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mercredi, 11 avril 2012

Fichtre, les élections approchent.

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La momification du réel

 

Fichtre alors, le 22 avril approche à grands pas, suivi de son grand frère le 6 mai. Fichtre, non pas parce que nous ne saurions pas pour qui voter, non, fort heureusement, la chose est claire et nette. Fichtre, non pas parce qu’il nous faudrait nous organiser pour une translation jusque vers le bureau de vote du quartier, non, nous ne translaterons point. Non, fichtre parce que les citoyens, électeurs ou non, votants ou au vote pâle ou se faisant porter pâles, ont décidé de mettre encore une couche de bandelettes - de préférence d'un rose bien festif - sur la momie du réel !


Le réel n’est plus, en tout cas, il n'est plus là, il ne peut être là en vérité, nous ne le souffrons plus. Alors il est de plus en plus flou. L’on veut lui couvrir les paupières pour qu’il ne nous fixe plus de ses yeux effarés. L’on veut lui couvrir le front pour ne plus ressentir les ondes de ses pensées. L’on veut lui couvrir la bouche pour ne plus l’entendre ni vociférer ni même plus souffler le moindre soupir. L’on veut lui couvrir les oreilles pour qu’il n’entende plus les obscénités qui se disent autour de lui. Et lui couvrir le nez, pour qu’il étouffe, qu’il périsse, qu’il disparaisse ! Que nous puissions nous retrouver entre nous, enfin seuls.


Oui, le réel est un problème et les hommes et les femmes d’aujourd’hui ne veulent plus en entendre parler ni plus le voir à l’horizon. Ce sont ces mêmes hommes et ces mêmes femmes qui se sont dores et déjà attelés à repeupler notre planète de non-hommes et de non-femmes et de bidulles d’un nouveau non-genre. Ce sont les mêmes que le regretté Philippe Muray avait nommés Homo Festivus.


Les élections présidentielles qui approchent sont un beau symptôme de cette espèce malade, qui expectore un crachat bien vert-gluant qui condense en sa consistance toute la décrépitude vers laquelle nous poussons notre momie titubante. Dire que les hommes politiques ne tiennent pas leurs promesses est une bien douce banalité, elle est même presque rassurante à nos oreilles. Mais dire que le citoyen lui demande tacitement de lui mentir, pour continuer de le bercer et le laisser accroire que le monde il est beau le monde il est gentil, cela prend quelque ampleur à nos oreilles, cela grince un peu tout de même.


Stéphane Fouks* décrit la situation comme un accord tacite entre les Français et leurs candidats. Le peuple aurait selon lui négligé son hygiène buco-dentaire… Ecoutons-le, il nous intrigue : le Français ne s’est pas brossé les dents depuis trente ans, il a bien mangé, il a bien bu, il s'est même goinfré, bâfré, des sucreries, des trucs gras, épicés, de l’alcool, en veux-tu, en voilà, sans jamais se nettoyer la gueule autrement que du revers de sa manche. Et alors, il a les chicots tout marrons, infectes, il pue du bec, il refoule du goulot, il est bon pour le râtelier. Il le sait bien, la chose lui saute aux yeux devant sa glace lorsqu’il veut bien regarder en-delà ses grosses lèvres. Il a tout de même pris rendez-vous chez le dentiste, comme on se prépare au grand nettoyage de printemps. Et le dentiste qui lui plaît, au Français, c’est le dentiste qui va lui mentir… comme un arracheur de dents, n'est-il pas ? Mentir n'est plus un reproche, c'est LA qualité ultime que l'électeur français demande sans se l'avouer - bien sûr -, il reste de bon ton de rappeler que les politiciens ne tiennent pas leurs promesses électorales, c'est un refrain entraînant qui a toujours fait danser grand-mère. Le Français, il va donc chez le dentiste qui ne lui dira pas à l’avance qu’il faudra arracher quatre molaires et autant de prémolaires, et aussi lui remplacer les dents de devant, et cette histoire vaut pour la mâchoire du haut comme pour celle du bas. Il va chez celui qui ne lui dira pas que ces manœuvres se font sous anesthésie, et que l’aiguille, elle pique un peu beaucoup, et que toutes ces manipulations vont lui coûter la peau de sa momie... C’est pour lui que le Français il va voter.

Nous pensons aussi au philosophe Franco Berardi**, personnage haut en couleur malgré son abondante et folle chevelure tout à fait blanche, qui établit un lien entre le mouvement surréaliste dans le domaine de l’art et la crise  financière que nous connaissons. Pour lui, ce que les marchés financiers ont permis est similaire à ce que les surréalistes ont initié : la déconnexion entre le signifiant et le signifié. Sur les marchés financiers, les achats d’options et de produits structurés, ont permis aux investisseurs d’investir dans des investissements par-dessus l’économie réelle, sans contrepartie concrète, faisant des placements une montagne bien plus haute que l’empilement des entreprises, de l'agriculture, des services et de tout ce qui circule et existe dans notre monde.

Enfin, comment ne pas nous référer à l'à présent incontournable Philippe Muray qui écrivait, il y a déjà dix ans : "La bouffonnerie est devenue norme et le charlatanisme doxa. [...] Ce n'est sans doute pas demain la veille qu'Homo festivus prendra conscience de la misère de son époque, et encore moins de la sienne propre, tant il semble enclin à blanchir le présent et à condamner sans appel ceux qui oseraient en repérer la pathétique noirceur." ***

Pour continuer avec la marre pré-électorale dans laquelle nous devons encore croupir quelques jours, toujours Philippe Muray : "Car ce sont tous les élus, jusqu'aux plus bas échelons, et toutes les collectivités locales, et toutes les entreprises, toutes les cités, et jusqu'aux particuliers, qui ne se connaissent plus d'autre objectif que l'accroissement du festivisme ; lequel est à la fois une bonne affaire, une manière idéale de satisfaire aux exigences du vivre-ensemble, une excellent façon de s'éclater ou d'être soi-même, et surtout la meilleure solution pour positiver".**** Mais le plus important suit : "La différence essentielle, par rapport aux anciens terrorismes d'Etat, vient de ce que l'intervention, chez eux, était pratiquée à froid, sans anesthésie, et de manière sanglante, alors qu'en notre époque, on a appris à opérer sous anesthésiant (le festif est l'autre nom de cette méthode chirurgico-sociale)".*****

Que vous vous gargarisiez avec excitation à coup de discours politiques, ou que vous ayez déjà  besoin d'une petite anesthésie, vous aurez comme à l'accoutumée le choix de vos remèdes, autrement dit vos bandelettes, parce que si vous trouvez la chose pour l'instant indolore, tout esprit éclairé vous prédira que la suite est moins rose, la momie va tourner verte. Muray lui-même - nous pourrions dire que c'est un paradoxe ou qu'il était tout simplement contradictoire - Muray lui-même avait lui aussi sa petite momie, une momie médicale, qu'il ne voulait pas entendre parce qu'il avait deviné qu'elle pouvait bien être en train de lui signaler que son heure approchait et qui effectivement l'emporta en mars 2006, à 60 ans. Il n'était d'ailleurs pas à une contradiction ou un paradoxe près, lui, à peu près insensible à la Musique, qui enregistra pourtant des textes sur fond sonore, que d'aucuns nommeront chansons, rap, slam, que sais-je.

A la recherche de l'anesthésie quotidienne qui s'impose, certains débouchent le rouge, souvent les mêmes tirent une tige de l'étui létal dont chaque unité s'autofume en moins de quarante-cinq secondes et trente centièmes grâce à un savoir-faire des fabricants qui sont près de se qualifier pour les Jeux Olympiques (et dire que j'eus du bon tabac dans ma tabatière), d'autres plongeront un cachet dans leur gosier ou dans leur verre d'eau fraîche et plate, ou touilleront leur caféine, leur théine, leur médecine... Autant de bandelettes que l'on superpose au réel. Pour ma part, j'ai coutume de préférer bien m'enfouir dans les bras duveteux de Morphée, en me disant que de tous, la mieux équipée pour maintenir sa momie dans le rose, serait la Noiraude et son "Allô Docteur, c'est la Noiraude".

 

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* Stéphane Fouks, Co-président d'Euro RSCG, Vice-président d'Havas, lors d'une conférence intitulée "La communication politique : fantasme et réalité", à l'Université Paris IX Dauphine, le 3 avril 2012.

** Franco Berardi, philosophe et activiste italien, lors d'une conférence intitulée "L'effondrement, finance et politique, les bouleversements", à la Gaîté Lyrique, Paris, le 10 mars 2012.

*** Philippe Muray, Après l'histoire II, Essais, Les Belles Lettres, 2002, Avant-propos pp.10-11.

**** Philippe Muray, chronique intitulée "Poètes au printemps, Noël en décembre", en date d'avril 1999, in Après l'histoire II, Essais, Les Belles Lettres, 2002, p.79

***** Philippe Muray, chronique intitulée "La fête crache la loi", en date de juillet-août 1999, in Après l'histoire II, Essais, Les Belles Lettres, 2002, p.199