dimanche, 28 octobre 2012
La Somme théologique - Saint Thomas d'Aquin
Apothéose de saint Thomas d'Aquin, Francisco de Zurbaran
Extrait de Famille Chrétienne, n°1803 du 4 au 10 août 2012
Article "Le roman sacré de... LA SOMME THEOLOGIQUE", Edouard Huber
[...] En voyant ce grand jeune moine massif, toujours occupé à des méditations qui avaient l'air de rêveries nébuleuses, ils l'avaient baptisé "le grand boeuf muet de Sicile". Saint Albert, qui avait vu, lui, quelle intelligence stupéfiante de vivacité et de clarté cachait ce corps pesant, les avait sèchement repris : "Ah ! Vous l'appelez le boeuf muet ! Je vous le dis, quand ce boeuf mugira, ses mugissements rempliront l'univers !"
[...] Certes, il pouvait donner l'impression de faire un petit somme. Mais "somme", oui ; "petit", non : il était en train de concevoir l'immense "Somme" théologique qui serait désormais, jusqu'à sa mort, son travail prioritaire, et qui resterait le chef-d'oeuvre de cette vie intellectuelle surhumaine. Vie d'autant plus féconde qu'elle aura été en même temps une vie spirituelle de haute sainteté, marquée par la vertu la plus nécessaire aux grands esprits, et la plus difficile pour eux : l'humilité. Quand il était arrêté par une difficulté théologique, il laissait reposer sa tête, longuement, contre le tabernacle pour y puiser les réponses.
Un autre trait de simplicité : Thomas revient de l'abbaye de Saint-Denys avec ses disciples, et le chemin permet d'admirer une vue magnifique de Paris. Un moine qui connaît la noble naissance de Frère Thomas, fils du comte d'Aquin, lui demande : "Vous n'aimeriez pas être le roi de cette belle cité ? - J'aimerais bien mieux avoir les homélies de saint Jean Chrysostome sur saint Matthieu !", lui répond-il.
Tel est l'homme qui jette les premières pierres de sa Somme en cette année 1266. L'édifice aura des proportions immenses : environ deux millions de mots, soit quatorze millions de caractères, presque trois fois le volume de la Bible complète. [...] Tout le monde sait bien que c'est un traité pour spécialistes, illisible pour qui n'a pas fait d'études de scolastique ! Tout le monde le sait bien... parce que personne ne la lit. C'est la remarque que fait chaque jour, dans son travail de théologien, le Père Thierry-Dominique Humbrecht, fin connaisseur actuel de la pensée de saint Thomas : "On cite toujours, déplore-t-il, ce qui a été dit ou écrit sur saint Thomas, et on discute à partir de là, mais on ne veut pas le lire lui-même. C'est pourtant le plus intéressant !" [cf. Lire saint Thomas d'Aquin, de T.-D. Humbrecht, Ed. Ellipse].
Lisons donc ce qu'écrit Thomas au début de sa Somme : "Le docteur de la vérité catholique doit non seulement enseigner les plus avancés, mais aussi instruire les commençants, selon ces mots de l'Apôtre (1 Co 3, 1-2) : "Comme à de petits enfants dans le Christ, c'est du lait que je vous ai donné à boire, non de la nourriture solide." Notre intention est donc, dans cet ouvrage, d'exposer ce qui concerne la religion chrétienne de la façon la plus convenable à la formation des débutants [...] nous tenterons, confiants dans le pouvoir divin, de présenter la doctrine sacrée brièvement et clairement, autant que la matière le permettra".
La chose est donc entendue : ce livre est pour les "commençants" ! Pour chacun de nous ! C'est du "lait pour petits enfants". Peut-on croire aussi saint Thomas quand il dit que c'est écrit "brièvement" ? Oui, quand on ne s'arrête plus à la masse intimidante de la Somme complète, et qu'on s'aventure dans sa lecture, en ouvrant une page au hasard. On s'aperçoit alors que le texte est composé d'"articles" souvent brefs, en effet, et le plus souvent faciles d'accès, pour peu qu'on connaisse quelques mots-clés de la philosophie aristotélicienne, en petit nombre, tels que forme et matière, acte et puissance, substance et accident, essence et existence, fin et moyen, nécessaire et contingent... Même si les "articles" de la Somme sont ordonnés en ensembles plus vastes (les "questions"), elles-mêmes groupées en "livres", chacun d'eux constitue une unité de lecture autonome. De sorte qu'on peut venir à bout de tout l'ouvrage en faisant une lecture quotidienne d'un ou quelques articles seulement, beaucoup plus facilement qu'on ne lit un roman russe !
Chaque article pose une question, par exemple : "Dieu existe-t-il ?", à laquelle la réponse est habituellement "oui" (en tout cas, c'est la réponse de Thomas dans cet exemple précis !). Mais conformément à la méthode médiévale de la "disputatio", l'article commence par énumérer les "objections" à cette réponse. Dans notre exemple, la première objection est la plus terrible : Dieu étant par définition le Bien infini, il ne peut pas exister de mal en face de Lui, qui serait la négation de son infinité. "Or, reconnaît Thomas - avec comme un étonnement attristé -, on trouve du mal dans le monde."
Après l'objection vient le "sed contra" ("mais là-contre") qui se borne à opposer un argument en sens inverse. Ici, le verset solennel et capital du livre de l'Exode (3, 14) : "Je suis celui qui suis". Le "sed contra" ouvre au corps de l'article, toujours annoncé avec la formule d'autorité du maître : "Respondeo dicendum quod : Je réponds en disant que..."
Dans l'exemple, je réponds en énumérant les fameuses "cinq voies", qui sont les cinq possibilités pour notre intelligence de remonter du visible à l'invisible, des effets observables dans le monde à la "cause première" de tout, qui est Dieu. Cinq voies qui donneront du grain à moudre à tous les philosophes futurs et qui n'ont pas fini de faire immensément réfléchir et méditer.
Finalement l'article se conclut par la réponse aux objections. Pour l'argument du mal - l'objection universelle de toutes les générations humaines contre l'existence de Dieu - Thomas n'a qu'à citer son maître révéré, saint Augustin : "Dieu, souverainement bon, ne permettrait aucunement que quelque mal s'introduise dans ses œuvres, s'il n'était tellement puissant et bon que du mal même il puisse faire du bien". Et pour ceux qui douteraient, Thomas enfonce lui-même un peu plus le coup en disant : "C'est donc bien à l'infinie bonté de Dieu que les maux doivent d'avoir la permission d'exister, pour qu'Il en tire du bien".
Du XIIIe siècle à nos jours, la liste des papes qui ont recommandé l'étude de saint Thomas, en louant sa pensée et sa méthode, est vertigineuse. Pour Pie XII : "La méthode de l'Aquinate l'emporte singulièrement sur toutes les autres [...] ; sa doctrine forme comme un accord harmonieux avec la révélation divine ; elle est, de toutes, la plus efficace pour mettre en sûreté les fondements de la foi (Humani Generi, 1950)".
[...] "le propre du sage est d'ordonner". Il en donne la preuve la plus impressionnante dans l'organisation de la Somme théologique, admirable d'ampleur et de finesse, véritable cathédrale intellectuelle. L'oeuvre a trois parties : prima pars, secunda pars et tertia pars (première, deuxième et troisième partie), la secunda, de loin la plus longue, étant elle-même divisée en deux, prima secundae et secunda secundae. On utilise couramment les abréviations : Ia, IaIIae, IIaIIae, IIIa.
La prima pars consiste en l'étude de Dieu en Lui-même, puis de sa Création, spécialement l'homme. La secunda pars étudie les actes humains ; d'abord "en général", autrement dit la morale entendu comme le moyen pour l'homme de parvenir à sa fin, la béatitude, puis "en particulier", en détaillant notamment les vertus. Enfin, la tertia pars étudie le Christ et les sacrements, voie pour réaliser la vie parfaite.
Avec les deux premières parties on a, selon le Père Chenu (Introduction à l'étude de saint Thomas d'Aquin, éd. Vrin) une exposition complète de la destinée humaine, selon un schéma classique : "sortie" de Dieu (exitus), par la Création, et retour à Lui (reditus) dans la vie bienheureuse. [...]
La démarche est typique du génie de saint Thomas : accorder d'un côté la foi, adhésion à la Révélation qui culmine dans le Christ - la source juive -, et de l'autre côté la raison, prise dans son expression la plus rigoureuse : la source grecque. [...]
Dans la grande encyclique sur la philosophie chrétienne, Léon XIII considère les penseurs chrétiens, jusqu'à saint Thomas qui "a hérité [...] de l'intelligence de tous" et a fourni "des armes invincibles" contre les erreurs futures.
"[...] Entre tous les docteurs scolastiques, brille, d'un éclat sans pareil, leur prince et maître à tous, Thomas d'Aquin. [...] Il n'est aucune partie de la philosophie qu'il n'ait traitée avec autant de pénétration que de solidité [...]. L'angélique Docteur a considéré les conclusions philosophiques dans les raisons et les principes mêmes de choses [...]. En employant, comme il le fait, ce même procédé dans la réfutation des erreurs, [...] il est arrivé à ce double résultat, de repousser à lui seul toutes les erreurs des temps antérieurs, et de fournir des armes invincibles pour dissiper celles qui ne manqueront pas de surgir dans l'avenir. De plus, en même temps qu'il distingue parfaitement [...] la raison d'avec la foi, il les unit toutes les deux par les liens de mutuelle amitié : il conserve ainsi à chacune ses droits, il sauvegarde sa dignité, de telle sorte que la raison portée sur les ailes de saint Thomas, jusqu'au faîte de l'intelligence humaine, ne peut guère monter plus haut, et que la foi peut à peine espérer de la raison des secours plus nombreux ou plus puissants que ceux que saint Thomas lui a fournis. (Le) plus grand honneur rendu à saint Thomas, réservé à lui seul, et qu'il ne partagea avec aucun des Docteurs catholiques, lui vint des Pères du concile de Trente : ils voulurent qu'au milieu de la sainte assemblée, avec le livre des divines Ecritures et des décrets des pontifs suprêmes, sur l'autel même, la Somme de Thomas d'Aquin fût déposée ouverte, pour qu'on pût y puiser des conseils, des raisons, des oracles. [...] Aussi, comme il a été dit aux Egyptiens lors d'une extrême disette : "Allez à Joseph" (Gn. 41, 55), ce Joseph qui devait leur fournir le blé nécessaire à nourrir leurs corps ; [...] à tous ceux [...] qui sont aujourd'hui en quête de la vérité, nous disons : "Allez à Thomas, [...] allez lui demander l'aliment de la saine doctrine, dont il est si riche et qui nourrit les âmes pour la vie éternelle. Aliment à la portée de tous et facilement accessible"".
Christophe Geffroy, fondateur-directeur du mensuel La Nef. [...] "La Somme théologique est un monument qui intimide. Il faut passer cette appréhension. Deux auteurs m'y ont grandement aidé. Etienne Gilson, dont l'ouvrage Le Thomisme (Vrin) est sans doute la meilleure introduction à saint Thomas, et Jacques Maritain qui me l'a fait vraiment découvrir. Saint Thomas est d'un style aussi limpide que les sujets étudiés le permettent. Pour aborder la Somme, il est cependant indispensable d'être familiarisé avec les "outils" philosophiques d'Aristote dont Maritain fournit le "b.a.ba" dans ses Eléments de philosophie (Téqui).
Ainsi équipé, vous pouvez vous lancer dans l'aventure, car c'en est vraiment une ! J'avais choisi l'édition en IV volumes du Cerf (1984 à 1986), la seule complète disponible en français à l'époque. J'avais choisi de m'astreindre à une lecture quotidienne de 15 à 30 minutes, tôt le matin - cela dura quelques années !
Peu d'ouvrages m'ont marqué à ce point et m'ont autant apporté pour approfondir ma foi. Saint Thomas est le plus grand théologien catholique, mais c'est aussi un extraordinaire psychologue. [...]
Se procurer l'ouvrage :
Somme théologique, tome 1
saint Thomas d'Aquin
1984
Le Cerf
966 pages
Tome 1 http://www.amazon.fr/Thomas-dAquin-Somme-th%C3%A9ologique...
Tome 2 http://www.amazon.fr/Somme-th%C3%A9ologique-dAquin-saint-...
Tome 3 http://www.amazon.fr/Somme-th%C3%A9ologique-deuxi%C3%A8me...
Tome 4 http://www.amazon.fr/Somme-th%C3%A9ologique-4-Thomas-Aqui...
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Peinture, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : apotheose, saint thomas d'aquin, francisco de zurbaran
mercredi, 17 octobre 2012
Le prix de l'art - Philippe Muray
Philippe Muray (1945-2006)
Extrait de La gloire de Rubens, 1991, Philippe Muray, Grasset :
[...]
Il peut paraître provocant de dire que Rubens est la peinture par définition, parce que la peinture, toute la peinture semble au contraire s'étaler pour vous déconseiller ce détour. Et pas seulement la peinture, mais ce qui foisonne dans ses proximités, l'histoire de l'art, la critique d'art, les organisateurs d'art, directeurs d'art, conservateurs d'art, commissaires d'art, animateurs et réanimateurs infatigables d'art. Il y a belle lurette que tout ce petit monde passe son temps à faire maigrir la peinture comme les designers de mode firent maigrir les femmes pour vous dégoûter de la beauté pleine de leurs volumes comme de la splendeur saturante de celles de Rubens. Pourquoi ? Tiens donc ! Parce que si on y était arrivé vraiment, à Rubens, eh bien la mort de l'art, au lieu de se produire au XXe siècle, aurait peut-être eu lieu dès ce moment-là, dans ce milieu du XVIIe siècle où lui-même disparaît.
Le bout du tunnel aux illuminations serait alors apparu. La question esthétique aurait été réglée, quel temps gagné ! On se serait rendu compte que ce n'était plus la peine. Qu'il avait tout fait. Vous imaginez le drame ? Plus de marché ! Plus de cotes ! Pas de "Fondations" ! Pas d'inflation ni d'"installations" ! De catalogues ! De muséographie ! De commissaires ! De commentateurs ! Pas de messes anniversaires autour de l'art défunt ! Rien que le mouvement perpétuel de la gigantomachie rubénienne tournant, ivre, sans fin, jusqu'à la fin des mondes.
Le temps de la peinture est passé. J'établirai en quelques lignes comment et pourquoi il s'est terminé ; c'est fait. Plus on se fout de l'art, et plus il flambe. Il est heureux que la cote des peintres d'aujourd'hui, publiée désormais dans des revues en nombre croissant, dispense les spéculateurs d'avoir à s'approcher des œuvres elles-mêmes : ainsi leur foi a-t-elle des chances de rester intacte et leur enthousiasme inentamé. Les grands trafiquants de drogue, après tout, brassent bien les narcodollars en quantité astronomique sans être obligés d'approcher, dans toute leur vie, d'un gramme de coke ou d'héroïne. C'est d'un cœur plus allègre que l'on change le plomb en or si l'on ne touche pas trop au plomb et qu'on ne voit que l'or. Dans le cas de l'art, évidemment, cette invisibilité se complique d'une mystique sur laquelle il serait mal vu d'ironiser, dans la mesure où elle est le cache-sexe poétique qui permet aux lois du marché de ne pas être mises trop crûment à nu.
Comme toutes les lois, celles-ci reposent sur des cadavres. La poule aux œufs d'or a le croupion sur un cimetière : celui où furent enterrées, au XIXe, ces victimes sacrées de l'âge contemporain qu'on devait appeler Impressionnistes. Nous n'en finissons pas de payer le martyre de ces christs ! Tout est permis, depuis, en leur nom. En réparation de ce qu'ils ont subi. En pénitence de nos péchés. L'art dit moderne est une grande opération religieuse de contribution à la culpabilité publique.
La faillite est complète, mais on garde le moral. Aujourd'hui, tout le monde se marre en annonçant son propre naufrage. Mort aux tristes ! Des millions d'apparatchiks soviétiques ne viennent-ils pas de nous donner l'exemple de la plus saine gaieté en annonçant, tordus de rire, la disparition du communisme, c'est-à-dire, après tout, de leur fonds de commerce ? L'art est en cessation de magie, mais ses liquidateurs s'activent parmi les mouches avec bonne humeur. Pas de quoi pleurer. L'art est une catégorie rentable de l'ère des loisirs pour les masses résignées. L'Etat mécène providence poursuit sa tâche de dressage des citoyens en plantant aux carrefours d'inimaginables gadgets que l'on peut considérer comme autant d'étapes méthodiques et méditées dans la guerre qui se livre contre le goût à seule fin que celui-ci ne soit plus capable de servir d'instrument de mesure, donc de jugement, pour ce qui se présente comme nouveauté à adorer. Multiplier les commandes publiques est devenu le plus sûr moyen d'abolir le souvenir de l'art. On en voudrait encore plus, toujours plus, tous les jours ! Subventionner n'importe quoi est aujourd'hui synonyme de guerre contre l'art d' "avant". Même chose, d'ailleurs, en littérature : il est plus subtil de ne pas brûler les rares livres qui comptent, mais d'en faire écrire d'autres, à tour de bras, par des robots appelés "auteurs", dans l'espoir (en général comblé) que le flot de ces artefacts noiera les rares ouvrages de quelque intérêt qui risqueraient de voir le jour, ici ou là, malgré les considérables mesures de sécurité qui ont été prises.
Depuis que plus personne ne sait à quoi pourrait servir la peinture, on lui a trouvé une destination providentielle : elle sert à blanchir (de l'argent, mais pas seulement). La spéculation sur la nullité est une idée neuve en Europe et dans le reste du monde. Et plus ils payent, plus on sent que c'est aussi leur argent dont les amateurs voudraient qu'on ne sache pas qu'il est mort.
Et plus encore, peut-être, sont-ce les industries désolantes et superflues d'où ils tiennent, pour la plupart, cet argent, dont ils souhaitent que la nullité demeure inconnue. Golden boys japonais, américains, australiens, tous payent, donc, pour ne pas savoir ou pour empêcher qu'on sache.
Les seuls véritables spécialistes du néant contemporain, ce sont eux, pourtant. Comment ignoreraient-ils qu'il n'y a rien, dans le saint des saints, et que ça pourrait être démontré ? Une peur à la mesure des millions de dollars qui y sont engagés règne donc sur cet univers. Le mensonge est si énorme, si planétaire, qu'il faut qu'il soit éternisé pour ne jamais courir le risque d'être révélé.
Art et Thanatos ! Il était fatal que le siècle où les peintres se sont affranchis de toutes les lois soit celui où l'on aura vu les lois du marché venir y mettre leur ordre, le dernier qui puisse encore être respecté. Supprimer les obstacles, comme le déclarait Picasso, à rebrousse-poil de tout le catéchisme moderne, ce n'est pas la liberté, "c'est un affadissement qui rend tout invertébré, informe, dénué de sens, zéro".
En effet : beaucoup de zéros.
On ne raconte jamais à quel point, vers la fin de sa vie, il était exaspéré par le monde qui s'annonçait, Picasso. Je ne vois pas souvent citer ses pires réflexions, les plus amères, les plus lucides :
"Ce qui est terrible aujourd'hui, c'est que personne ne dit du mal de personne... Dans toutes les expositions, il y a quelque chose. En tout cas, à quelque chose près, tout est valable... Tout est sur le même niveau. Pourquoi ? Sûrement pas parce que c'est vrai. Alors ? Parce qu'on ne pense plus. Ou parce qu'on n'ose pas le dire."
Mais qu'importe l'art, après tout ? Tel qu'on le fait consommer de force aux populations hébétées, il n'est qu'une assurance de plus, un de ces "plus petits communs dénominateurs" consensuels dont notre détresse a besoin, et plus que jamais. L'effondrement de ces non-valeurs, s'il arrive un jour, ne fera pas pleurer grand monde. Le temps de la peinture est passé, parlons de Rubens. L'art comme je le conçois est un effort patient pour ne pas donner son consentement à l'ordre du monde, pour ne jamais se résigner à la passivité unanime devant toutes les formes de la mort inéluctable, y compris les plus souriantes, les plus apparemment rassurantes, celles qui veulent le plus votre bien. Ce n'était peut-être que cela, en fin de compte, que Rubens visait, quand il avouait son désir si simple, si "modeste", de mourir un peu plus instruit qu'il n'était né.
[...] En une époque plus récente, Stendhal a repéré les progrès de l'analphabétisme : "A mesure que les demi-sots deviennent de plus en plus nombreux, la part de la forme diminue." [...]
Se procurer l'ouvrage :
La gloire de Rubens
Philippe Muray
1991
Grasset
284 pages
http://www.amazon.fr/gloire-Rubens-Philippe-Muray/dp/2246...
08:04 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, littérature contemporaine, Peinture, Réflexions, philosophie, Thèse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : la gloire de rubens, philippe muray
dimanche, 14 octobre 2012
L'amour ne passe jamais - El Greco
Le cinquième sceau de l'apocalyspe, El Greco
1Co 13, 8-12
L'amour ne passe jamais.
Les prophéties ? elles disparaîtront.
Les langues ? elles se tairont.
La science ? elle disparaîtra.
Car partielle est notre science, partielle aussi notre prophétie.
Mais quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra. Lorsque j'étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant ; une fois devenu homme, j'ai fait disparaître ce qui était de l'enfant. Car nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face.
A présent, je connais d'une manière partielle ; mais alors je connaîtrai comme je suis connu.
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : el greco
mercredi, 05 septembre 2012
Misères au Jardin du Luxembourg - Eugène Cochet
Misère 2 : eine große misère
Without a Dowry aka Sunday in the Luxembourg Gardens, James Tissot
Dans les années 1880, le jardin du Luxembourg hébergeait un curieux personnage : un vieillard barbu, hirsute et en guenille, qui serrait contre lui une grosse serviette de cuir bourrée de papiers. Eugène Cochet, ancien préfet de l'Eure que de mystérieux revers de fortune avaient conduit à cet état, vivait de la charité publique. Poète autoproclamé, inventeur du vers libre de vingt-quatre pieds, l'excentrique personnage clamait haut et fort son indignation de n'être point décoré.
Les étudiants du quartier Latin s'amusaient régulièrement à ses dépens, mais un dernier canular causa la perte de l'inoffensif monomane. [...]
> Pour connaître la suite de cette mésaventure : http://urbantripparis.blogs-de-voyage.fr/archive/2010/03/...
09:22 Publié dans Beaux-Arts, Peinture, Trivialités parisiennes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : miroir, amer, stéphane, zagdanski, jardin, luxembourg, eugène, cochet
mercredi, 29 août 2012
Où traîner ses guêtres pour faire plaisir à ses yeux ?
Réponse 1 (suite) : au musée du Louvre, aux peintures françaises du XIXème siècle
Poursuivons encore un peu... avant de changer de décor.
Saint Joseph, Georges de la Tour
La Baigneuse Valpinçon dite La grande baigneuse, Jean-Auguste-Dominique Ingres
Charles X récompense des artistes à l'exposition de 1824, François-Joseph Heim
Magdalena Bay, François Auguste Biard
08:27 Publié dans Beaux-Arts, Peinture, Trivialités parisiennes, Votre dévouée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musée, louvre, peintures, françaises, 19, xix, siècle, saint joseph, georges, de la tour, la baigneuse valpinçon, la grande baigneuse, jean-auguste-dominique, ingres, charles x, récompense, artistes, exposition, 1824, françois-joseph, heim, magdalena bay, françois auguste, biard
mardi, 28 août 2012
Où traîner ses guêtres pour faire plaisir à ses yeux ?
Réponse 1 (suite) : au musée du Louvre, aux peintures françaises du XIXème siècle
Une sélection...
Frédéric Chopin, Eugène Delacroix Autoportrait, Eugène Delacroix
La dame bleue, Camille Corot
L'âme brisant les liens qui l'attachent à la terre, Pierre-Paul Prud'hon
La Madeleine à la veilleuse, Georges de la Tour
La cruche cassée, Jean-Baptiste Greuze
10:19 Publié dans Beaux-Arts, Peinture, Trivialités parisiennes, Votre dévouée | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : frédéric, chopin, delacroix la dame bleue, camille, corot, madeleine, veilleuse, georges, de la tour, cruche cassée, jean-baptiste, greuze, l'âme brisant les liens qui l'attachent à la terre, prud'hon
jeudi, 23 août 2012
De l'immortalité de l'âme - Discours de la méthode, V, Descartes, Turner
L'apparition d'un ange, Turner
Extrait de la Cinquième Partie du Discours de la Méthode, 1637, Descartes :
[...] J'avais décrit après cela l'âme raisonnable, et fait voir qu'elle ne peut aucunement être tirée de la puissance de la matière, ainsi que les autres choses dont j'avais parlé, mais qu'elle doit expressément être créée, et comment il ne suffit pas qu'elle soit logée dans le corps humain, ainsi qu'un pilote en son navire, sinon peut-être pour mouvoir ses membres ; mais qu'il est besoin qu'elle soit jointe et unie plus étroitement avec lui, pour avoir outre cela des sentiments et des appétits semblables aux nôtre, et ainsi composer un vrai homme. Au reste, je me suis ici un peu détendu sur le sujet de l'âme à cause qu'il est des plus importants : car, après l'erreur de ceux qui nient Dieu, laquelle je pense avoir ci-dessus assez réfutée, il n'y en a point qui éloigne plutôt les esprits faibles du chemin de la vertu que d'imaginer que l'âme des bêtes soit de même nature que la nôtre, et que par conséquent nous n'avons rien à craindre ni à espérer après cette vie, non plus que les mouches et les fourmis ; au lieu que lorsqu'on sait combien elles diffèrent, on comprend beaucoup mieux les raisons qui prouvent que la nôtre est d'une nature entièrement indépendante du corps, et par conséquent qu'elle n'est point sujette à mourir avec lui ; puis, d'autant qu'on ne voit point d'autres causes qui la détruisent, on est porté naturellement à juger de là qu'elle est immortelle.
René Descartes (1596-1650)
Pour d'autres peintures : http://www.eternels-eclairs.fr/tableaux-turner.php
09:21 Publié dans Beaux-Arts, Peinture, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : descartes, discours, méthode, turner