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lundi, 24 décembre 2012

Etymologie - Amour - Fragonard, Blake, El Greco, Rubens

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Diane et Endymion, Fragonard

 

 

Extrait de La Croix, lundi 19 novembre 2012

"Les mots pour le dire", Elodie Maurot

 

Avant de tisser lettres, poèmes ou romans autour de l'amour, toute langue est au défi de choisir les quelques mots qui incarneront l'amour...

Tout juste un mot, "amour", pour le plus grand des sentiments, la plus grande des vertus ? Qu'on ne s'y trompe pas, la langue française a hérité là d'un mot multiple, un mot-tiroir, un mot-valise, plein de sous-entendus et de nuances, où chaque époque a inscrit ses interrogations et ses certitudes. Dans l'Antiquité, il fallait une triade - éros, philia et agapè -, pour déployer toutes les couleurs de l'amour.

"L'éros est l'amour conçu comme ardent désir d'être uni à quelqu'un", souligne Monique Canto-Sperber, philosophe et directrice du Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale (PUF). La philia, elle, désigne "une relation empreinte de réciprocité et d'estime mutuelle". Ce terme, souvent traduit par "amitié", a une portée plus large, et consiste en une affection qui se caractérise par la volonté d'entretenir avec autrui des rapports où se manifeste une certaine excellence morale. "Enfin, l'agapè, est l'amour consacré à autrui, mais autrui considéré dans sa qualité fondamentale d'être humain et un prochain. C'est un sentiment sans attente de réciprocité et d'une certaine façon indépendant de ce qu'est l'aimé."

 

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L'amour d'Adam et Eve, William Blake

 

Comment les Grecs se rapportaient-ils à ces distinctions, quels usages en faisaient-ils ? "Une chose est sûre, les Grecs et les Romains séparaient plus fortement que nous ne le faisons le plaisir du désir, répond Paul Veyne, historien de l'Antiquité. Dans l'Antiquité, le plaisir est omnisexe - ce qui explique la fréquence de l'homosexualité - alors que le désir, lui, choisit un sexe." L'amitié, de son côté, pouvait y être ardente. "Les Romains étant capables d'en faire une véritable passion, alors que cette forme d'amitié est aujourd'hui peu populaire et toujours suspecte d'homosexualité", poursuit l'historien.

Le terme agapè connaît une gloire plus tardive. On sait que son usage était connu de la littérature païenne, on le retrouve dans l'oeuvre du philosophe juif hellénisé Philon d'Alexandrie (premier siècle avant l'ère chrétienne), mais le concept connus une promotion soudaine quand les auteurs du Nouveau Testament l'adoptèrent pour désigner l'amour chrétien. Dans ce contexte, agapè - traduit par amour ou charité - désigne la vertu des vertus, comme dans l'Hymne à l'amour de la première lettre de Paul aux Corinthiens (chapitre 13) et la première épître de Jean.

C'est au XIIe siècle que va surgir le mot "amor" pour désigner l'amour. "Les médiévaux ont un vocabulaire plus pauvre que les Grecs, ils ont "amour" et "charité", point final", résume Michel Zink, spécialiste de la littérature amoureuse du Moyen Âge. Le mot "charité", qui vient du grec, via le latin, s'est rapidement spécialisé pour désigner l'amour divin et l'amour se manifestant dans les oeuvres, d'où le sens moderne de "bienfait envers les pauvres" (Petit Robert) qu'il a pris par la suite. "Cette dichotomie imposée par le vocabulaire complique la tâche des médiévaux, poursuit Michel Zink. Ils doivent sans cesse rappeler que l'amour recouvre tout, et que la vraie charité, c'est l'amour !" Dans son vocabulaire, comme dans sa réflexion, le Moyen Âge se trouve donc dans une tension. "Il est à la fois le temps de l'invention d'une poésie de la passion amoureuse, de l'éros, et la première époque chrétienne qui réfléchit, plus que jamais, sur l'amour sous toutes ses formes, y compris l'amour de Dieu et du prochain."

 

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Pieta, El Greco

 

Dans ce contexte, les auteurs du Moyen Âge n'hésitent pas à utiliser le mot amor pour qualifier l'amour humain comme l'amour divin. Le Roman de la rose, best-seller du Moyen Âge, traduit cette double polarité. Dans sa première partie, il est un chant de la passion amoureuse, irrigué par la poésie des troubadours, dont est celui qui tient la plume, Guillaume de Lorris. Dans la seconde, rédigée par Jean de Mun, un clerc et un savant, il s'oriente vers une réflexion encyclopédique et théologique qui cherche à rassembler le tout de la connaissance de l'amour. Au "jardin de Déduit", jardin du plaisir, scène du coup de foudre initial, fait pendant la "prairie de l'Agneau", paradis final où l'Amour mène paître ses élus...

Les nuances de l'amor médiéval se dévoilent dans ses usages. On le voit être distingué d' "amar", l'amour bestial. "L'amor est le bon amour, l'amour exigeant, qui n'est pas obligatoirement chaste, mais qui est maîtrisé et noble", précise Michel Zink. Quant à la poésie, dont celle de Chrétien de Troyes, elle se plaît à des jeux de mots entre le verbe aimer (amer) et ses homophones "amer" ("amertume") et "la mer", car le sentiment amoureux est ambivalent, dangereux comme une mer immense et inconnue...

Le Moyen Âge élabore dans le même temps tout un corps de doctrines précisant les qualités que doit développer celui qui aime. Il vante la "mesure", la maîtrise de soi, et "le prix" ou le mérite. "Il faut aimer de façon à ce que cela augmente votre mérite, aimer une dame qui a du prix, aimer pour avoir soi-même du prix.", explique Michel Zink. Il valorise "joi" (nom masculin), la joie et "joven", la jeunesse. "Joi, c'est à la fois la joie et l'inquiétude de l'amour, précise Michel Zink. Et joven, c'est une sorte d'énergie, c'est l'élan vital de la jeunesse. Ce n'est pas seulement une question biologique mais une question morale. C'est, pourrait-on dire, la façon de vivre la jeunesse."

 

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Samson et Dalila, Rubens

 

Aujourd'hui, que reste-t-il de cette riche palette de vocabulaire et de concepts ? Trop souvent une simple opposition entre erôs et agapè, entre l'amour plaisir et l'amour désintéressé, durcie par l'héritage du jansénisme et du puritanisme. Fruit aussi du succès d'un traité philosophique, somme toute récent, Eros et agapè (1932), publié en France après-guerre, qui exerça une profonde influence dans les milieux philosophiques et ecclésiaux. Durcissant leur différence, Anders Nygren, théologien luthérien suédois, y faisait de la confrontation entre éros et agapè la clé de lecture de l'histoire occidentale de l'amour, opposant une vision grecque de l'amour, possessive et égocentrique, à une version chrétienne, oblative et désintéressée.

[...]

 

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Eros : divinité grecque, Eros désigne le désir amoureux, désir ardent d'union avec un autre singulier et déterminé. Dans la littérature grecque, Eros est tantôt une puissance inquiétante, qui trouble la raison, paralyse la volonté, tantôt un dieu malicieux, qui se plaît au jeu de l'amour, noue les intrigues ou les dénoue...

Philia, souvent traduite par "amitié", évoque un amour éprouvé pour ses semblables, au sein d'une famille ou pour les membres d'une communauté. C'est un sentiment défini par la tendresse, la générosité et la réciprocité. Pour Aristote, "aimer", au sens de philia, "c'est souhaiter pour quelqu'un ce que nous croyons être des biens, pour lui et non pour nous".

Agapè est l'amour consacré à autrui, considéré comme un prochain, à la suite du commandement de l'Evangile : "Tu aimerais le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et avec toutes tes forces et tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Mt 22, 37-40)? L'amour du prochain va au-delà de la demande de réciprocité et entend aimer ceux qui ne pourront rendre cet amour.

 

*

> Pour davantage : http://fichtre.hautetfort.com/les-mots-francais.html

 

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Sapin de Noël gourmand, Trocadéro, Paris 2012
Crédits photographiques Jana Hobeika

  

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Pralines au chaudron
Crédits photographiques Jana Hobeika

 

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Vitrine de la pâtisserie "Aux Merveilleux", rue de l'Annonciation, Paris
Crédits photographiques Jana Hobeika

 

Et d'autres jours...
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Crédits photographiques Jana Hobeika

 

dimanche, 23 décembre 2012

Le désert - Dt8, 1R19, Os2, Ps78 - Gustave Doré

 

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La tentation du Christ au désert, Gustav Doré

 

Dt 8

Souviens-toi de tout le chemin que le Seigneur ton Dieu t'a fait faire pendant quarante ans dans le désert, afin de t'humilier, de t'éprouver et de connaître le fond de ton cœur.

 

1R 19

Elie marcha dans le désert un jour de chemin et il alla s'asseoir sous un genêt. Il souhaita de mourir.

 

Os 2

Je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur.

 

Ps 78

Il les guida de jour par la nuée, par la lueur d'un feu toute la nuit ; il fendit les rochers au désert, il les abreuva à la mesure du grand abîme ; du roc il fit sortir des ruisseaux et descendre les eaux en torrents.

 

samedi, 22 décembre 2012

Le surréaliste prix des zartistes

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Animaux, Dali

  

Source : Madame Figaro supplément au Figaro n°21229 et 212230 des 2 et 3 novembre 2012

"Métropolitain par Marc Lambron - Adjugé !

 

La scène est au palais de Tokyo, temple parisien de l'art contemporain. Ce soir, au bénéfice du musée, on procède à la première vente aux enchères de l'immatériel. De quoi s'agit-il ? De vendre non pas des œuvres, mais des moments.

Des artistes et des personnalités ont accepté de se prêter au jeu : ils se transforment en lots humains. Exemple : contre enchère, l'artiste Hiroshi Sugimoto vous convie à prendre un thé japonais et à discuter de Marcel Duchamp dans la salle de thé qu'il a dessinée à New York. Ou bien : Bertrand Lavier, actuellement explosé au Centre Pompidou, vous invite à faire un tour du périphérique dans sa Ferrari.

Une foule dense et amusée se presse autour du commissaire-priseur, Brook Hazelton, un Américain natif de Carmel, Californie, ville dont Clint Eastwood fut le maire. La vente s'ouvre avec le lot Pierre Bergé, qui se transformera en guide de la Fondation Saint-Laurent pour l'heureux enchérisseur. Des mains se lèvent, on renchérit, et le lot part à 3 000 euros. Adjugé !

Ce qui est amusant, mais rude pour l'ego de ces grands narcisses que sont les artistes, c'est que la vente de l'immatériel établit une sorte de cote sauvage. Une promenade au clair de lune sur les canaux vénitiens avec Martin Bethenod, directeur du Palazzo Grassi : 4 500 euros. Une journée filmée vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans l'atelier de Christian Boltanski : 2 500 euros. Une réplique dans le prochain film d'Elie Chouraqui, avec Michel Bouquet, André Dussolier, Michel Galabru, Virginie Ledoyen : 4 000 euros. Un week-end dans la propriété de Wim Delvoye, près de Gand : 5 000 euros. Les lots se succèdent. Le remodelage de soi-même par Jean-Paul Goude part à 3 000 euros. Un cours de dessin avec Fabrice Hyper : 2 000 euros. Un diner iranien concocté par Shirin Neshat : 2 500 euros. Xavier Veilhan vous emmène faire un tour en mer et vous invite à déjeuner dans son atelier : 5 000 euros. Quant à la promenade dans le potager d'Alain Passard, suivie d'une dégustation mitonnée des découvertes du jour, elle atteint 2 500 euros.

Dans toute vente, il y a un moment où les enchères s'affolent. Là, c'est le lot Daniel Firman qui enflamme la salle. Son intitulé ? "Vous avez rêvé d'être un modèle ? Allez plus loin, l'artiste moule votre corps et vous transforme pour l'éternité en une sculpture originale." Enchère finale à 25 000 euros !

J'oserai ajouter que j'étais moi-même l'un des lots de cette vente. Le thème ? "Accompagner Marc Lambron pour un dîner parisien en très bonne compagnie." Curieuse sensation que d'être adjugé sous le marteau d'un commissaire-priseur. Mais, au milieu de la marchandisation lugubre du monde, il est agréable d'être vendu avec humour pour la bonne cause, celle du programme "Young Curators" du palais de Tokyo. Quant à mon prix, il serait indélicat de le mentionner pour la femme exquise qui a eu la gentillesse de l'acquitter.

 

 

Les-escarpins-de-Marie-Antoinette_exact540x405_l.jpg> Pour d'autres enchères :

Une histoire de célèbres escarpins

http://www.grazia.fr/societe/news/les-escarpins-de-marie-...

 

 

 

Et en voici une qui pourrait avoir chaud aux fesses à force de ne pas avoir froid aux yeux...

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(Source : Direct Matin, lundi 26 novembre 2012)

 

vendredi, 21 décembre 2012

Salvador et Gala

 

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Source : Le Figaro, lundi 19 novembre 2012

"Nous nous étions tout de suite entendus", Michel Déon de l'Académie Française

 

Salvador Dali était le fils d'un notaire de Figueras, une très honorable famille aux idées larges et que l'idée d'avoir un rejeton passionné de peinture ne désespérait nullement, et même, probablement, flattait. Le notaire, sans passer pour un ambitieux, sut canaliser l'effervescence de son fils et imposer un début classique. Puisque Salvador aimait les arts et peindre, il irait apprendre non pas à avoir du talent, mais à se préparer une vie d'artiste à l'Ecole des beaux-arts de Madrid. Après, le jeune homme serait libre de s'envoler.

A 25 ans, Salvador monte enfin à Paris. Un rêve "sublime" commence en même temps que les surréalistes prennent le pouvoir. On accueille ce jeune impétrant comme un ovni qui n'arrivait pas dans la capitale française pour s'enrégimenter dans une secte aux apparences libertaires et, en réalité, menée à la trique par son plus puissant inspiré, André Breton, qui, d'ailleurs, perçut vite des failles dans l'adhésion du jeune Catalan et le baptisa "Avida Dollars". Il est également probable que le "club" des surréalistes apprécia peu l'enlèvement de Dali par l'épouse d'Eluard, Gala, la célèbre "Rediviva", la "Gala Gradiva" destinée à trôner dans l'oeuvre peinte du jeune catalan.

 

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J'ai du plaisir à la citer alors qu'elle a été peu prisée par l'entourage passionné des "daliniens", sans doute parce que j'ai eu la chance de toujours la voir sous son meilleur jour : l'inspiratrice, la fée bienveillante, le modèle répété de tableau en tableau, mais aussi la gardienne de l'atelier, veillant à ce que les visiteurs ne repartent pas les poches pleines de petits trésors. La disparition de Gala signa la fin de Dali et jeta le chaos dans son oeuvre. [...]

 

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Ce fut très court, mais je garde frais le souvenir du personnage qui amusait assez prodigieusement l'Amérique et que, peut-être, elle considérait comme un mégalomane dont les éclats, les mystifications, les coq-à-l'âne, la grandiloquence et jusqu'à cette façon de porter en ville ces costumes qu'en Espagne on dit cursi, ce rien de trop, ennemi de l'élégance. Que cherchait-il à masquer ainsi, sinon, et j'en eus la certitude plus tard, une solitude paralysante et peut-être une sensibilité parfois assez puérile ?

 

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Il était heureusement dit que nous nous rencontrerions beaucoup plus - et même pendant des années - mais dans des circonstances moins glacées, et ce fut à Paris, où la Table Ronde d'alors souhaitait publier une version française de La Vie secrète de Salvator Dali par Salvador Dali, une autobiographie assez délirante. En fait, il s'agissait du manuscrit de l'oeuvre originale avec cette particularité que Dali l'avait écrit, à la main, en lettres capitales, en français, avec une totale et irrésistible ignorance de toute orthographe. Pour en saisir le sens, il fallait la lire à haute voix avec l'accent catalan-espagnol.

 

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Le grand intérêt de cette oeuvre totalement spontanée était sa sincérité, je dirais même sa nudité, tant on y rencontrait d'éclairs, de nuits, de passages drolatiques ou bouleversants. A condition de le "traiter", ce livre contenait des pages extrêmement belles et révélatrices de l'espèce d'innocence de Dali, de sa foi, de son intelligence, de ses élucubrations politiques hors des pauvres temps que nous traversions. D'autres livres suivirent dont un Journal d'un génie (pas moins !) et Les Cocus du vieil art moderne. [...]

 

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1904, naissance de Salvador Dali, à Figueras (Catalogne), le 11 mai. Il voit le jour neuf mois après la mort de son frère aîné qui avait été baptisé Salvador. 

1922, il s'inscrit aux Beaux-Arts, à Madrid, où il rencontre Lorca et Bunuel.

1929, il s'installe à Paris, après un premier séjour en 1927. Il fréquente alors les surréalistes et se lie avec Gala, épouse du poète Paul Eluard. Dali et Gala se marient en 1934.

1939, pendant la guerre, Dali et Gala s'installent à New York.

1949, de retour en Europe, Dali et Gala se partagent entre Paris et la Catalogne.

En 1955, il donne à la Sorbonne sa conférence sur les "Aspects phénoménologiques de la méthode paranoïaque-critique".

1989, Salvador Dali meurt le 23 janvier, à 84 ans, à Figueras. Il y repose dans son Théâtre-Musée, édifié sur les ruines d'un théâtre détruit pendant la guerre civile. Dali a survécu sept ans à Gala qui s'est éteinte le 10 juin 1982, à 87 ans.

 

jeudi, 20 décembre 2012

Salvador dandy

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Dali dandy

 

 

Source : Le Figaro, lundi 19 novembre 2012

"La gloire du marquis de Pubol", Adrien Goetz

 

Les éditeurs cyniques parlent, dans leur jargon, des "livres pour non-lecteurs" et comme les "non-lecteurs" sont infiniment plus nombreux que les lecteurs, ce sont toujours des succès. Il existe aussi des artistes pour "non-visiteurs" d'expositions. Ils sont plutôt très bons, c'est ce qui distingue les musées des libraires : Magritte, Bruegel, Arcimboldo, Renoir, Hopper en ce moment au Grand Palais. Dali est le chef de cette petite troupe, le plus grand de ceux que tout le monde reconnaît au premier regard, ces artistes qui font plaisir à ceux qui n'y connaissent rien.

C'est qu'il est un excellent peintre pour classe terminale : il sert à tout. En histoire, les professeurs montrent les Six apparitions de Lénine sur un piano et L'Enigme de Hitler ; en philo, les élèves se délectent du célèbre et freudien Métamorphose de Narcisse ; en classe de lettres, les tableaux inspirés par Gala servent, juste retour des choses, à illustrer les poèmes d'Eluard.

 

 

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Six apparitions de Lénine sur un piano

 

 

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L'Enigme de Hitler

 

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Métamorphose de Narcisse

 

 

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Gala

 

 

Pour les historiens de l'art, Dali peut s'expliquer avec une clef unique, la fameuse méthode "paranoïa-critique", terme qui figure dans les titres de plusieurs tableaux et qu'on retrouve sans discussion chez presque tous ses commentateurs. Jean-Louis Gaillemin, dans son essai Dali. Désirs inassouvis (Le Passage), a décodé la genèse du mot : un terme soufflé à Dali par Breton, qui permit au Catalan d'abriter ses fantasmes, avec souvent beaucoup d'humour, derrière la toile tendue d'un solide alibi conceptuel. La méthode paranoïa-critique, c'est comme la moustache, ça ne sert à rien mais ça fait parler.

 

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Pour les historiens moins attentifs, nourris au lait surréaliste, il y a un bon et un mauvais Dali. D'un côté le peintre génial des années 1920-1930, celui qui faisait scandale dans les sacristies avec son ami Bunuel et que le vicomte de Noailles avait le génie de financer. De l'autre, la marionnette des années 1970, bonimenteur de ses propres oeuvres, prêchant avant l'ouverture du Musée d'Orsay l'amour des peintres "pompiers" du XIXe siècle, plaçant Meissonier ou Bouguereau à l'égal de Vermeer, rallié au catholicisme sous Franco, aux mathématiques sous René Thom, à la physique quantique et au ruban d'ADN parce qu'il y voyait la présence de Dieu créateur caché dans l'infiniment petit. [...]

 

> A consulter également : http://divinedali.tumblr.com/

 

mercredi, 19 décembre 2012

Salvador aphrodisiaque

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Dali portant son "veston aphrodisiaque"

 

Source : Le Figaro, lundi 19 novembre 2012

"Dali, la folie et la grandeur", Valérie Duponchelle

 

Il a fait tant de bruit en son temps que son oeuvre est devenue d'illustration de son discours, roucoulant, farceur et hyperbolique. On en aura un peu, mais à juste dose. Juste assez pour se souvenir de ce personnage royal, si beau jeune, si poignant vieux, qui savourait chacune de ses performances comme un banquet. [...] Dali, c'est le peintre né sur le divan freudien dont les associations libres, crues et sauvages nourrissent ses tableaux-rébus [...].

[...] les tableaux de Dali, ces virtuoses si révolutionnaires, ces délicats de tons si agressifs de sens, sont devenus la matière même de l'histoire de l'art. Depuis, l'audace du geste s'est éventée : l'art contemporain a copié les performances déjantées de ce vieil homme à Veston aphrodisiaque (1936/1967) et multiplié les installations saugrenues. 

Que reste-t-il de ces amours d'avant-garde ? Le plus crucial, l'oeuvre qui puise avec génie dans les fantasmagories des paysages flamands et des codes des maîtres anciens (Espagne, 1938 ou Portrait de Mme Isabelle Styler-Tas (Mélancolie), 1945, Métamorphose de Narcisse, 1937, star de la Tate à Londres). Et insensé comme ce Portrait de Picasso (1947), grotesque de la Renaissance qui tire une langue de caméléon, avec l'oeillet rouge des amoureux ibériques.

 

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Espagne

 

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Portrait de Mme Isabelle Styler-Tas (Mélancolie)

 

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Métamorphose de Narcisse

 

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Portrait de Picasso

 

mardi, 18 décembre 2012

Tous surréalistes - Dali, Man Ray

 

Source : Madame Figaro supplément au Figaro n°21229 et 212230 des 2 et 3 novembre 2012

"Que reste-t-il des surréalistes ?" 

 

Ils voulaient transformer le monde... et aujourd'hui notre monde leur ressemble. C'est en tout cas la conviction de Michel Meffesoli, professeur de sociologie, auteur d' "Homo eroticus"*. En cinq principes clés, il nous en fait la démonstration. Propos recueillis par Philippe Nassif 

* "Homo eroticus" vient de paraître aux Editions CNRS ; Michel Maffesoli est aussi l'auteur, avec Brice Perrier, de "l'Homme postmoderne", chez François Bourin Editeur.

 

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Leda Atomica, Dali

 

"L'amour fou"* ou l'érotisation du lien social

 "Nous ne prêtons jamais assez attention au mot même de "surréalisme". Il nous rappelle que le réel ne se réduit pas à la réalité, qu'il est bien plus riche que ce principe de réalité à courte vue et déconnecté de la société que brandissent les politiques, les universitaires, les économistes ou les journalistes. Car ce qui fut l'apanage des surréalistes et reste la marque de bien des pratiques juvéniles contemporaines, c'est l'idée que la vie sociale est toujours d'abord portée par une dimension de surréel ou d'irréel. La religion, par exemple, pendant longtemps. Fondamentalement, les avant-gardes rappelaient qu'on ne peut pas réduire l'existence à un plan épargne-logement. Parce qu'il est d'autres exigences : l'amour fou de Breton, la vie festive, la dépense chère à Georges Bataille. Autrement dit, ce qui compte, c'est le prix des choses sans prix. Ce qui se déploie à travers l'idée que c'est bien plus beau lorsque c'est inutile, c'est une érotisation du lien social : un "homo eroticus" vient désormais compenser le rationalisme abstrait par une culture émotionnelle."

* André Breton

 

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La madone de port Ligat, Dali

 

"Tout est dada"* ou la chute du bourgeois

 "La métamorphose des sociétés obéit à une loi que je résumerai ainsi : un mouvement est d'abord secret, puis discret et enfin affiché. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, une poignée de romantiques, happy few très marginaux, tels Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, vont secrètement expérimenter un mode de vie alternatif au bourgeoisisme alors triomphant. Et cela va réapparaître de manière discrète dans l'entre-deux-guerres à travers les avant-gardes, de dada à la grande aventure du surréalisme, puis plus tard avec l'Internationale situationniste. Là il y a une exploration à 360 degrés des préceptes romantiques. Et ces valeurs viennent contaminer, à partir des années 1960, et cette fois de manière affichée, la jeunesse occidentale. Ce que j'ai appelé la "conquête du présent" domine le corps social. Un exemple a priori anecdotique : les titres des journaux qui, dans le sillage de "Libération", procèdent par détournement et collage pour faire jaillir un sens nouveau. C'est devenu une banalité de soigner les titres. Mais on oublie que de tels procédés ont été mis en œuvre par les situationnistes et avant eux par les lettristes et les surréalistes."

* Tristan Tzara

 

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La main de Dali retirant la toison d'or, Dali

 

"La toute-puissance du rêve"* ou la culture du virtuel

"La toute-puissance du rêve, le jeu désintéressé... : ce que le "Manifeste du surréalisme" a promu est aujourd'hui au fondement de la culture du virtuel sur le Web, dans les jeux vidéo ou à travers les mondes imaginaires du cinéma. Mais, en France, ce virtuel est encore peu étudié. Parce que "ce n'est pas réel", que "ça ne mange pas de pain", qu' "on ne sait pas à quoi ça sert" ? Précisément, il s'opère à travers les technologies numériques un véritable réenchantement du monde. "J'ai plusieurs vies dans ma vie." Ainsi, sur le Web, 70% des pseudos féminins sont utilisés par des hommes. Moi, dont la réalité physico-chimique est masculine, je vais pouvoir laisser libre cours à mes fantasmagories, me défouler réellement. C'est cela, la virtualité : une perte de son identité stable et étroite dans quelque chose qui nous dépasse. Un apprivoisement quelque peu païen de l'entièreté de sa personne, que les surréalistes, déjà fascinés par le cinématographe, avaient anticipé."

* Premier "Manifeste surréaliste"

 

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Noire et Blanche, Man Ray

 

"Être à plusieurs un seul"* ou la loi des frères

"Désormais, on n'est plus dans la loi du père, mais dans la loi des frères. Cela veut dire qu'il y a à la fois un refus du pouvoir et un besoin d'autorité. Le pouvoir, c'est le père : le supposé sachant. L'autorité qui, comme l'indique l'étymologie latine "auctoritas", renvoie à ce qui fait croître, c'est le frère. Au père qui impose se substituent des grands frères successifs, des autorités changeantes. D'où l'essor des communautés postmodernes, des tribus juvéniles aux familles recomposées, en passant par les nouvelles pratiques religieuses. Cela correspond à l'idée, à l'oeuvre dans les avant-gardes, que je n'existe que par et pour le regard de l'autre. Je ne suis pas un individu enfermé dans la citadelle de mon ego. Mais une personne aux facettes multiples, que révèle chaque nouvelle rencontre. Je le vois bien avec mes étudiants : il n'y a plus cette vénération du père, encore prégnante il y a quarante ans. Mais il y a un désir d'initiation, une logique postulant qu'il y a un trésor que chacun possède, qui n'aspire qu'à se dévoiler et à enrichir le bien commun, si je parviens à bien l'accompagner. On retrouve cela dans la culture du coaching. Là encore, les surréalistes ont été prophétiques."

* Georges Bataille

 

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En pleine occultation de Vénus, Man Ray 

 

"Ne travaillez jamais" ou créez plutôt

"Guy Debord est à l'origine de l'un des slogans les plus connus de Mai 68 : "Ne travaillez jamais !" Mais ce mot d'ordre a parfois été mal compris. Il ne s'agissait pas d'un éloge de la paresse. Mais d'une critique du travail conçu comme un instrument de torture, un "tripalium" si l'on suit l'étymologie du mot. Pour les modernes, la réalisation de soi passait nécessairement par le travail. Et cette valeur travail est aujourd'hui défendue aussi bien par la gauche que par la droite. Or, le travail n'a jamais été une valeur ! C'était réservé aux esclaves ! Et ce que Debord signale, c'est un glissement du travail vers la création. Et une capacité à intégrer le rêve, le jeu, l'intuition à mon action. Autant de paramètres que le travail salarié a évacué par souci d'efficacité. Et qui reviennent ! A travers Google, par exemple, on peut consacrer 15% à 20% du temps de travail à autre chose : se documenter sur son hobby, échanger des blagues, écrire de la poésie, draguer... Et c'est essentiel, car c'est à partir de l'appétence que se forge la compétence. L'idée s'impose que je serai, par exemple, un bon manager seulement si je sais aussi faire des confitures ou jouer de la musique ; si j'ai cultivé les capacités des sens, du corps vivant. Guy Debord et ses amis aimaient cette formule : "La vie, ce huitième art."

 

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> A consulter également à propos du surréalisme : 
http://garrusart.blogspot.fr/2012/01/le-surrealisme-les-p...

 

> Et à propos de Dali : http://annievorama.blogspot.fr/2007/06/salvator-dali.html

 

> Et de Man Ray: http://www.monalyz.fr/5.html

 

> Et pour d'autres photos de Man Ray : http://anthonylukephotography.blogspot.fr/2011/04/photoga...