jeudi, 25 octobre 2012
Considérations sur la ponctuation - Anouilh, Aragon, Cioran, Flaubert, Hugo, de Montherlant, Wilde, Sollers
azartaz/Flickr
Oscar Wilde :
"J'ai travaillé toute la matinée à la lecture des épreuves d'un de mes poèmes et j'ai enlevé une virgule. Cet après-midi, je l'ai remis."
Victor Hugo :
"Si vous saviez comme la virgule s'acharne et renaît sous le deleatur !"
Emil Michel Cioran :
"Les "vérités", nous ne voulons plus en supporter le poids, ni en être dupes ou complices. Je rêve d'un monde où l'on mourrait pour une virgule."
Gustave Flaubert :
"Pour moi, la plus belle fille du monde ne vaut pas une virgule mise à sa place."
Charles Dantzig :
"On respire par les yeux ! Nous l'avons tous expérimenté, à lire des livres non ponctués, où notre pauvre œil haletant cherche un point, une virgule, le moindre bout de banc où s'asseoir.
Jean Anouilh :
"Nous vivons dans un monde qui a complètement perdu l'usage du point-virgule, nous parlons tous par phrases inachevées, avec trois petits points sous-entendus, parce que nous ne trouvons jamais le mot juste."
Henry de Montherlant :
"On reconnaît tout de suite un homme de jugement à l'usage qu'il fait du point et virgule."
Louis Aragon :
"Je demande à ce que mes livres soient critiqués avec la dernière rigueur, par des gens qui s'y connaissent, et qui sachant la grammaire et la logique, chercheront sous le pas de mes virgules les poux de ma pensée dans la tête de mon style."
> Pour davantage de citations : http://www.dicocitations.com/citation.php?mot=virgule
¤ ¤ ¤
Extrait de Paradis, 1981, Philippe Sollers, Seuil :
Extrait de la quatrième de couverture :
Pourquoi pas de ponctuation visible ? Parce qu'elle vit profondément à l'intérieur des phrases, plus précise, souple, efficace ; plus légère que la grosse machinerie marchande des points, des virgules, des parenthèses, des guillemets, des tirets. Ici, on ponctue autrement et plus que jamais, à la voix, au souffle, au chiffre, à l'oreille ; on étend le volume de l'éloquence lisible !
Pourquoi pas de blancs, de paragraphes, de chapitres ? Parce que tout se raconte et se rythme à la fois maintenant, non pas dans l'ordre restreint de la vieille logique embrouillée terrestre, mais dans celle, merveilleusement claire et continue, à éclipses, des ondes et des satellites. Autour de quoi ça tourne chez l'être humain ? Des mille et une façons de s'illusionner sur le pouvoir et l'argent du sexe. Salut petite planète roulante et pensante dans sa galaxie de galaxies !
[...]
Extrait de l'ouvrage :
voix fleur lumière écho des lumières cascade jetée dans le noir chanvre écorcé filet dès le début c'est perdu plus bas je serrais ses mains fermées de sommeil et le courant s'engorgea redevint starter le fleuve la cité des saules soie d'argent sortie du papier juste lin roseau riz plume coton dans l'écume 325 lumen de lumine en 900 remplacement des monnaies 1294 extension persane après c'est tout droit jusqu'à nos deltas ma fantaisie pour l'instant est de tout arrêter de passer les lignes à la nage brise matin feu lacs miroirs brouillant les feuillages calme d'eau marée on ne sait jamais l'aborder pourtant j'ai commencé je commence je prends la sphère commencée j'en viens j'y revais j'y vais commencement commencé tendu affalé sur elle et tenant ses poings dans mes mains elle dormait sec comme un caillou débranché piqué dans son rêve et moi pensant xanadu voûte caverne mer sans soleil vagin sans retour et jamais atteint jardins ruisseaux sinueux arbres d'encens à clairières quel ravin pour s'y détendre au milieu de la nuit couverte dancing rocks and mazy motion voilà la fontaine limite génitale de l'homme flos florum dôme ensoleillé près des caves de glace comment se nourrir de rosée lactée il est rare de saisir ainsi le saisissement dans l'insaisissable on dirait qu'un muscle s'avertit de laisser filer traînée brune gazeuse fissurée dorée allons allons puisque je vous dis que ça veut pas s'inscrire ils ont cru un moment l'isoler sous forme de poches halo bleuté d'atmosphère énergie éponge de l'anti-cancer yeux gris-bleu matière des matières impossible donc d'arriver comme un fleur et de dire j'y fus j'y étais j'y est je m'y fus j'y serai j'irai bien avant abraham lui-même raconté coupé décompté or c'est pas pour rien cependant que j'ai eu ce rêve en collier touches dentées piochées en faisceau de pinces me sautant au cou pour percer fouiller dégrafer une lutte à mort je vous dis pour me l'enlever la mâchoire c'est sanglant partout ça coule partout c'est drôlement gardé la contrée quant aux autres je les vois brûler non non je ne les vois pas je les pense non je ne les pense pas ça se passe de moi contre moi poussière légère cendreuse légère poussière impalpable détour de poussière et toujours encore et toujours tenus avec ce rictus ils se dressent flammes poussières et flammes poussières faut-il manger ce temps qui s'ébrèche qui s'ampute à brèche faut-il le longer le crever s'y plonger ou s'en détourner en réalité aristote dit que la tragédie remonte aux dithyrambes et la comédie aux chants phalliques mais phallus on l'a dit qu'en 1615 peu employé avant le 19e marrant ça je savais pas que tu comprends je ne peux pas considérer comme libre un être n'ayant pas le désir de trancher en lui les liens du langage voyons entre 13 et 18 ans l'espèce a son inondation génésique d'un côté le foutre de l'autre les règles comme le chuchotent les filles à l'école les garçons aussi ils ont ça on le voir à leurs yeux cernés tu crois moi je crois sacrés mâle et fils pissant dans les bois je passe entre eux inondé spongieux plus loin dans la mousse je file maintenant lavé délavé ouah voyons l'arabe appelle solaires les syllabes linguales dentales les autres lunaires l'expression chinoise lianxie veut dire lier en écrivant en avant l'enfant se débrouille d'abord avec ses accents multiples ou encore dans la flûte le si-bémol est la tonalité des adieux adieu o adieu je veux bien que ce soit en français si c'est vous qui le dites n'affirmons plus qu'il n'y a qu'une sorte de lutte il y en a deux la première sera louée de qui la comprendra l'autre est à condamner autrement dit tout ça est aussi vieux que le monde est ronde donc j'avais immédiatement deviné qu'il y avait une liaison entre ponctuation et procréation d'où leurs résistances clichés ponctuant miché leurs journées à savoir qu'ils n'enregistrent que les points de rencontre avec leur image virgule tiret point virgule conclusion vous me croirez si vous voulez mais ce truc donnait directement sur leur hantise à grossesse genre sésame bloqué en deçà de telle sorte que l'inconscient est bien le non-né hors-né jamais né en priorité caisses retraites tiédeur du voilage hagard en nécécité car si tu amènes ta poudre vivante si tu dis en plus de l'en-plus y a l'en-plus ils crachent individués flanchés cramponnés faisant chut chut en livide si tu nais ils meurent si tu meurs tu nais pas mal d'arrive à ça rien qu'avec des mots sur la page viseur effusé télescope vibrant amusé ça vous racle intestin les poches si je vais vite levé tôt ciel enroulé plié battant brillant du bitant moi j'y comprends rien fait-il foetus fait-elle en outre il faut prendre les phrases en ensembles scenarii couplés abrégés comme des microfilms bourrés de documents de formules imagine un peu le calcul facile à transporter à cacher l'histoire dans une boîte d'allumettes dans les défauts du papier voilà tu développes agrandis ouvres et c'est tout le stock qui saute à la gueule quel progrès violé pour qui veut passer tu comprends je suis devenu les six roues à la fois les grandes explosées les petites sujets en reflet les grandes en perte univers les petites en moi ou les autres on peut définir le réel comme l'intersection des dents poussées des six cercles les grands les petits de nouveau les grands les petits les grands toujours plus grands les petits petits que dit ézéchiel au bord du canal en déportation le vent du nord se lève en tempête la nuée arrive fulgurant son feu chacun va selon l'orientation de ses faces souffle-moi les braises la torche volée comme si une septième roue mais est-ce bien une roue se mouvait au milieu des autres les yeux sur les jantes aïe tous ces yeux qui arrivent dans le bruit des ailes des eaux sous les flots soulèvement par-derrière shaddaï el shaddaï vieux nom de montagne sais-tu ce qu'ils font dans les ténèbres chacun dans sa chambre à images les jours s'approchent ainsi que la parole de toute vision je mettrai leurs voix sur leurs têtes je dirai ce que je dirai nom de dieu et ils auront beau crier contre mon oreille je ne les entendrai pas le futur est là sous mes pas maintenant mes lettres commencent par l'enveloppe on dirait qu'un pouce les efface en montant à plat je connais sur le bout des doigts filés dissipés la disparition prévue de tout l'homme qu'est-ce qui reste à la fin des animaux insensés ayant vaincu l'insensé une simple énergie devenue cadence bref un flamboiement cristallin éclairant le rien me voici contre vos bandelettes [...] il suffit de voir les transformations dans l'obscurité de les halluciner et ensuite de tracer les traits luminés là où la vie palpite voilà ma formule le hasard rend le sens plus profond compter ce qui passe mouvement en avant connaître ce qui vient mouvement arrière ici le sud en haut le vent descend la montagne tous ils s'avancent dans le signe de l'éveilleur il est troué père jade métal froid glace rouge sombre c'est un bon cheval un vieux cheval un cheval maigre un cheval sauvage il est droit il est le dragon le vêtement de dessus la voir le réceptif en revanche est l'égal d'une étoffe un chaudron l'économie un veau une vache un grand char c'est la forme la multitude le tronc ou encore le waker est tonnerre jaune foncé étendue grande rue fils aîné bambou jonc se tenant se fléchant la dose bon et du côté du zodiaque les poissons à sec on entre dans le verseau ère de lucidité d'invention d'ivresse y en a pour 2155 ans quelle barbe j'ai envie de crever ce qui dans la bible se dit maintenant je m'en vais par toutes les voies de la terre ainsi parlent josué david au moment de quitter le cirque en improvisant pour finir sur fond de musique et la maint de l'éternel agitant sur eux leurs cheveux comme moi ici sans rien sans cithare toujours en éveil alignant mes bruits mes replis je sens ma nuit des oreilles je deviens tympan sans répit tout se fait granuleux micro clinamen hurlement de calme sacrée vie poker allons je joue pique ou je coupe cœur cellule à l'occidental avec toute l'histoire sur moi sous moi hors de moi tout à l'heure j'ai rêvé de dico descartes il était tout pâle attentif ergo je lui demande si on pense pendant qu'on dort bonne question il fait l'air malin mais mort ne se doutant pas que l'être est en langues attention au décollage salvagente sotto la poltrona je répète life vest under your seat au fond je suis votre bête de somme théologique si vous m'obligez à marcher au pas je dois avouer que cette page résiste comme toutes les femmes de la planète ne donnant pas au premier venu leurs ruisseaux de lait ou de miel non ça se viole pas non ça se prend pas par surprise non on ne peut pas dire n'importe quoi un bon mouvement reconnaissez que ça n'arrive pas des masses en un siècle et la vie d'un individu c'est vite couru tout le reste est tringlage allusif interdit carabiné scié de l'inceste à savoir de la vraie jouissance au-delà que ceux qui y son m'entendent alors pour oublier ils baisent ou ne baisent pas du pareil au même tricotés triqués harponnés n'ayant connu qu'un bof sous orgasthme après quoi fermeture de la tirelire les privant de lire de tirer je vous donne les deux cas extrêmes de l'humanité il tue son père et sa mère fou furieux il ne tue ni son père ni sa mère débile mental si vous mettez ça au féminin ça donne n'importe comment elle jouit même si elle jouit pas puisque de toute façon elle sait pas je précise qu'il ou elle c'est pas la même chose qu'un homme ou femme au sens des planches anatomiques qui vont être affichées pour la première fois dans les écoles preuve que c'est plus le problème [...]
Pour agrandir : Sollers - Paradis p13.JPG
Extrait de Paradis II, 1986, Philippe Sollers, Coll. Blanche, Gallimard :
soleil voix lumières écho des lumières soleil cœur lumière rouleau des lumières moi dessous dessous maintenant toujours plus dessous par-dessous toujours plus dérobé plus caché de plus en plus replié discret sans cesse en train d'écouter de s'en aller de couler de tourner monter s'imprimer voler soleil cœur point cœur point de cœur passant par le cœur il va falloir rester réveillé maintenant absolument réveillé volonté rentrée répétée le temps de quitter ce cœur simplement le temps qu'il se mette enfin comme il voudra quand il voudra de la dure ou douce façon qu'il voudra bien peu de choses en vérité n'est-ce pas poussière de poussière bien peu très très peu comme on exagère comme on a tendance à grossir tout ça moi-moi-moi en vérité presque rien côtoiement d'illusion couverture du cœur d'illusion aujourd'hui j'écris aujourd'hui et aujourd'hui j'écris le cœur d'aujourd'hui et hier j'écrivais aujourd'hui et demain j'écrirais aujourd'hui c'est vraiment aujourd'hui et rien qu'aujourd'hui on devrait l'écrire aujournuit différente manière d'être à jour en suivant ses nuits dans la nuit salle de séjour noire bleue blanche j'attends le vide à sa tranche qu'il décide ou non de bouger de claquer si je reste comme ça réveillé le coup va venir c'est fini le coup va revenir cette fois vraiment c'est fini un deux trois pas tout à fait trois et de nouveau un deux et puis trois on est au cœur du cœur maintenant dans le cœur du cœur battant se taisant c'est lui qui creuse c'est lui qui poursuit c'est lui qui sait ce qu'il faut savoir pour continuer dans la nuit on n'ira jamais assez vite pour coïncider avec lui pour rejoindre son instinct fibré sa folie un muscle dites-vous seulement un muscle au fond d'après vous soleil cœur voix cœur germe en lui de lui tout en lui voilà le vent s'est levé de nouveau maintenant et je suis là de nouveau comme écrivant le temps de nouveau comme si le temps pouvait n'être rien d'autre que des lignes recoupant des lignes à la ligne là comme au bout du monde ne tenant plus que par un bout de bord à ce monde droites diagonales angles cadrans demi-cercles rayons revenant au centre cours des astres reflétés comme ça par le centre danse en cours avec moi reflet du danseur dans la nuit moi spectre et moi poison d'ombre moi squelette abstrait mangé par son ombre pas tout à fait cependant pas encore tout à fait déclic sursaut nerfs juste assez pour tracer conduit ce qui suit voilà on y va le concerte reprend sa cadence joie joie voilà c'est reparti ça se suit en effet un important groupe de taches s'étendant sur près de 300 000 kilomètres se déplace en direction du centre du disque solaire selon un observatoire de thénanie-westphalie elles devraient l'atteindre le 8 ou le 9 avril et ce phénomène qui pourrait perturber l'atmosphère terrestre est une des conséquences de la formidable activité que le soleil connaîtra au cours de l'année elle entraînera cette activité un comble de nervosité d'inexplicables fatigues des dissolutions dépressions décompositions des morts anticipées convoitées brusquées un supplément de crime de frime des séparations guerres convulsions récriminations falsifications dissimulations leucémisations cancérisations expulsions bref un état général de crible agité en noeud du tissu rongé des ponctions une frénésie négation des apoplexies pleins poumons des attaques et contre-attaques rupture de vaisseaux inondation des cervons disjonction des systèmes nervons déhanchements fanatiques rafales d'antibiotiques et puis faim et soif et bile et surtout faim et soif à partir du foie dans sa bile matriciation omnibile dans sa tellurique omnubilation que doit faire le narrateur [...] je l'aurai attendu longtemps ma vision soufflée en ce monde moment soulevant mon exode à froid dans la monde j'aurai été patient finalement dans ce corps fragment de boue du monde bouée amarrée flottée ballottée respirant bloquée tourniquet voyons ça maintenant que les choses sont devenues sérieuses furieuses voyons ça d'un peu près avant de quitter crevé le procès les mondes enfin ce qu'on est obligé d'appeler comma ça dans les mondes sont donc au féminin c'est la monde absolument intrinsèquement goulûment obséquieusement funéraillement variqueusement platement et secrètement ravalant l'épargne de son logement l'ammonde c'est le dieu des dieux moulé monde la seule vraie valeur en ce monde c'est-à-dire le faux né du faux enclenchant le faux dans le faux mécaniquement machinalement règlement faux d'emblée faux chiffré faux dissimulé contracté plaqué supposé automatisé soudé obturé jalousement suturé passionnellement camouflé la monde c'est la vérité refermée ventre chaud gelé dans sa tombe faux-jour du faux ciel faux parcours nature sous le ciel et l'ammonde se tient sur la monde avec son faux soleil revenant chaque jour pressant son nouveau soleil faux soleil sa faux décapitant l'hors-soleil pour reprendre en main le soleil et la monde se sent bien comme ça [...]
Pour agrandir : Sollers - Paradis II p10.JPG
[...] personne n'a osé montrer à quel point nous respirons rien dans le rien colères justifications pleurs souffrances adieu romances adieu cadences adieu adieu talkie-walkie déjà-dit adieu l'ardent sanglot qui roule d'âge en âge et vient mourir au bord de l'immense truquage adieu plumages ramages modelages massages baisages adieu visages adieu collages attention par de bruit on va de nouveau tenter la sortie premier acte tête en avant dans la tête et puis retrait descendant vers le cœur point de cœur passant par le cœur deuxième acte arrêt des poumons envoi de la prespiration dans le noeud nerveux des talons troisième acte retour au cerveau images pensées mots ébauches de mots vidéo quatrième acte ventre sexe et dessous du cul dans son sexe remontée méningée vers le cervelet bulbé d'illustré cinquième acte suspens ralentissement réfraction du sang dans le sang plaine fraîche courant dans les veines sixième acte rentrée des antennes septième acte plongée ouf ça y est je suis passé j'ai gagné mais quoi même pas un cent millième de seconde intervalle en tampe du sans-temps fraction brisée sans mesure évanouissement sous piqûre j'ai affaire à de drôles de chiffres maintenant effrités mangés mal notés difficiles atomes invisibles impossibles à imprimer à classer même si j'arrive à tenir la nuit quand je tombe en elle endormi comme si je devenais le carbone où se double en creux le récit je ne sais plus qui se suis je ne sais plus où je suis je ne l'ai jamais su j'ai toujours fait semblant j'ai perdu ils l'ont deviné pour finir que je n'étais pas dans leur trame dans leur transmission mélodrame dans leur romantisme à la gamme triple croches soupirs lunés révolus je n'y crois pas que voulez-vous qu'est-ce que j'y peux je n'y crois pas je n'y ai jamais cru je n'ai jamais pu jouer à leur jeu glorification de la merde en nécessité nature dieu planification d'épluchures logification de l'ordure dissimulation du cadavre aux nouveaux venus dans l'obtus ils arrivent ils ne sont pas prévenus ils tombent dans l'assemblée criminelle bien décidée à se venger sur eux à se rattraper sur eux de leur pus voilà ils font leur entrée dans les usa les utérus sataniques associés avant d'être pris en charge par l'urss l'utérus roulant socialoïdement stimulé ils sont immédiatement enregistrés numérotés contaminés tatoués bridés traumatiquement initiés magnétiquement conforéms électriquement inscrits à l'ursas union de ravalement symbolique animiquement subluné donc salaire retraite assurée apprentissage du mini gigotage rechargeant le nerf de l'effet à partir de là distribution des traits personnalisés indices de perversions de névroses tickets de débilités de psychoses répartition des quotients sexuels nécessaires à la rutilation de la pile centrale entassées tout est prévu chacun a ses illusions son menu ses zones permises ses périphéries défendues chacun et chacune n'oublions pas les chacunes apparemment dominées par les chacuns masculins mais en réalité solidement à la barre de la grande lacune en sous-main ce qui fait que les chacuns féminins surveillent les chacunes à chacun [...] maintenant et encore ici maintenant je n'avance plus je ne m'entends plus je ne comprends plus je ne me sens plus c'est vécu tout ça maintenant ici maintenant c'est connu déjà vu déjà parcouru et pourtant ça tourne et ça continue toujours ici maintenant sans tenir compte des dépenses de lignes ou d'argent répétant l'ici maintenant comme ça pour rien dans une fuite sur place d'harmonie fugue trace qu'est-ce qu'on est loin maintenant moi et moi ici maintenant moi et ma main moi et mes yeux ouverts et ma main devant moi pendant que mon autre main maintient le papier dans la direction d'ici maintenant toujours maintenant folie vrillée délire tempéré tempête figée du clavier ce n'est plus le corps masse volume qui écoute la partition venant de droite ou de gauche mais la clé la clave l'échelle cave lignes portées noires sonores pointillées crevées recevant en elles ce corps abrégé l'allégeant le retournant transparent l'enveloppant dans l'ici maintenant veillant résonnant pinçant chevauchant s'ouvrant voilà ça y est de nouveau dans le spectres en vérité sensation à vif de nouveau seule vérité trempée tympan du temps ici maintenant et j'écris là ici maintenant toute la nuit maintenant et le vent souffle dans les vitres de la nuit montante violente tordant les branches dehors et giflant l'eau qui remonte dehors à travers les herbes et les pierres envahissant de nouveau les canaux de pierres mangées d'herbes toute la nuit dans le clavecin ici maintenant dans sa volonté frêle inflexible algébrique violette ascétique comme si le squelette de touts les éléments s'entendait ici maintenant canon du temps se chiffrant se clavant se claviculant résurrection dans la plaine soufrée du temps maintenant pleine lune d'argent sur la droite et ici maintenant souffle sur les os du temps maintenant pendant que l'eau noire progresse avec la nuit noire se levant à la verticale de l'océan pour y retomber demain matin ici maintenant quand le bleu reviendra dans le soleil ici maintenant et toujours le même vent peu à peu visible sans que cesse pour autant l'impression de clou d'ici maintenant perçant la situation comme frappée d'une vie et d'une mort éternelles simultanées emboîtées s'engendrant et se détruisant pour donner cette annulation de lucidité soulignée parfois par une accalmie une pause solennelle de la machinerie un blanc de mouvement tao central éclairé vidé avec ses cris d'oiseaux saisis d'une ivresse incompréhensible célébrant ou commémorant de tous temps ce passage à vide de la nature débranchée de la substance épuisée lui donc là fou caché peut-être simplement ridicule obstiné buté acharné poursuivant son récit accroché à ses petits signes à son sillage bleuté intra-signes fugue en fa dièse majeur prélude et fugue en fa dièse mineur prélude et fugue en sol majeur prélude et fugue en sol mineur prélude et fugue en la bémol majeur prélude en sol dièse mineur fugue en sol dièse mineur prélude et fugue en la majeur prélude et fugue en la mineur prélude et fugue en si bémol majeur prélude et fugue en si bémol mineur prélude et fuugue en si majeur prélude et fugue en si mineur prélude ici mineur en fugue maintenant majeure d'abord exposition définition délimitation des conditions de la chute condamnation damnation puis extension spiralation explosion de la réanimation rédemption les mêmes mots pour descendre et pour remonter pour se plaindre et pour protester pour gémir et pour adorer pour blasphémer pour louer combien de fois n'a-t-il pas pensé en finir abandonner le projet se retirer se taire couper les ponts les communications les informations disparaîtront dans son coin attendre [...]
Se procurer l'ouvrage :
Paradis
Philippe Sollers
1981
Seuil
254 pages
http://www.amazon.fr/Paradis-Philippe-Sollers/dp/20200572...
Se procurer l'ouvrage :
Paradis II
Philippe Sollers
1986
Coll Blanche, Gallimard
114 pages
http://www.amazon.fr/Paradis-2-Philippe-Sollers/dp/207070...
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mercredi, 17 octobre 2012
Le prix de l'art - Philippe Muray
Philippe Muray (1945-2006)
Extrait de La gloire de Rubens, 1991, Philippe Muray, Grasset :
[...]
Il peut paraître provocant de dire que Rubens est la peinture par définition, parce que la peinture, toute la peinture semble au contraire s'étaler pour vous déconseiller ce détour. Et pas seulement la peinture, mais ce qui foisonne dans ses proximités, l'histoire de l'art, la critique d'art, les organisateurs d'art, directeurs d'art, conservateurs d'art, commissaires d'art, animateurs et réanimateurs infatigables d'art. Il y a belle lurette que tout ce petit monde passe son temps à faire maigrir la peinture comme les designers de mode firent maigrir les femmes pour vous dégoûter de la beauté pleine de leurs volumes comme de la splendeur saturante de celles de Rubens. Pourquoi ? Tiens donc ! Parce que si on y était arrivé vraiment, à Rubens, eh bien la mort de l'art, au lieu de se produire au XXe siècle, aurait peut-être eu lieu dès ce moment-là, dans ce milieu du XVIIe siècle où lui-même disparaît.
Le bout du tunnel aux illuminations serait alors apparu. La question esthétique aurait été réglée, quel temps gagné ! On se serait rendu compte que ce n'était plus la peine. Qu'il avait tout fait. Vous imaginez le drame ? Plus de marché ! Plus de cotes ! Pas de "Fondations" ! Pas d'inflation ni d'"installations" ! De catalogues ! De muséographie ! De commissaires ! De commentateurs ! Pas de messes anniversaires autour de l'art défunt ! Rien que le mouvement perpétuel de la gigantomachie rubénienne tournant, ivre, sans fin, jusqu'à la fin des mondes.
Le temps de la peinture est passé. J'établirai en quelques lignes comment et pourquoi il s'est terminé ; c'est fait. Plus on se fout de l'art, et plus il flambe. Il est heureux que la cote des peintres d'aujourd'hui, publiée désormais dans des revues en nombre croissant, dispense les spéculateurs d'avoir à s'approcher des œuvres elles-mêmes : ainsi leur foi a-t-elle des chances de rester intacte et leur enthousiasme inentamé. Les grands trafiquants de drogue, après tout, brassent bien les narcodollars en quantité astronomique sans être obligés d'approcher, dans toute leur vie, d'un gramme de coke ou d'héroïne. C'est d'un cœur plus allègre que l'on change le plomb en or si l'on ne touche pas trop au plomb et qu'on ne voit que l'or. Dans le cas de l'art, évidemment, cette invisibilité se complique d'une mystique sur laquelle il serait mal vu d'ironiser, dans la mesure où elle est le cache-sexe poétique qui permet aux lois du marché de ne pas être mises trop crûment à nu.
Comme toutes les lois, celles-ci reposent sur des cadavres. La poule aux œufs d'or a le croupion sur un cimetière : celui où furent enterrées, au XIXe, ces victimes sacrées de l'âge contemporain qu'on devait appeler Impressionnistes. Nous n'en finissons pas de payer le martyre de ces christs ! Tout est permis, depuis, en leur nom. En réparation de ce qu'ils ont subi. En pénitence de nos péchés. L'art dit moderne est une grande opération religieuse de contribution à la culpabilité publique.
La faillite est complète, mais on garde le moral. Aujourd'hui, tout le monde se marre en annonçant son propre naufrage. Mort aux tristes ! Des millions d'apparatchiks soviétiques ne viennent-ils pas de nous donner l'exemple de la plus saine gaieté en annonçant, tordus de rire, la disparition du communisme, c'est-à-dire, après tout, de leur fonds de commerce ? L'art est en cessation de magie, mais ses liquidateurs s'activent parmi les mouches avec bonne humeur. Pas de quoi pleurer. L'art est une catégorie rentable de l'ère des loisirs pour les masses résignées. L'Etat mécène providence poursuit sa tâche de dressage des citoyens en plantant aux carrefours d'inimaginables gadgets que l'on peut considérer comme autant d'étapes méthodiques et méditées dans la guerre qui se livre contre le goût à seule fin que celui-ci ne soit plus capable de servir d'instrument de mesure, donc de jugement, pour ce qui se présente comme nouveauté à adorer. Multiplier les commandes publiques est devenu le plus sûr moyen d'abolir le souvenir de l'art. On en voudrait encore plus, toujours plus, tous les jours ! Subventionner n'importe quoi est aujourd'hui synonyme de guerre contre l'art d' "avant". Même chose, d'ailleurs, en littérature : il est plus subtil de ne pas brûler les rares livres qui comptent, mais d'en faire écrire d'autres, à tour de bras, par des robots appelés "auteurs", dans l'espoir (en général comblé) que le flot de ces artefacts noiera les rares ouvrages de quelque intérêt qui risqueraient de voir le jour, ici ou là, malgré les considérables mesures de sécurité qui ont été prises.
Depuis que plus personne ne sait à quoi pourrait servir la peinture, on lui a trouvé une destination providentielle : elle sert à blanchir (de l'argent, mais pas seulement). La spéculation sur la nullité est une idée neuve en Europe et dans le reste du monde. Et plus ils payent, plus on sent que c'est aussi leur argent dont les amateurs voudraient qu'on ne sache pas qu'il est mort.
Et plus encore, peut-être, sont-ce les industries désolantes et superflues d'où ils tiennent, pour la plupart, cet argent, dont ils souhaitent que la nullité demeure inconnue. Golden boys japonais, américains, australiens, tous payent, donc, pour ne pas savoir ou pour empêcher qu'on sache.
Les seuls véritables spécialistes du néant contemporain, ce sont eux, pourtant. Comment ignoreraient-ils qu'il n'y a rien, dans le saint des saints, et que ça pourrait être démontré ? Une peur à la mesure des millions de dollars qui y sont engagés règne donc sur cet univers. Le mensonge est si énorme, si planétaire, qu'il faut qu'il soit éternisé pour ne jamais courir le risque d'être révélé.
Art et Thanatos ! Il était fatal que le siècle où les peintres se sont affranchis de toutes les lois soit celui où l'on aura vu les lois du marché venir y mettre leur ordre, le dernier qui puisse encore être respecté. Supprimer les obstacles, comme le déclarait Picasso, à rebrousse-poil de tout le catéchisme moderne, ce n'est pas la liberté, "c'est un affadissement qui rend tout invertébré, informe, dénué de sens, zéro".
En effet : beaucoup de zéros.
On ne raconte jamais à quel point, vers la fin de sa vie, il était exaspéré par le monde qui s'annonçait, Picasso. Je ne vois pas souvent citer ses pires réflexions, les plus amères, les plus lucides :
"Ce qui est terrible aujourd'hui, c'est que personne ne dit du mal de personne... Dans toutes les expositions, il y a quelque chose. En tout cas, à quelque chose près, tout est valable... Tout est sur le même niveau. Pourquoi ? Sûrement pas parce que c'est vrai. Alors ? Parce qu'on ne pense plus. Ou parce qu'on n'ose pas le dire."
Mais qu'importe l'art, après tout ? Tel qu'on le fait consommer de force aux populations hébétées, il n'est qu'une assurance de plus, un de ces "plus petits communs dénominateurs" consensuels dont notre détresse a besoin, et plus que jamais. L'effondrement de ces non-valeurs, s'il arrive un jour, ne fera pas pleurer grand monde. Le temps de la peinture est passé, parlons de Rubens. L'art comme je le conçois est un effort patient pour ne pas donner son consentement à l'ordre du monde, pour ne jamais se résigner à la passivité unanime devant toutes les formes de la mort inéluctable, y compris les plus souriantes, les plus apparemment rassurantes, celles qui veulent le plus votre bien. Ce n'était peut-être que cela, en fin de compte, que Rubens visait, quand il avouait son désir si simple, si "modeste", de mourir un peu plus instruit qu'il n'était né.
[...] En une époque plus récente, Stendhal a repéré les progrès de l'analphabétisme : "A mesure que les demi-sots deviennent de plus en plus nombreux, la part de la forme diminue." [...]
Se procurer l'ouvrage :
La gloire de Rubens
Philippe Muray
1991
Grasset
284 pages
http://www.amazon.fr/gloire-Rubens-Philippe-Muray/dp/2246...
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vendredi, 28 septembre 2012
Le message oublié des fleurs - Philippe Sollers
Paris, le 28 septembre 2012
Le message oublié des F L E U R S
Les belles semblent insouciantes
Dans leurs robes guillerettes
Déployant les mille éclats de leurs couleurs étincelantes ;
Les belles paraissent en état silencieux,
Elles sont pourtant loin d'être muettes ;
Les fleurs sont les délicates messagères de nos cœurs amoureux.
Jana Hobeika
Extrait de Fleurs, 2006, Philippe Sollers, Herrmann Littérature :
[...]
Les fleurs ont, paraît-il, des intentions amoureuses. Il suffit de les faire parler (et, même si ce n'est pas le cas, le récipiendaire des fleurs et une femme). Voici comment on s'exprimait au dix-neuvième siècle :
Acacia, blanc ou rosé, désir de plaire.
Amandier, douceur, bonté.
Amarante, rouge brun, amour durable, rien ne pourra me lasser.
Aubépine, prudence, restons discrets, cachons notre amour.
Azalée, bleu ou rose, joie d'aimer, heureux de vous aimer, heureux d'être aimé.
Bouton d'or, joie d'aimer.
Camélia rouge ou rose, fidélité, je vous trouve la plus belle, je suis fier de votre amour.
Clématite blanche, désir, j'espère vous toucher.
Coquelicot, ardeur fragile, aimons-nous au plus tôt.
Cyclamen rouge, jalousie, votre beauté me désespère.
Dahlia, reconnaissance, merci, merci.
Gardénia blanc, sincérité.
Genêt, préférence.
Géranium, sentiments.
Giroflée rouge brun, jaune feu, constance, je vous aime de plus en plus.
Glaïeul rose ou orange, rendez-vous, le glaïeul au centre d'un bouquet indique, par le nombre de fleurs, l'heure de la rencontre (tout cela avant le téléphone, le portable, et pour déjouer les interceptions postales).
Glycine bleu violacé, tendresse.
Hortensia, caprice.
Iris, cœur tendre.
Jacinthe, joie du cœur.
Jasmin, amour voluptueux.
Laurier-rose, triomphe.
Lilas, amitié.
Lys, pureté.
Marguerite, extrême confiance.
Myosotis, souvenir fidèle.
Narcisse, froideur.
Mimosa, sécurité, personne ne sait que je vous aime.
OEillet, admiration.
Orchidée, ferveur (et même beaucoup plus).
Pavot, désigne l'heure, et complète la signification des glaïeuls (usage inconnu en Afghanistan).
Pensée, affection.
Pervenche, mélancolie.
Pétunia, obstacle, indiscrétion, surveillance.
Pivoine, vigilance, mon amour veille sur vous, veillez sur vous.
Réséda, tendresse.
Rose, amour, rose blanche : soupir, rose rose : serment, rose thé : galanterie, rose rouge vif : passion.
Scabieuse, tristesse.
Tulipe, toutes les couleurs, déclaration d'amour.
Violette, amour caché, clandestinité, secret, ambiguïté sexuelle, unisexualité, etc.
Philippe Sollers
Impossible avec la violette, de ne pas penser au bouquet introduit par Manet dans le corsage de sa belle-sœur Berthe Morisot, elle-même fleur noire et rose au regard vif de noirceur. Du même, le bouquet de violettes, près d'un éventail, petit roman érotique.
Ou bien cette provocation ; le 1er avril 1930, à Berlin, a lieu la première du film de Sternberg, L'Ange bleu, avec Marlène Dietrich. Le soir même, elle part pour New York où elle restera jusqu'en 1960. Elle s'avance sur scène dans un manteau de fourrure blanc, l'enlève et montre, épinglé sur sa robe, dans l'entrejambe, un bouquet de violettes. Rires, photos, rideau.
Tout cela semble loin, très loin, comme d'avant le Déluge. Ces signaux, ces récits de l'oisiveté sensible, nous racontent un monde où les femmes (du moins certaines) vivaient leur vie végétale en retrait, en serre, en marge centrale, en dissimulation, et comme en attente de fécondation. On envoie encore des fleurs, bien entendu, mais sans sous-entendus. Les lys ne filent toujours pas, mais les femmes, désormais, travaillent.
Violette, beau prénom féminin. Mot étrange : viol, viole, violon, violoncelle, voile, violette. "Ô, l'Oméga, rayon de violet de ses yeux". Rimbaud, encore : "L'araignée de la haie ne mange que des violettes."
[...]
Se procurer l'ouvrage :
Fleurs
Philippe Sollers
2006
Hermann Littérature
121 pages
http://www.amazon.fr/Fleurs-grand-roman-l%C3%A9rotisme-fl...
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jeudi, 20 septembre 2012
Considérations sur l'architecture - Stéphane Zagdanski
Extrait de Miroir Amer, 1999, Stéphane Zagdanski, Coll. L'infini, Gallimard :
[...]
Le grand architecte Angel Nivelard avait déjà pondu dans plusieurs capitales de la planète ses gigantesques cubes de glace, ziggourats vitrifiées d'acier et de filins consacrées aux indissociables divinités du reflet, du regard, de la transparence.
Le parcours du génie était célèbre.
Sa mère avait toujours désiré une fille, elle ne l'habilla jamais comme un garçon. Jusqu'à sa puberté, elle lui brandit chaque jour un miroir à la face en minaudant : "Regarde comme tu es jolie !" Angel n'acquit ainsi nullement la notion anodine de différence des sexes. Toute frontière lui devint floue. Il ne supportait pas qu'on trace une limite entre quoi que ce soit et quoi que ce soit. Il vécut longtemps connecté en permanence sur Internet, adepte fanatique du VVVV, Village Virtuel de la Vision Vraie, sans murs, sans portes, sans limites. Client exclusif de Louis Galle - le couturier qui fonda sa réputation subversive en démocratisant les jupes pour hommes -, il mit pour sa part à la mode le piercing des paupières.
Il devint surtout l'intraitable apôtre du voyeurisme polymorphe.
Quand on lui confia le projet de l'hôpital Rembrandt, il considéra que celui-ci renfermait suffisamment de ténèbres au cœur de son nom pour bannir tout ce qui participerait de la nuit au sein de sa structure.
C'est ainsi que s'érigent les plus aberrantes constructions ultramodernes. Leur base insoupçonnée est une tocade singulière, sans queue ni tête, une impulsive répugnance qui ravage tout sur son passage, un Attila de laideur conduisant une cohorte grimaçante de fantasmes asexués. C'est sur cette base enfouie que s'érige à grand renfort de technique informatisée, d'argent détourné et de propagande théorique assermentée, toute une machinerie de matières froides, rigides, frigides.
Faites comme si je n'étais pas là ! semblait être l'impérieux mot d'ordre de l'hôpital Rembrandt où des milliers d'être humains pénétraient chaque jour comme dans un temple de la surveillance révélée.
Il faut dire que la rue Morgue portait bien son nom. Elle ne s'émut pas outre mesure de l'apparition sur son flanc droit de cet étrange bubon miroitant contre lequel s'irisaient ses propres arbres, ses lampadaires, ses passants, ses voitures, et les immeubles de son flanc gauche. Tout y était redoublé, mais teinté d'argent. La rue vibrionnante de couleurs, de mouvements, de cris et de vrombissements, avait été capturée dans un scaphandre de pure étendue grise, une capsule de rutilements à l'épreuve de l'impureté du temps.
Mais au verso de cette intangible, impavide, inexpugnable muraille, une fois enfreint l'amer mirage métallisé, tout s'éclairait.
Rampes de néons lunaires, légions d'halogènes projetant leurs auras boréales, murs translucides et caméras à tous les étages s'entendaient à chasser la moindre parcelle d'ombre avec un acharnement réservé usuellement à la poussière. Les infirmières se déplaçaient, les médecins devisaient, les laborantins manipulaient, les machines clignotaient, les gardiens somnolaient, les ascenseurs s'activaient - aussi diaphanes que les parois contre lesquelles ils glissaient -, sous l'omniprésent regard de tout-un-chacun. L'hôpital Rembrandt était un titan radiographié en permanence depuis l'intimité de ses propres organes. Ici, chacun pouvait assister au spectacle de sa cité limpide suspendue dans les airs, comme un hologramme détaillé projeté à vingt mètres du trottoir dédaigneux de la rue Morgue.
Dès le hall d'entrée éclatait la devise de l'hôpital, sculptée en gros caractères cristallins, sous l'immense bas-relief en verre dépoli représentant La Leçon d'anatomie :
IN VITRO VERITAS
[...]
Bien entendu, dans l'interstice, il y a les corps que ces chiffres concernent. Les malades qui entrent ici, les morts qui en sortent, et tous ceux qui n'entrent ni ne sortent : les cadavres en transit au sous-sol, à la morgue. Il y a les souffrances, les souffles courts, les gémissements, les naissances, les bonnes, les mauvaises, les abominables nouvelles, les faits et les gestes risiblement humains qui ne sont en réalité que la part obscure de l'immense vaisseau vitrifié, sa soute de matières premières, son fuel de sangs, son charbon d'organes, son essence de spermes, son huile de peaux que la machine ingurgite, consomme et consume pour faire fonctionner sa montagne de chiffres.
Chiffres sur les moniteurs, les cadrans, les éprouvettes, les codes barres des étiquettes, les feuilles de soin, les bulletins d'entrée et de sortie, les bons de commande des substances chimiques, les sachets de seringues, les boîtes de compresses, les panneaux indicateurs dans les couloirs, les instruments de mesure, les thermomètres, les chronomètres, le encéphalogrammes, les cardiogrammes, les écrans de radiologie, les télés de surveillance, le réseau des ordinateurs, les balances et les échelles de croissance dans la nurserie, les agendas des chirurgiens, les livres des psychologues, ceux qu'ils lisent, ceux que les plus audacieux écrivent, les sigles sur les portes des labos, les numéros des salles et des chambres, les codes gigantesques peints à même le goudron pour guider les ambulances et ceux sur la grosse cible où atterrissent l'hélicoptère bleu et blanc du Samu et l'hélicoptère rouge sang des pompiers.
[...]
Se procurer l'ouvrage :
Miroir Amer
Stéphane Zagdanski
1999
Coll. L'infini, Gallimard
147 pages
> A consulter également, Paroles des Jours, le très généreux site de Stéphane Zagdanski : http://parolesdesjours.free.fr/
09:07 Publié dans Architecture, Beaux-Arts, Ecrits, littérature contemporaine, Thèse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : miroir, amer, stéphane zagdanski, architecture, hopital
mardi, 04 septembre 2012
Misères au Jardin du Luxembourg - Stéphane Zagdanski
Misère 1 : eine kleine misère
Jardin du Luxembourg
Extrait de Miroir Amer, 1999, Stéphane Zagdanski, Coll. L'infini, Gallimard :
[...] au mois de mai, le jardin du Luxembourg est une résurrection. Le soleil vaporise son étincelante tiédeur à travers les branches hirsutes des marronniers, traverse les dossiers écaillés des chaises de métal vert, effleure les corps imperturbables des rugueuses reines blanches, inonde les parterres multicolores de fleurs hilares, orgueilleusement insensibles à la fadeur des propos qui se tiennent dans les fraîches entrailles d'ombre du mastodonte de pierre, le Sénat, à dix pas de leur vitalité splendide. Comme si les mots n'avaient été inventés que pour commenter leur sourire de soie, féliciter leur éclosion de coloris incoercibles, vanter leur gloire de crêpe, faire écho à l'éclat rayonnant de leur joie muette. Ce à quoi seuls parviennent, en réalité, les enfants éparpillés dont les cris cisaillent de part en part le large cadran horizontal du bassin, avec une insouciance similaire, une victoire spontanée et cruelle, comme celle des fleurs, comme celle de tous ceux à qui la mort n'a jamais tendu son miroir embué de cendre froide.
[...]
Je trébuche de deux pas en me levant de ma chaise. Pendant à peine une seconde le poids du métal a été aspiré par mon mouvement ascendant avant de se rabattre vers sa masse initiale avec une violence élastique, me rendant à ma légèreté, ou plutôt à cette gravité depuis si longtemps agglomérée à mon être que j'en ai oublié l'existence, de sorte que c'est cet oublié, rappelé à moi avec la brusquerie d'une saute de vent, qui me fait tituber comme s'il me frappait dans le dos à l'aide d'une fronde.
[...]
Je me relève doucement, et quelque chose arrive.
Tout s'accélère, ou plutôt tout réintègre son rythme, tandis que la masse d'aigreur molle et froide remonte de mon estomac à mes lèvres. Je m'écarte du bassin. Elie est déjà plus loin, en train de parler avec une petite fille devant un parterre. J'ai encore le temps, avant de tomber en avant, un bras appuyé sur le dossier d'un fauteuil de fer, de voir distinctement Claire, une cigarette aux lèvres, plongée dans son Gauguin, et d'avoir une dernière pensée pour la froide désapprobation des reines rigides, là-haut, en surplomb, comme les joyaux espacés d'une immense couronne.
Je vomis une longue coulée d'un jus d'orange avalé pourtant depuis plusieurs heures, puis une autre, pétillante et âcre, pénible et salvatrice. Je regarde la flaque visqueuse pailletée de pulpe sale, résidu écœurant d'une alchimie inachevée.
Je crache un dernier filament d'aigreur, toujours courbé en deux, attendant que ma nausée se dissipe avec la flaque constellée de grumeaux orange que le gravier gris absorbe.
[...]
Se procurer l'ouvrage :
Miroir Amer
Stéphane Zagdanski
1999
Coll. L'infini, Gallimard
147 pages
http://www.amazon.fr/Miroir-amer-Zagdanski/dp/2070754391/...
> A consulter également, Paroles des Jours, le très généreux site de Stéphane Zagdanski : http://parolesdesjours.free.fr/
07:37 Publié dans Ecrits, littérature contemporaine, Trivialités parisiennes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : miroir, amer, stéphane, zagdanski, jardin, luxembourg, eugène, cochet