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dimanche, 29 mars 2015

Strauss - PEPA

 

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Camille Claudel                                                  Klimt                           

 


https://www.youtube.com/watch?v=0oqRBmuRM2A

 

Dans la fratrie Strauss, j'ai toujours eu une prédilection pour Josef, le cadet, - davantage que pour Johann, l'aîné, ou Eduard, le benjamin... Johann lui-même reconnaissait volontiers : "C'est, de nous trois, Josef qui est le plus sensible, le plus artiste, et le plus doué, comme musicien... heureusement, c'est moi qui reste le plus populaire"... émoticône wink

Il serait malveillant d'ajouter que la mort précoce de Josef laissa définitivement la royauté de la valse viennoise à son aîné, - et que celui-ci en fut "inconsolablement" soulagé... émoticône devil

Cela dit, c'est Josef, ce jouisseur mélancolique, qui "inventa" la recette qui fit la fortune de Johann, - et l'aida, par ses trouvailles, à hausser la valse à un niveau musical qui outrepassait le simple accompagnement à trois temps, strictement cadencé pour les frottages de parquet ciré du bout de l'escarpin verni...

J'ignore si c'est, - autour de ses opus 100-110, dans les années 1860 -, à cause de la certitude qu'il avait de mourir jeune, des suites fatales d'une leucémie endémique, compliquée de syphilis, que Josef Strauss se mit à avoir ce qu'on peut bien appeler du génie, - et une touche personnelle de composition qui, d'un coup, révolutionna la musique de danse...
C'est lui, en tout cas, qui agrémenta la valse d'un climat et d'une forme de véritable "poème symphonique", voire "psychologique"... en y adjoignant une introduction "d'atmosphère", de plus en plus longue et développée, - et en y osant, dans les variations et le développement, des modulations et des raffinements harmoniques et orchestraux dignes de la salle de concert...

Ce n'est pas un hasard, si "l'autre Strauss" de Bavière, - Richard - quand il voulut honorer le "Wiener Geist", à travers les diverses citations et subtiles mises en abymes de son "Rosenkavalier" emprunta (pour évoquer la Vienne de Mozart et de Marie-Thérèse...! émoticône grin ) le thème, non d'une valse de Johann... mais, de l'une des plus belles et troublantes qu'ait composées Josef : "Dynamiden"... dont le "programme" est, d'ailleurs, presque une anticipation, avant la lettre, de ce que pépé Siegmund couchera sur le divan, et aura de plus cher... puisqu'il s'agit d'y évoquer ces "puissances secrètes et mystérieuses des sens et de l'esprit qui attirent les êtres, malgré eux, l'un à l'autre, comme un fluide irrésistible d'électricité"...

Le désir, quoi... et, le plaisir, mesdames...!

 

Pierre-Emmanuel Prouvost d'Agostino
15 mars 2015

 

> Pour un quizz : http://www.quizz.biz/quizz-319327.html

 

mercredi, 18 décembre 2013

L'hystérie vengeresse

 

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Crédits photographiques Victoria Elmgren

 

Extrait de "Richard Strauss, Elektra", Michel Fleury, in Cadences, l'actualité des concerts et de l'Opéra, n°267 octobre 2013 :

 

Elektra a installé le génie protéiforme de Richard Strauss aux avant-postes de la modernité : le musicien n'est jamais allé plus loin en matière d'audaces orchestrales, harmoniques ou vocales et de violences scéniques. Cette pièce noire et fantastique, qui place le drame de Sophocle dans une perspective expressionniste, renouvelle la sombre splendeur du mythe sans rien lui faire perdre de sa portée universelle.

[...]

Après l'hystérie érotique de Salomé, l'hystérie de la haine vengeresse : la fille d'Agamemnon, Elektre, veut venger son père, tué par sa mère Clytemnestre et l'amant de cette dernière, Egiste. Sa sœur Chrysothémis, sans ressort et d'un utilitarisme craintif, refuse de l'aider. Lors d'une violente confrontation avec sa mère en quête d'un sacrifice à offrir aux dieux pour qu'ils mettent un terme aux cauchemars qui la tourmentent, Elektre lui annonce sa mort imminente : c'est elle qui doit être sacrifiée... Apprenant le retour d'Oreste depuis longtemps exilé, elle communie avec lui dans la haine, et lui confie la tâche sacrée qu'elle s'apprêtait à remplir elle-même. Soulevée d'extase et de plaisir par les cris d'agonie de Clytemnestre et d'Egiste qui viennent de l'intérieur du palais, elle se lance dans une danse de mort et de haine éperdue, pour bientôt s'abattre, épuisée à mort. La musique de Strauss donne des ailes au texte de Hofmannsthal, dans lequel l'héroïne reste un personnage de théâtre à cause de la précision inévitable et convenue des mots. La musique en fait un symbole, entité de vengeance sanguinaire trouvant l'accomplissement et l'extase dans l'assouvissement de son projet, et la danse de mort finale possède la dimension sacrée d'une invocation.

 

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Photo recadrée et retouchée à partir de l'original par Jana Hobeika
Crédits photographiques de l'original Victoria Elmgren

 

De son propre aveu, Strauss n'a jamais été "plus loin". Tout d'abord sur le plan de l'orchestration. L'orchestre d'Elektra est la formation la plus immense qu'il ait jamais utilisée, et il en use avec une virtuosité insurpassée dans son œuvre entière : les traits fulgurants des bois confèrent un caractère irrésistible d'hallucination et de cauchemar à la terreur de Clytemnestre, et cette intensité instrumentale communique à l'auditeur l'hystérie finale de l'héroïne d'une manière presque physique. Ce réalisme psychologique confinant à l'expressionnisme résulte également d'audaces harmoniques sans égales chez Strauss. Coexistence majeur-mineur, polytonalité, acides dissonances, et même atonalité, concourent à une atmosphère sombre et fantastique voisine des œuvres contemporaines de Schönberg (Erwartung, Die glückliche Hand, Cinq pièces pour orchestre op.16). Le rapprochement est d'autant plus justifié qu'en matière vocale, Elektra cultive une ligne anguleuse et tourmentée proche du Sprechgesang. Ces techniques d'écriture très avancées placent le texte de Hofmannsthal dans la perspective viennoise expressionniste du début du XXe siècle. Elles résultent des nécessités expressives plus que de la recherche d'un nouveau mode de penser musical comme chez Schönberg. L'auteur ne persévérera d'ailleurs pas dans cette voie : le succès mitigé d'Elektra au moment de sa création a sans doute contribué au virage à 180 degrés ; aux pièces noires succèderont les pièces roses (Chevalier à la rose, Ariane à Naxos) qui prolongeront la collaboration avec Hofmannsthal, cette fois dans une veine plus conforme à la nature réelle de l'écrivain, et souscriront sans réserve au plaisir de la belle mélodie et de la sensualité harmonique et orchestrale (le célèbre "style viennois" alors cultivé par Josef Marx, Franz Schreker et Franz Schmidt).

 

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Crédits photographiques Victoria Elmgren

 

Cet hédonisme atavique de Strauss, Elektra ne l'avait pas totalement répudié : l'admirable scène de la reconnaissance d'Oreste par sa sœur instaure un salutaire contraste avec les tensions et les stridences du reste de la partition. C'est un point de lumière et de détente : doucement, tendrement, Oreste révèle son identité sur une musique d'une beauté éclatante et grave, toute de simplicité, de grandeur et d'euphorie. Cette antithèse dialectique entre l'ombre (folie, sang et nuit) et la lumière (amour, douceur) est matérialisée par l'opposition entre le langage d'avant-garde et celui de la tradition symphonique viennoise. C'est "l’œil de l'ouragan" précédant le déferlement d'hystérie final : la béatitude de l'accord parfait alterne avec une musique joyeuse et spontanée fleurant bon le terroir bavarois pour exprimer la joie et la tendresse des retrouvailles, et introduisant au cœur du drame sanglant la promesse des effusions à venir, celles du Chevalier et d'Ariane. On peut aussi y voir le symbole d'une autre reconnaissance, celle de Strauss et de Hofmannsthal, dont les deux génies complémentaires se conjugueront pour atteindre la vérité humaine au travers de splendides allégories acquérant une portée universelle par la distanciation des lieux et des temps.

Il reste qu'avec Elektra, Strauss participe à l'irruption de la violence et d'une certaine barbarie dans la musique occidentale à la veille de la guerre de 1914 : ses excès, qui n'ont rien à envier à ceux de Prokofiev, Bartok ou Stravinski, déploient la massivité vigoureuse, rude et primitive d'une force de la nature, à l'opposé de l'horreur faisandée et raffinée cultivée à la même époque par Schönberg. Ainsi, au plus profond du cauchemar et de l'horreur expressionnistes, Strauss, avec sa santé et sa vigueur proverbiales, reste-t-il du côté "guerrier" et dionysiaque de Sparte, aux antipodes de la conception "artiste" et apollonienne d'Athènes.

 

Richard Strauss (1864-1949)

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