jeudi, 27 décembre 2012
Un rêve adjanien surréaliste - Botticelli
La naissance de Vénus, Botticelli
Source : Entretien avec Isabelle Adjani, Madame Figaro supplément au Figaro n°21229 et 212230 des 2 et 3 novembre 2012
Il y a une vingtaine d'années, j'ai fait un rêve incroyable qui débutait sur un terrain un peu particulier, celui de l'intimité du corps. Rien de scabreux, au contraire, le cheminement du songe est merveilleux, comme dans un conte de fées.
Je me vois en tenue d'Eve, un peu comme dans un Botticelli. Les couleurs autour de moi sont vives et tendres. Et mon corps rejette des toxines, celles de la vie et de l'âme. Il en sort aussi un matière douce, crayeuse, à l'odeur exquise vanillée comme celle du halva, cette confiserie orientale.
Dans cette pâte de sésame, éblouissement absolu, je découvre un magnifique arbre de vie en cristal. Un objet parfait, raffiné et ciselé comme un bijou. Je ressens la grandeur du sacré.
Je sais que cette vision n'était pas anodine. Surtout à ce moment précis de mon existence. J'y ai réfléchi par la suite car j'adore analyser mes rêves de façon cabalistique ou lacanienne ou jungienne. Celui-ci, très marquant, s'y prêtait bien. La pâte de sésame, par exemple, signifiait-elle "Sésame, ouvre-toi ?" Les anagrammes de "halva" étaient comme un jeu de piste : "Va là" ? J'ai ressenti clairement dans ce récit onirique une promesse initiatique de renaissance."
Vitrines du Printemps, boulevard Haussmann, Paris 2012
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Peinture, Trivialités parisiennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : adjani, botticelli, printemps, venus
lundi, 24 décembre 2012
Etymologie - Amour - Fragonard, Blake, El Greco, Rubens
Diane et Endymion, Fragonard
Extrait de La Croix, lundi 19 novembre 2012
"Les mots pour le dire", Elodie Maurot
Avant de tisser lettres, poèmes ou romans autour de l'amour, toute langue est au défi de choisir les quelques mots qui incarneront l'amour...
Tout juste un mot, "amour", pour le plus grand des sentiments, la plus grande des vertus ? Qu'on ne s'y trompe pas, la langue française a hérité là d'un mot multiple, un mot-tiroir, un mot-valise, plein de sous-entendus et de nuances, où chaque époque a inscrit ses interrogations et ses certitudes. Dans l'Antiquité, il fallait une triade - éros, philia et agapè -, pour déployer toutes les couleurs de l'amour.
"L'éros est l'amour conçu comme ardent désir d'être uni à quelqu'un", souligne Monique Canto-Sperber, philosophe et directrice du Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale (PUF). La philia, elle, désigne "une relation empreinte de réciprocité et d'estime mutuelle". Ce terme, souvent traduit par "amitié", a une portée plus large, et consiste en une affection qui se caractérise par la volonté d'entretenir avec autrui des rapports où se manifeste une certaine excellence morale. "Enfin, l'agapè, est l'amour consacré à autrui, mais autrui considéré dans sa qualité fondamentale d'être humain et un prochain. C'est un sentiment sans attente de réciprocité et d'une certaine façon indépendant de ce qu'est l'aimé."
L'amour d'Adam et Eve, William Blake
Comment les Grecs se rapportaient-ils à ces distinctions, quels usages en faisaient-ils ? "Une chose est sûre, les Grecs et les Romains séparaient plus fortement que nous ne le faisons le plaisir du désir, répond Paul Veyne, historien de l'Antiquité. Dans l'Antiquité, le plaisir est omnisexe - ce qui explique la fréquence de l'homosexualité - alors que le désir, lui, choisit un sexe." L'amitié, de son côté, pouvait y être ardente. "Les Romains étant capables d'en faire une véritable passion, alors que cette forme d'amitié est aujourd'hui peu populaire et toujours suspecte d'homosexualité", poursuit l'historien.
Le terme agapè connaît une gloire plus tardive. On sait que son usage était connu de la littérature païenne, on le retrouve dans l'oeuvre du philosophe juif hellénisé Philon d'Alexandrie (premier siècle avant l'ère chrétienne), mais le concept connus une promotion soudaine quand les auteurs du Nouveau Testament l'adoptèrent pour désigner l'amour chrétien. Dans ce contexte, agapè - traduit par amour ou charité - désigne la vertu des vertus, comme dans l'Hymne à l'amour de la première lettre de Paul aux Corinthiens (chapitre 13) et la première épître de Jean.
C'est au XIIe siècle que va surgir le mot "amor" pour désigner l'amour. "Les médiévaux ont un vocabulaire plus pauvre que les Grecs, ils ont "amour" et "charité", point final", résume Michel Zink, spécialiste de la littérature amoureuse du Moyen Âge. Le mot "charité", qui vient du grec, via le latin, s'est rapidement spécialisé pour désigner l'amour divin et l'amour se manifestant dans les oeuvres, d'où le sens moderne de "bienfait envers les pauvres" (Petit Robert) qu'il a pris par la suite. "Cette dichotomie imposée par le vocabulaire complique la tâche des médiévaux, poursuit Michel Zink. Ils doivent sans cesse rappeler que l'amour recouvre tout, et que la vraie charité, c'est l'amour !" Dans son vocabulaire, comme dans sa réflexion, le Moyen Âge se trouve donc dans une tension. "Il est à la fois le temps de l'invention d'une poésie de la passion amoureuse, de l'éros, et la première époque chrétienne qui réfléchit, plus que jamais, sur l'amour sous toutes ses formes, y compris l'amour de Dieu et du prochain."
Pieta, El Greco
Dans ce contexte, les auteurs du Moyen Âge n'hésitent pas à utiliser le mot amor pour qualifier l'amour humain comme l'amour divin. Le Roman de la rose, best-seller du Moyen Âge, traduit cette double polarité. Dans sa première partie, il est un chant de la passion amoureuse, irrigué par la poésie des troubadours, dont est celui qui tient la plume, Guillaume de Lorris. Dans la seconde, rédigée par Jean de Mun, un clerc et un savant, il s'oriente vers une réflexion encyclopédique et théologique qui cherche à rassembler le tout de la connaissance de l'amour. Au "jardin de Déduit", jardin du plaisir, scène du coup de foudre initial, fait pendant la "prairie de l'Agneau", paradis final où l'Amour mène paître ses élus...
Les nuances de l'amor médiéval se dévoilent dans ses usages. On le voit être distingué d' "amar", l'amour bestial. "L'amor est le bon amour, l'amour exigeant, qui n'est pas obligatoirement chaste, mais qui est maîtrisé et noble", précise Michel Zink. Quant à la poésie, dont celle de Chrétien de Troyes, elle se plaît à des jeux de mots entre le verbe aimer (amer) et ses homophones "amer" ("amertume") et "la mer", car le sentiment amoureux est ambivalent, dangereux comme une mer immense et inconnue...
Le Moyen Âge élabore dans le même temps tout un corps de doctrines précisant les qualités que doit développer celui qui aime. Il vante la "mesure", la maîtrise de soi, et "le prix" ou le mérite. "Il faut aimer de façon à ce que cela augmente votre mérite, aimer une dame qui a du prix, aimer pour avoir soi-même du prix.", explique Michel Zink. Il valorise "joi" (nom masculin), la joie et "joven", la jeunesse. "Joi, c'est à la fois la joie et l'inquiétude de l'amour, précise Michel Zink. Et joven, c'est une sorte d'énergie, c'est l'élan vital de la jeunesse. Ce n'est pas seulement une question biologique mais une question morale. C'est, pourrait-on dire, la façon de vivre la jeunesse."
Samson et Dalila, Rubens
Aujourd'hui, que reste-t-il de cette riche palette de vocabulaire et de concepts ? Trop souvent une simple opposition entre erôs et agapè, entre l'amour plaisir et l'amour désintéressé, durcie par l'héritage du jansénisme et du puritanisme. Fruit aussi du succès d'un traité philosophique, somme toute récent, Eros et agapè (1932), publié en France après-guerre, qui exerça une profonde influence dans les milieux philosophiques et ecclésiaux. Durcissant leur différence, Anders Nygren, théologien luthérien suédois, y faisait de la confrontation entre éros et agapè la clé de lecture de l'histoire occidentale de l'amour, opposant une vision grecque de l'amour, possessive et égocentrique, à une version chrétienne, oblative et désintéressée.
[...]
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Eros : divinité grecque, Eros désigne le désir amoureux, désir ardent d'union avec un autre singulier et déterminé. Dans la littérature grecque, Eros est tantôt une puissance inquiétante, qui trouble la raison, paralyse la volonté, tantôt un dieu malicieux, qui se plaît au jeu de l'amour, noue les intrigues ou les dénoue...
Philia, souvent traduite par "amitié", évoque un amour éprouvé pour ses semblables, au sein d'une famille ou pour les membres d'une communauté. C'est un sentiment défini par la tendresse, la générosité et la réciprocité. Pour Aristote, "aimer", au sens de philia, "c'est souhaiter pour quelqu'un ce que nous croyons être des biens, pour lui et non pour nous".
Agapè est l'amour consacré à autrui, considéré comme un prochain, à la suite du commandement de l'Evangile : "Tu aimerais le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et avec toutes tes forces et tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Mt 22, 37-40)? L'amour du prochain va au-delà de la demande de réciprocité et entend aimer ceux qui ne pourront rendre cet amour.
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> Pour davantage : http://fichtre.hautetfort.com/les-mots-francais.html
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Sapin de Noël gourmand, Trocadéro, Paris 2012
Crédits photographiques Jana Hobeika
Pralines au chaudron
Crédits photographiques Jana Hobeika
Vitrine de la pâtisserie "Aux Merveilleux", rue de l'Annonciation, Paris
Crédits photographiques Jana Hobeika
Et d'autres jours...
Crédits photographiques Jana Hobeika
07:37 Publié dans Beaux-Arts, Foi, Les mots français, Peinture, Photographie, Réflexions, philosophie, Trivialités parisiennes, Votre dévouée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : amour, etymologie, fragonard, blake, el greco, rubens, marché de noel, noel, pralines, sapin, chaudron, merveilleux, annonciation
samedi, 22 décembre 2012
Le surréaliste prix des zartistes
Animaux, Dali
Source : Madame Figaro supplément au Figaro n°21229 et 212230 des 2 et 3 novembre 2012
"Métropolitain par Marc Lambron - Adjugé !"
La scène est au palais de Tokyo, temple parisien de l'art contemporain. Ce soir, au bénéfice du musée, on procède à la première vente aux enchères de l'immatériel. De quoi s'agit-il ? De vendre non pas des œuvres, mais des moments.
Des artistes et des personnalités ont accepté de se prêter au jeu : ils se transforment en lots humains. Exemple : contre enchère, l'artiste Hiroshi Sugimoto vous convie à prendre un thé japonais et à discuter de Marcel Duchamp dans la salle de thé qu'il a dessinée à New York. Ou bien : Bertrand Lavier, actuellement explosé au Centre Pompidou, vous invite à faire un tour du périphérique dans sa Ferrari.
Une foule dense et amusée se presse autour du commissaire-priseur, Brook Hazelton, un Américain natif de Carmel, Californie, ville dont Clint Eastwood fut le maire. La vente s'ouvre avec le lot Pierre Bergé, qui se transformera en guide de la Fondation Saint-Laurent pour l'heureux enchérisseur. Des mains se lèvent, on renchérit, et le lot part à 3 000 euros. Adjugé !
Ce qui est amusant, mais rude pour l'ego de ces grands narcisses que sont les artistes, c'est que la vente de l'immatériel établit une sorte de cote sauvage. Une promenade au clair de lune sur les canaux vénitiens avec Martin Bethenod, directeur du Palazzo Grassi : 4 500 euros. Une journée filmée vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans l'atelier de Christian Boltanski : 2 500 euros. Une réplique dans le prochain film d'Elie Chouraqui, avec Michel Bouquet, André Dussolier, Michel Galabru, Virginie Ledoyen : 4 000 euros. Un week-end dans la propriété de Wim Delvoye, près de Gand : 5 000 euros. Les lots se succèdent. Le remodelage de soi-même par Jean-Paul Goude part à 3 000 euros. Un cours de dessin avec Fabrice Hyper : 2 000 euros. Un diner iranien concocté par Shirin Neshat : 2 500 euros. Xavier Veilhan vous emmène faire un tour en mer et vous invite à déjeuner dans son atelier : 5 000 euros. Quant à la promenade dans le potager d'Alain Passard, suivie d'une dégustation mitonnée des découvertes du jour, elle atteint 2 500 euros.
Dans toute vente, il y a un moment où les enchères s'affolent. Là, c'est le lot Daniel Firman qui enflamme la salle. Son intitulé ? "Vous avez rêvé d'être un modèle ? Allez plus loin, l'artiste moule votre corps et vous transforme pour l'éternité en une sculpture originale." Enchère finale à 25 000 euros !
J'oserai ajouter que j'étais moi-même l'un des lots de cette vente. Le thème ? "Accompagner Marc Lambron pour un dîner parisien en très bonne compagnie." Curieuse sensation que d'être adjugé sous le marteau d'un commissaire-priseur. Mais, au milieu de la marchandisation lugubre du monde, il est agréable d'être vendu avec humour pour la bonne cause, celle du programme "Young Curators" du palais de Tokyo. Quant à mon prix, il serait indélicat de le mentionner pour la femme exquise qui a eu la gentillesse de l'acquitter.
> Pour d'autres enchères :
Une histoire de célèbres escarpins
http://www.grazia.fr/societe/news/les-escarpins-de-marie-...
Et en voici une qui pourrait avoir chaud aux fesses à force de ne pas avoir froid aux yeux...
(Source : Direct Matin, lundi 26 novembre 2012)
08:00 Publié dans Beaux-Arts, Peinture, Trivialités parisiennes | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 09 novembre 2012
Le cinéma est sur la place
Paris, le 9 novembre 2012
Action ! Sort de l'église un cortège funéraire,
Portant un cercueil de bois clair.
Le cinéma est de retour par chez moi,
Précisément sous mes fenêtres,
Et tout à fait vraiment à ma porte,
A gauche, à droite, sur toute la place et dans les rues.
Tout le matériel s'étale là,
Tout ce qu'il faut pour offrir un beau paraître,
Un bataillon de bras qui des caisses transporte,
Et de l'éclairage artificiel à perte de vue.
Jana Hobeika
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C'était au mois de mai :
> http://fichtre.hautetfort.com/archive/2012/05/19/le-cinem...
08:00 Publié dans Les mots des films, Trivialités parisiennes, Votre dévouée | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 09 octobre 2012
La maison de Balzac
La maison de Balzac, 47, rue Raynouard, Paris XVIe
Paris, le 9 octobre 2012
La jolie porte verte
est enfin de nouveau ouverte.
Il était question
de démolition,
en vue de loger beaucoup de monde
dans des immeubles forcément immondes.
Une pétition avait circulé,
pour cela empêcher.
Si la jolie porte verte a été fermée un temps,
ce fut pour travaux seulement.
Et la jolie porte verte
est donc de nouveau ouverte.
Jana Hobeika
09:03 Publié dans Trivialités parisiennes, Votre dévouée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : balzac, maison
mercredi, 05 septembre 2012
Misères au Jardin du Luxembourg - Eugène Cochet
Misère 2 : eine große misère
Without a Dowry aka Sunday in the Luxembourg Gardens, James Tissot
Dans les années 1880, le jardin du Luxembourg hébergeait un curieux personnage : un vieillard barbu, hirsute et en guenille, qui serrait contre lui une grosse serviette de cuir bourrée de papiers. Eugène Cochet, ancien préfet de l'Eure que de mystérieux revers de fortune avaient conduit à cet état, vivait de la charité publique. Poète autoproclamé, inventeur du vers libre de vingt-quatre pieds, l'excentrique personnage clamait haut et fort son indignation de n'être point décoré.
Les étudiants du quartier Latin s'amusaient régulièrement à ses dépens, mais un dernier canular causa la perte de l'inoffensif monomane. [...]
> Pour connaître la suite de cette mésaventure : http://urbantripparis.blogs-de-voyage.fr/archive/2010/03/...
09:22 Publié dans Beaux-Arts, Peinture, Trivialités parisiennes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : miroir, amer, stéphane, zagdanski, jardin, luxembourg, eugène, cochet
mardi, 04 septembre 2012
Misères au Jardin du Luxembourg - Stéphane Zagdanski
Misère 1 : eine kleine misère
Jardin du Luxembourg
Extrait de Miroir Amer, 1999, Stéphane Zagdanski, Coll. L'infini, Gallimard :
[...] au mois de mai, le jardin du Luxembourg est une résurrection. Le soleil vaporise son étincelante tiédeur à travers les branches hirsutes des marronniers, traverse les dossiers écaillés des chaises de métal vert, effleure les corps imperturbables des rugueuses reines blanches, inonde les parterres multicolores de fleurs hilares, orgueilleusement insensibles à la fadeur des propos qui se tiennent dans les fraîches entrailles d'ombre du mastodonte de pierre, le Sénat, à dix pas de leur vitalité splendide. Comme si les mots n'avaient été inventés que pour commenter leur sourire de soie, féliciter leur éclosion de coloris incoercibles, vanter leur gloire de crêpe, faire écho à l'éclat rayonnant de leur joie muette. Ce à quoi seuls parviennent, en réalité, les enfants éparpillés dont les cris cisaillent de part en part le large cadran horizontal du bassin, avec une insouciance similaire, une victoire spontanée et cruelle, comme celle des fleurs, comme celle de tous ceux à qui la mort n'a jamais tendu son miroir embué de cendre froide.
[...]
Je trébuche de deux pas en me levant de ma chaise. Pendant à peine une seconde le poids du métal a été aspiré par mon mouvement ascendant avant de se rabattre vers sa masse initiale avec une violence élastique, me rendant à ma légèreté, ou plutôt à cette gravité depuis si longtemps agglomérée à mon être que j'en ai oublié l'existence, de sorte que c'est cet oublié, rappelé à moi avec la brusquerie d'une saute de vent, qui me fait tituber comme s'il me frappait dans le dos à l'aide d'une fronde.
[...]
Je me relève doucement, et quelque chose arrive.
Tout s'accélère, ou plutôt tout réintègre son rythme, tandis que la masse d'aigreur molle et froide remonte de mon estomac à mes lèvres. Je m'écarte du bassin. Elie est déjà plus loin, en train de parler avec une petite fille devant un parterre. J'ai encore le temps, avant de tomber en avant, un bras appuyé sur le dossier d'un fauteuil de fer, de voir distinctement Claire, une cigarette aux lèvres, plongée dans son Gauguin, et d'avoir une dernière pensée pour la froide désapprobation des reines rigides, là-haut, en surplomb, comme les joyaux espacés d'une immense couronne.
Je vomis une longue coulée d'un jus d'orange avalé pourtant depuis plusieurs heures, puis une autre, pétillante et âcre, pénible et salvatrice. Je regarde la flaque visqueuse pailletée de pulpe sale, résidu écœurant d'une alchimie inachevée.
Je crache un dernier filament d'aigreur, toujours courbé en deux, attendant que ma nausée se dissipe avec la flaque constellée de grumeaux orange que le gravier gris absorbe.
[...]
Se procurer l'ouvrage :
Miroir Amer
Stéphane Zagdanski
1999
Coll. L'infini, Gallimard
147 pages
http://www.amazon.fr/Miroir-amer-Zagdanski/dp/2070754391/...
> A consulter également, Paroles des Jours, le très généreux site de Stéphane Zagdanski : http://parolesdesjours.free.fr/
07:37 Publié dans Ecrits, littérature contemporaine, Trivialités parisiennes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : miroir, amer, stéphane, zagdanski, jardin, luxembourg, eugène, cochet