vendredi, 02 novembre 2012
Considérations sur la littérature - Jacqueline de Romilly
Jacqueline de Romilly (1913-2010)
Extraits de Le Trésor des savoirs oubliés, Jacqueline de Romilly, de l'Académie française, 1998, Ed. de Fallois
[...]
Les écrivains nous apprennent à voir. Tout simplement à voir les choses, à voir le monde. Le plus souvent je suis convaincue que notre perception des choses est superficielle, inattentive, insuffisante. Et je crois que l'observation, le choix des mots souvent attirent notre attention sur des détails présents, frappants, que nous reconnaissons et dont la vérité nous paraît évidente, alors qu'ils nous étaient inconnus. [...] On y verra par exemple Les Chats décrits par Colette, avec leur douceur et leurs griffes et leur luxe ; je n'ai jamais beaucoup observé les chats ni aimé les chats ; mais le temps de lire un tel texte je retrouve la vérité des notations, ou plutôt je les découvre et en même temps, pour un temps, j'aime les chats ; et ce n'est peut-être pas tout car, pour un temps aussi, me pénètre une sorte de sympathie pour ce genre de sensualité qui rend si présentes les beautés des bêtes, des fruits et des plantes. L'admiration se double de compréhension, et la vision liée à un texte porte avec elle des réactions affectives, et proches déjà de jugements de valeur.
Mais surtout, les écrivains nous font ressentir et comprendre les émotions et leur sens. Et à cet égard, j'aimerais raconter une impression toute récente que j'ai éprouvée il y a quelques semaines : je venais d'écouter sur cassette, c'est-à-dire lu à haute voix, l'Othello de Shakespeare. J'étais seule dans une pièce tranquille avec du loisir et j'ai laissé le texte entier passer en moi. Quand il a été fini, je suis restée comme frappée de stupeur et de désolation. J'éprouvais une pitié dévorante pour Desdémone, la si pure et tendre Desdémone, qui venait une fois de plus de mourir victime du malentendu qui dressait contre elle un époux bien-aimé. J'étais déchirée de pitié pour Othello, le Maure, qui venait dans sa folie et son imprudence de tuer celle pour qui il éprouvait une si puissante passion. Les deux pitiés ne se contredisaient pas, elles se complétaient. Il me semblait, depuis l'accablement où je me trouvais, comprendre mieux que jamais comment les êtres humains se font souffrir sans le vouloir, l'un par l'autre, alors qu'ils s'aiment et voudraient tout faire pour se le prouver. Il me semblait atteindre à un niveau de compréhension plus grand que dans toutes les années passées ; peut-être s'ajoutait-il vaguement la condamnation de la perfidie du traître, le regret de l'imprudence d'Othello qui n'avait pas mieux vérifié, l'étonnement devant l'ensemble de petits indices qui finissaient par aboutir à cette fin tragique d'une façon qui semblait presque inévitable. La pitié et la compréhension m'écrasaient. J'ai mis longtemps à me reprendre.
[...]
Le regard du connaisseur est un regard entraîné et qu'on ne trompe pas aisément. Mais, à côté de cet entraînement pratique, le rôle de la littérature est infiniment plus important. Car, dans les textes, nous trouvons, décrits avec des mots, la présence d'objets, d'êtres ou de sensations que nous pouvons avoir rencontrés, mais sans percevoir tous les aspects qu'un écrivain, entraîné à observer et à traduire cette observation par des mots, peut, d'un seul coup, nous communiquer. Parfois, ce sera une découverte et il nous fera voir des réalités de nous inconnues, des pays lointains, des êtres monstrueux, des présences surprenants, des émotions hors de notre portées. D'autres fois ce seront des réalités familières mais que nous n'avions pas remarquées.
Chose étrange : le plus souvent nous reconnaîtrons avec la même certitude un objet que nous ignorons ou un objet que nous connaissons. L'imagination nous présente les choses avec suffisamment de force pour que nous ayons le sentiment de déjà les connaître.
En tout cas, nombreuses sont les descriptions dans les œuvres littéraires qui nous donnent cette impression ; et, par la suite, que le souvenir en soit présent ou bien oublié, cette description nous aide à mieux voir ce qui se présence sous nos yeux.
Je lisais, pas plus tard qu'hier, un texte de Colette relatif à son chat ou sa chatte. Je vois tout. Je vois, comme elle dit, "ces pattes armées de brèves griffes en cimeterres qui savent se fondre, confiantes, dans la main amie". Quand je lis cela, moi qui n'ai pas beaucoup l'habitude, aussitôt je vois ce chat ! Puis, dans la page de Colette, les adjectifs, bientôt se multiplient : "facile..., rêveuse..., passionnée..., gourmande..., caressante..., autoritaire". L'enfant qui poursuit un chat sur le trottoir ne voit pas tout cela ; quand il aura lu ce texte, puis d'autres, peut-être le verra-t-il un peu mieux ; ses yeux se seront ouverts à la présence de ce qui l'entoure.
Ce chat-là, faisant l'arbitre, dévore tranquillement les deux adversaires. Lui aussi, l'enfant, dès lors, le verra mieux.
Ou bien quand un auteur nous décrit la buée légère qui subsiste sur un fruit que l'on vient de cueillir, tout à coup cette description nous rappelle une impression fugitive que nous n'avons pas notée, que nous n'avons pas retenue, mais que, la prochaine fois, nous saluerons avec plus d'amitié et de lucidité.
De même, si la chaleur est quelque chose que l'on perçoit immédiatement et sans qu'il soit besoin pour cela d'aucune aide, je crois qu'une description de l'été algérien dans Camus aide à comprendre ce que cette chaleur a de redoutable et à sentir dans notre corps la splendeur de cette végétation, du soleil et de tout ce qui renaît avec la fraîcheur du soir. On vit, on perçoit, on voit, on entend par la littérature ou du moins on le fait mieux grâce à la littérature.
Et même s'il ne s'agit pas de détails mieux perçus, l'évocation littéraire - soit sur le moment, quand nous sommes confrontés à elle, soit après coup, quand il s'agit de souvenirs oubliés - ajoute une présence et une richesse plus grandes à tout ce que nous voyons, même aux objets les plus familiers, aux circonstances, aux mots connus.
[...] Quand vient la fin du jour, les ombres s'allongent. Nous le voyons, bien entendu - du moins, si nous sommes uin peu attentifs. Mais si un jour a chanté en nous la formule de Virgile disant que le soir les ombres tombent plus longues du haut des monts, avec ces sonorités sourdes que l'on remarque aussitôt dans la langue latine et dont le français garde quelque chose, en l'alourdissant, cette présence nous trouvera plus attentifs ; nous la remarquerons ; et là aussi elle prendra pour nous, parce qu'elle vient de si loin, une richesse accrue. Et voit-on, en contrepartie, le lever du jour ? Je le regarde, je l'avoue, assez rarement. Mais quand je vois le petit matin et les taches roses qui apparaissent partout, délicates et prometteuses, je crois qu'un vague souvenir de l'expression homérique "l'Aurore aux doigts roses" est quelque part dans mon esprit et donne du prix, de la présence, de la force à ce que je perçois.
Au reste, on le constate : ce n'est pas seulement parce qu'un écrivain a su observer la réalité qu'il nous aide à la reconnaître ; ce n'est même pas seulement parce qu'il a su trouver les mots justes pour la décrire : c'est parce que, usant de la valeur poétique des mots et aussi des métaphores et de leurs possibilités de suggestion, il ajoute à l'observation stricte des évocation multiples, presque infinies.
Je sais bien qu'en ce sens, c'est à la peinture que l'on penserait tout d'abord, car elle aussi montre les objets et en même temps, par la composition, les valeurs, l'interprétation, ajoute un sentiment personnel à la simple présente de l'objet. Il est juste de le rappeler, et je suis la première à admettre que l'on voit beaucoup mieux des pommes lorsque l'on a regardé des tableaux de Cézanne représentant des pommes. [...]
Mais si j'insiste sur la littérature et sur son rôle quand il s'agit de nous apprendre à voir, c'est parce que le jeu sur les mots, sur leur longueur, sur leurs sonorités, accompagné du recours aux métaphores, permet par sa précision d'aller plus loin encore.
Citons par exemple deux images d'échassiers. On pourrait avoir des planches d'histoire naturelle les représentant avec une parfaite exactitude ; et déjà cela nous aiderait à les voir. Mais deux évocations me viennent à l'esprit. La première est le héron de La Fontaine ; l'animal, tout en longueur, est présenté en deux vers où l'adjectif "long" se répète plaisamment avec une insistance qui est proche de l'ironie :
L'image est là en quelques vers nets et secs qui font comme une petite vignette ; mais le procédé même de la répétition et de la simplification aide à le percevoir et permet de s'en amuser.
Le second échassier auquel je pense est plus petit ; il est aussi plus moderne ; aussi se colore-t-il des subtilités de la psychologie évoquées par une image et un changement de registre. C'est le pluvier d'Hector Bianciotti. Il nous le montre "droit sur une patte au milieu du sillon, au bord d'un sentier, l'air de considérer les propositions de l'horizon". Cette brève description, qui appartient au livre Ce que la nuit raconte au jour, m'enchante parce qu'elle me fait d'abord voir l'oiseau dressé sur une patte, tout seul, attentif, mais qu'aussitôt elle évoque son regard en se référant à des sentiments humains qui rendent l'impression plus présente. Il considère les propositions. On voit ce regard rond, attentif, un peu hautain qu'aurait un personnage dans sa situation et aussitôt l'image prend vie, grâce à la comparaison. D'autre part, ces propositions viennent, non pas de quelque partenaire dans un débat humain, mais de l'horizon : ceci confirme l'impression de hauteur qu'il y a dans ce regard de la tête dressée, l'arrogance même de l'expression avec cette façon de tenir le regard au loin ; et ainsi nous est rendue cette attitude de l'oiseau qui est en réalité faite d'attention et de méfiance.
La notation est ici originale ; elle semble aussi à ce point vraie, que l'on est tenté de rire de satisfaction devant cette réussite. Je crois bien n'avoir jamais vu de pluvier ; je suis sûre en tout cas de n'en avoir jamais observé ; et pourtant je reconnais celui-là parce que la littérature nous a dit quelque chose qui dépasse de beaucoup la description et qui n'est plus du tout réel. Il est amusant de penser que cela aura été mon premier pluvier et que je l'aurai vu dans cette pampa de l'Argentine que je ne connais pas et ne connaîtrai jamais. La réalité, en somme, nous atteint à travers une évocation irréelle et une métaphore plus irréelle encore. A chaque page des livres, à chaque vers des poèmes se présentent ainsi des notations, ou fugitives ou insistantes, qui, je le répète, nous apprennent à voir. Et, sauf exception, ces phrases qui nous auront touchés jusqu'au cœur, ces textes sont ensuite presque toujours oubliés : nous rejoignons ainsi le sujet de ce livre. Mais avant d'être oubliés, ils ont comme affiné notre regard et jeté sur les choses une lumière qui nous révèle leur existence. [...]
On n'est pas obligé de vivre parmi les métaphores des poètes et de s'en faire un univers toujours plus ou moins présent. Mais il reste ce fait important que chaque phrase écrite est un effort pour rendre présent quelque chose et nous habitue ainsi à voir non pas par le regard direct qui n'est pas encore suffisamment entraîné, mais par le regard indirect des œuvres.
[...]
> A consulter également : http://www.magazine-litteraire.com/content/rss/article?id=18057
Se procurer l'ouvrage :
Le Trésor des savoirs oubliés
Jacqueline de Romilly
1998
De Fallois
220 pages
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jeudi, 01 novembre 2012
Considérations sur l'amour - "Tel qu'il est" - Fréhel
Fréhel (1891-1951)
Couplet
Refrain
Couplet
Couplet
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mercredi, 31 octobre 2012
Considérations sur l'amour - Marcelle Auclair
Marcelle Auclair (1899-1983)
Extrait de L'amour, notes et maximes, 1963, Marcelle Auclair, Hachette :
L'accord physique ? Ne suffit pas. L'accord des caractères ? Ne suffit pas. La complicité des ambitions, des rêves ? Ne suffit pas. Pour un grand amour il faut tout. A moins qu'il ne faille rien, que l'amour.
En amour, comme en toutes choses, on n'est jamais victime que de soi-même.
Triste : Le réveil d'une jeune femme auprès d'un vieil homme. Plus triste : Le réveil d'un jeune homme auprès d'une vieille femme. Plus triste que tout : Cette femme.
Pour se contenter de peu, il faut aimer bien peu. A moins qu'on aime tant qu'on supplée à tout.
Dans les âmes fortes, l'amour se glisse par les points faibles.
Un homme ne connaît une femme, une femme ne connaît un homme, que lorsqu'ils ont travaillé, ou dormi ensemble.
"L'amour, écrit Stendhal, se forme par cristallisation." Pour certains cœurs prompts à s'attendrir, c'est caramélisation qu'il faudrait dire.
L'ambition fait flèches de tout, même de l'amour. C'est l'une des rares occasions où l'amour soit humilié.
L'amour se mesure au besoin de la présence.
Le secret est l'âme des grandes amours.
Le Christ lui-même posait l'éternelle question des amants : "M'aimes-tu ?"
Les surprises de Dieu et celles de l'amour se ressemblent : l'amour, lui aussi, vient comme un voleur.
Dans la Bible, posséder une femme se dit "la connaître". C'est déjà un art d'aimer.
Le temps n'existe ni pour l'amant ni pour le mystique. L'un et l'autre reçoivent tout en un instant.
On sait rarement pourquoi on aime. On croit toujours savoir pourquoi on n'aime plus.
Quand on crois savoir pourquoi on aime - ou pourquoi on n'aime plus -, on ne s'avoue pas toujours les vraies raisons.
Est-ce mentir que se mentir à soi-même ? Nul amant ne connaît le fond de son cœur.
Elle. - J'aurais aimé l'aimer, s'il avait été aimable...
Peut-on aimer et ne jamais craindre, ne jamais être faible, ne jamais vouloir davantage ?
Il est des fous pour découvrir qu'ils aimaient, qu'ils aiment, lorsque, à force de s'être rendus haïssables, ils sont haïs.
Elle le mène par le bout du nez : son teint ne supporte pas la contrariété.
Manoeuvre délicate : retirer votre main de la sienne pour manger chaud.
La main dans la main, les yeux dans les yeux. Mais l'âme est ailleurs.
Réfléchir n'a jamais empêché d'aimer, mais aimer empêche de réfléchir.
Partager le lit, la table, l'existence : bonheur des amants dans le désert de l'amour. Mais vient le jour où il faut partager ses amis : c'est peut-être l'épreuve la plus périlleuse.
L'amour qui s'exhibe s'évapore. Il est rare que "les amoureux qui s'bécottent sur les bancs publics" s'aiment longtemps.
"Être amoureux" n'est pas toujours synonyme d'aimer.
Il en est de l'amour comme de tout au monde : quand il ne progresse point, il déchoit.
Vous croyez aimer cette personne compliquée ? Ce sont les complications que vous aimez.
Certains coups au cœur ne sont que des coups de tête.
On parle des pays où les époux ne se voient qu'après la cérémonie.
L'amant, variété transhumante de l'époux...
On a si longtemps dissocié l'idée d'amour de celle de mariage que la plupart des couples n'y cherchent qu'une liaison "sous garantie". Or, il y a loin de s'engager dans la passion à persévérer dans la patience.
Que d'amours médiocres deviennent, après rupture, de grandes amours !
Le président H. disait : "J'ai commencé à payer les femmes de bonne heure. Ainsi, je ne me vois pas vieillir..."
Ceux qui ont peur de l'amour comme on a peur de l'eau risquent fort de s'y noyer.
Par lâcheté devant les exigences de l'amour, certains ne conjuguent plus le verbe aimer qu'au passé.
Amour : Ce qui demeure quand on a oublié toutes les raisons d'aimer.
Jamais, en amour, on ne ressaisit ce qu'on a perdu.
L'amour humain, souvent, se nourrit de ses déceptions et s'exalte de sa misère.
Prétendre à l'absolu dans l'amour humain, c'est éponger l'océan avec un mouchoir.
L'amour heureux rend heureux tout de suite.
De nos jours, la cause des drames du cœur n'est pas dans le mépris des sentiments, mais dans l'erreur sur les sentiments.
Quiconque refuse les souffrances de l'amour est indigne de ses joies.
L'amoureux le plus fou se fait l'habile avocat de sa mauvaise cause.
Mieux vaut avouer une passion folle qu'un sot calcul.
Vivre simultanément le passé, le présent, et l'avenir : privilège des amants.
Certains, doués de l'imagination du cœur, parent au jour le jour un penchant banal de tous les prestiges du souvenir.
Les "explications" entre amants compliquent de littérature des sentiments simples : on aime, ou on n'aime pas, ou on n'aime plus.
Il en est des mots tendres murmurés la nuit comme des étoiles : seuls les plus ardents ne pâlissent point, au premier signe de l'aurore.
Quelle femme doute de l'amour d'un homme qui lui téléphone de New York, de Rome, ou de Tokio ? "Longue distance" équivaut à "passionnément". Handicap pour l'amant qui n'appelle que de Bécon-les-Bruyères.
Aimer l'égoïste pour son égoïsme, le menteur (ou la menteuse) pour ses mensonges : c'est plus sûr que d'espérer leur transformation par la grâce de l'amour.
On ne change guère, par amour, que provisoirement. Mais une passion profonde peut métamorphoser une chenille en papillon.
Pitié n'est pas amour ; toutefois, les cœurs généreux s'y trompent souvent.
Pour une femme, la seule défaite : n'avoir pas su rendre heureux l'homme qu'elle aimait.
L'amoureuse aime à être entourée, enveloppée, relancée, serrée de près jusque dans son sommeil. C'est pourquoi elle poursuit de ses soins l'homme, qui déteste cela.
Elle l'aime tant, et si généreusement, qu'il ignorera toujours qu'elle vaut mieux que lui.
Celle qui reconnaît qu'un chagrin d'amour l'enlaidit est déjà à moitié guérie.
Souvent, les amants célèbres tiennent à leur légende, les simples amoureux à leurs habitudes, plus qu'ils ne tiennent l'un à l'autre.
Marcelle Auclair (1899-1983)
> A consulter également :
http://www.babelio.com/auteur/Marcelle-Auclair/10101
http://pagesfeuilletees.free.fr/chroniques/MAuclair.htm
Se procurer l'ouvrage :
L'amour, notes et maximes
Marcelle Auclair
1963
Hachette
341 pages
http://www.amazon.fr/Lamour-AUCLAIR-Marcelle/dp/B003WS0DU...
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mardi, 30 octobre 2012
Etymologie - Sans coup férir, féru de
Source : Direct Matin, jeudi 20 septembre 2012
*
> Pour davantage : http://fichtre.hautetfort.com/les-mots-francais.html
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lundi, 29 octobre 2012
Bibliothèque érotique
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dimanche, 28 octobre 2012
La Somme théologique - Saint Thomas d'Aquin
Apothéose de saint Thomas d'Aquin, Francisco de Zurbaran
Extrait de Famille Chrétienne, n°1803 du 4 au 10 août 2012
Article "Le roman sacré de... LA SOMME THEOLOGIQUE", Edouard Huber
[...] En voyant ce grand jeune moine massif, toujours occupé à des méditations qui avaient l'air de rêveries nébuleuses, ils l'avaient baptisé "le grand boeuf muet de Sicile". Saint Albert, qui avait vu, lui, quelle intelligence stupéfiante de vivacité et de clarté cachait ce corps pesant, les avait sèchement repris : "Ah ! Vous l'appelez le boeuf muet ! Je vous le dis, quand ce boeuf mugira, ses mugissements rempliront l'univers !"
[...] Certes, il pouvait donner l'impression de faire un petit somme. Mais "somme", oui ; "petit", non : il était en train de concevoir l'immense "Somme" théologique qui serait désormais, jusqu'à sa mort, son travail prioritaire, et qui resterait le chef-d'oeuvre de cette vie intellectuelle surhumaine. Vie d'autant plus féconde qu'elle aura été en même temps une vie spirituelle de haute sainteté, marquée par la vertu la plus nécessaire aux grands esprits, et la plus difficile pour eux : l'humilité. Quand il était arrêté par une difficulté théologique, il laissait reposer sa tête, longuement, contre le tabernacle pour y puiser les réponses.
Un autre trait de simplicité : Thomas revient de l'abbaye de Saint-Denys avec ses disciples, et le chemin permet d'admirer une vue magnifique de Paris. Un moine qui connaît la noble naissance de Frère Thomas, fils du comte d'Aquin, lui demande : "Vous n'aimeriez pas être le roi de cette belle cité ? - J'aimerais bien mieux avoir les homélies de saint Jean Chrysostome sur saint Matthieu !", lui répond-il.
Tel est l'homme qui jette les premières pierres de sa Somme en cette année 1266. L'édifice aura des proportions immenses : environ deux millions de mots, soit quatorze millions de caractères, presque trois fois le volume de la Bible complète. [...] Tout le monde sait bien que c'est un traité pour spécialistes, illisible pour qui n'a pas fait d'études de scolastique ! Tout le monde le sait bien... parce que personne ne la lit. C'est la remarque que fait chaque jour, dans son travail de théologien, le Père Thierry-Dominique Humbrecht, fin connaisseur actuel de la pensée de saint Thomas : "On cite toujours, déplore-t-il, ce qui a été dit ou écrit sur saint Thomas, et on discute à partir de là, mais on ne veut pas le lire lui-même. C'est pourtant le plus intéressant !" [cf. Lire saint Thomas d'Aquin, de T.-D. Humbrecht, Ed. Ellipse].
Lisons donc ce qu'écrit Thomas au début de sa Somme : "Le docteur de la vérité catholique doit non seulement enseigner les plus avancés, mais aussi instruire les commençants, selon ces mots de l'Apôtre (1 Co 3, 1-2) : "Comme à de petits enfants dans le Christ, c'est du lait que je vous ai donné à boire, non de la nourriture solide." Notre intention est donc, dans cet ouvrage, d'exposer ce qui concerne la religion chrétienne de la façon la plus convenable à la formation des débutants [...] nous tenterons, confiants dans le pouvoir divin, de présenter la doctrine sacrée brièvement et clairement, autant que la matière le permettra".
La chose est donc entendue : ce livre est pour les "commençants" ! Pour chacun de nous ! C'est du "lait pour petits enfants". Peut-on croire aussi saint Thomas quand il dit que c'est écrit "brièvement" ? Oui, quand on ne s'arrête plus à la masse intimidante de la Somme complète, et qu'on s'aventure dans sa lecture, en ouvrant une page au hasard. On s'aperçoit alors que le texte est composé d'"articles" souvent brefs, en effet, et le plus souvent faciles d'accès, pour peu qu'on connaisse quelques mots-clés de la philosophie aristotélicienne, en petit nombre, tels que forme et matière, acte et puissance, substance et accident, essence et existence, fin et moyen, nécessaire et contingent... Même si les "articles" de la Somme sont ordonnés en ensembles plus vastes (les "questions"), elles-mêmes groupées en "livres", chacun d'eux constitue une unité de lecture autonome. De sorte qu'on peut venir à bout de tout l'ouvrage en faisant une lecture quotidienne d'un ou quelques articles seulement, beaucoup plus facilement qu'on ne lit un roman russe !
Chaque article pose une question, par exemple : "Dieu existe-t-il ?", à laquelle la réponse est habituellement "oui" (en tout cas, c'est la réponse de Thomas dans cet exemple précis !). Mais conformément à la méthode médiévale de la "disputatio", l'article commence par énumérer les "objections" à cette réponse. Dans notre exemple, la première objection est la plus terrible : Dieu étant par définition le Bien infini, il ne peut pas exister de mal en face de Lui, qui serait la négation de son infinité. "Or, reconnaît Thomas - avec comme un étonnement attristé -, on trouve du mal dans le monde."
Après l'objection vient le "sed contra" ("mais là-contre") qui se borne à opposer un argument en sens inverse. Ici, le verset solennel et capital du livre de l'Exode (3, 14) : "Je suis celui qui suis". Le "sed contra" ouvre au corps de l'article, toujours annoncé avec la formule d'autorité du maître : "Respondeo dicendum quod : Je réponds en disant que..."
Dans l'exemple, je réponds en énumérant les fameuses "cinq voies", qui sont les cinq possibilités pour notre intelligence de remonter du visible à l'invisible, des effets observables dans le monde à la "cause première" de tout, qui est Dieu. Cinq voies qui donneront du grain à moudre à tous les philosophes futurs et qui n'ont pas fini de faire immensément réfléchir et méditer.
Finalement l'article se conclut par la réponse aux objections. Pour l'argument du mal - l'objection universelle de toutes les générations humaines contre l'existence de Dieu - Thomas n'a qu'à citer son maître révéré, saint Augustin : "Dieu, souverainement bon, ne permettrait aucunement que quelque mal s'introduise dans ses œuvres, s'il n'était tellement puissant et bon que du mal même il puisse faire du bien". Et pour ceux qui douteraient, Thomas enfonce lui-même un peu plus le coup en disant : "C'est donc bien à l'infinie bonté de Dieu que les maux doivent d'avoir la permission d'exister, pour qu'Il en tire du bien".
Du XIIIe siècle à nos jours, la liste des papes qui ont recommandé l'étude de saint Thomas, en louant sa pensée et sa méthode, est vertigineuse. Pour Pie XII : "La méthode de l'Aquinate l'emporte singulièrement sur toutes les autres [...] ; sa doctrine forme comme un accord harmonieux avec la révélation divine ; elle est, de toutes, la plus efficace pour mettre en sûreté les fondements de la foi (Humani Generi, 1950)".
[...] "le propre du sage est d'ordonner". Il en donne la preuve la plus impressionnante dans l'organisation de la Somme théologique, admirable d'ampleur et de finesse, véritable cathédrale intellectuelle. L'oeuvre a trois parties : prima pars, secunda pars et tertia pars (première, deuxième et troisième partie), la secunda, de loin la plus longue, étant elle-même divisée en deux, prima secundae et secunda secundae. On utilise couramment les abréviations : Ia, IaIIae, IIaIIae, IIIa.
La prima pars consiste en l'étude de Dieu en Lui-même, puis de sa Création, spécialement l'homme. La secunda pars étudie les actes humains ; d'abord "en général", autrement dit la morale entendu comme le moyen pour l'homme de parvenir à sa fin, la béatitude, puis "en particulier", en détaillant notamment les vertus. Enfin, la tertia pars étudie le Christ et les sacrements, voie pour réaliser la vie parfaite.
Avec les deux premières parties on a, selon le Père Chenu (Introduction à l'étude de saint Thomas d'Aquin, éd. Vrin) une exposition complète de la destinée humaine, selon un schéma classique : "sortie" de Dieu (exitus), par la Création, et retour à Lui (reditus) dans la vie bienheureuse. [...]
La démarche est typique du génie de saint Thomas : accorder d'un côté la foi, adhésion à la Révélation qui culmine dans le Christ - la source juive -, et de l'autre côté la raison, prise dans son expression la plus rigoureuse : la source grecque. [...]
Dans la grande encyclique sur la philosophie chrétienne, Léon XIII considère les penseurs chrétiens, jusqu'à saint Thomas qui "a hérité [...] de l'intelligence de tous" et a fourni "des armes invincibles" contre les erreurs futures.
"[...] Entre tous les docteurs scolastiques, brille, d'un éclat sans pareil, leur prince et maître à tous, Thomas d'Aquin. [...] Il n'est aucune partie de la philosophie qu'il n'ait traitée avec autant de pénétration que de solidité [...]. L'angélique Docteur a considéré les conclusions philosophiques dans les raisons et les principes mêmes de choses [...]. En employant, comme il le fait, ce même procédé dans la réfutation des erreurs, [...] il est arrivé à ce double résultat, de repousser à lui seul toutes les erreurs des temps antérieurs, et de fournir des armes invincibles pour dissiper celles qui ne manqueront pas de surgir dans l'avenir. De plus, en même temps qu'il distingue parfaitement [...] la raison d'avec la foi, il les unit toutes les deux par les liens de mutuelle amitié : il conserve ainsi à chacune ses droits, il sauvegarde sa dignité, de telle sorte que la raison portée sur les ailes de saint Thomas, jusqu'au faîte de l'intelligence humaine, ne peut guère monter plus haut, et que la foi peut à peine espérer de la raison des secours plus nombreux ou plus puissants que ceux que saint Thomas lui a fournis. (Le) plus grand honneur rendu à saint Thomas, réservé à lui seul, et qu'il ne partagea avec aucun des Docteurs catholiques, lui vint des Pères du concile de Trente : ils voulurent qu'au milieu de la sainte assemblée, avec le livre des divines Ecritures et des décrets des pontifs suprêmes, sur l'autel même, la Somme de Thomas d'Aquin fût déposée ouverte, pour qu'on pût y puiser des conseils, des raisons, des oracles. [...] Aussi, comme il a été dit aux Egyptiens lors d'une extrême disette : "Allez à Joseph" (Gn. 41, 55), ce Joseph qui devait leur fournir le blé nécessaire à nourrir leurs corps ; [...] à tous ceux [...] qui sont aujourd'hui en quête de la vérité, nous disons : "Allez à Thomas, [...] allez lui demander l'aliment de la saine doctrine, dont il est si riche et qui nourrit les âmes pour la vie éternelle. Aliment à la portée de tous et facilement accessible"".
Christophe Geffroy, fondateur-directeur du mensuel La Nef. [...] "La Somme théologique est un monument qui intimide. Il faut passer cette appréhension. Deux auteurs m'y ont grandement aidé. Etienne Gilson, dont l'ouvrage Le Thomisme (Vrin) est sans doute la meilleure introduction à saint Thomas, et Jacques Maritain qui me l'a fait vraiment découvrir. Saint Thomas est d'un style aussi limpide que les sujets étudiés le permettent. Pour aborder la Somme, il est cependant indispensable d'être familiarisé avec les "outils" philosophiques d'Aristote dont Maritain fournit le "b.a.ba" dans ses Eléments de philosophie (Téqui).
Ainsi équipé, vous pouvez vous lancer dans l'aventure, car c'en est vraiment une ! J'avais choisi l'édition en IV volumes du Cerf (1984 à 1986), la seule complète disponible en français à l'époque. J'avais choisi de m'astreindre à une lecture quotidienne de 15 à 30 minutes, tôt le matin - cela dura quelques années !
Peu d'ouvrages m'ont marqué à ce point et m'ont autant apporté pour approfondir ma foi. Saint Thomas est le plus grand théologien catholique, mais c'est aussi un extraordinaire psychologue. [...]
Se procurer l'ouvrage :
Somme théologique, tome 1
saint Thomas d'Aquin
1984
Le Cerf
966 pages
Tome 1 http://www.amazon.fr/Thomas-dAquin-Somme-th%C3%A9ologique...
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08:00 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Peinture, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : apotheose, saint thomas d'aquin, francisco de zurbaran
samedi, 27 octobre 2012
Considérations sur l'amour de Dieu - saint Bernard
Eglise Saint-Sulpice
Crédits photographiques Jana Hobeika
Extrait du Traité de saint Bernard, abbé de Clairvaux, sur l'amour de Dieu :
La foi me dit aussi d'avoir pour lui un amour d'autant plus grand que je comprends mieux combien je dois l'estimer plus que moi-même, car si je tiens de sa libéralité tout ce que je suis, je lui dois aussi le don de lui-même.
Enfin le jour de la foi chrétienne n'avait pas lui encore, un Dieu ne s'était pas encore montré revêtu de notre chair, il n'était ni mort sur la croix, ni descendu dans le sépulcre, ni remonté vers son Père ; il n'avait dis-je, pas encore fait éclater toute l'étendue de son amour pour nous, de cet amour dont je me suis complu à vous parler, que déjà l'homme avait reçu l'ordre d'aimer le Seigneur son Dieu, de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces, c'est-à-dire de tout son être, de tout l'amour dont il est capable, en tant qu'il est une créature douée de force et d'intelligence.
[...] Et pour réparer l'être qu'il m'avait, d'un seul mot, donné si complet, que de paroles il a dû prononcer, que de merveilles il a dû opérer, que de traitements cruels, ce n'est pas assez dire, que de traitements indignes il lui a fallu souffrir ! "Que rendrai-je donc au Seigneur, en reconnaissance de tout ce qu'il a fait pour moi (Psalm. CXV, 12) ?"
Quand il m'a créé, il m'a donné à moi-même ; mais il m'a rendu à moi-même quand il s'est donné à moi ; donné d'abord, rendu ensuite, je me dois donc pour moi et je me dois deux fois. Mais que rendrai-je à Dieu pour lui ? Car si je pouvais me donner mille fois, que serait-ce en comparaison de Dieu ?
08:00 Publié dans Foi, Photographie | Lien permanent | Commentaires (0)