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mercredi, 08 août 2012

Taxi driver - Martin Scorsese, Robert De Niro, Jodie Foster, Harvey Keitel, Cybill Shepherd

 

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Film : Taxi driver (1976, durée 1h55)

Réalisateur : Martin Scorsese

Musique : Bernard Herrmann

Travis Bickle le chauffeur de taxi (Robert De Niro), Iris la jeune prostituée (Jodie Foster), Sport son maquereau (Harvey Keitel), Betsy militante (Cybill Shepherd), Charles Palantine le candidat (Leonard Harris), Wizard un autre chauffeur de taxi (Peter Boyle)

 

¤   ¤   ¤

 

Le journal intime de Bickle : Un jour viendra où une bonne pluie lavera les rues de toute cette racaille. [...] Chaque matin, quand je rends le taxi au garage, faut que je nettoie les traces de toutes leurs cochonneries. Encore bien beau quand c'est pas du sang. [...] Douze heures de travail et je n'arrive toujours pas à dormir. Merde. Les jours passent l'un après l'autre mais ils finissent jamais. Il avait toujours manqué à ma vie le sentiment du port d'attache. Je ne pense pas qu'on doive vouer son existence à la contemplation morbide de soi. Je crois qu'on doit devenir une personne comme les autres. La première fois que je l'ai vue, c'était à la permanence électorale de Palantine, à l'angle de la soixante-troisième et Broadway. Elle portait une robe blanche, elle avait l'air d'un ange  sorti de cette pourriture infecte. Elle est unique. Et ils peuvent tout souiller sauf elle.

 

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Bickle : Si ça se trouve, c'est un Italien.

Betsy : Non.

Bickle : Tu en es sure et certaine ?

Betsy : C'est un noir.

Bickle : Parce que s'il avait été italien, il pouvait être de la mafia. C'est vrai, c'est signé, la mafia fait ça constamment. Tu prends, tu prends, tu prends un voleur qui loupe son coup, par exemple. Eh benh, pof ! ils lui flinguent les doigts. Je sais, ça a l'air d'une blague, comme ça, mais c'est vrai ! Ils flinguent un gars qui les a pigeonnés. Qu'est-ce qu'ils mettent sur le cadavre ? Une mouche, ça rappelle que c'était un mouchard.

Betsy : Ils pourraient mettre un pigeon puisqu'on les a pigeonnés.

Bickle : C'est vrai ça, ça devrait être un pigeon. Je sais pourquoi ! Il faut l'attraper le pigeon. Alors qu'une mouche, tu peux trouver ça partout. Ca s'attrape facilement, boum ! vite pris, vite tué. Et puis une mouche, sur un cadavre, c'est normal.

 

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Bickle : Bonjour. Je viens offrir mes services.

Le collègue de Betsy : Bravo, allez m'attendre là-bas.

Bickle : C'est à mademoiselle que je les offre, si ça vous gêne pas.

Betsy : Et pourquoi croyez-vous que c'est à moi que vous devez offrir vos services ?

Bickle : Parce que je pense que vous êtes la plus belle femme que j'ai jamais rencontrée.

Betsy : Merci. Que pensez-vous de Palantine ?

Bickle : Euh... euh...

Betsy : Charles Palantine, le sénateur que vous voulez aider à devenir président.

Bickle : Moi, j'suis persuadé qu'il fera un excellent président. Vous dire exactement sa politique, ça j'en sais rien mais j'pense qu'il fera des bons trucs.

Betsy : Vous ferez sa propagande ?

Bickle : Oui, j'la ferai.

Betsy : Qu'est-ce que vous pensez de son statut d'aide à la famille ?

Bickle : J'connais pas très bien son statut d'aide à la famille mais j'pense que c'est un excellent statut, hé-hé.

Betsy : Vous en êtes bien sûr ?

Bickle : Ouiii.

 

¤   ¤   ¤

 

Bickle : Est-ce que vous accepteriez de venir prendre un petit café avec moi ?

Betsy :  Pourquoi ?

Bickle : Pourquoi !? Je vais vous dire pourquoi. J'trouve que vous avez l'air bien seule. Souvent je passe dans mon taxi là-devant et je vous vois, j'vois tout plein de gens autour de vous, j'vois tous ces téléphones, tous ces machins sur votre bureau et... et j'pense que c'est l'vide. Dès le moment où je suis entré, où je vous ai parlé, j'ai senti dans votre regard, à votre façon d'agir, dans tout, que vous n'étiez pas heureuse. Y'a quelque chose qui vous manque, et s'il faut appeler ça un ami, alors disons que c'est un ami.

Betsy : Vous voulez être mon ami, c'est ça ?

Bickle : Oui... Ca vous va ? Ca va faire drôle si on reste là à discuter le coup. Juste pour cinq minutes, c'est tout, on va là au coin, et après on revient. Et moi je vous protège.

Betsy : Ha-ha-ha...

Bickle : Venez, vous faites une petite pause.

Betsy : J'ai une pausé café à quatre heures. Si vous êtes là, je...

Bickle : A quatre heures, aujourd'hui ?

Betsy : Oui.

Bickle : Eh benh, je serai là.

Betsy : Eh benh voyons.

Bickle : C'est d'accord ? A quatre heures ?

Betsy : Mais oui.

Bickle : On se retrouve là-devant ?

Betsy : Mmmh.

Bickle : D'accord. Oh, je m'appelle Travis, Betsy.

Betsy : Travis ?

Bickle : Oui. J'suis bien content, Betsy.

 

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Le journal intime de Bickle : Vingt-six mai, à quatre heures de l'après-midi, j'ai emmené Betsy dans un snack à Columbus Circus. Moi j'ai pris un café, une part de tarte aux pommes et une bonne portion de fromage. Je crois que j'ai bien choisi ce qu'il fallait. Betsy a pris un café et une salade de fruits. Mais elle aurait pu commander ce qu'elle voulait, elle l'aurait eu.

Betsy : Quinze mille volontaires, rien qu'à New York, c'est déjà très bien. Mais, pour organiser tout ça, que de problèmes.

Bickle : Mmmh. Je mets à votre place. Moi aussi, j'ai des problèmes. Faut aussi que je m'organise. Vous savez, y'a à faire avec mon appartement,... mes petites affaires... Je devrais mettre au mur un écriteau "un de ces jours, il va falloir que je m'organicise."

Betsy : Vous voulez dire "organise" ?

Bickle : Non, "ogranicise". "Organicise", c'est une astuce, quoi. "O, R, G, A, N, I, C, I, S, E, R".

Betsy : Ah, vous mettriez "organiciser" dans le genre du slogan "je pense donc je suis."

Bickle : Vous vous plaisez là où vous travaillez ?

Betsy : On a de bons éléments qui travaillent pour nous. Et je crois que Palantine a une chance sérieuse.

Bickle : Mmmmh. Vous savez que vous avez de beaux yeux ? Euh... il est gentil ce gars qui travaille avec vous ?

Betsy : Y'a rien à en dire.

Bickle : Oui, mais il vous plaît, ce garçon ?

Betsy : Eh bien, il me fait rire et dans le travail il est très très bien, rien à redire. Mais je crois qu'il a des petits problèmes.

Bickle : Ah, j'vais vous dire, ça se voit qu'il a des problèmes. J'ai l'impression qu'il tape un peu à côté de la plaque. Quand je vous ai vus, vous étiez assis, l'un à côté de l'autre. Et je me suis dit, rien qu'à votre allure, "y'a rien entre eux deux, sur aucun plan". Mais par contre, dès que je vous ai vue, j'ai senti que le courant passait entre nous. Y'avait une impulsion qui me poussait vers vous. J'ai senti que j'avais le droit de m'adresser à vous. Autrement, jamais j'aurais pensé que j'avais ce droit-là, de vous parler, de vous dire quoi que ce soit. J'aurais jamais eu le courage d'aller de l'avant. Quand j'me suis aperçu qu'entre vous y'avait rien, et ça je l'ai senti dès les premières minutes, je me suis dit "t'as eu raison." Ca vous fait cet effet ?

Betsy : Autrement je ne serais pas là.

Bickle : Vous êtes de New York ?

Betsy : Oui, de Park Avenue.

Bickle : J'aime pas le gars avec lequel vous travaillez. Enfin, c'est pas que je l'aime pas, c'est que... qu'il a l'air idiot. Je crois qu'il n'a aucun respect pour vous.

Betsy : Moi, c'est bien la première fois que je vois un garçon comme vous.

Bickle : Vous voulez allez au... au... au ciné avec moi ?

Betsy : Il faut que je retourne au bureau.

Bickle : J'disais pas tout de suite, je pensais une autre fois.

Betsy : ... Bien sûr. Vous savez à quoi vous me faites penser ?

Bickle : A quoi ?

Betsy : A cette chanson... par... Kris Kristofferson.

Bickle : Qui c'est ?

Betsy : Un chanteur moderne. Hhh, c'est un prophète. C'est un prophète, un pourvoyeur, moitié réel, moitié fiction, ambulante contradiction.

Bickle : Et c'est moi, ce type-là ?

Betsy : Bien sûr. De qui voulez-vous que je parle ?

Bickle : J'suis pas un pourvoyeur, j'touche pas à la came, moi.

Betsy : Hhh, non, je disais ça en pensant au mot "contradiction." C'est ce que vous êtes.

 

¤   ¤   ¤

 

Le journal intime de Bickle : J'ai rappelé Betsy à son bureau et elle m'a dit qu'on pourrait peut-être aller au cinéma après qu'elle aurait fini son travail demain. C'est mon jour de congé. D'abord elle a hésité et je l'ai rappelée et là elle a accepté. Betsy, Betsy, oh que j'suis con, Betsy quoi ? J'ai encore oublié de lui demander son nom. Merde ! des trucs comme ça, faut que je m'en souvienne !

 

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Bickle : Vous êtes Charles Palantine, le candidat !?

Palantine : Oui-oui, c'est moi.

 

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Palantine : Je vais vous faire un aveu, j'en ai beaucoup plus appris sur l'Amérique en prenant des taxis qu'en montant dans des limousines avec chauffeur.

Bickle : Ah  oui !?

Palantine : Et comment ! Je peux vous poser une question, Travis ?

Bickle : Allez-y.

Palantine : Quel est selon vous le domaine où ça va le plus mal dans ce pays ?

Bickle : J'en sais rien. Vous savez, les affaires politiques, faut être dans le coup, hein. J'en sais rien.

Palantine : Vous voyez peut-être ce qu'il faut changer.

Bickle : Oh, y'aura qui on voudra à la tête, ce sera d'abord le coup de torchon, parce que New York, c'est... c'est un dépôt d'ordures à ciel ouvert, foutu merdier, moi je vous dis ça. Y'a des moments où je peux plus supporter. Celui qui va devenir président, faudra qu'il passe la serpillère, vous voyez de quoi je parle ? Y'a des moments, quand je roule et que je renifle, où j'ai des maux de tête tant qu'c'est moche. J'vous jure, si c'est pas une blague. Des maux de tête qui m'lâchent plus. Je crois que le président, il faudra qu'il prenne le taureau par les cornes et qu'il foute la merde en l'air, y'a pas autre chose à faire.

Palantine : Eh bien, je crois vous avoir compris, Travis. Mais la tâche ne sera pas aisée. Il va falloir se préparer à des changements radicaux.

Bickle : Un peu, oui.

Palantine : Tenez, Travis, et gardez la monnaie. Je suis content de vous avoir parlé, Travis.

Bickle : Moi aussi, très content, m'sieur. Vous êtes très bien, je sais que vous gagnerez.

Palantine : Merci. Merci.

 

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Bickle : Je te connais bien, mais on n'a jamais beaucoup discuté. Je me suis dit que t'as dû en voir, alors tu pourrais...

Wizard : Ecoute, on m'appelle le sorcier, c'est pas pour rien.

Bickle : C'est que, tu vois, c'est que, j... y'a d...

Wizard : Benh quoi, c'est la vie qu'est pas une vie ?

Bickle : Voilà. C'est la vie qui...

Wizard : Tout ça c'est normal, ça arrive à des gens très biens.

Bickle : J'ai plus le moral, j'suis déprimé. Ah y'a des moments où je me demande, tu vois, si... mais il va falloir que j'en sorte et, après faudra... faudra que ça... pète ou que tout ça dise pourquoi.

Wizard : C'est le taxi à vie que te fait peur ?

Bickle : Oui, enfin... Non, c... j'en sais rien. J'veux descendre dans la rue parce que j'ai vraiment... Tu sais, j'ai vraiment envie de... Y'a des moches d'idées qui me travaillent dans la tête.

Wizard : Non, tu vois, il faut voir les choses comme ça. Un mec, un mec il a un travail, tu vois ? Et son travail, comment j'te dirais ça, voyons, il se confond avec, tu comprends ? C'est vrai, quoi... tu fais un truc, eh benh tu deviens ce truc-là. Et moi qui te parle, j'fais le taxi depuis déjà dix-sept ans, tu vois ? Dix ans de nuit, eh benh j'suis toujours pas patron et tu veux savoir pourquoi ? Parce que j'ai pas envie. Tu vois, moi il faut que j'fasse c'que j'veux. Moi il faut que je fasse la nuit et que je conduise le bahut d'un autre. Tu me suis ? Tu comprends, vieux, on devient finalement un travail et puis on n'est plus que ça. Tu prends un gars, il vit à Brooklyn, un autre, il habite à Sutton Place ; un, c'est un avocat, l'autre il est docteur ; t'as un gars qui agonise, un autre qui est en forme et... et puis ça se renouvelle. Remarque, si j'étais jeune comme toi... j'vais te dire, à ton âge, on tringle... on se soûle, on a toujours plein de choses à faire. Benh, de toute façon, t'as pas le choix ! On est tous baisés... enfin, plus ou moins.

Bickle : Des conneries, j'en ai entendues, mais des comme ça, j'dois dire qu'y'en a d'autres.

Wizard : J'suis pas Einstein, j'suis un mec ordinaire, j'fais le taxi, moi, c'est tout. Tu veux que je te dise ? Je suis même pas foutu de comprendre de quoi t'as voulu m'parler.

Bickle : Benh j'en sais rien moi-même, c'est te dire.

Wizard : Ne te fatigue pas les méninges. Laisse glisser, vieux, n'appuie pas. Tu sais, j'en ai vu un tas dans ma putain de vie et... je sais, OK ?

Bickle : Oui, merci. Hhh, j'crois que... Hhhh...

Wizard : Et oui, laisse rouler, ça ira, tu verras ça ira.

 

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Le journal intime de Bickle : Toute ma vie, j'ai été suivi par la solitude. Partout, dans les bars, les voitures, sur les trottoirs, dans les magasins, partout. Y'a pas d'issue, j'suis abandonné de Dieu. Huit juin, je viens de tourner une nouvelle page de ma vie. Les jours passent avec régularité, encore et encore. Chaque jour, indiscernable de celui qui le suit, une longue chaîne continue. Et puis soudain, un changement.

 

¤   ¤   ¤

 

Bickle, devant son miroir : Hein ? ... Hein ? ... Hein ?? ...  J'flinguerais ça, moi. Feignasse, salopard ! J'te vois venir, p'tite vache ! Ordure... J'flingue plus vite que toi. J'me plante là, et tu me provoques. Alors, mec, tu provoques ? Mmmh ? Tu provoques ? Fais pas ça ou t'es foutu... C'est à moi que tu parles ? ... C'est à moi que tu parles ? ... C'est à moi que tu parles ?? Alors à qui est-ce que tu parles, t'en vois un autre que moi ici ? J'en vois pas d'autre que moi ici. A qui tu parles, alors, tu vas le dire oui ou non ? Ah oui. Ah. D'accord. Hein ?

 

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Bickle, à qui veut : Ecoutez bien, bande de dépravés. Vous avez, devant vous, un homme qui en a marre. Un homme qui n'en peut p... Ecoutez bien, bande-de-dépravés. Voilà l'homme pour qui la coupe est pleine. L'homme qui s'est dressé contre la racaille, le cul, les cons, la crasse, la merde. Voilà quelqu'un qui a refusé.

 

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Iris : Eh benh entre !

Bickle : Vous avez vraiment douze ans et demi ?

Iris : Ecoute, t'as pas de temps à perdre, c'est vite passé un quart d'heure. Quand la cigarette sera finie, ce sera fini pour toi.

Bickle : Quel âge tu as ? Tu veux pas m'le dire ? Comment tu t'appelles ?

Iris : Facilité.

Bickle : C'est pas un nom, ça, Facilité.

Iris : Mais c'est facile à se rappeler.

Bickle : Mais c'est comment, ton vrai nom ?

Iris : Je l'aime pas, mon vrai nom.

Bickle : Vas-y, dis-le, même si tu ne l'aimes pas.

Iris : Iris, tu te rends compte ?

Bickle : Qu'est-ce que tu reproches à ce nom-là ? Je le trouve très joli, moi.

Iris : Oui, toi, tu trouves ?

Bickle : Non, fais pas ça, fais pas ça. Tu te souviens pas de moi ? Mais si, enfin, tu te rappelles bien, la fois où t'es montée dans un taxi, même que c'était un taxi jaune et quand t'as ouvert, y'a un certain Mathieu qui s'est pointé et il a dit qu'il voulait pas que tu partes. Il t'a prise par le bras !

Iris : Ah, là, tu vois, j'me souviens pas.

Bickle : Tu te souviens pas du tout de ça ?

Iris : Non.

Bickle : Bon, ça fait rien. Moi je vais te tirer de là.

Iris : On ferait mieux de s'y mettre sans quoi Sport il va piquer sa rage. T'as une préférence ?

Bickle : J'suis pas venu pour ça. Qui c'est, Sport ?

Iris : Oh, c'est Mathieu, moi je l'appelle Sport. Tu veux qu'on commence tout de suite ?

Bickle : Ecoute, j... je sais pas. C'est vrai, quoi, c'est pas si difficile à comprendre. C'est toi qui est montée dans mon taxi. C'est toi qui voulait tout plaquer ce soir-là.

Iris : Mais j'devais être vachement défoncée.

Bickle : Pourquoi ? J'comprends pas, il te drogue ?

Iris : Oh, dis pas de conneries.

Bickle : Qu'est-ce que tu fais ?

Iris : Tu veux pas baiser ?

Bickle : Non, je t'ai déjà dit que non. Je veux t'aider.

Iris : C'est à moi de t'aider, m'sieur.

Bickle : Oh, merde ! Non mais c'est pas vrai ! Merde, quoi ! Qu'est-ce que t'as dans la tête, dure, hein ?

Iris : C'est vrai, au fond, t'es pas obligé.

Bickle : Mais enfin, bon Dieu, t'as pas envie de faire autre chose ? Tu comprends au moins pourquoi j'suis monté ?

Iris : Oui, oui, j'crois que oui. Un soir, c'est moi ai voulu monter dans ton taxi, et maintenant, c'est toi qui veut m'emmener. C'est ça ?

Bickle : Benh oui. Mais pourquoi t'as pas envie de partir ?

Iris : J'suis libre de partir quand ça m'chante.

Bickle : Alors pourquoi t'as fait ça ce soir-là ?

Iris : J'étais défoncée, j'te dis. Tu comprends, c'est pour ça qu'ils m'ont reprise. Et même quand je suis pas défoncée, j'peux pas aller ailleurs, alors... Tout ce qu'ils font, c'est de... de me protéger contre moi-même, tu vois ?

Bickle : Uhhhh... Moi je... uhhhh... je nage, moi. Je nage mais j'aurais toujours essayé.

Iris : J'te trouve gentil, tu sais. Je parle sérieusement cette fois.

Bickle : Ah. Bon, j'pourrais te revoir ?

Iris : T'as de ces questions.

Bickle : Non, je parle pas de ça mais je pensais te fréquenter, te sortir. C'est pas une vie que tu mènes ici.

Iris : Bon, petit déjeuner demain, ça te va ?

Bickle : Demain ?

Iris : Oui, je me lève vers une heure.

Bickle : Vers une heure.

Iris : Vers une heure.

Bickle : Uh. Benh, c'est-à-dire que... moi je p...

Iris : Faut savoir, hein, tu veux, oui ou non ?

Bickle : Oh, je veux bien, entendu, ça me va. Alors entendu, à une heure.

Iris : A une heure.

Bickle : Entendu. Alors à demain. Euh, Iris ? Je m'appelle Travis.

Iris : Merci, Travis.

Bickle : Au revoir, Iris. On se voit demain... Douce Iris.

 

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Iris : Pourquoi tu veux tellement que je retourne chez mes parents, hein ? On me déteste là-bas. Moi, si je me suis tirée, c'est que j'avais une bonne raison. C'est froid chez eux, un désert !

Bickle : J'comprends, mais tu ne peux pas vivre comme ça, ici c'est l'enfer. Une fille, ça doit être en famille.

Iris : MLF, t'as entendu parler ou pas ?

Bickle : T'es pas une femme qu'il faut libérer, enfin. Tu es encore toute gosse, tu devrais être à la maison, avec tes parents. Tu devrais porter des jolies robes, t'amuser avec des petits flirts, tu devrais même aussi aller à l'école. Le truc classique, enfin !

Iris : Mon Dieu ! Alors toi, tu dates !

Bickle : Non, je date pas ! C'est toi qui dates ! Tu déconnes, oui ! Non mais enfin, tu te vois ? Tu sors avec toutes les épaves qui traînent dans les rues, les sales types, les vicelards et tu leur vends ton... enfin, tu te vends. Et pour pas un rond en plus. Pour un sale petit maq ! Un petit maq qui relève le compteur. Et c'est moi qui date ? Mais à côté de moi, tu n'es qu'un fossile ! Jusque là, j'ai encore jamais baisé avec une bande de tueurs et de drogués, comme toi tu le fais ! Ca s'appelle "être à la cool", ça ? Ha-ha, mais de quel monde tu sors, hein ?

Iris : Qui est un tueur ?

Bickle : L'autre, là, Sport, c'est un tueur, un vrai tueur.

Iris : Sport n'a jamais tué personne.

Bickle : Il a sûrement tué quelqu'un.

Iris : Il est de la balance.

Bickle : Il est quoi !?

Iris : J'suis balance moi aussi, c'est pour ça qu'on s'entend si bien.

Bickle : C'est un tueur pour moi, pas autre chose.

Iris : J'crois que c'est les cancer qui font les meilleurs amants mais... dans la famille, on est tous des signes d'air.

Bickle : C'est aussi un type qui se drogue.

Iris : Mais d'où que tu prends le droit de faire de la morale ? Tu te crois mieux que nous ? Regarde un peu la poutre qui est dans ton œil et pas la paille du voisin.

Bickle : Comment tu vas faire avec Sport et l'autre fumier ?

Iris : Quand ?

Bickle : Quand tu t'en iras.

Iris : J'en sais rien, je les plaquerai, c'est tout.

Bickle : Tu vas t'en aller comme ça ?

Iris : Oh, ils sont pleins d'autres filles, tu sais.

Bickle : Mais c'est pas encore réussi ton coup. Comment tu vas faire ?

Iris : Et qu'est-ce tu veux qu'je fasse ? J'appelle les flics ?

Bickle : Oh, les flics, ils font rien, ça c'est connu.

Iris : Oh tu sais, Sport, il m'a jamais fait de mal. Enfin, j'veux dire, il m'a jamais maltraitée, jamais battue.

Bickle : C'est à nous de l'empêcher de recommencer avec d'autres filles. C'est à nous d'empêcher ça. Ce type, c'est une véritable petite ordure. Il faut absolument que quelqu'un le coince ! C'est une saloperie intégrale ! C'est la pire des... tssss... Oh, une sangsue comme ce fumier, j'ai jamais vu ça de ma vie, moi. Et tu sais ce qu'il a dit sur toi ? Ah, il te fait une de ces réputations. Il t'a traitée de poule !

Iris : Tu sais, ça n'a rien de méchant. Je vais aller vivre dans une communauté du Vermont.

Bickle : Tu vois, Iris, j'ai encore jamais vu de communauté, mais ça me dit rien. J'ai lu... un reportage une fois dans un magasine mais, j'sais pas, c'est pas net.

Iris : Pourquoi tu vivrais pas en communauté avec moi ?

Bickle : Qui ça, moi ? Vivre en communauté avec toi ? Ho-ho-ho.

Iris : Pourquoi pas ?

Bickle : Ces endroits-là, c'est pas mon genre.

Iris : Pourquoi pas, enfin ?

Bickle : Non, les gens qui sont là-dedans, je m'entends pas avec eux.

Iris : T'es un scorpion.

Bickle : Comment ?

Iris : Bien sûr, t'es un scorpion, ça se voit à ta façon d'agir.

Bickle : Et puis d'ailleurs, il faut que je reste ici.

Iris : M'enfin, pourquoi ?

Bickle : J'ai un travail très important à finir.

Iris : Tu fais quoi de si important ?

Bickle : Je travaille pour le gouvernement. Taxi, je fais ça à mi-temps, c'est tout.

Iris : Est-ce que t'es dans les stups ?

Bickle : J'ai l'air d'être là-dedans, moi ?

Iris : Ouais ! Ha-ha-ha !

Bickle : Alors c'est que j'y suis.

Iris : Ha-ha-ha-ha ! Oh, toi alors ! Je sais pas qui est le plus dingue de toi ou de moi ! Ha-ha-ha ! ... Alors c'est bien vrai, tu viens pas avec moi ?

Bickle : Tu sais ce que je vais faire, Iris, je vais te donner du fric pour que tu partes, d'accord ?

Iris : Oh non, je t'assure, c'est pas nécessaire.

Bickle : Si-si, si, je veux que tu acceptes. J'veux pas que tu demandes quoi que ce soit à ces salopards. J'tiens à faire ça. J'peux pas mieux employer mon argent ! ... Il se peut que moi aussi j'sois obligé de partir.

 

¤   ¤   ¤

 

Sport : Tu es fatiguée, c'est tout.

Iris : Je n'aime pas c'que j'fais, Sport.

Sport : Mais, ma biche, j't'ai jamais demandé d'aimer c'que tu fais. Si jamais tu te mettais à aimer c'que tu fais, tu ne serais plus ma petite femme.

Iris : Tu te rends compte que je ne te vois plus jamais ?

Sport : Mais il faut que je m'occupe de mes affaires, mon poussin. Ton mec te manque, hein ? Huh, tu sais que moi non plus j'aime pas être séparé de toi ? Tu sais bien c'que tu es pour moi. J'ai besoin de toi. Je serais perdu sans toi. Faut jamais oublier ça. J'ai besoin de toi, c'est fou. Viens dans mes bras, mon p'tit. Laisse-moi t'serrer. Quand tu es comme ça, tout contre moi, j'me sens si bien. Je souhaiterais à chaque homme de savoir c'que c'est que d'être aimé par toi. Je souhaiterais à chaque femme d'avoir un homme qui l'aime autant que je t'aime. Comme c'est bon de se sentir l'un contre l'autre. Une chance comme ça, ça n'arrive à personne au monde. Je serre une femme qui a envie de moi, besoin de moi. Il n'y a qu'avec toi que je me retrouve.

 

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Lettre à Bickle : Cher monsieur Bickle, je ne peux pas vous dire combien madame Steensma et moi nous avons été heureux d'apprendre que vous étiez rétabli. Nous avons voulu vous rendre visite à l'hôpital quand nous sommes venus chercher Iris à New York mais vous étiez toujours dans le coma. Nous vous serons toujours infiniment redevables de nous avoir rendu notre Iris. Nous pensions l'avoir perdue mais aujourd'hui notre vie a retrouvé tout sons sens. Inutile de vous dire que dans cette maison, vous êtes devenu une sorte de héro. Vous voudrez sûrement avoir des nouvelles d'Iris : elle a repris ses études avec assiduité. La transition a été très dure pour elle, comme vous pouvez l'imaginer, mais nous avons pris des mesures pour qu'elle n'ait plus jamais de raison de s'enfuir.  Pour terminer, madame Steensma et moi, nous tenons à vous remercier une fois encore, du fond du cœur, malheureusement nos moyens ne nous permettent pas de revenir à New York afin de vous remercie de vive voix comme nous en avons le désir. Mais si jamais vous veniez à Pittsburgh, vous serez toujours accueilli chez nous à bras ouverts. Nos plus vifs remerciements, Burt et Ivy Steensma.

 

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Betsy : J'ai appris votre aventure par la presse. Comment ça va ?

Travis : Oh, c'était rien au fond, j'ai récupéré. La presse fait toujours mousser ce genre d'histoires. Il y a encore des petites douleurs, c'est tout.

 

mardi, 07 août 2012

Migniardises

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Paris, le 7 août 2012

 

Cher Ami,

 

Pour vous, qui m'expliquiez un jour fort gentiment,

Qu'apprécier migniardises n'était pas gourmandise,

Me promenant près l'Académie, librement,

Quai Malaquais, et même tout à fait à ma guise,

Prenant des clichés pour votre et mon amusement,

Dans l'attente impatiente de votre arrivée,

Je m'arrêtai, rue Bonaparte, chez Ladurée*.

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Mes clichés dans la boite, j'avance à pas légers,

Croyant faire lèche-vitrine toute seule en matin,

Fière de n'avoir les migniardises que regardées.

Voilà que j'en entends d'autres qui font les malins,

Cliquetant eux aussi en prenant des clichés.

Qui ne sont pourtant pas là semblables aux miens.

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Voyez donc quelle est la hauteur de la donzelle,

Laquelle encor est fort augmentée d'escarpins,

Voyez donc, l'attroupement qui est autour d'elle,

Ils vont et viennent pressés, et s'activent tant et bien,

Profitant de la lumière du tôt qui rend belle.

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Jana Hobeika

 

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Voudrait-on nous faire accroire donc

Que les bons et ronds macarons

Font aller les femmes en hauteur

Et plus seulement en rondeurs ? 

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 la durée

 

Cher Ami,

 

Approchez,

Regardez,

De plus près...

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L'affichage

Vous ménage

Bon voyage !

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* vendredi 3 août 2012, angle des rues Bonaparte et Jacob, Paris VI, vitrine Ladurée

lundi, 06 août 2012

Baudelaire et ses contemporains - Les papillons du mal VI - Baudelaire

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 "Les papillons du mal VI"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

La poésie est un des arts qui rapportent le plus ; mais c'est une espèce de placement dont on ne touche que tard les intérêts, - en revanche très gros. Je défie les envieux de me citer de bons vers qui aient ruiné un éditeur.


Est-il même bien nécessaire, pour le contentement de l’auteur, qu’un livre quelconque soit compris, excepté de celui ou de celle pour qui il a été composé ? (…) J’ai, quant à moi, si peu de goût pour le monde vivant, que, pareil à ces femmes sensibles et désœuvrées qui envoient, dit-on, par la poste de leurs confidences à des amies imaginaires, volontiers je n’écrirais que pour les morts.
 

 

¤      ¤      ¤

 

Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé, le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?

 

¤     ¤      ¤

 

Ce qui est créé par l'esprit est plus vivant que la matière.


¤     ¤      ¤


Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise.

 

 

Sur ses contemporains :

 

Je m'ennuie en France, surtout parce que tout le monde y ressemble à Voltaire.

 

Alfred de Musset, féminin sans doctrine, aurait pu exister dans tous les temps et n'eût jamais été qu'un paresseux à effusions gracieuses.

 

Balzac pensait sans doute qu'il n'est pas pour l'homme de plus grande honte ni de plus vive souffrance que l'abdication de sa volonté.

 

Il n'existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer. Les autres hommes sont taillables et corvéables, faits pour l'écurie, c'est-à-dire pour exercer ce qu'on appelle des professions.

 

Presque toute notre vie est employée à des curiosités niaises. En revanche, il y a des choses qui devraient exciter la curiosité des hommes au plus haut degré, et qui, à en juger par leur train de vie ordinaire, ne leur en inspirent aucune.

 

Il y a quelques mois, j'ai fait sur mon ami Théophile Gautier un assez long article qui a soulevé un tel éclat de rire parmi les imbéciles, que j'ai jugé bon d'en faire une petite brochure, ne fût-ce que pour prouver que je ne me repens jamais.

 

J'ai un de ces heureux caractères qui tirent une jouissance de la haine et qui se glorifient dans le mépris.

 

Ceux qui savent me devinent, et pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas comprendre, j'amoncellerais sans fruit les explications.

 

Je n'ai jamais pu souffrir ce maître des gandins, son impudence d'enfant gâté qui invoque le ciel et l'enfer pour des aventures de table d'hôte, son torrent bourbeux de fautes de grammaire et de prosodie.

 

Si sa pâture d'amusement lui est servie, [...] l'homme de lettres candide sera dupe, à moins qu'il ne soit un charlatan obscène comme J.-J. Rousseau ou George Sand.

 

Excepté Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Mérimée, de Vigny, Flaubert, Banville, Gautier, Leconte de Lisle, toute la racaille moderne me fait horreur. La vertu, horreur. Le vice, horreur ? Le style coulant, horreur. Le progrès, horreur. Ne me parlez plus jamais des diseurs de riens. [...] Tout ce qu'on appelle progrès, ce que j'appelle, moi : le paganisme des imbéciles.


Baudelaire est allé écouter une conférence "de ce petit bêta de Deschanel ! professeur pour demoiselles ! démocrate qui ne crois pas aux miracles et ne croit qu'au BON SENS (!) parfait représentant de la petite littérature, petit vulgarisateur de choses vulgaires, etc. !".

 

Je ne dirai pas qu'ils ne sont pas beaux ; ils sont horriblement laids ; et leur âme doit ressembler à leur visage.

 

Ainsi si vous voyez Mme Meurice, il est inutile d'affliger ses convictions. Cette excellente femme qui aurait eu autrefois plaisir à vivre, est tombée, vous le savez, dans la démocratie, comme un papillon dans la gélatine.

 

Vous êtes une preuve nouvelle qu'un vaste talent implique toujours une grande bonté et une exquise indulgence.


 

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Charles Baudelaire (1821-1867)

 

 

Baudelaire à nu :


J'ai cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur. Maintenant j'ai toujours le vertige, et aujourd'hui 23 janver 1862, j'ai subi un singulier avertissement, j'ai senti passer sur moi le vent de l'aile de l'imbécillité.

 

Persuade-toi donc bien d'une chose, que tu sembles toujours ignorer ; c'est que vraiment pour mon malheur, je ne suis pas fait comme les autres hommes.

 

Ma tête devient littéralement unvolcan malade. De grands orages et de grandes aurores.

 

Il y a quelques mois, j'ai fait sur mon ami Théophile Gautier un assez long article qui a soulevé un tel éclat de rire parmi les imbéciles, que j'ai jugé bon d'en faire une petite brochure, ne fût-ce que pour prouver que je ne me repens jamais.

 

Ainsi, que je sois à Paris, à Bruxelles, ou dans une ville inconnue, je suis sûr d'être malade et inguérissable. Il y a une misanthropie qui vient, non pas d'un mauvais caractère, mais d'une sensibilité trop vive et d'un goût trop facile à se scandaliser.

 

C'est un certain état soporeux qui me fait douter de mes facultés.

 

La respiration manque, et l'angoisse va toujours croissant jusqu'à ce que, trouvant un remède dans l'intensite même de la douleur, la nature humaine fasse explosion dans un grand cri et dans un bondissement de tout le corps qui amène enfin une violente délivrance.

 

Je suis exigeant comme un homme qui souffre.

 

Les horizons n'ont pas besoins d'être grands pour que les batailles soient importantes ; les révolutions et les événements les plus curieux se passent sous le ciel du crâne, dans le laboratoire étroit et mystérieux du cerveau.

 

dimanche, 05 août 2012

Considérations sur l'art - Les papillons du mal V - Baudelaire

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"Les papillons du mal V"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

La folie de l’art est égale à l’abus de l’esprit. La création d’une de ces deux suprématies engendre la sottise, la dureté du cœur et une immensité d’orgueil et d’égoïsme. Je me rappelle avoir entendu dire à un artiste farceur qui avait reçu une pièce de monnaie fausse : « Je la garde pour un pauvre. » Le misérable prenait un infernal plaisir à voler le pauvre et à jouir en même temps des bénéfices d’une réputation de charité.

 

¤     ¤     ¤

 

La musique creuse le ciel.

 

La musique donne l'idée de l'espace. Tous les arts, plus ou moins ; puisqu'ils sont nombre et que le nombre est traduction de l'espace.

 

La véritable musique suggère des idées analogues dans des cerveaux différents.

 

La musique creuse le ciel.

 

¤     ¤     ¤

 

Il y a dans l'engendrement de toute pensée sublime une secousse nerveuse qui se fait sentir dans le cervelet.

 

Ce qui n'est pas légèrement difforme a l'air insensible ; d'où il suit que l'irrégularité, c'est-à-dire l'inattendu, la surprise, l'étonnement sont une partie essentielle et la caractéristique de la beauté.

 

Ce que j'ai toujours trouvé de plus beau dans un théâtre [...], c'est le lustre - un bel objet, lumineux, cristallin, compliqué, circulaire et symétrique.

 

Je crois que le charme infini et mystérieux qui gît dans la contemplation d'un navire [...] tient [...] à la régularité et à la symétrie qui sont un des besoins primordiaux de l'esprit humain, au même degré que la complication et l'harmonie.

 

Le Français est un animal de basse-cour, si bien domestiqué qu'il n'ose franchir aucune palissade. Voir ses goûts en art et en littérature. C'est l'animal de race latine ; l'ordure ne lui déplaît pas dans son domicile, et en littérature, il est scatophage. Il raffole des excréments. Les littérateurs d'estaminets appellent cela le sel gaulois.

 

La France, le public français, veux-je dire (si nous en exceptons quelques artistes et quelques écrivains), n'est pas artiste, naturellement artiste ; ce public-là est philosophe, moraliste, ingénieur, amateur de récits et d'anecdotes, tout ce qu'on voudra, mais jamais spontanément artiste. [...] Où il ne faut voir que le beau, notre public ne cherche que le vrai.

 

Je crois sincèrement que la meilleure critique est celle qui est amusante et poétique ; non pas celle-ci, froide et algébrique, qui, sous prétexte de tout expliquer, n'a ni haine ni amour, et se dépouille volontairement de toute espèce de tempérament.


 

S’il est permis à la photographie de suppléer l’art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l’aura bientôt supplanté ou corrompu tout à fait grâce à l’alliance naturelle qu’elle trouvera dans la sottise de la multitude. Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très humble servante, comme l’imprimerie  et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature.

 

Je ne suis donc pas partisan de la nature ; elle trouble le miroir de la pensée.

 

Deux qualités littéraires fondamentales : surnaturalisme et ironie.

 

Est-il même bien nécessaire, pour le contentement de l’auteur, qu’un livre quelconque soit compris, excepté de celui ou de celle pour qui il a été composé ? (…) J’ai, quant à moi, si peu de goût pour le monde vivant, que, pareil à ces femmes sensibles et désœuvrées qui envoient, dit-on, par la poste de leurs confidences à des amies imaginaires, volontiers je n’écrirais que pour les morts.

 

Le jour où le jeune écrivain corrige sa première épreuve, il est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole.

  

 

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Charles Baudelaire (1821-1867) 

 

Les prix portent malheur. Prix académiques, prix de vertu, décorations, toutes ces inventions du diable encouragent l’hypocrisie et glacent les élans spontanés d’un cœur libre.

 

Consentir à être décoré, c'est reconnaître à l'Etat ou au prince le droit de vous juger, de vous illustrer, etc.


Il est une chose mille fois plus dangereuse que le bourgeois, c'est l'artiste-bourgeois, qui a été créé pour s'interposer entre le public et le génie ; il les cache l'un à l'autre.

 

Les singes sont les républicains de l'art, et l'état actuel de la peinture est le résultat d'une liberté anarchique qui glorifie l'individu.

 

La manière dont les Belges discutent la valeur des tableaux. Le chiffre, toujours le chiffre. Cela dure trois heures. Quand, pendant trois heures, ils ont cité des prix de vente, ils croient qu’ils ont disserté peinture. 

 

Chaque concert a une partie française ; on a peur, il est vrai, d’être Français, mais on a peur de ne pas le paraître.


Il n'y a pas de hasard dans l'art, non plus qu'en mécanique. Une chose heureusement trouvée est la simple conséquence qu'un bon raisonnement, dont on a quelque fois sauté les déductions intermédiaires, comme une faute est la conséquence d'un faux principe. Un tableau est une machine dont tous les systèmes sont intelligibles pour un œil exercé.


Parce que l’art, pour être profond, veut une idéalisation perpétuelle qui ne s’obtient qu’en vertu du sacrifice, - sacrifice involontaire.


Ce qui est créé par l'esprit est plus vivant que la matière.

 

La France n'est pas poète, elle éprouve même, pour tout dire, une horreur congénitale de la poésie.


La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d'une haine distinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin, il faut que l'un des deux serve l'autre.


La poésie est un des arts qui rapportent le plus ; mais c'est une espèce de placement dont on ne touche que tard les intérêts, - en revanche très gros. Je défie les envieux de me citer de bons vers qui aient ruiné un éditeur.


Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé, le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?

 

Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise.

 

samedi, 04 août 2012

Considérations sur la foi - Les papillons du mal IV - Baudelaire

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"Les papillons du mal IV"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Passez en revue, analysez tout ce qui est naturel, toutes les actions et les désirs du pur homme naturel, vous ne trouverez rien que d'affreux. [...] Le crime, dont l'animal humain a puisé le goût dans le ventre de sa mère, est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle, puisqu'il a fallu dans tous les temps et chez toutes les nations des dieux et des prophètes pour l'enseigner à l'humanité animalisée, et que l'homme, seul, eût été impuissant à la découvrir. 

 

Le commerce est par son essence satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec sous-entendu : rends-moi plus que je ne te donne. L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux. Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse et la plus vile.

 

¤     ¤     ¤


Connais donc les jouissances d'une vie âpre ; et prie, prie sans cesse. La prière est réservoir de force.


Ce sont les mêmes gens qui donneraient volontiers un franc à un pauvre, à condition qu'il s'étouffât avec du pain, et lui refuseront toujours deux sous pour se désaltérer au cabaret.

 

Je ne puis penser à cette stupide créature sans un certain frémissement d'horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m'empêcher de lui jeter un bénitier à la tête.

 

La superstition est le réservoir de toutes les vérités.

 

La folie de l’art est égale à l’abus de l’esprit. La création d’une de ces deux suprématies engendre la sottise, la dureté du cœur et une immensité d’orgueil et d’égoïsme. Je me rappelle avoir entendu dire à un artiste farceur qui avait reçu une pièce de monnaie fausse : « Je la garde pour un pauvre. » Le misérable prenait un infernal plaisir à voler le pauvre et à jouir en même temps des bénéfices d’une réputation de charité. 

 

Oh ! profond (…), profond est le labour de la douleur : mais il ne faut pas moins que cela pour l’agriculture de Dieu. (…) Avec des charrues moins cruelles, le sol réfractaire n’aurait pas été remué. A la terre, notre planète, à l’habitacle de l’homme il faut la secousse ; et la douleur est plus souvent encore nécessaire comme étant le plus puissant outil de Dieu. 

 

Si l’Eglise condamne la magie et la sorcellerie, c’est qu’elles militent contre les intentions de Dieu, qu’elles suppriment le travail du temps et veulent rendre superflues les conditions de pureté et de moralité ; et qu’elle, l’Eglise, ne considère comme légitimes, comme vrais, que les trésors gagnés par la bonne intention assidue. 

 

Mais l'homme n'est pas si abandonné, si privé de moyens honnêtes pour gagner le ciel, qu'il soit obligé d'invoquer la pharmacie et la sorcellerie ; il n'a pas besoin de vendre son âme pour payer les caresses enivrantes et l'amitié des houris. Qu'est-ce qu'un paradis qu'on achète au prix de son salut éternel ?

 

Pourquoi le spectacle de la mer est-il si infiniment et si éternellement agréable ? parce que la mer offre à la fois l'idée de l'immensité et du mouvement. Six ou sept lieues représentent pour l'homme le rayon de l'infini. Voilà un infini diminutif. Qu'importe s'il suffit à suggérer l'idée de l'infini total ? Douze ou quatorze lieues (sur le diamètre), douze ou quatorze de liquide en mouvement suffisent pour donner la plus haute idée de beauté qui soit offert à lhomme sur son habitacle transitoire. 

 

Tout homme qui n'accepte pas les conditions de sa vie vend son âme.

 

Hélas ! les vices de l'homme, si pleins d'horreur qu'on les suppose, contiennent la preuve (quand ce ne serait que leur infinie expansion !) de son goût de l'infini ; seulement, c'est un goût qui se trompe souvent de route.

 

Le vin exalte la volonté ; le haschisch l'annihile. Le vin est un support physique ; le haschisch est une arme pour le suicide. Le vin rend bon et sociable ; le haschisch est isolant. L'un est laborieux pour ainsi dire, l'autre essentiellement paresseux. [...] Le vin est utile, il produit des résultats fructifiants. Le haschisch est inutile et dangereux.

 

Ce seigneur visible de la nature visible (je parle de l'homme) a donc voulu créer le Paradis par la pharmacie, par les boissons fermentées, semblable à un manique qui remplacerait des meubles solides et des jardins véritables par des décors peints sur toile et montés sur châssis. C'est dans cette dépravation du sens de l'infini que gît, selon moi, la raison de tous les excès coupables, depuis l'ivresse solitaire et concentrée du littérateur, qui, obligé de chercher dans l'opium un soulagement à une douleur physique, et ayant ainsi découvert une source de jouissances morbides, en a fait peu à peu son unique hygiène et comme le soleil de sa vie spirituelle, jusqu'à l'ivrognerie la plus répugrante des faubourgs, qui,le cerveau plein de flamme et de gloire, se roule ridiculement dans les ordures de la route. 

 

Un homme qui ne boit que de l'eau a un secret à cacher à ses semblables.

 

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Charles Baudelaire (1821-1867)

 

Je ne croirai jamais que l'âme des Dieux habite dans les plantes, et quand même elle y habiterait, je m'en soucierais médiocrement, et considérerais la mienne comme d'un bien plus hauit prix que celle des légumes sanctifiés.

 

Le vue de tous ces quadrumanes athées a fortement confirmé mes idées de religion.

 

Le mal se fait sans effort, naturellement, par fatalité ; le bien est oujours le produit d'un art.

 

La musique creuse le ciel.

 

La musique donne l'idée de l'espace. Tous les arts, plus ou moins ; puisqu'ils sont nombre et que le nombre est traduction de l'espace.

 

La véritable musique suggère des idées analogues dans des cerveaux différents.

 

La musique creuse le ciel.

 

vendredi, 03 août 2012

Considérations sur la société - Les papillons du mal III - Baudelaire

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"Les papillons du mal III" 

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de certains hommes. C'est par la même raison que je ne chausserais pas les culottes d'un galeux.

 

Il n'y a que deux endroits où l'on paye pour avoir le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.

 

Ainsi dans les Etats où la prostitution légale n'existe pas, toutes les femmes sont vénales.  

 

Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle.

 

¤     ¤     ¤

 

Peu d'hommes ont le droit de régner, car peu d'hommes ont une grande passion.

 

Les dictateurs sont les domestiques du peuple, - rien de plus, - un foutu rôle d'ailleurs, - et la gloire est le résultat de l'adaptation d'un esprit avec la sottise nationale.

 

L'homme, c'est-à-dire chacun, est si naturellement dépravé qu'il souffre moins de l'abaissement universel que de l'établissement d'une hiérarchie raisonnable.

 

La pédérastie est le seul lien qui rattache la magistrature à l'humanité.

 

Il n'y a de gouvernement raisonnable et assuré que l'aristocratique. Monarchie ou république basées sur la démocratie sont également absurdes et faibles.

 

A quoi bon réduire en esclavage des gens qui ne savent pas faire cuire des œufs ?

 

C'est toujours la fête. Grand signe de fainéantise populaire. 

 

Nécessité pour chaque homme de se vanter lui-même dans un pays où personne ne sait rendre justice à personne.Vélocité proportionnelle à la pesanteur. C'est toujours le troupeau de moutons, à droite, à gauche, au nord, au sud, se précipitant en bloc. Aussi, il n'y a rien ici qui soit plus à la mode, ni mieux vu, ni plus honorable que le coup de pied de l'âne.

 

Celui-là seul est l'égal d'un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir. 

 

Le crépuscule excite les fous.

 

Il ne faut jamais livrer certaines questions à la canaille.

 

La familiarité est le fait des brutes et des provinciaux.

 

L'enfance, jolie presque partout, est ici hideuse, teigneuse, galeuse, crasseuse, merdeuse.

 

Il est marchand, c'est-à-dire voleur.

 

Dans un pays où chacun est défiant, il est évident que tout le monde est voleur.

 

Au critique chagrin, à l'observateur importun, la Belgique somnolente et abrutie, répondrait volontiers : "Je suis heureuse ; ne me réveillez pas."

 

Coupé en tronçons, partagé, envahi, vaincu, rossé, pillé, le Belge végète encore, pure merveille de mollusque.

 

Il admire son remords et il se glorifie, pendant qu'il est en train de perdre sa liberté.

 

En somme, devant l'Histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s'emparant du télégraphe et de l'Imprimerie nationale, gouverner une grande nation.

 

Tout journal de la première ligne à la dernière, n'est qu'un tissu d'horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d'atrocité universelle. Et c'est de ce dégoûtant apéritif que l'homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l'homme. Je ne comprends pas qu'une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût.

 

Il faut travailler, sinon par goût, au moins par désespoir, puisque, tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que d'amuser.

 

A chaque minute nous sommes écrasés par l'idée et la sensation du temps. Et il n'y a que deux moyens pour échapper à ce cauchemar, - pour l'oublier : le Plaisir et le Travail. Le Plaisir nous use. Le Travail nous fortifie. Choisissons.

 

D'autres, qui laissent, pendant qu'elles y officient, la porte des latrines ouverte. Des gandins contrefaits qui ont violé toutes les femmes. Des libres-penseurs qui ont peu des revenants. Des patriotes qui veulent massacrer tous les Français (ceux-là portent le bras droit en écharpe pour faire croire qu'ils se sont battus). 

 

Tous les Belges éclatent de rire, parce qu'ils croient qu'il faut rire. Vous contez une histoire drôle ; ils vous regardent avec de gros yeux, d'un air affligé. Vous vous foutez d'eux. Ils se sentent flattés et croient à des compliments. Vous leur faites un compliment. Ils croient que vous vous foutez d'eux.

 

L'Orient, en général, sent le musc et la charogne.

 

Les Belges sont des ruminants qui ne digèrent rien.

 

La croyance au progrès est une doctrine de paresseux, une doctrine de Belges. C'est l'individu qui compte sur ses voisins pour faire sa besogne. Il ne peut y avoir de progrès (vrai, c'est-à-dire moral) que dans l'individu et par l'individu lui-même. Mais le monde est fait de gens qui ne peuvent penser qu'en commun, en bandes. Ainsi les Sociétés belges. Il y a aussi des gens qui ne peuvent s'amuser qu'en troupe. Le vrai héros s'amuse tout seul. 

 

Une suite de petites volontés fait un gros résultat. Tout recul de la volonté est une parcelle de substance perdue. Combien donc l'hésitation est prodigue ! et qu'on juge de l'immensité de l'effort final nécessaire pour réparer tant de pertes !

 

Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables !

 

La mécanique vous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle, que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilège ou antinaturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs [...] alors, le fils fuira la famille, non pas à dix-huit ans, mais à douze, émancipé par sa précocité gloutonne ; il la fuira, non pas pour chercher des aventures héroïques, non pas pour délivrer une beauté prisonnière dans une tour, non pas pour immortaliser un galetas par de sublimes pensées, mais pour fonder un commerce, pour s'enrichir, et pour faire concurrence à son infâme papa.

 

L’imagination humaine peut concevoir, sans trop de peine, des républiques ou autres Etats communautaires, dignes de quelque gloire, s’ils sont dirigés par des hommes sacrés, par de certains aristocrates. Mais ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle, ou le progrès universel ; car peu m’importe le nom. Ce sera par l’avilissement des cœurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et pour créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie ?

 

Voici un homme chargé de ramasser les débris d’une journée de la capitale.(…) Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts. 

 

Malgré les admirables services qu’ont rendus l’éther et le chloroforme, il me semble qu’au point de vue de la philosophie spiritualiste la même flétrissure morale s’applique à toutes les inventions modernes qui tendent à diminuer la liberté humaine et l’indispensable douleur. 

 

Cet homme est si peu élégiaque, si peu éthéré qu’il ferait horreur même à un notaire.

 

Grâce au progrès de ces temps, il ne te restera de tes entrailles que des viscères ! 

 

Quant à l'habit, la pelure du héros moderne [...] n'est-il pas l'habit nécessaire de notre époque, souffrante et portant jusque sur ses épaules noires et maigres le symbole d'un deuil perpétuel ? [...] - une immense défilade de croque-morts amoureux, croque-morts bourgeois. Nous célébrons tous quelque enterrement.

 

 amour,baudelaireCharles Baudelaire (1821-1867) 

 

 

Ceux qui m’ont aimé étaient des gens méprisés, je dirais même méprisables, si je tenais à flatter les honnêtes gens

 

Ce qu'il y a d'enivrant dans le mauvais goût, c'est le plaisir aristocratique de déplaire.

 

Quand j’aurai inspiré le dégoût et l’horreur universels, j’aurai conquis la solitude.

 

Que de fois j’ai contemplé, souriant et attendri, tous ces philosophes à quatre pattes, esclaves complaisants, soumis ou dévoués, que le dictionnaire républicain pourrait aussi bien qualifier d’officieux, si la république, trop occupée du bonheur des hommes, avait le temps de ménager l’honneur des chiens !

 

Un fonctionnaire quelconque, un ministre, un directeur de théâtre ou de journal peuvent être quelquefois des êtres estimables, mais il ne sont jamais divins. Ce sont des personnes sans personnalité, des êtres sans originalité, nés pour la fonction, c'est-à-dire pour la domesticité publique. 

 

Etre un homme utile m'a paru toujours quelque chose de bien hideux.

 

Si un poète demandait à l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandé du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

Je ne connais rien de plus compromettant que les imitateurs et je n'aime rien tant que d'être seul.

 

Cette syncope qui est considérée par les vulgaires mortels comme le summum du bonheur.

 

Il y a autant de beautés qu'il y a de manières habituelles de chercher le bonheur.

 

Vers la religion :

 

Théorie de la vraie civilisation. Elle n'est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes, elle est dans la diminution des traces du péché originel.

 

L'impiété belge est une contrefaçon de l'impiété française élevée au cube.

 

En somme, ce que la Belgique, toujours simiesque, imite avec le plus de bonheur et de naturel, c'est la sottise française.

 

La religion catholique en Belgique ressemble à la fois à la superstition napolitaine et à la cuistrerie protestante.

 

Il est défendu de visiter les églises à toute heure ; il est défendu de s'y promener ; il est défendu d'y prier à d'autres heures qu'à celles des offices. Après tout, pourquoi le clergé ne serait-il pas égal en grossièreté au reste de la nation ? Comme les prostituées qui n'ont pas plus l'idée de la galanterie, que certains prêtres celle de la religion.

 

Passez en revue, analysez tout ce qui est naturel, toutes les actions et les désirs du pur homme naturel, vous ne trouverez rien que d'affreux. [...] Le crime, dont l'animal humain a puisé le goût dans le ventre de sa mère, est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle, puisqu'il a fallu dans tous les temps et chez toutes les nations des dieux et des prophètes pour l'enseigner à l'humanité animalisée, et que l'homme, seul, eût été impuissant à la découvrir. 

 

Le commerce est par son essence satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec sous-entendu : rends-moi plus que je ne te donne. L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux. Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse et la plus vile.

 

jeudi, 02 août 2012

Considérations sur les femmes - Les papillons du mal II - Baudelaire

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"Les papillons du mal II"

 

 

Divers extraits de l'oeuvre de Baudelaire :

 

Que diriez-vous de mes principes, et des conseils que je donne à ce sexe trompeur qui souvent ne fait que feindre l'amour.

 

La bêtise est souvent l'ornement de la beauté : c'est elle qui donne aux yeux cette limpidité morne des étangs noirâtres, et ce calme huileux des mers tropicales. La bêtise est toujours la conservation de la beauté : elle éloigne les rides : c'est un cosmétique divin qui préserve nos idoles des morsures que la pensée garde pour nous, vilains savants que nous sommes !

 

La femme qui veut toujours faire l'homme, signe de grande dépravation.

 

Mais elle gâtait cette grande qualité par une ambition malséante et difforme. C'était une femme qui voulait toujours faire l'homme.

 

C'est parce que tous les vrais littérateurs ont horreur de la littérature à de certains moments, que je n'admets pour eux, - âmes libres et fières, esprits fatigués, qui ont toujours besoin de se reposer leur septième jour, - que deux classes de femmes possibles : les filles ou les femmes bêtes, - l'amour ou le pot-au-feu. - Frères, est-il besoin d'en expliquer les raisons ?

 

Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois. Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ; elle a, dans les idées morales, la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues. [...] Que quelques hommes aient pu s'amouracher de cette latrine, c'est bien la preuve de l'abaissement des hommes de ce siècle. Voir la préface de Mademoiselle La Quintinie, où elle prétend que les vrais chrétiens ne croient pas à l'Enfer. La Sand est pour le Dieu des bonnes gens, le Dieu des concierges et des domestiques filous. Elle a de bonnes raisons pour vouloir supprimer l'Enfer.

 

Il ne faut pas croire que le Diable ne tente que les hommes de génie. Il méprise sans doute les imbéciles, mais il ne dédaigne pas leur concours. Bien au contraire, il fonde ses grands espoirs sur ceux-là. Voyez George Sand. Elle est surtout, et plus que toute autre chose, une grosse bête ; mais elle est possédée. C'est le Diable qui lui a persuadé de se fier à son bon cœur et à son bon sens, afin qu'elle persuadât toutes les autres grosses bêtes de se fier à leur bon cœur et à leur bon sens.

 

Comme nous, ils se sont levés de bon matin, et ils cherchent leur vie ou courent à leurs plaisirs. Il y en a qui couchent dans une ruine de la banlieue et qui viennent, chaque jour, à heure fixe, réclamer la sportule à la porte d'une cuisine du Palais-Royal ; d'autres qui accourent, par troupes, de plus de cinq lieues, pour partager le repas que leur a préparé la charité de certaines pucelles sexagénaires, dont le cœur inoccupé s'est donné aux bêtes, parce que les hommes imbéciles n'en veulent plus.

 

La femme générale. Un nez de Polichinelle, un front de bélier, des paupières en pelure d'oignon, des yeux incolores et sans regard, une bouche monstrueusement petite, ou simplement une absence de bouche (ni parole ni baiser), une mâchoire inférieure rentrée, des pieds plats, avec des jambes d'éléphant (des poutres sur des planches), en teint lilas, et avec tout cela la fatuité et le rengorgement d'un pigeon.

 

La femme ne sait pas séparer l'âme du corps. Elle est simpliste, comme les animaux. Un satirique dirait que c'est parce qu'elle n'a que le corps.

 

Voilà bien la grosse sagesse bourgeoise des femmes.

 

Les mères trouvent-elles dans leur continuelle sollicitude du talent pour reproduire toujours les mêmes pensées, et un style nouveau pour les rajeunir ?

 

Les hommes qui ont été élevés par les femmes et parmi les femmes ne ressemblent pas tout à fait aux autres hommes, en supposant même l'égalité dans le tempérament ou dans les facultés spirituelles. Le bercement des nourrices, les câlineries maternelles, les chatteries des sœurs, surtout des sœurs aînées, espèces de mères diminutives, transforment, pour ainsi dire, en la pétrissant, la pâte masculine. L'homme qui, dès le commencement, a été longtemps baigné dans la molle atmosphère de la femme, dans l'odeur de ses mains, de son sein, de ses genoux, de sa chevelure, de ses vêtements souples et flottants, y a contracté une délicatesse d'épiderme et une distinction d'accent, une espèce d'angrogynéité, sans lesquelles le génie le plus âpre et le plus viril reste, relativement à la perfection dans l'art, un être incomplet. Enfin, je veux dire que le goût précoce du monde féminin, de tout cet appareil ondoyant, scintillant et parfumé, fait des génies supérieurs ; et je suis convaincu que ma très intelligente lectrice absout la forme presque sensuelle de mes expressions, comme elle approuve et comprend la pureté de ma pensée.

 

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Charles Baudelaire (1821-1867) 

 

Je ne crois pas, madame, que les femmes en général connaissent toute l'étendue de leur pouvoir, soit pour le bien, soit pour le mal. Sans doute, il ne serait pas prudent de les en instruire toutes également.

 

Il paraîtrait que sa femme est belle, très bonne, et très grande artiste. Tant de trésors en une seule personne femelle, n'est pas monstrueux ?

 

Mon Dieu ! qu'une ancienne belle femme est donc ridicule quand elle laisse voir son regret de ne plus être adulée. 

 

Ce qui est démontré pour moi, c'est que les femmes ne sont intéressantes que quand elles sont très vieilles.

 

La jeune fille, ce qu'elle est en réalité. Une petite sotte et une petite salope : la plus grande imbécillité unie à la plus grande dépravation. Il y a dans la jeune fille toute l'abjection du voyou et du collégien.

 

La femme est le contraire du Dandy. Donc elle doit faire horreur. La femme a faim, et elle veut manger. Soif, et elle veut boire. Elle est en rut, et elle veut être foutue. Le beau mérite ! la femme est naturelle, c'est-à-dire abominable. Aussi est-elle toujours vulgaire, c'est-à-dire le contraire du Dandy.

 

Si je veux observer la loi des contrastes, qui gouverne l'ordre moral et l'ordre physique, je suis obligé de ranger dans la classe des femmes dangereuses aux gens de lettres, la femme honnête, le bas-bleu et l'actrice ; - la femme honnête, parce qu'elle appartient nécessairement à deux hommes et qu'elle est une médiocre pâture pour l'âme despotique du poète ; - le bas-bleu, parce que c'est un homme manqué ; - l'actrice, parce qu'elle est frottée de littérature et qu'elle parle argot. - Bref, parce que ce n'est pas une femme dans toute l'acception du mot, - le public lui étant une chose plus précieuse que l'amour.

 

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de certains hommes. C'est par la même raison que je ne chausserais pas les culottes d'un galeux.

 

Il n'y a que deux endroits où l'on paye pour avoir le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.

 

Ainsi dans les Etats où la prostitution légale n'existe pas, toutes les femmes sont vénales.

 

Généralement les maîtresses des poètes sont d'assez vilaines gaupes, dont les moins mauvaises sont celles qui font la soupe et ne payent pas un autre amant.

 

Les pauvres petites imitent leurs mamans : elles préludent déjà à leur immortelle puérilité future, et aucune d'elles, à coup sûr, ne deviendra ma femme.

 

Je suis obligé de travailler la nuit afin d'avoir du calme et d'éviter les insupportables tracasseries de la femme avec laquelle je vis. [...] VIVRE AVEC UN ETRE qui ne vous sait aucun gré de vos efforts, qui les contrarie par une maladresse ou une méchanceté permanente, qui ne vous considère que comme son domestique et sa propriété, avec qui il est impossible d'échanger une parole politique ou littéraire, une créature qui ne veut rien apprendre, quoique vous lui ayez proposé de lui donner vous-même des leçons, une créature QUI NE M'ADMIRE PAS, et qui ne s'intéresse même pas à mes études, qui jetterait mes manuscrits au feu si cela lui rapportait plus d'argent que de les laisser publier, [...] qui ne sait pas ou ne veut pas comprendre qu'être très avare, pendant UN mois seulement, me permettrait, grâce à ce repos momentané, de finir un gros livre, - enfin est-ce possible cela ? [...] je pense à tout jamais, que la femme qui a souffert et fait un enfant est la seule qui soit l'égale de l'homme. Engendrer est la seule chose qui donne à la femelle l'intelligence morale. Quand aux jeunes femmes sans état et sans enfants, ce n'est que coquetterie, implacabilité et crapule élégante.

 

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Ah ! voulez-vous savoir pourquoi je vous hais aujourd'hui. Il vous sera sans doute moins facile de le comprendre qu'à moi de vous l'expliquer ; car vous êtes, je crois, le plus bel exemple d'imperméabilité féminine qui se puisse rencontrer.

 

Vous avez l'âme belle, mais en somme, c'est une âme féminine.

 

Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle.