mercredi, 09 juillet 2014
L'enfant de l'art - Mozart
"L'enfant de l'art", Florence Badol-Bertrand, in "Cité musiques, la revue de la Cité de la musique", n°73, janvier-juillet 2014
Il était une fois un petit garçon. Deuxième rescapé d'une fratrie de sept, il s'était cramponné à la vie à la suite de sa sœur aînée de cinq ans, Nannerl. Tous deux grandissaient dans un foyer aimant, animé par la joie de vivre de la mère et la musique de Leopold, le père. Lorsqu'elle eut 8 ans, le père commença à enseigner le clavecin à sa fille. Nannerl s'amusait tant à jouer que son frère ne cessait de rêver du moment où il apprendrait à son tour. Peu après, Leopold notait : "Ce menuet a été appris par mon fils un jour avant sa cinquième année".
A partir de 1763, ils sillonnèrent l'Europe trois ans durant, apportant leur radieuse lumière aux têtes couronnées avides d'émerveillement. Entretemps, le petit garçon avait commencé à composer pour clavier sans tarder à s'atteler à de plus vastes dimensions avec sa Première Symphonie écrite à Londres en 1764. Méticuleux, il avait demandé à sa sœur "de lui rappeler de donner quelque chose de beau aux cors". Et les cors jouent dans l'Andante une succession de quatre notes qu'il reprit symboliquement plus tard dans un Credo et dans sa dernière symphonie emplie de lumière.
Pour se faire la main en composition, il prenait une sonate et la transformait en concerto en répartissant les différentes lignes entre un clavier et un petit orchestre. Ainsi fut élaboré son Premier Concerto pour piano de 1767 à partir de sonates de Raupach et Honauer. Dans le même geste, il se constituait un répertoire qu'il joua longtemps en tournées.
Enfin, il partageait la musique de chambre avec son père et sa sœur dans différentes combinaisons de clavier et violon. Il adorait y glisser des effets pour s'amuser, tel ce rondeau dans lequel il faut être parfaitement exact pour croiser les mains, sans quoi on se heurte au risque d'en mourir de rire.
A Salzbourg, il faisait la fierté de ses compatriotes qui le sollicitèrent à leur tout. C'est ainsi qu'on lui commanda la cantate dramatique Apollo et Hyacinthus. Quelle bonne manière d'expérimenter les voix, la scène et ses conventions... de quoi s'aguerrir pour affronter la patrie de l'opéra !
14 et demi et on lui transmet le livret de Mitridate pour les représentations milanaises de Noël 1770 ! Un succès extraordinaire qui vaut au Maestrino la commande de Lucio Silla pour 1772. Les découvertes et rencontres italiennes ont aiguisé son sens critique. Il a entendu divas et castrats, compris ce qu'ils attendent, ce qui fera mouche ou ce qui est passé de mode. Aussi travaille-t-il les récitatifs "à s'en faire mal aux mains" en ajustant les airs aux qualités de chaque chanteur "pour bien mesurer l'habit au corps". Si le cahier des charges de l'opera seria est parfaitement respecté, certains passages s'en démarquent déjà : des cavatines pour changer des sempiternels arie da capo, le duo d'amour du premier acte...
C'est au retour du deuxième séjour italien, le 16 décembre 1771, que la vie bascule. Le bienveillant archevêque Schrattenbach meurt le jour même et avec lui la liberté de courir le monde. La Salzbach devient une frontière contrôlée par le nouvel élu et peu tolérant Colloredo. Divertimenti et messes constituent la tâche essentielle tandis qu'Amadeus renonce aux genres qui lui tiennent à cœur : symphonie, concerto pour piano, opéra... Le bouquet des cinq concerti pour violon composé dans la seule année 1775 est représentatif des goûts du prélat : les mouvements rapides dans l'exubérance italienne, les lents de type aria di amore, ou ariette française, les finale en rondeau à la française aux refrains pastoraux. Mais l'adolescent tord plus d'une fois le cou aux principes : une turquerie véhémente, des à-coups tragiques, l'infini cantabile étouffé par les sourdines... Sous sa plume, le style galant recrée une sensation qui prend source dans l'enfance : celle du jeu ignorant les limites. L'espace circonscrit de la partition permet d'en redécouvrir la saveur dans un temps dont le recul - ses 19 ans - lui a déjà révélé la fugacité.
Mais l'expression tragique éclate. Début 1777, la pianiste française Jeunehomme lui donne l'occasion d'exprimer la douleur profonde dans le mouvement lent du Neuvième Concerto. La perspective d'un séjour parisien alors avivée, il compose son Concerto pour hautbois, instrument implicitement lié à la culture française. En outre, il choisit pour rondo la mélodie de sa Sonate à quatre mains de Londres qui ne peut que lui rappeler les souvenirs de l'enfance pérégrine et qu'il associe par la suite à l'idée de liberté : air de Blonde prisonnière du sérail, finale de la Gran Partita d'une incroyable liberté stylistique, Pamina et Papageno faussant compagnie à Monostatos. Le message set donc clair. D'ailleurs, en septembre, la coupe est pleine. L'archevêque ayant refusé les congés, Leopold consent à laisser partir son fils avec sa mère. L'étape de Mannheim est capitale : il tombe amoureux de la cantatrice Alyosa Weber, découvre l'orchestre le plus avant-gardiste et fraternise avec les vents, dont Wendling, flûte-solo, qui lui fait obtenir la commande d'un flûtiste amateur. Un peu moins motivante que si elle avait été pour lui, elle comprend le Premier Concerto en sol. Rien ne saurait alors altérer sa légèreté :
"M. Wendling sera fâché
Que je n'aie presque rien écrit
Mais en passant le Rhin
Je rentrerai c'est certain
Et j'écrirai quatre Quartetti
Pour ne pas être coquin
Le Concerto me le réserve pour Paris
Là le gribouille d'un coup"
Mais à Paris, le coup fatal est porté. La mort de sa mère, dont Leopold lui attribue la responsabilité, le propulse dans la sphère adulte, un boulet à tirer pour l'éternité.
07:00 Publié dans Musique, Portraits de personnalités | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mozart
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