Christ et les sacrements, voie pour réaliser la vie parfaite.

Avec les deux premières parties on a, selon le Père Chenu (Introduction à l'étude de saint Thomas d'Aquin, éd. Vrin) une exposition complète de la destinée humaine, selon un schéma classique : "sortie" de Dieu (exitus), par la Création, et retour à Lui (reditus) dans la vie bienheureuse. [...]

La démarche est typique du génie de saint Thomas : accorder d'un côté la foi, adhésion à la Révélation qui culmine dans le Christ - la source juive -, et de l'autre côté la raison, prise dans son expression la plus rigoureuse : la source grecque. [...] 

 

apotheose,saint thomas d'aquin,francisco de zurbaran, pape, léonDans la grande encyclique sur la philosophie chrétienne, Léon XIII considère les penseurs chrétiens, jusqu'à saint Thomas qui "a hérité [...] de l'intelligence de tous" et a fourni "des armes invincibles" contre les erreurs futures.

"[...] Entre tous les docteurs scolastiques, brille, d'un éclat sans pareil, leur prince et maître à tous, Thomas d'Aquin. [...] Il n'est aucune partie de la philosophie qu'il n'ait traitée avec autant de pénétration que de solidité [...]. L'angélique Docteur a considéré les conclusions philosophiques dans les raisons et les principes mêmes de choses [...]. En employant, comme il le fait, ce même procédé dans la réfutation des erreurs, [...] il est arrivé à ce double résultat, de repousser à lui seul toutes les erreurs des temps antérieurs, et de fournir des armes invincibles pour dissiper celles qui ne manqueront pas de surgir dans l'avenir. De plus, en même temps qu'il distingue parfaitement [...] la raison d'avec la foi, il les unit toutes les deux par les liens de mutuelle amitié : il conserve ainsi à chacune ses droits, il sauvegarde sa dignité, de telle sorte que la raison portée sur les ailes de saint Thomas, jusqu'au faîte de l'intelligence humaine, ne peut guère monter plus haut, et que la foi peut à peine espérer de la raison des secours plus nombreux ou plus puissants que ceux que saint Thomas lui a fournis. (Le) plus grand honneur rendu à saint Thomas, réservé à lui seul, et qu'il ne partagea avec aucun des Docteurs catholiques, lui vint des Pères du concile de Trente : ils voulurent qu'au milieu de la sainte assemblée, avec le livre des divines Ecritures et des décrets des pontifs suprêmes, sur l'autel même, la Somme de Thomas d'Aquin fût déposée ouverte, pour qu'on pût y puiser des conseils, des raisons, des oracles. [...] Aussi, comme il a été dit aux Egyptiens lors d'une extrême disette : "Allez à Joseph" (Gn. 41, 55), ce Joseph qui devait leur fournir le blé nécessaire à nourrir leurs corps ; [...] à tous ceux [...] qui sont aujourd'hui en quête de la vérité, nous disons : "Allez à Thomas, [...] allez lui demander l'aliment de la saine doctrine, dont il est si riche et qui nourrit les âmes pour la vie éternelle. Aliment à la portée de tous et facilement accessible"".

 

apotheose,saint thomas d'aquin,francisco de zurbaran, christophe geffroy, la nefChristophe Geffroy, fondateur-directeur du mensuel La Nef.  [...] "La Somme théologique est un monument qui intimide. Il faut passer cette appréhension. Deux auteurs m'y ont grandement aidé. Etienne Gilson, dont l'ouvrage Le Thomisme (Vrin) est sans doute la meilleure introduction à saint Thomas, et Jacques Maritain qui me l'a fait vraiment découvrir. Saint Thomas est d'un style aussi limpide que les sujets étudiés le permettent. Pour aborder la Somme, il est cependant indispensable d'être familiarisé avec les "outils" philosophiques d'Aristote dont Maritain fournit le "b.a.ba" dans ses Eléments de philosophie (Téqui).

Ainsi équipé, vous pouvez vous lancer dans l'aventure, car c'en est vraiment une ! J'avais choisi l'édition en IV volumes du Cerf (1984 à 1986), la seule complète disponible en français à l'époque. J'avais choisi de m'astreindre à une lecture quotidienne de 15 à 30 minutes, tôt le matin - cela dura quelques années !

Peu d'ouvrages m'ont marqué à ce point et m'ont autant apporté pour approfondir ma foi. Saint Thomas est le plus grand théologien catholique, mais c'est aussi un extraordinaire psychologue. [...] 

   

apotheose,saint thomas d'aquin,francisco de zurbaranSe procurer l'ouvrage :

Somme théologique, tome 1

saint Thomas d'Aquin

1984

Le Cerf

966 pages

Tome 1 http://www.amazon.fr/Thomas-dAquin-Somme-th%C3%A9ologique...

Tome 2 http://www.amazon.fr/Somme-th%C3%A9ologique-dAquin-saint-...

Tome 3 http://www.amazon.fr/Somme-th%C3%A9ologique-deuxi%C3%A8me...

Tome 4 http://www.amazon.fr/Somme-th%C3%A9ologique-4-Thomas-Aqui...

  

jeudi, 25 octobre 2012

Considérations sur la ponctuation - Anouilh, Aragon, Cioran, Flaubert, Hugo, de Montherlant, Wilde, Sollers

 

sollers,paradis

azartaz/Flickr

 

Oscar Wilde :

"J'ai travaillé toute la matinée à la lecture des épreuves d'un de mes poèmes et j'ai enlevé une virgule. Cet après-midi, je l'ai remis."

 

Victor Hugo :

"Si vous saviez comme la virgule s'acharne et renaît sous le deleatur !"

 

Emil Michel Cioran :

"Les "vérités", nous ne voulons plus en supporter le poids, ni en être dupes ou complices. Je rêve d'un monde où l'on mourrait pour une virgule."

 

Gustave Flaubert :

"Pour moi, la plus belle fille du monde ne vaut pas une virgule mise à sa place."

 

Charles Dantzig :

"On respire par les yeux ! Nous l'avons tous expérimenté, à lire des livres non ponctués, où notre pauvre œil haletant cherche un point, une virgule, le moindre bout de banc où s'asseoir.

  

Jean Anouilh :

"Nous vivons dans un monde qui a complètement perdu l'usage du point-virgule, nous parlons tous par phrases inachevées, avec trois petits points sous-entendus, parce que nous ne trouvons jamais le mot juste."

 

Henry de Montherlant :

"On reconnaît tout de suite un homme de jugement à l'usage qu'il fait du point et virgule."  

 

Louis Aragon :

"Je demande à ce que mes livres soient critiqués avec la dernière rigueur, par des gens qui s'y connaissent, et qui sachant la grammaire et la logique, chercheront sous le pas de mes virgules les poux de ma pensée dans la tête de mon style."

  

> Pour davantage de citations : http://www.dicocitations.com/citation.php?mot=virgule

 

 ¤     ¤     ¤

 

Extrait de Paradis, 1981, Philippe Sollers, Seuil :  

 

Extrait de la quatrième de couverture :

Pourquoi pas de ponctuation visible ? Parce qu'elle vit profondément à l'intérieur des phrases, plus précise, souple, efficace ; plus légère que la grosse machinerie marchande des points, des virgules, des parenthèses, des guillemets, des tirets. Ici, on ponctue autrement et plus que jamais, à la voix, au souffle, au chiffre, à l'oreille ; on étend le volume de l'éloquence lisible !

Pourquoi pas de blancs, de paragraphes, de chapitres ? Parce que tout se raconte et se rythme à la fois maintenant, non pas dans l'ordre restreint de la vieille logique embrouillée terrestre, mais dans celle, merveilleusement claire et continue, à éclipses, des ondes et des satellites. Autour de quoi ça tourne chez l'être humain ? Des mille et une façons de s'illusionner sur le pouvoir et l'argent du sexe. Salut petite planète roulante et pensante dans sa galaxie de galaxies !

[...]

 

Extrait de l'ouvrage :

voix fleur lumière écho des lumières cascade jetée dans le noir chanvre écorcé filet dès le début c'est perdu plus bas je serrais ses mains fermées de sommeil et le courant s'engorgea redevint starter le fleuve la cité des saules soie d'argent sortie du papier juste lin roseau riz plume coton dans l'écume 325 lumen de lumine en 900 remplacement des monnaies 1294 extension persane après c'est tout droit jusqu'à nos deltas ma fantaisie pour l'instant est de tout arrêter de passer les lignes à la nage brise matin feu lacs miroirs brouillant les feuillages calme d'eau marée on ne sait jamais l'aborder pourtant j'ai commencé je commence je prends la sphère commencée j'en viens j'y revais j'y vais commencement commencé tendu affalé sur elle et tenant ses poings dans mes mains elle dormait sec comme un caillou débranché piqué dans son rêve et moi pensant xanadu voûte caverne mer sans soleil vagin sans retour et jamais atteint jardins ruisseaux sinueux arbres d'encens à clairières quel ravin pour s'y détendre au milieu de la nuit couverte dancing rocks and mazy motion voilà la fontaine limite génitale de l'homme flos florum dôme ensoleillé près des caves de glace comment se nourrir de rosée lactée il est rare de saisir ainsi le saisissement dans l'insaisissable on dirait qu'un muscle s'avertit de laisser filer traînée brune gazeuse fissurée dorée allons allons puisque je vous dis que ça veut pas s'inscrire ils ont cru un moment l'isoler sous forme de poches halo bleuté d'atmosphère énergie éponge de l'anti-cancer yeux gris-bleu matière des matières impossible donc d'arriver comme un fleur et de dire j'y fus j'y étais j'y est je m'y fus j'y serai j'irai bien avant abraham lui-même raconté coupé décompté or c'est pas pour rien cependant que j'ai eu ce rêve en collier touches dentées piochées en faisceau de pinces me sautant au cou pour percer fouiller dégrafer une lutte à mort je vous dis pour me l'enlever la mâchoire c'est sanglant partout ça coule partout c'est drôlement gardé la contrée quant aux autres je les vois brûler non non je ne les vois pas je les pense non je ne les pense pas ça se passe de moi contre moi poussière légère cendreuse légère poussière impalpable détour de poussière et toujours encore et toujours tenus avec ce rictus ils se dressent flammes poussières et flammes poussières faut-il manger ce temps qui s'ébrèche qui s'ampute à brèche faut-il le longer le crever s'y plonger ou s'en détourner en réalité aristote dit que la tragédie remonte aux dithyrambes et la comédie aux chants phalliques mais phallus on l'a dit qu'en 1615 peu employé avant le 19e marrant ça je savais pas que tu comprends je ne peux pas considérer comme libre un être n'ayant pas le désir de trancher en lui les liens du langage voyons entre 13 et 18 ans l'espèce a son inondation génésique d'un côté le foutre de l'autre les règles comme le chuchotent les filles à l'école les garçons aussi ils ont ça on le voir à leurs yeux cernés tu crois moi je crois sacrés mâle et fils pissant dans les bois je passe entre eux inondé spongieux plus loin dans la mousse je file maintenant lavé délavé ouah voyons l'arabe appelle solaires les syllabes linguales dentales les autres lunaires l'expression chinoise lianxie veut dire lier en écrivant en avant l'enfant se débrouille d'abord avec ses accents multiples ou encore dans la flûte le si-bémol est la tonalité des adieux adieu o adieu je veux bien que ce soit en français si c'est vous qui le dites n'affirmons plus qu'il n'y a qu'une sorte de lutte il y en a deux la première sera louée de qui la comprendra l'autre est à condamner autrement dit tout ça est aussi vieux que le monde est ronde donc j'avais immédiatement deviné qu'il y avait une liaison entre ponctuation et procréation d'où leurs résistances clichés ponctuant miché leurs journées à savoir qu'ils n'enregistrent que les points de rencontre avec leur image virgule tiret point virgule conclusion vous me croirez si vous voulez mais ce truc donnait directement sur leur hantise à grossesse genre sésame bloqué en deçà de telle sorte que l'inconscient est bien le non-né hors-né jamais né en priorité caisses retraites tiédeur du voilage hagard en nécécité car si tu amènes ta poudre vivante si tu dis en plus de l'en-plus y a l'en-plus ils crachent individués flanchés cramponnés faisant chut chut en livide si tu nais ils meurent si tu meurs tu nais pas mal d'arrive à ça rien qu'avec des mots sur la page viseur effusé télescope vibrant amusé ça vous racle intestin les poches si je vais vite levé tôt ciel enroulé plié battant brillant du bitant moi j'y comprends rien fait-il foetus fait-elle en outre il faut prendre les phrases en ensembles scenarii couplés abrégés comme des microfilms bourrés de documents de formules imagine un peu le calcul facile à transporter à cacher l'histoire dans une boîte d'allumettes dans les défauts du papier voilà tu développes agrandis ouvres et c'est tout le stock qui saute à la gueule quel progrès violé pour qui veut passer tu comprends je suis devenu les six roues à la fois les grandes explosées les petites sujets en reflet les grandes en perte univers les petites en moi ou les autres on peut définir le réel comme l'intersection des dents poussées des six cercles les grands les petits de nouveau les grands les petits les grands toujours plus grands les petits petits que dit ézéchiel au bord du canal en déportation le vent du nord se lève en tempête la nuée arrive fulgurant son feu chacun va selon l'orientation de ses faces souffle-moi les braises la torche volée comme si une septième roue mais est-ce bien une roue se mouvait au milieu des autres les yeux sur les jantes aïe tous ces yeux qui arrivent dans le bruit des ailes des eaux sous les flots soulèvement par-derrière shaddaï el shaddaï vieux nom de montagne sais-tu ce qu'ils font dans les ténèbres chacun dans sa chambre à images les jours s'approchent ainsi que la parole de toute vision je mettrai leurs voix sur leurs têtes je dirai ce que je dirai nom de dieu et ils auront beau crier contre mon oreille je ne les entendrai pas le futur est là sous mes pas maintenant mes lettres commencent par l'enveloppe on dirait qu'un pouce les efface en montant à plat je connais sur le bout des doigts filés dissipés la disparition prévue de tout l'homme qu'est-ce qui reste à la fin des animaux insensés ayant vaincu l'insensé une simple énergie devenue cadence bref un flamboiement cristallin éclairant le rien me voici contre vos bandelettes [...] il suffit de voir les transformations dans l'obscurité de les halluciner et ensuite de tracer les traits luminés là où la vie palpite voilà ma formule le hasard rend le sens plus profond compter ce qui passe mouvement en avant connaître ce qui vient mouvement arrière ici le sud en haut le vent descend la montagne tous ils s'avancent dans le signe de l'éveilleur il est troué père jade métal froid glace rouge sombre c'est un bon cheval un vieux cheval un cheval maigre un cheval sauvage il est droit il est le dragon le vêtement de dessus la voir le réceptif en revanche est l'égal d'une étoffe un chaudron l'économie un veau une vache un grand char c'est la forme la multitude le tronc ou encore le waker est tonnerre jaune foncé étendue grande rue fils aîné bambou jonc se tenant se fléchant la dose bon et du côté du zodiaque les poissons à sec on entre dans le verseau ère de lucidité d'invention d'ivresse y en a pour 2155 ans quelle barbe j'ai envie de crever ce qui dans la bible se dit maintenant je m'en vais par toutes les voies de la terre ainsi parlent josué david au moment de quitter le cirque en improvisant pour finir sur fond de musique et la maint de l'éternel agitant sur eux leurs cheveux comme moi ici sans rien sans cithare toujours en éveil alignant mes bruits mes replis je sens ma nuit des oreilles je deviens tympan sans répit tout se fait granuleux micro clinamen hurlement de calme sacrée vie poker allons je joue pique ou je coupe cœur cellule à l'occidental avec toute l'histoire sur moi sous moi hors de moi tout à l'heure j'ai rêvé de dico descartes il était tout pâle attentif ergo je lui demande si on pense pendant qu'on dort bonne question il fait l'air malin mais mort ne se doutant pas que l'être est en langues attention au décollage salvagente sotto la poltrona je répète life vest under your seat au fond je suis votre bête de somme théologique si vous m'obligez à marcher au pas je dois avouer que cette page résiste comme toutes les femmes de la planète ne donnant pas au premier venu leurs ruisseaux de lait ou de miel non ça se viole pas non ça se prend pas par surprise non on ne peut pas dire n'importe quoi un bon mouvement reconnaissez que ça n'arrive pas des masses en un siècle et la vie d'un individu c'est vite couru tout le reste est tringlage allusif interdit carabiné scié de l'inceste à savoir de la vraie jouissance au-delà que ceux qui y son m'entendent alors pour oublier ils baisent ou ne baisent pas du pareil au même tricotés triqués harponnés n'ayant connu qu'un bof sous orgasthme après quoi fermeture de la tirelire les privant de lire de tirer je vous donne les deux cas extrêmes de l'humanité il tue son père et sa mère fou furieux il ne tue ni son père ni sa mère débile mental si vous mettez ça au féminin ça donne n'importe comment elle jouit même si elle jouit pas puisque de toute façon elle sait pas je précise qu'il ou elle c'est pas la même chose qu'un homme ou femme au sens des planches anatomiques qui vont être affichées pour la première fois dans les écoles preuve que c'est plus le problème [...]

 

sollers,paradis

Pour agrandir : Sollers - Paradis p13.JPG

 

Extrait de Paradis II, 1986, Philippe Sollers, Coll. Blanche, Gallimard :  

 

soleil voix lumières écho des lumières soleil cœur lumière rouleau des lumières moi dessous dessous maintenant toujours plus dessous par-dessous toujours plus dérobé plus caché de plus en plus replié discret sans cesse en train d'écouter de s'en aller de couler de tourner monter s'imprimer voler soleil cœur point cœur point de cœur passant par le cœur il va falloir rester réveillé maintenant absolument réveillé volonté rentrée répétée le temps de quitter ce cœur simplement le temps qu'il se mette enfin comme il voudra quand il voudra de la dure ou douce façon qu'il voudra bien peu de choses en vérité n'est-ce pas poussière de poussière bien peu très très peu comme on exagère comme on a tendance à grossir tout ça moi-moi-moi en vérité presque rien côtoiement d'illusion couverture du cœur d'illusion aujourd'hui j'écris aujourd'hui et aujourd'hui j'écris le cœur d'aujourd'hui et hier j'écrivais aujourd'hui et demain j'écrirais aujourd'hui c'est vraiment aujourd'hui et rien qu'aujourd'hui on devrait l'écrire aujournuit différente manière d'être à jour en suivant ses nuits dans la nuit salle de séjour noire bleue blanche j'attends le vide à sa tranche qu'il décide ou non de bouger de claquer si je reste comme ça réveillé le coup va venir c'est fini le coup va revenir cette fois vraiment c'est fini un deux trois pas tout à fait trois et de nouveau un deux et puis trois on est au cœur du cœur maintenant dans le cœur du cœur battant se taisant c'est lui qui creuse c'est lui qui poursuit c'est lui qui sait ce qu'il faut savoir pour continuer dans la nuit on n'ira jamais assez vite pour coïncider avec lui pour rejoindre son instinct fibré sa folie un muscle dites-vous seulement un muscle au fond d'après vous soleil cœur voix cœur germe en lui de lui tout en lui voilà le vent s'est levé de nouveau maintenant et je suis là de nouveau comme écrivant le temps de nouveau comme si le temps pouvait n'être rien d'autre que des lignes recoupant des lignes à la ligne là comme au bout du monde ne tenant plus que par un bout de bord à ce monde droites diagonales angles cadrans demi-cercles rayons revenant au centre cours des astres reflétés comme ça par le centre danse en cours avec moi reflet du danseur dans la nuit moi spectre et moi poison d'ombre moi squelette abstrait mangé par son ombre pas tout à fait cependant pas encore tout à fait déclic sursaut nerfs juste assez pour tracer conduit ce qui suit voilà on y va le concerte reprend sa cadence joie joie voilà c'est reparti ça se suit en effet un important groupe de taches s'étendant sur près de 300 000 kilomètres se déplace en direction du centre du disque solaire selon un observatoire de thénanie-westphalie elles devraient l'atteindre le 8 ou le 9 avril et ce phénomène qui pourrait perturber l'atmosphère terrestre est une des conséquences de la formidable activité que le soleil connaîtra au cours de l'année elle entraînera cette activité un comble de nervosité d'inexplicables fatigues des dissolutions dépressions décompositions des morts anticipées convoitées brusquées un supplément de crime de frime des séparations guerres convulsions récriminations falsifications dissimulations leucémisations cancérisations expulsions bref un état général de crible agité en noeud du tissu rongé des ponctions une frénésie négation des apoplexies pleins poumons des attaques et contre-attaques rupture de vaisseaux inondation des cervons disjonction des systèmes nervons déhanchements fanatiques rafales d'antibiotiques et puis faim et soif et bile et surtout faim et soif à partir du foie dans sa bile matriciation omnibile dans sa tellurique omnubilation que doit faire le narrateur  [...] je l'aurai attendu longtemps ma vision soufflée en ce monde moment soulevant mon exode à froid dans la monde j'aurai été patient finalement dans ce corps fragment de boue du monde bouée amarrée flottée ballottée respirant bloquée tourniquet voyons ça maintenant que les choses sont devenues sérieuses furieuses voyons ça d'un peu près avant de quitter crevé le procès les mondes enfin ce qu'on est obligé d'appeler comma ça dans les mondes sont donc au féminin c'est la monde absolument intrinsèquement goulûment obséquieusement funéraillement variqueusement platement et secrètement ravalant l'épargne de son logement l'ammonde c'est le dieu des dieux moulé monde la seule vraie valeur en ce monde c'est-à-dire le faux né du faux enclenchant le faux dans le faux mécaniquement machinalement règlement faux d'emblée faux chiffré faux dissimulé contracté plaqué supposé automatisé soudé obturé jalousement suturé passionnellement camouflé la monde c'est la vérité refermée ventre chaud gelé dans sa tombe faux-jour du faux ciel faux parcours nature sous le ciel et l'ammonde se tient sur la monde avec son faux soleil revenant chaque jour pressant son nouveau soleil faux soleil sa faux décapitant l'hors-soleil pour reprendre en main le soleil et la monde se sent bien comme ça [...]

 

sollers,paradis

Pour agrandir : Sollers - Paradis II p10.JPG

 

 [...] personne n'a osé montrer à quel point nous respirons rien dans le rien colères justifications pleurs souffrances adieu romances adieu cadences adieu adieu talkie-walkie déjà-dit adieu l'ardent sanglot qui roule d'âge en âge et vient mourir au bord de l'immense truquage adieu plumages ramages modelages massages baisages adieu visages adieu collages attention par de bruit on va de nouveau tenter la sortie premier acte tête en avant dans la tête et puis retrait descendant vers le cœur point de cœur passant par le cœur deuxième acte arrêt des poumons envoi de la prespiration dans le noeud nerveux des talons troisième acte retour au cerveau images pensées mots ébauches de mots vidéo quatrième acte ventre sexe et dessous du cul dans son sexe remontée méningée vers le cervelet bulbé d'illustré cinquième acte suspens ralentissement réfraction du sang dans le sang plaine fraîche courant dans les veines sixième acte rentrée des antennes septième acte plongée ouf ça y est je suis passé j'ai gagné mais quoi même pas un cent millième de seconde intervalle en tampe du sans-temps fraction brisée sans mesure évanouissement sous piqûre j'ai affaire à de drôles de chiffres maintenant effrités mangés mal notés difficiles atomes invisibles impossibles à imprimer à classer même si j'arrive à tenir la nuit quand je tombe en elle endormi comme si je devenais le carbone où se double en creux le récit je ne sais plus qui se suis je ne sais plus où je suis je ne l'ai jamais su j'ai toujours fait semblant j'ai perdu ils l'ont deviné pour finir que je n'étais pas dans leur trame dans leur transmission mélodrame dans leur romantisme à la gamme triple croches soupirs lunés révolus je n'y crois pas que voulez-vous qu'est-ce que j'y peux je n'y crois pas je n'y ai jamais cru je n'ai jamais pu jouer à leur jeu glorification de la merde en nécessité nature dieu planification d'épluchures logification de l'ordure dissimulation du cadavre aux nouveaux venus dans l'obtus ils arrivent ils ne sont pas prévenus ils tombent dans l'assemblée criminelle bien décidée à se venger sur eux à se rattraper sur eux de leur pus voilà ils font leur entrée dans les usa les utérus sataniques associés avant d'être pris en charge par l'urss l'utérus roulant socialoïdement stimulé ils sont immédiatement enregistrés numérotés contaminés tatoués bridés traumatiquement initiés magnétiquement conforéms électriquement inscrits à l'ursas union de ravalement symbolique animiquement subluné donc salaire retraite assurée apprentissage du mini gigotage rechargeant le nerf de l'effet à partir de là distribution des traits personnalisés indices de perversions de névroses tickets de débilités de psychoses répartition des quotients sexuels nécessaires à la rutilation de la pile centrale entassées tout est prévu chacun a ses illusions son menu ses zones permises ses périphéries défendues chacun et chacune n'oublions pas les chacunes apparemment dominées par les chacuns masculins mais en réalité solidement à la barre de la grande lacune en sous-main ce qui fait que les chacuns féminins surveillent les chacunes à chacun [...] maintenant et encore ici maintenant je n'avance plus je ne m'entends plus je ne comprends plus je ne me sens plus c'est vécu tout ça maintenant ici maintenant c'est connu déjà vu déjà parcouru et pourtant ça tourne et ça continue toujours ici maintenant sans tenir compte des dépenses de lignes ou d'argent répétant l'ici maintenant comme ça pour rien dans une fuite sur place d'harmonie fugue trace qu'est-ce qu'on est loin maintenant moi et moi ici maintenant moi et ma main moi et mes yeux ouverts et ma main devant moi pendant que mon autre main maintient le papier dans la direction d'ici maintenant toujours maintenant folie vrillée délire tempéré tempête figée du clavier ce n'est plus le corps masse volume qui écoute la partition venant de droite ou de gauche mais la clé la clave l'échelle cave lignes portées noires sonores pointillées crevées recevant en elles ce corps abrégé l'allégeant le retournant transparent l'enveloppant dans l'ici maintenant veillant résonnant pinçant chevauchant s'ouvrant voilà ça y est de nouveau dans le spectres en vérité sensation à vif de nouveau seule vérité trempée tympan du temps ici maintenant et j'écris là ici maintenant toute la nuit maintenant et le vent souffle dans les vitres de la nuit montante violente tordant les branches dehors et giflant l'eau qui remonte dehors à travers les herbes et les pierres envahissant de nouveau les canaux de pierres mangées d'herbes toute la nuit dans le clavecin ici maintenant dans sa volonté frêle inflexible algébrique violette ascétique comme si le squelette de touts les éléments s'entendait ici maintenant canon du temps se chiffrant se clavant se claviculant résurrection dans la plaine soufrée du temps maintenant pleine lune d'argent sur la droite et ici maintenant souffle sur les os du temps maintenant pendant que l'eau noire progresse avec la nuit noire se levant à la verticale de l'océan pour y retomber demain matin ici maintenant quand le bleu reviendra dans le soleil ici maintenant et toujours le même vent peu à peu visible sans que cesse pour autant l'impression de clou d'ici maintenant perçant la situation comme frappée d'une vie et d'une mort éternelles simultanées emboîtées s'engendrant et se détruisant pour donner cette annulation de lucidité soulignée parfois par une accalmie une pause solennelle de la machinerie un blanc de mouvement tao central éclairé vidé avec ses cris d'oiseaux saisis d'une ivresse incompréhensible célébrant ou commémorant de tous temps ce passage à vide de la nature débranchée de la substance épuisée lui donc là fou caché peut-être simplement ridicule obstiné buté acharné poursuivant son récit accroché à ses petits signes à son sillage bleuté intra-signes fugue en fa dièse majeur prélude et fugue en fa dièse mineur prélude et fugue en sol majeur prélude et fugue en sol mineur prélude et fugue en la bémol majeur prélude en sol dièse mineur fugue en sol dièse mineur prélude et fugue en la majeur prélude et fugue en la mineur prélude et fugue en si bémol majeur prélude et fugue en si bémol mineur prélude et fuugue en si majeur prélude et fugue en si mineur prélude ici mineur en fugue maintenant majeure d'abord exposition définition délimitation des conditions de la chute condamnation damnation puis extension spiralation explosion de la réanimation rédemption les mêmes mots pour descendre et pour remonter pour se plaindre et pour protester pour gémir et pour adorer pour blasphémer pour louer combien de fois n'a-t-il pas pensé en finir abandonner le projet se retirer se taire couper les ponts les communications les informations disparaîtront dans son coin attendre [...]

 

  

sollers, paradisSe procurer l'ouvrage :

Paradis

Philippe Sollers

1981

Seuil

254 pages

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sollers,paradisSe procurer l'ouvrage :

Paradis II

Philippe Sollers

1986

Coll Blanche, Gallimard

114 pages

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