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mardi, 01 avril 2014

La guitare de diamants II - Truman Capote

 

 

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Danae, Gustav Klimt

 

Pour la version originale, en anglais : http://capoteweb.com/a-diamond-guitar/

 

Extrait de La guitare de diamants, 1958, Truman Capote, Folio Gallimard :

 

Tout le monde n'aimait pas Tico Feo. Soit qu'ils en fussent jaloux ou pour des raisons plus subtiles, certains prisonniers racontaient de laides histoires sur son compte. Tico Feo lui-même ne semblait pas s'en apercevoir. Quand les hommes s'assemblaient autour de lui, qu'il jouait de sa guitare ou chantait de ses chansons, on pouvait voir qu'il se croyait aimé. La plupart des hommes éprouvaient une sorte d'amour pour lui. Ils attendaient cette heure entre la soupe et l'extinction des lumières. Ils en dépendaient. "Tico, joue-nous de ta boîte", lui demandaient-ils. Ils ne se rendaient pas compte qu'ensuite la tristesse était plus grande que jamais. Le sommeil leur courait après comme un lapin mécanique et leurs yeux s'attardaient méditativement sur le lueur du feu qui crépitait derrière la grille du poêle. Mr. Schaeffer était le seul à comprendre leur émotion car il l'éprouvait aussi. C'était simplement que son ami avait ressuscité les rivières bruns où sautent les poissons, et les femmes avec le soleil dans leurs cheveux.

Bientôt Tico Feo obtint la faveur d'une couchette près du poêle, à côté de Mr. Schaeffer. Mr. Schaeffer savait dès le début que son ami était un terrible menteur. Ce n'était d'ailleurs pas la vérité qu'il cherchait dans les récits d'aventure de Tico Feo, dans ses succès et ses rencontres avec des gens illustres. Le plaisir qu'il y prenait était celui des histoires toutes simples, telles qu'on en peut lire dans un magazine, et cela le réchauffait d'entendre le murmure tropical de la voix de son ami, dans l'obscurité.

Sauf qu'il n'existait entre eux aucun rapport physique de fait ou d'intention, encore que de telles choses ne fussent pas ignorées à la ferme, ils se comportaient comme des amants. De toutes les saisons, le printemps est la plus épuisante, les tiges jaillissent de l'écorce terrestre durcie par l'hiver, de jeunes feuilles craquent hors des branches condamnées à périr, le vent engourdissant circule à travers la verdure neuve. Il en était de même pour Mr. Schaeffer. Une libération, l'assouplissement des muscles durcis.

On était en fin janvier. Les deux amis étaient assis sur les marches du dortoir, chacun tenant une cigarette à la main. Une lune, mince et jaune comme un morceau d'écorce de citron, s'incurvait au-dessus d'eux, et à sa clarté, des fils de gelée blanche luisaient comme des traces d'argent que laissaient les escargots. Depuis bien des jours, Tico Feo s'était retiré en lui-même, silencieux comme un voleur aux aguets dans l'obscurité. Inutile de lui demander : "Tico, joue-nous de ta boîte." Il se contentait de vous regarder avec des yeux doux et distraits.

 

 

> A consulter également : http://echo.levillage.org/317/6151.cbb 

 

breakfast at tiffany's, petit dejeuner chez tiffany, truman capoteSe procurer l'ouvrage :

Petit-déjeuner chez Tiffany

Truman Capote

1958 (1962 pour la traduction)

Folio, Gallimard

192 pages

http://www.amazon.fr/Petit-d%C3%A9jeuner-chez-Tiffany-Truman-Capote/dp/2070363643/ref=sr_1_7?ie=UTF8&qid=1362135760&sr=8-7