samedi, 12 janvier 2013
Hannah
Rainer Fassbinder, Hanna Schygulla
Extrait de La Croix, vendredi 12 octobre 2012 :
"Elle fait partie de ces très rares comédiennes qui apportent avec elles, sur le plateau, leur propre lumière, explique l'écrivain et scénariste Jean-Claude Carrière. Phénomène inexplicable, signe d'un état intérieur particulier, qui donne à l'interprète sa force naturelle, mais aussi son indépendance, sa fermeté." [...]
Née le 25 décembre 1943 à Katowice, une ville polonaise alors allemande, elle porte un nom polonais germanisé. Une double identité qui lui convient : "J'ai en moi les deux mentalités : le laisser-faire et la tendance à la démesure slaves, la volonté et la persévérance allemandes." Alors qu'elle est bébé, sa mère qui craint un bain de sang quitte la Silésie quand arrivent les Russes et s'installe à Munich. "On nous appelait les "réfugiés d'en haut" parce que nous avons occupé un grenier. Je trouvais libérateur de pouvoir parler le patois bavarois comme les autres enfants et d'être aussi d'ailleurs."
Etudiante en philologie, elle suite une copine dans un cours d'art dramatique. Hanna Schygulla, qui dit joliment voir dans le hasard "Dieu incognito", y rencontre Rainer Werner Fassbinder. Il fera d'elle son actrice fétiche, l'employant d'abord sur scène, puis dans près d'une vingtaine de films de 1969 à 1981 : Les larmes amères de Petra von Kant, Effi Briest, Le Mariage de Maria Braun, Lili Marleen...
"Son univers était loin du mien. Il a titré un film L'amour est plus froid que la mort, alors que pour moi l'amour est comme un coup de baguette magique sur la vie. Je parlais peu, il ne pouvait pas cerner tout à fait qui j'étais. J'étais la marionnette dotée d'une vie propre, l'instrument parfait avec une part indomptable."
Elle joue également avec les réalisateurs Wim Wenders, Volker Schlöndorff et Margarethe Von Trotta, une génération en rupture. "La tradition qui n'avait pas pu empêcher ce qui s'était produit en Allemagne n'était pas une valeur sûre pour nous, explique Hannah Schygulla. Nous ne voulions pas vivre aliénés par les règles de la société, du travail, de la propriété. Nous voulions être plutôt qu'avoir, et repousser les limites." Grâce à des films comme Lily Marleen, la notoriété de la comédienne dépasse largement le cadre de l'Allemagne, et elle tourne avec Ettore Scola, Carlos Saura, Andrzej Wajda, Jean-Luc Godard et Marco Ferreri.
Mais être interprète ne lui suffit pas. "Souvent je me disais que j'aurais tourné telle scène autrement. Même si je ne l'exprimais pas toujours, cela gênait les metteurs en scène." Pour satisfaire un besoin de créer, elle réalise des courts métrages et monte sur scène pour chanter ("Un rêve d'enfant !"). Au fil des années, les propositions de tournage s'espacent, avec néanmoins des seconds rôles, remarqués comme dans De l'autre côté de Fatih Akin, ou Faust, d'Alexandre Sokourov.
Après plus de trente ans à Paris, Hannah Schygulla envisage de s'installer à Berlin. "J'aurais plus de possibilités d'être mêlée à des projets intéressants." Elle considère l'Ours d'honneur reçu à Berlin en 2009 et la nuit d'hommage du Festival du cinéma allemand le 12 octobre avec circonspection : "C'est toute une vie derrière moi, mais j'en veux également une devant moi, pas forcément aussi spectaculaire, mais riche et gratifiante. Maintenant que j'entre dans le dernier chapitre, je me sens libérée d'avoir à prouver. Mais être sur le socle du passé m'ennuie. Je préfère en descendre et marcher pieds nus sur un chemin nouveau."
07:52 Publié dans Les mots des films, Portraits de personnalités | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hannah schygulla, fassbinder
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