mercredi, 05 décembre 2012
Et Picasso peint Guernica - Alain Serres
Extrait de Et Picasso peint Guernica, 2007, Alain Serres, Ed. Rue du monde :
Le 26 avril 1937, à 16h30, le ciel de Guernica, petite ville du nord de l'Espagne, s'assombrit. Les cloches de la cité basque se mettent à sonner étrangement. Quinze minutes après, les premiers avions lâchent déjà leurs bombes au-dessus des places, des rues et des habitations. Ce sont des bombardiers allemands de la division Condor, suivis d'avions italiens. 19h45, le dernier avion disparaît. La ville brûle, presque rasée. L'église est debout.
Le 1er mai, Picasso découvre l'horreur à la une de son journal. Le jour même, dans son atelier de la rue des Grands-Augustins, il commence à jeter des idées sur du papier, à dessiner des morceaux de colère, à imaginer une toile à la hauteur de son émotion. Il pensait peindre son atelier d'artiste ; ce soir, c'est décidé, il peindra sa douleur d'artiste espagnol : Guernica. Picasso peint d'emblée Guernica en noir et blanc. Il fera quelques essais en couleurs mais s'en tiendra en définitive à son choix initial. Le premier dessin que Picasso jette sur une feuille, réagissant à la lecture du journal.
Etude pour Guernica (II), 1er mai, Musée National Centre d'Art Reina Sofia.
Au tout début de l'année 1937, Picasso réalise cette gravure qu'il faut lire en miroir, comme un tampon. Dans un style annonçant celui de Guernica, il dit son rejet de la violence et du fascisme.
Songe et Mensonge de Franco, janvier 1937
Picasso fait remonter en lui les dessins contre Franco qu'il a gravés au tout début de l'année, des compositions fortes des peintres Goya ou Le Douanier Rousseau, des taureaux et des chevaux qui lui viennent de sa lointaine Espagne et d'antiques légendes. Depuis quelques années, Picasso dessine de très nombreux minotaures et des chevaux sortis tout à la fois de la mythologie grecque et des arènes espagnoles.
Minotaure et Cheval, 1935
Comment traduire la douleur des chairs et de l'esprit avec du noir et du blanc ? A-t-on le droit d'évoquer un massacre avec un dessin simple comme le dessin d'un très jeune enfant ? Comment faire pour qu'une image soit plus forte que le souffle de 50 tonnes de bombes ? Pour qu'elle vive longtemps après que les poussières et les éclats ne soient retombés ? Longtemps dans les yeux des hommes, même quand ils les ferment.
Etude pour Guernica (III), 1er mai, Musée National Centre d'Art Reina Sofia
Cheval (V), 1er mai, Musée National Centre d'Art Reina Sofia
Etude pour Guernica (IV), 1er mai, Musée National Centre d'Art Reina Sofia
Le 9 mai, après plusieurs dizaines de dessins, l'idée de l'immense fresque prend forme sur la feuille de papier.
Etude pour Guernica (VII), 9 mai, Musée National d'Art Reina Sofia
Le 11 mai, on lui livre enfin plus de sept mètres de toile. A peine est-elle fixée au mur que Picasso monte sur son escabeau et commence à dessiner, à l'aide d'un fusain, des personnages qui le dépassent.
Guernica, état I, 11 mai
Guernica, état V
Guernica, état VI
Guernica, état VII
Guernica, 4 juin 1937, Pablo Picasso
7,82 x 3,51 mètres
Se procurer l'ouvrage :
Et Picasso peint Guernica
Alain Serres
2007
Ed. Rue du monde
51 pages
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mardi, 04 décembre 2012
Pablo
Extrait de Et Picasso peint Guernica, 2007, Alain Serres, Ed. Rue du monde :
Photographie, Pablo à 7 ans Premier autoportrait, 1896, Pablo à 14 ans Autoportrait, 1907
La jeune fille aux pieds nus, 1895, Une des premières toiles du jeune artiste. Pablo a 13 ans.
[Le père de Pablo] est peintre et professeur aux Beaux-Arts. Avec lui, un dessin doit exactement ressembler au modèle, le tissu rouge à du tissu rouge, la tristesse à la tristesse.
[...] quand Pablo a 13 ans, son père décide d'arrêter définitivement de peindre : dans son atelier de Barcelone, il remet à son fils ses pinceaux, ses couleurs et sa dernière palette.
Les premières colombes peintes par Pablo en 1890. Il n'a que 8 ans. Enfant au pigeon, 1901
[...] le petit enfant doué de Malaga a aujourd'hui 19 ans. Il décide de devenir le peintre Pablo Picasso.
Pablo Picasso choisit de vivre à Paris.
Il aime marcher dans les rues, regarder passer les Parisiennes dans leurs robes nouvelles, aller au musée des Arts africains, au cirque Medrano et, par-dessus tout, il aime peindre.
Il aime peindre les saltimbanques et les baladins. Les acrobates qui font rouler une planète sous leurs pieds ou jonglent avec des étoiles, pour faire rêver les citadins.
A Paris, Picasso fréquente les milieux de la danse, de la musique et du théâtre.
Acrobate à la boule, 1905 Arlequin assis, 1905
Rideau de scène de "PARADE", 1917
Ces arlequins qui dansent,
plus puissants que les lois terrestres,
sous une fragile armure de satin.
Ensemble ils forment une grande famille,
celle des artistes,
pour qui tout est possible.
Famille d'acrobates, 1905 Violon, 1913-1914
1921. L'effroyable guerre est terminée depuis deux ans lorsque naît Paul, son premier enfant. Olga est la mère de Paul.
Portrait d'Olga dans un fauteuil, 1917 Paul dessinant, 1923
Claude et Paloma dessinant avec Pablo Picasso. Claude et Paloma dessinent ici avec leur mère.
A partir de 1948, Picasso s'installe dans le sud de la France.
Il habite successivement à Vallauris, Cannes, Vauvenargues et Mougins,
où il décède le 8 avril 1973,
à l'âge de 91 ans.
Se procurer l'ouvrage :
Et Picasso peint Guernica
Alain Serres
2007
Ed. Rue du monde
51 pages
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lundi, 03 décembre 2012
Gustav - Le salut de l'homme passe par l'art
"Le salut de l'homme passe par l'art."
Documentaire Arte : Mystérieusement Klimt (2012, durée 25 minutes)
Il vivait avec ses deux sœurs et sa mère, il n'a jamais eu d'appartement à lui.
Son père est orfèvre ciseleur, sa mère est enfant des faubourgs viennois. Il est le deuxième d'une fratrie de 7. Il né le 14 juillet 1862 dans un logement modeste de la Linserstrasse à Baumgarten près de Vienne. La famille Klimt déménage souvent. Quand le père a du travail, on habite de petits appartements. Quand il perd son emploi, on doit s'installer dans des baraquements mal famés de la banlieue, et vivre parmi les immigrés, les journaliers et les chômeurs.
A 14 ans, Gustav Klimt a terminé le collège et grâce à une petite bourse, il entre à l'école des arts décoratifs de Vienne où il reçoit une solide formation en dessin et en peinture décorative. Il est excellent élève et savait dessiner avec une précision photographique.
Devenu célèbre en 1897.
Très tôt, il s'est associé avec son frère Ernst et Franz Match, pour créer un atelier de décoration. Ils avaient respectivement 15, 16 et 18 ans. Et ils ont eu du travail. En 1886, Klimt n'a que 23 ans quand ses associés et lui décrochent un gros contrat pour peindre les plafonds du Burg Theater. Ce contrat, ils l'obtiennent par un concours de circonstances. Hans Makart meurt de façon inattendue et les autres grands noms de la profession travaillent sur d'autres édifices du Ring. C'est ainsi qu'on fait appel aux frères Klimt et à leur associé Franz Match pour peindre dix plafonds dans les escaliers du Burg Theater. La rétribution est fixée à la somme exorbitante de 10 000 florins.
Puis ils enchaînent avec un autre chantier, et on peut voir que Klimt prend une autre direction que son frère et Franz Match, c'est le premier pas vers la "sécession".
Au musée des beaux arts de Vienne, Gustav Klimt réalise 13 fresques entre les colonnes et au-dessus des arcs de l'escalier d'honneur. Ses peintures se trouvent à environ 12 mètres du visiteur, une distance trop grande pour percevoir la patte de l'artiste. Il faut y regarder de plus près pour pouvoir comparer son travail avec celui de son frère Ernst et de son condisciple Franz Match, et constater avec quel brio il a surmonté cette tâche extrêmement ardue. Ces motifs de l'Egypte ancienne et de l'antiquité gréco-romaine préfigurent l'œuvre révolutionnaire qu'il accomplira en tant que représentant de l'art nouveau viennois.
1892. Œuvre méconnue du public. Deux billets de 10 et 50 florins dessinés par Gustav Klimt. Et un billet de 5 florins conçu par Franz Match. Ces esquisses ont été soumises à l'appréciation du directoire de la banque et malheureusement elles n'ont pas reçu un très bon accueil. On estimait que ça ne correspondait pas exactement à ce qu'on recherchait. Dessins remisés au placard au motif qu'ils étaient trop simples et pas assez attrayants dans leur conception pour pouvoir être retenus. Bien sûr, ça n'a pas plu du tout à nos deux artistes et d'après un document interne du directoire, Gustav Klimt se serait plaint auprès de l'imprimerie et aurait su se faire entendre. Mais au final, la banque nationale d'Autriche a déclaré qu'elle lui avait déjà payé les 600 florins promis.
Un siècle plus tard, on ébauche des billets de 500 florins à son effigie. Ce projet non plus ne verra jamais le jour.
A la mort de son frère, il cessera de créer pendant plusieurs années, en dépression.
Il n'aime pas voyager mais se rend avec Alma à Venise. Elle épousera plus tard Gustav Mahler. Il ne voyage pas seul mais avec son beau-frère Carl Mohl et un grand cercle d'amis. A Venise, il tombe amoureux d'Alma Schindler. Elle lui donne son premier baiser puis lui remet une photo qu'il affectionne particulièrement. Toutefois les choses se corsent quand Carl Mohl apprend qu'ils se sont embrassés. Voilà que sa belle-fille entame une liaison avec un artiste plus âgé qu'elle. 1899. S'il s'éprend d'Alma, il entretient toujours une relation avec sa belle-sœur, Hermine Klimt. Parallèlement, il tombe amoureux d'Emilie Flöge. En outre, deux mois plus tard, son fils Gustav Hoshitski vient au monde et deux mois après son fils Gustav Zimmerman. Gustav Klimt se trouve donc dans une situation très compliquée. Son aventure avec Alma Schindler s'achève à Venise.
En entrant dans la basilique Saint-Marc, il voit une profusion d'or. C'est seulement après, en poursuivant sa visite, qu'il découvre les somptueuses mosaïques. Cette expérience le marque tellement qu'il décide d'utiliser l'or dans ses peintures. Pas forcément en couche supérieure.
Erotisme franc, sexualité féminine explicite, ses dessins sont perçus indécents. Taxé de pornographie mais lui ne voyait pas les choses ainsi. A ses yeux, l'Eros s'inscrivait dans la grande thématique de la vie. Pour lui, ses dessins qui étaient en général ouvertement érotiques, comportaient toujours une dimension sacrée. Il voyait dans cet érotisme, le mystère de la vie. L'Eros comme mystère de la vie. Bien sûr, beaucoup de dessins étaient très explicites, très sensuels. Il a d'ailleurs été traité de pornographe, ce qui l'a profondément affecté.
En tant qu'artiste, Gustav Klimt était un personnage exposé, et beaucoup auraient aimé l'épier à travers le trou de la serrure. On sait peu de choses sur ce qui se passait derrière la porte de son atelier. Il travaillait 8, 9 heures par jour et il aimait fredonner des lieder de Schubert, tel que der Lindenbaum, le tilleul.
Certains de ses amis rapportent qu'il entrait dans une colère noire lorsque des visiteurs arrivaient à l'improviste. Et après avoir fait l'objet de scandales retentissants, il aurait accroché une pancarte sur la porte de son atelier avec cette inscription : "Inutile de frapper, on ne vous ouvrira pas."
Personne ne l'a jamais vu en train de dessiner. C'était pour lui ce qu'il y avait de plus intime. Certains contemporains racontent qu'il était entouré de modèles en admiration devant lui. Mais ce ne sont que des fantasmes. En fait, il était très discipliné dans son travail.
Réaliser ce genre de dessins dans son atelier est une chose. Le montrer en est une autre. Et on peut se demander qui l'a vraiment vu à l'époque. Sans doute seulement un petit cercle d'intimes. En revanche, la peinture, qui représente le même modèle, a bel et bien été exposé, ce qui n'a pas manqué de bousculer les conventions et les valeurs morales d'alors, et de soulever de vives polémiques. Peut-on montrer une telle œuvre au grand public ?
Il y a eu des restrictions aux expositions de son vivant : interdit aux femmes de moins de 18 ans.
"La parole ne m'est pas familière, surtout quand je dois m'exprimer sur moi-même ou sur mon travail". S'exprimait dans le dialecte viennois. Peu expansif.
Il n'aimait pas voyager. Quand il voyageait, il envoyait des cartes postales à Emilie Flöge, jusqu'à huit par jour.
Elle tenait une maison de couture avec ses sœurs à Vienne. Financièrement autonome.
Il passait ses étés chez les Flöge, loin de Vienne.
1918, attaque cérébrale qui entraîne une paralysie partielle, installé un temps au sanatorium puis à l'hôpital général où il souffre d'escarres et on lui rase sa barba légendaire. Meurt le 6 février 1918 d'une pneumonie développée avec la grippe espagnole.
Masque mortuaire.
"Le salut de l'homme passe par l'art."
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Documentaires, Les mots des films, Peinture, Portraits de personnalités | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gustav, gustave, klimt, emilie, floge, ernst, franz, match
dimanche, 02 décembre 2012
Considérations sur les lettres et sur la lettre - Benoit XVI, Rembrandt
Vieille femme en train de lire, Rembrandt
Extrait du Discours au monde la Culture, Paris, le 12 septembre 2008, Benoît XVI :
Le Désir de Dieu comprend l'amour des lettres, l'amour de la parole, son exploration dans toutes ses dimensions. Puisque dans la parole biblique Dieu est en chemin vers nous et nous vers Lui, ils [les moines] devaient apprendre à pénétrer le secret de la langue, à la comprendre dans sa structure et dans ses usages. Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, devenaient importantes [...]. L'école et la bibliothèque assuraient la formation de la raison et l'eruditio, sur la base de laquelle l'homme apprend à percevoir au milieu des paroles, la Parole.
La Parole de Dieu n'est jamais simplement présente dans la seule littéralité du texte. Pour l'atteindre, il faut un dépassement et un processus de compréhension qui se laisse guider par le mouvement intérieur de l'ensemble des textes et, à partir de là, doit devenir également un processus vital.
Saint Paul a exprimé de manière radicale ce que signifie le dépassement de la lettre et sa compréhension holistique, dans la phrase : "La lettre tue, mais l'Esprit donne la vie" (2 Co 3,6). Et encore : "Là où est l'Esprit..., là est la liberté" (2 Co 3, 17) [...] cet Esprit libérateur a un nom et, de ce fait, la liberté a une mesure intérieure : "Le Seigneur, c'est l'Esprit, et là où l'Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté " (2 Co 3, 17). L'Esprit qui rend libre ne se laisse pas réduire à l'idée ou à la vision personnelle de celui qui interprète. L'Esprit est Christ, et le Christ est le Seigneur qui nous montre le chemin.
Avec cette parole sur l'Esprit et sur la liberté, un vaste horizon s'ouvre, mais en même temps, une limite claire est mise à l'arbitraire et à la subjectivité, limite qui oblige fortement l'individu tout comme la communauté et noue un lien supérieur à celui de la lettre du texte : le lien de l'intelligence et de l'amour.
Joseph Ratzinger, le Pape Benoît XVI (né en 1927)
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Peinture, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rembrandt
dimanche, 18 novembre 2012
Psaume 29 - Rembrandt
Le Christ dans la tempête, Rembrandt
Quand j'ai crié vers toi, Seigneur,
Mon Dieu, tu m'as guéri ;
Seigneur, tu m'as fait remonter dans l'abîme
et revivre quand je descendais à la fosse.
Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles,
Rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu'un instant,
Sa bonté toute la vie.
Avec le soir viennent les larmes,
Mais au matin, les cris de joie !
Tu as changé mon deuil en une danse,
Mes habits funèbres en parure de joie !
Quand mon cœur ne se taise pas,
Qu'il soit en fête pour toi ;
Et que sans fin, Seigneur mon Dieu,
Je te rende grâce !
09:03 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rembrandt, christ, tempête, psaume
samedi, 10 novembre 2012
Considérations sur la Jalousie - Corneille, Blake
La forme spirituelle du guide des abîmes, William Blake
N'aimez plus tant, Phylis, à vous voir adorée :
Le plus ardent amour n'a pas grande durée ;
Les nœuds les plus serrés sont le plus tôt rompus ;
A force d'aimer trop, souvent on n'aime plus,
Et ces liens si forts ont des lois si sévères
Que toutes leurs douceurs en deviennent amères.
Je sais qu'il vous est doux d'asservir tous nos soins :
... Mais qui se donne entier n'en exige pas moins ;
Sans réserve il se rend, sans réserve il se livre,
Hors de votre présence il doute s'il peut vivre :
Mais il veut la pareille, et son attachement
Prend compte de chaque heure et de chaque moment.
C'est un esclave fier qui veut régler son maître,
Un censeur complaisant qui cherche à trop connaître,
Un tyran déguisé qui s'attache à vos pas,
Un dangereux Argus qui voit ce qui n'est pas ;
Sans cesse il importune, et sans cesse il assiège,
Importun par devoir, fâcheux par privilège,
Ardent à vous servir jusqu'à vous en lasser,
Mais au reste un peu tendre et facile à blesser.
Le plus léger chagrin d'une humeur inégale,
Le moindre égarement d'un mauvais intervalle,
Un sourire par mégarde à ses yeux dérobé,
Un coup d'œil par hasard sur un autre tombé,
Le plus faible dehors de cette complaisance
Que se permet pour tous la même indifférence ;
Tout cela fait pour lui de grands crimes d'état ;
Et plus l'amour est fort, plus il est délicat.
Vous avez vu, Phylis, comme il brise sa chaîne
Sitôt qu'auprès de vous quelque chose le gêne ;
Et comme vos bontés ne sont qu'un faible appui
Contre un murmure sourd qui s'épand jusqu'à lui.
Que ce soit vérité, que ce soit calomnie,
Pour vous voir en coupable il suffit qu'on le dit ;
Et lorsqu'une imposture a quelque fondement
Sur un peu d'imprudence, ou sur trop d'enjouement,
Tout ce qu'il sait de vous et de votre innocence
N'ose le révolter contre cette apparence,
Et souffre qu'elle expose à cent fausses clartés
Votre humeur sociable et vos civilités.
Sa raison au dedans vous fait en vain justice,
Sa raison au dehors respecte son caprice ;
La peur de sembler dupe aux yeux de quelques fous
Etouffe cette voix qui parle trop pour vous.
La part qu'il prend sur lui de votre renommée
Forme un sombre dépit de vous avoir aimée ;
Et, comme il n'est plus temps d'en faire un désaveu,
Il fait gloire partout d'éteindre un si beau feu :
Du moins s'il ne l'éteint, il l'empêche de luire,
Et brave le pouvoir qu'il ne saurait détruire.
Voilà ce que produit le don de trop charmer.
Pour garder vos amants faites-vous moins aimer ;
Un amour médiocre est souvent plus traitable :
Mais pourriez-vous, Phylis, vous rendre moins aimable ?
Pensez-y, je vous prie, et n'oubliez jamais,
Quand on vous aimera, que l'amour est doux ; mais...
Pierre Corneille (1606-1684)
> Pour plus de tableaux : http://www.eternels-eclairs.fr/tableaux-blake.php
08:13 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Peinture, Poësie, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jalousie, poésie, peinture, corneille, blake
dimanche, 04 novembre 2012
Ô prends mon âme - El Greco
L'Annonciation, El Greco
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Peinture | Lien permanent | Commentaires (0)