vendredi, 04 janvier 2013
L'Enfer de Dante - Chant 5 - Considérations sur l'amour et le suicide - Rubens
La chute des anges rebelles, Rubens
CONSIDERATIONS SUR L'AMOUR ET LE SUICIDE
Extrait de La divine comédie, L'Enfer, 1314, Dante, traduction de Jacqueline Risset, GF-Flammarion 1985 :
Chant 5
Je descendis ainsi du premier cercle
dans le second, qui enclôt moins d'espace,
mais la douleur plus poignante, et plus de cris.
Minos* s'y tient, horriblement, et grogne :
il examine les fautes, à l'arrivée,
juge et bannit suivant les tours.
J'entends que quand l'âme mal née
vient devant lui, elle se confesse toute :
et ce connaisseur de péchés
voit quel lieu lui convient dans l'enfer ;
de sa queue il s'entoure autant de fois
qu'il veut que de degrés l'âme descende.
Elles se pressent en foule devant lui,
et vont l'une après l'autre au jugement :
elles parlent, entendent et tombent.
"O toi qui viens à l'hospice de douleur",
me dit Minos quand il me vit,
en oubliant de remplir son office,
"vois comme tu entres, et à qui tu te fies ;
que l'ampleur de l'entrée ne t'abuse !"
Alors mon guide : "Pourquoi cries-tu ?
N'empêche pas son voyage fatal :
on veut ainsi là où on peut
ce que l'on veut, et ne demande pas davantage."
A présent commencent les notes douloureuses
à se faire entendre ; à présent je suis venu
là où les pleurs me frappent.
Je vins en un lieu où la lumière se tait,
mugissant comme mer en tempête,
quand elle est battue par vents contraires.
La tourmente infernale, qui n'a pas de repos,
mène les ombres avec sa rage ;
et les tourne et les heurte et les harcèle.
Quand elles arrivent devant la ruine,
là sont les cris, les pleurs, les plaintes ;
là elles blasphèment la vertu divine.
Et je compris qu'un tel tourment
était le sort des pécheurs charnels,
qui soumettent la raison aux appétits.
Tout comme leurs ailes portent les étourneaux,
dans le temps froid, en vol nombreux,
ainsi ce souffle mène, de çà de là,
de haut en bas, les esprits mauvais ;
aucun espoir ne les conforte
d'aucun repos, et même de moindre peine.
Et comme les grues vont chantant leurs complaintes,
en formant dans l'air une longue ligne,
ainsi je vis venir, poussant des cris,
les ombres portées par ce grand vent ;
alors je dis : "Maître qui sont ceux-là
qui sont ainsi châtiés par l'air noir ?"
"La première de ceux dont tu voudrais
savoir quelque nouvelle", me dit-il alors,
"fut impératrice de nombreux langages ;
au vice de luxure elle fut si rouée
qu'elle fit dans sa loi la licence licite,
afin d'ôter le blâme où elle était conduite.
Elle est Sémiramis**, dont on peut lire
qu'elle fut l'épouse de Ninus, et puis lui succéda :
elle tint la terre que le Sultan gouverne.
La suivante est celle-ci qui se tua par amour***
en trahissant les cendres de Sichée ;
puis vient la luxurieuse Cléopâtre****.
Tu vois Hélène*****, par qui advint
un si long malheur ; tu vois le grand Achille******,
qui combattit à la fin contre Amour.
Tu vois Pâris, Tristan" ; ainsi il m'en montra
et m'en désigna du doigt plus de mille
qu'amour ôta de notre vie.
Quand j'eus ainsi entendu mon docteur
nommer les dames de jadis et les cavaliers,
pitié me prit, et je devins comme égaré.
Je commençai : "Poète, volontiers
je parlerais à ces deux-ci******* qui vont ensemble,
et qui semblent si légers dans le vent."
Et lui à moi : "Tu les verras quand il seront
plus près de nous ; alors prie-les
par l'amour qui les mène, et ils viendront."
Dès que le vent vers nous les plie,
je leur dis ces mots : "O âmes tourmentées,
venez nous parler, si nul ne le défend."
Comme colombes à l'appel du désir
viennent par l'air, les ailes droites et fixes,
vers le doux nid, portées par le vouloir ;
ainsi de la compagnie de Didon
ils s'éloignèrent, venant vers nous dans l'air malin,
si fort fut mon cri affectueux.
"O créature gracieuse et bienveillante
qui viens nous visiter par l'air sombre
nous dont le sang teignit la terre,
si le roi de l'univers était notre ami,
nous le prerions pour ton bonheur,
puisque tu as pitié de notre mal pervers.
De tout ce qu'il vous plaît d'entendre et de dire,
nous entendrons et nous vous parlerons,
tandis que le vent, comme il fait, s'adoucit.
La terre où je suis née se trouve au bord
de ce rivage où le Pô vient descendre
pour être en paix avec ses affluents.
Amour, qui s'apprend vite au cœur gentil,
prit celui-ci de la belle personne
que j'étais ; et la manière me touche encore.
Amour, qui force tout aimé à aimer en retour,
me prit si fort de la douceur de celui-ci
que, comme tu vois, il ne me laisse pas.
Amour nous a conduits à une mort unique.
La Caïne******** attend celui qui nous tua."
Tels furent les mots que nous eûmes d'eux.
Quand j'entendis ces âmes blessées,
je baissai le visage, et le gardai si bas
que le poète me dit : "Que penses-tu ?"
Quand je lui répondis, je commençai : "Hélas,
que de douces pensées, et quel désir
les ont menés ou douloureux trépas !"
Puis je me retournai vers eux et je leur dis
pour commencer : "Francesca, tes martyres
me font triste et pieux à pleurer.
Mais dis-moi ; du temps des doux soupirs,
à quel signe et comment permit amour
que vous connaissiez vos incertains désirs ?"
Et elle : "Il n'est pas de plus grande douleur
que de se souvenir des temps heureux
dans la misère ; et ton docteur le sait.
Mais si tu as telle envie de connaître
la racine première de notre amour,
je ferai comme qui pleure et parle à la fois.
Nous lisions un jour par agrément
de Lancelot*********, comment amour le prit :
nous étions seuls et sans aucun soupçon.
Plusieurs fois la lecture nous fit lever les yeux
et décolora nos visages ;
mais un seul point fut ce qui nous vainquit.
Lorsque nous vîmes le rire désiré
être baisé par tel amant,
celui-ci, qui jamais plus ne sera loin de moi,
me baisa la bouche tout tremblant.
Galehaut********* fut le livre et celui qui le fit ;
ce jour-là nous ne lûmes pas plus avant."
Pendant que l'un des deux esprits parlait ainsi,
l'autre pleurait, si bien que de pitié
je m'évanouis comme si je mourais ;
et je tombai comme tombe un corps mort.
* Minos : dans la mythologie classique, roi de Crète célèbre pour sa sévérité et son sens de la justice. Homère le place dans l'Hadès comme juge des Ames ; Dantes le reprend à travers Virgile, et en fait un démon infernal.
** Sémiramis : reine mythique de Chaldée et d'Assyrie, aux XIVe siècle avant Jésus-Christ ; célèbre par sa beauté et ses excès sexuels, elle aurait selon Orose promulgué une loi autorisant l'inceste.
*** celle-ci qui se tua par amour / en trahissant les cendres de Sichée : Didon, reine de Carthage, dont Virgile raconte qu'elle se tua lorsqu'elle fut abandonnée par Enée, trahissant par cet amour la promesse de fidélité à son mari défunt, Sichée.
**** Cléopâtre : la reine d'Egypte, maîtresse de César puis d'Antoine, exemple traditionnel de luxure.
***** Hélène : cause de la guerre de Troie.
****** Achille : d'après les légendes médiévales sur la guerre de Troie, à cause de son amour pour Polyxène, il fut attiré dans un piège et tué par traîtrise.
******* ces deux-ci : fait divers devenu légende. Francesca da Rimini, fille de Guido da Polenta, épouse Giovanni Malatesta en 1275 ; s'éprend de son beau-frère Paolo da Malatesta ; Giovanni les surprend et les tue.
******** la Caïne : c'est la première des quatre régions du dernier cercle de l'Enfer, le Cocyte. Elle est assignée aux damnés traîtres à leurs parents.
********* Lancelot : différentes version des romans de la Table Ronde racontent ses amours avec Genièvre, femme du roi Arthur.
********** Galehaut : sénéchal de la reine, témoin d'un pacte d'amour. Dans les textes connus, il pousse Genièvre à embrasse Lancelot. Selon la version inconnus que suit Dante (ou suivant sa propre version) c'est Lancelot qui embrasse Genièvre.
Se procurer l'ouvrage :
La divine comédie, L'Enfer
34 chants, écrits en 1314
Dante
1985
Traduction de Jacqueline Risset, GF Flammarion
380 pages, édition bilingue
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Foi, Peinture, Poësie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : l'enfer, dante, rubens, divine comédie
jeudi, 03 janvier 2013
L'Enfer de Dante - Introduction, Chants 7, 32 & 33 - Bouguereau
Dante et Virgile visitant l'enfer, William-Adolphe Bouguereau
Extrait de La divine comédie, L'Enfer, 1314, Dante, traduction de Jacqueline Risset, GF-Flammarion 1985 :
Introduction
[...]
A chaque instant c'est ce corps encombrant qui rappelle l'enjeu et la progression chamanique du récit : escaladant la montagne du Purgatoire il sera de plus en plus léger ; au Paradis il se fera si docile et si transparent au vouloir qu'il saura voler parmi les sphères.
En Enfer - première étape - il trébuche, il tombe : "Et je tombai comme tombe un corps mort" : Dante s'évanouit en entendant Francesca, à cause de l'excès d'émotion, à cause de son identification de poète de l'amour avec les amoureux rendus coupables par un livre, et à cause de sa brusque compréhension d'un caractère infiniment dangereux de la littérature, et précisément de la sienne : car c'est lui, poète du Dolce Stil Nuovo, qui avait écrit dans la Vita Nuova : "Farei parlando innamorar la gente" ("je ferai en parlant enamourer les gens"). L'évanouissement mime la mort, dans le royaume des morts. Dante, ici, suggère qu'il a failli y rester ; pour un peu, il restait là, au chant V, puni parmi les luxurieux - propagateur de luxure, comme la reine Sémiramis. [...]
Chant 7
[...]
Nous recoupâmes le cercle vers l'autre rive
au-dessus d'une source* qui bout et se reverse
par un canal qui dérive d'elle.
L'eau était noire plutôt que perse**,
et nous, en compagnie de son flot trouble,
nous entrâmes plus bas par une voie étrange.
Il va dans le marais qui a nom Styx***
le sinistre ruisseau, quand il arrive
au pied des affreuses berges grises.
Et moi qui regardais très fixement,
je vis des gens boueux dans ce marais,
tous nus, et à l'aspect meurtri.
Ils se frappaient, mais non avec la main
avec la tête, avec la poitrine et avec les pieds,
tranchant leur corps par bribe, avec les dents.
Le bon maître dit : "Fils, tu vois maintenant
les âmes de ceux que la colère vainquit ;
et je veux encore que tu saches
qu'il y a dans l'eau des gens qui soupirent
et font pulluler cette onde jusqu'en haut,
comme tes yeux te montrent, où qu'ils se posent.
Plantés dans la boue ils disent : "Nous étions tristes
dans l'air doux que le soleil réjouit,
ayant en nous les fumées chagrines :
à présent nous nous attristons dans la boue noire."
Cet hymne ils le gargouillent dans leur gorge,
car ils ne peuvent le dire par mots entiers."
Ainsi nous parcourûmes dans le marais fangeux
un grand arc entre le sec et le mouillé,
les yeux tournés vers les mangeurs de boue.
Enfin nous arrivâmes au pied d'une tour.
* une source : toutes les eaux de l'Enfer dérivent d'une seule source - celle de l'Achéron.
* perse : couleur des tapis persans. Dante entend par là "une couleur mêlée de pourpre et de noir, mais où domine le noir" (Convivio, IV,XX, 2).
** Styx : dans la mythologie classique, c'est un fleuve des Enfers ; Dante en fait (suivant en cela Virgile), un marais, qui entoure ici la ville de Dité. Entre l'Achéron et le Styx sont punis les péchés d'incontinence. Au-delà du Styx se dressent les murailles en flammes de Dité, où sont punies la violence et la fraude.
Chant 32
Si j'avais les rimes âpres et rauques
comme il conviendrait à ce lugubre trou
sur lequel s'appuient tous les autres rocs,
j'exprimerais le suc de ma pensée
plus pleinement ; mais je ne les ai point,
et non sans frayeur je m'apprête à parler :
car ce n'est pas affaire à prendre à la légère
que de décrire le fond de l'univers entier
ni celle d'une langue disant "papa, maman".
[...]
Nous avions déjà quitté cette ombre
quand je vis deux gelés dans un seul trou ;
la tête de l'un coiffait la tête de l'autre ;
et comme on mange du pain quand on a faim,
celui du haut planta ses dents sur le second,
là où le cerveau se joint à la nuque :
Tydée* dans sa fureur ne rongea pas
les tempes de Ménalippe d'autre façon
qu'il mangeait le crâne, avec le reste [...].
* Tydée : l'un des sept contre Thèbes ; blessé à mort par le Thébain Menalippe, il le tua, obtint de ses compagnons qu'ils lui apportent sa tête, et se mit aussitôt à la ronger.
Chant 33
Il souleva la bouche de son affreux repas,
ce pécheur, l'essuyant aux cheveux de la tête
qu'il avait entamée par-derrière.
Puis il commença : "Tu veux que je ravive
le désespoir qui serre encore mon cœur
rien qu'en y pensant, avant d'en parler.
Mais si mon récit peut engendrer
quelque fruit d'infamie au traître que je ronge,
tu me verras parler et pleurer à la fois.
[...]
Se procurer l'ouvrage :
La divine comédie, L'Enfer
34 chants, écrits en 1314
Dante
1985
Traduction de Jacqueline Risset, GF Flammarion
380 pages, édition bilingue
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Foi, Peinture, Poësie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dante, l'enfer, bouguereau, divine comédie
mercredi, 02 janvier 2013
L'Enfer de Dante - Introduction & Chant 1 - Turner
Eruption du Vésuve, William Turner
Extrait de La divine comédie, L'Enfer, 1314, Dante, traduction de Jacqueline Risset, GF-Flammarion 1985 :
Introduction
[...]
L'Enfer commence comme un récit de voyage : "Je me retrouvai dans une forêt obscure." Mais c'est en même temps le début typique d'un récit de rêve. Et, de fait, tout le premier chant peut se lire comme un rêve (modalité traditionnelle d'ouverture des grands récits antiques). Dès ce début et par la suite, la narration participe de façon simultanée, et parfois indiscernable, de registres opposés. Tout ce qui est décrit est allégorique (la forêt est forêt de l'erreur et du péché) ; et, en même temps, tout est concret. Chaque perception est retracée avec une précision quasi hallucinatoire, qu'on pourrait comparer de nos jours peut-être seulement à Kafka...
Dante donc dit qu'il se retrouve, il ne sait comment, dans cette forêt. Il entrevoit, au-delà des arbres, la cime d'une colline ensoleillée, où il voudrait bien aller, où il sait qu'il doit aller ; mais trois bêtes terrifiantes se dressent sur son passage ; il recule... A ce moment, une ombre apparaît tout près de lui, pâle et bienveillante : c'est Virgile, son maître en poésie, qui est aussi, pour tout le Moyen Âge, grand mage, grand sage, et, dans ses écrits, prophète secret du christianisme. Virgile propose à Dante de l'accompagner : il n'a pas le choix ; pour sortir de ce mauvais pas, il lui faudra passer par les trois règnes, les traverser de fond en comble, l'un après l'autre. Pour sortir de l'Enfer, où il va entrer, il ui faudra descendre tout l'espace du vaste entonnoir, où règnent l'obscurité, le bruit, la puanteur, jusqu'au fond, jusqu'au corps de Lucifer, qui coïncide avec le centre de la terre, qui est le centre du monde - le mal est là, indéniable et central.
"Au milieu du chemin de notre vie" : tel est le premier vers. Il va s'agir, dans le livre qui commence, d'un voyage, ou peut-être d'une vision, vécu au nom de l'humanité. Mais le nous de la dimension prophétique se mélange intimement, dès les premières lignes - dans un glissement grammatical internet - au je de l'expérience individuelle :
"Au milieu du chemin de notre vie*
Je me retrouvai dans une forêt obscure"
[...]
Chant 1
Au milieu du chemin de notre vie*
je me retrouvai par une forêt obscure**
car la voie droite était perdue.
Ah dire ce qu'elle était est chose dure
cette forêt féroce et âpre et forte
qui ranime la peur dans la pensée !
Elle est si amère que mort l'est à peine plus ;
mais pour parler du bien que j'y trouvai,
je dirai des autres choses que j'y ai vues.
Je ne sais pas bien redire comment j'y entrai,
tant j'étais plein de sommeil en ce point
où j'abandonnai la voie vraie.
[...]
* de notre vie : selon Dante, suivant Isaïe, la vie humaine dessine un arc, dont le centre, et le point le plus haut, est l'âge de 35 ans. Né en 1265, Dante a 35 ans en l'an 1300, date de son voyage à Rome, au moment du grand Jubilé organisé par le pape Boniface VIII.
** une forêt obscure : au sens allégorique, les vices et l'erreur ("la forêt d'erreurs de cette vie", Convivio, IV, XXIV, 12) ; elle correspond, pour Dante, à une période d'égarement moral et intellectuel.
> A consulter également : http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Divine_Com%C3%A9die
Se procurer l'ouvrage :
La divine comédie, L'Enfer
34 chants, écrits en 1314
Dante
1985
Traduction de Jacqueline Risset, GF Flammarion
380 pages, édition bilingue
http://www.amazon.fr/Divine-Com%C3%A9die-LEnfer-Dante-Ali...
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Foi, Peinture, Poësie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : dante, divine comédie, enfers, turner
mardi, 01 janvier 2013
Le ciel n'est pas pour demain - Doré
Dante et Béatrice au Paradis, Gustave Doré
31e dimanche du Temps ordinaire, semaine du 4 au 10 novembre 2012 :
"Le ciel n'est pas pour demain", Père Luc de Bellescize, paroisse Notre-Dame de Grâce de Passy
Au Ciel, les âmes bienheureuses sont dans la Béatitude d'être avec Dieu, mais elles attendent toujours la pleine rédemption de leur corps, qui adviendra au jour de la résurrection, quand nous serons semblables au Christ parce que nous le verrons tel qu'il est, quand nous serons, enfin, pleinement nous-mêmes à la face de Dieu.
Beaucoup d'âmes aussi sont sans doute en purgatoire, et elles souffrent d'une blessure du désir. D'une grande souffrance, mais d'une souffrance bienheureuse, car elles sont sauvées. Le Seigneur creuse en elles l'espace nécessaire pour accueillir la Joie du Ciel. Il brise la croûte du matérialisme et de l'autosuffisance qui recouvre nos vies comme une chape de plomb. Elles revêtent la robe nuptiale, celle que portent les saints qui ont "lavé leur robe dans le Sang de l'Agneau" (Ap 7, 14), c'est-à-dire qui ont été pleinement associés à la victoire du Christ sur les puissances de mort.
Et l'enfer existe aussi, comme une possibilité dramatique de la liberté de l'homme, qui est celle du refus. Certains s'en moquent. Ils font du Salut un automatisme qui ne rend pas compte de la réalité de l'Alliance entre Dieu et l'homme. Les démons y sont, anges qui ont refusé de rendre hommage à leur Créateur. L'enfer n'est pas le lieu brûlant des diablotins méchants avec des fourches, il est un enfermement, une volonté de se sauver par soi-même sans accueillir la vie qui vient de Dieu. Il n'y a pas d'amour en enfer. Dans la chapelle Sixtine au tableau du jugement, un homme en enfer se cache un œil, image de l'aveuglement, et un serpent engloutit son sexe, image d'une communion qui s'enferme, où l'homme épuise le don de sa vie et le retourne sur lui-même.
Jean-Paul Ier, le "pape du sourire", mort trente-trois jours après son élection au Siège de Pierre, propose comme image du Ciel et de l'enfer un grand banquet où les hommes tiennent des couverts trop grands pour eux, et ne peuvent s'en servir. Au Ciel comme en enfer, c'est le même tableau : un grand banquet où les hommes ont des fourchettes immenses. La différence, c'est qu'au Ciel ils se nourrissent les uns les autres, alors qu'en enfer chacun s'efforce de porter la fourchette à soi.
Le Ciel n'est pas pour demain... Donner sa vie sur la terre ouvre une fenêtre sur le Ciel de Dieu.
Père Luc de Bellescize
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Gravure | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 30 décembre 2012
Réjouis-toi car il vient - El Greco
La Sainte Trinité, El Greco
Réjouis-toi, car Il vient, l'époux que rien ne retient.
En bondissant, Il accourt, Il fait entendre Sa voix :
"Sors de la nuit, viens à Moi, je suis à toi pour toujours!"
Lève-toi, pousse des cris de joie :
Du malheur, Il va te consoler.
De ton cou, la chaîne tombera, tu seras délivrée.
Tu disais : "Je suis abandonnée,
Où est Dieu, pourrait-Il m'oublier ?"
Crie vers Lui, il entendra ta voix, Il prendra soin de toi.
De nouveau, tu seras rebâtie,
Dieu te comblera de Ses bienfaits.
Lève-toi, rayonne et resplendis, ne crains plus désormais.
Les montagnes peuvent s'écarter,
Les collines peuvent chanceler,
Son amour ne s'éloignera pas?
Sa paix demeurera.
07:55 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Peinture | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 29 décembre 2012
Le Songe - Gn28, Dante, Blake
L'échelle de Jacob, William Blake
Gn 28
Il arriva d'aventure en un certain lieu et il y passa la nuit, car le soleil s'était couché.
Il prit une des pierres du lieu, la mis sous sa tête et dormit en ce lieu.
Il eut un songe : Voilà qu'une échelle était dressée sur la terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient !
Chant 21, Le Paradis, Dante
[...]
Dans le cristal qui encercle le monde,
portant le nom de son seigneur aimé,
sous le règne de qui toute malice resta morte,
je vis, d'une couleur d'or traversée de rayons,
une échelle si longue vers le haut
que mon regard ne pouvait la suivre.
[...]
07:43 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Foi, Peinture, Poësie | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 28 décembre 2012
Le surréaliste sommeil amoureux - Picasso, Proust
Les dormeurs, Picasso
Extrait de La Recherche du temps perdu, V "La Prisonnière", Marcel Proust :
Je pouvais mettre ma main dans sa main, sur son épaule, sur sa joue, Albertine continuait de dormir. Je pouvait prendre sa tête, la renverser, la poser contre mes lèvres, entourer mon cou de ses bras, elle continuait à dormir comme une montre qui ne s'arrête pas, comme une bête qui continue de vivre quelque position qu'on lui donne, comme une plante grimpante, un volubilis qui continue de pousser ses branches quelque appui qu'on lui donne. Seul son souffle était modifié par chacun de mes attouchements, comme si elle eût été un instrument dont j'eusse joué et à qui je faisais exécuter des modulations en tirant de l'un, puis de l'autre de ses cordes, des notes différentes.
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> A consulter également : http://doudou.gheerbrant.com/?cat=43
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Jeune femme endormie, Lovis Corinth
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, Littérature, Peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : proust, picasso, man ray, sommeil, amour