mercredi, 02 avril 2014
La guitare de diamants III - Truman Capote
Un matin à l'étang, Gustav Klimt
Pour la version originale, en anglais : http://capoteweb.com/a-diamond-guitar/
Extrait de La guitare de diamants, 1958, Truman Capote, Folio Gallimard :
"Raconte-moi une histoire, dit Mr. Schaeffer qui se sentait nerveux et sans force quand il ne parvenait pas à atteindre son ami. Raconte-moi la fois où tu es allé sur le champ de courses de Miami.
- Je n'ai jamais été aux courses", dit Tico Feo, admettant ainsi son plus extravagant mensonge. [...]
[...] Tandis que les autres prisonniers s'habillaient il s'assit sur le bord de sa couchette et accorda sa guitare. C'était étrange, car il devait savoir que plus jamais il n'en jouerait.
Les cris des oiseaux suivaient les hommes à travers les bois fumeux du matin. Ils marchaient en file unique, quinze par groupe, un gardien fermant la marche de chaque groupe. Mr. Schaeffer transpirait comme si le temps était chaud et n'arrivait pas à régler son pas sur celui de son ami qui le précédait, claquant des doigts et sifflant avec les oiseaux.
[...] Armstrong s'assit sur une souche, une chique de tabac lui faisant une joue de travers et son fusil pointé vers le soleil. Il avait des yeux rusés de tricheur. Vous ne pouviez jamais savoir de quel côté il regardait.
Un autre homme donna le signal. Bien que Mr. Schaeffer sût aussitôt que ce n'était pas la voix de son ami, la panique serra son cou comme une corde. A mesure que la matinée avançait il se faisait une telle rumeur dans ses oreilles qu'il doutait de pouvoir entendre le signal quand il viendrait.
[...] Une pierre coupante comme un rasoir entailla la paume de sa main alors qu'il dévalait de la rive glissante dans l'eau. Il se redressa et se mit à courir. Ses jambes étaient longues et il se maintenait presque à la même hauteur que Tico Feo. Des fusées d'eau glacée éclataient autour d'eux. Derrière et devant eux, à travers les bois, les voix des hommes retentissaient, sonnant creux comme des voix dans une caverne.
[...]
Mr. Schaeffer ne vit pas le tronc qui barrait le ruisseau. Il croyait courir encore alors que ses jambes battaient l'air autour de lui comme s'il était une tortue renversée sur le dos.
Tandis qu'il luttait ainsi, il lui sembla que le visage de son ami suspendu au-dessus du sien faisait partie du ciel blanc de l'hiver. Il était si lointain et le jugeait. Il demeura ainsi, suspendu un instant comme un oiseau-mouche, mais en cet instant il put voir que Tico Feo n'avait jamais souhait qu'il le suivît, n'avait jamais pensé qu'il le pourrait. Et il se souvint s'être dit, une fois, qu'il faudrait beaucoup de temps avant que son ami devînt un homme fait. Quand ils le trouvèrent, il était encore étendu dans une eau à hauteur de cheville, comme si c'était un après-midi d'été et qu'il flottait paresseusement dans le courant.
Depuis cela, trois hivers ont passé, et de chacun on a pu dire qu'il était le plus froid et le plus long. Deux récents mois de pluie ont creusé des ornières plus profondes dans la route argileuse conduisant à la ferme et c'est plus difficile que jamais d'y parvenir, et plus difficile encore de s'en éloigner. Deux nouveaux phares ont été ajustés aux murs et ils brûlent là, toute la nuit, comme les yeux d'une chouette géante. A part cela, il n'y a guère de changement. Mr. Schaeffer, par exemple, est toujours le même, sauf une couche de neige plus épaisse sur ses cheveux, et du fait d'une cheville brisée il boite en marchant. [...]
> A consulter également : http://echo.levillage.org/317/6151.cbb
Se procurer l'ouvrage :
Petit-déjeuner chez Tiffany
Truman Capote
1958 (1962 pour la traduction)
Folio, Gallimard
192 pages
07:00 Publié dans Beaux-Arts, Ecrits, littérature contemporaine, Peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : truman capote, la guitare de diamants, étang, klimt
Les commentaires sont fermés.