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mardi, 25 février 2014

Frédéric Dard alias San-Antonio #2

  

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Frédéric Dard, chez lui à Genève, en 1973

 

 

Extrait de "La face cachée de Frédéric Dard", François Rivière, Le Figaro littéraire, jeudi 13 février 2014 :

 

Au village d'Aillat, perché dans les collines du Dauphiné, tout le monde appelle la grand-mère du petit Frédéric Dard "Mme Larousse". Cette femme excentrique, veuve d'un receveur des postes de Bourgoin-Jallieu, ville natale du garçon, aime faire étalage d'une culture livresque totalement hétéroclite qui séduira très tôt l'enfant qu'on lui a confié. "Le goût de la lecture, c'est à ma grand-mère que je le dois, racontait Frédéric Dard en 1975 dans Je le jure. Elle me lisait au lit le soir jusqu'à ce que je sombre dans le sommeil." Ayant littéralement gavé Frédéric de contes pour enfants mai aussi des exploits des Pieds Nickelés, de Bicot et Bibi Fricotin, l'aïeule passe sans transition à ceux d'Al Capone racontés en feuilleton dans Le Petit Dauphinois. Car Mme Larousse est friande de faits divers et dévore avec le même appétit les recueils de "Crimes célèbres" de Léon Treich, Fantômas et les fascicules pliciers aux couvertures bariolées de chez Ferenczy.

Elle n'en restera pas là. Frédéric se voit offrir, lors de rituelles visites à une librairie de la place Bellecour à Lyon, les romans classiques de la collection Nelson. "A dix ans, dira-t-il encore, j'avais déjà lu Tolstoï, à treize, je m'étais farci tout Victor Hugo. A quatorze ans, j'attaquais Zola." Celui qui fanfaronna ainsi est l'auteur déjà auréolé du succès phénoménal de son double, San-Antonio, et qui se remémore avec une émotion teintée d'ironie sa soumission aux classiques. Mais lorsque, à seize ans, le cancre patenté d'une école de comptabilité lyonnaise se lance dans l'écriture d'une longue nouvelle baptisée La Peuchère, ce texte assez plat ne révèle aucune influence majeure. Frédéric vient pourtant, sur le conseil d'un parfait excentrique nommé Léon Charlais, de découvrir Voyage au bout de la nuit. Il en fera beaucoup de cas plus tard, affirmant par ailleurs : "Mort à crédit et pour moi le bouquin le plus important de ce siècle. A côté du cri de Céline, moi je pousse des plaintes de chiot qui a envie de pisser."

Toutefois, la véritable influence littéraire reflétée par les premiers écrits de Frédéric Dard, et singulièrement le roman Monsieur Joos, publié à Lyon en 1940, est celle de Simenon. Il a dévoré Faubourg et La Marie du port. En 1939, à la faveur d'une interview accordée par le célèbre père de Maigret au jeune pigiste du Mois à Lyon, le magazine où il a été engagé par l'humoriste Marcel Grancher, Frédéric fait part à Simenon de son désir d'écrire. Simenon et Dard resteront en contact pendant toute la duée de l'exil américain du premier, qui accepte de préfacer Au massacre mondain, le roman que Frédéric fait paraître, encore à Lyon, en 1948.

Il a toutefois compris que son destin passerait par la capitale, où certains de ses amis, comme Jacques Robert, l'auteur de Marie-Octobre, ont déjà émigré. Il a beau rêver du Goncourt, il sait aussi qu'en dépit de l'intérêt suscité par son court romain La Crève, traitant de l'Epuration, accepté par les très exigeantes Editions Confluences en 1946, il va devoir diversifer son talent. Frédéric écrit vite et la lecture des romans de Peter Cheyney, qui ne l'éblouissent pas autant que Le facteur sonne toujours deux fois, de James Cain, l'incite à faire dans le genre noir. C'est ainsi qu'il crée San-Antonio, se démarquant rapidement du modèle anglosaxon pour se lancer plus ou moins consciemment dans une entreprise langagière sans équivalent dans le roman d'évasion.

Mais il n'a pas jeté aux orties ses ambitions littéraires. La fascination qu'il éprouve pour le monde interlope de Francis Carco, rencontré à Paris et qui l'a autorisé à adapter pour la scène Jésus-laè-Caille, aurait pu amener Frédéric à renouveler le succès rencontré sur la scène du Théâte de l'OEuvre par la pièce qu'il a tirée de La neige était sale, de Simenon. Mais la critique ne l'entend pas de cette oreille et un Frédéric Dard mortifié se réfugie alors, dès 1951, dans la production intensive de littérature policière. Suivant le bon conseil de Cocteau, qui lui voue une grande admiration et l'incite à continuer à "écrire de la main gauche", Dard cédera enfin à la veine rabelaisienne, qui, loin de tout académisme, le changera pour toujours.

 

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