jeudi, 03 octobre 2013
Considérations sur le silence #13 - Dr. Emile Roge
Crédits photographiques Mickaël Roussel
Extrait de la conférence du 10 juin 1991 à Paris, "Silence psychiatrique, silence analytique", Dr. Emile Roge
La description physique des conditions nécessaires et suffisantes
pour que le son se propage
J'entends par là que dans le vide, il n'y a que du silence, et qu'il y a une contradiction formelle entre la circulation des photos, en un mot de la lumière, qui traverse le vide, et le son, qui s'anéantit. Cette considération physique me paraît primordiale.
Et ce n'est que par voie de conséquence, oserai-je dire, que dans l'instauration, l'installation et le maintien du silence - que ces trois processus soient normaux ou pathologiques - se réinstaurent deux éléments : l'un traverse l'espace sans qu'il soit besoin de mots : c'est le regards ; l'autre, c'est le corps. Dès l'instant que le corps du langage : le son, disparaît, le langage du corps réapparaît. [...] C'est dans la mesure même où le silence s'installe que le corps en devient d'autant plus éloquent. [...]
Face au silence - aussi bien qu'au verbiage - de l'autre, si l'on se concentre - ou, si vous préférez, si l'on se perd - dans son propre silence, si l'on se met à parler silencieusement à l'intérieur, et si l'on coupe la silence ou le verbiage de l'autre en lui demandant "A quoi pensez-vous", on s'aperçoit qu'il y a des concordances extraordinairement frappantes de pensée ; voire c'est le même mot qui avait déjà surgi dans votre propre pensée qui surgit chez l'autre. A tel point que, expérience aidant, on en vient à comprendre et à saisir une réalité : dans le silence, on peut imposer des mots à l'autre, qui souvent va rompre le silence par des mots auxquels vous pensiez. [...]
Eglise Saint-Eustache, Paris
Crédits photographiques Jana Hobeika
L'aspect régressif du silence de l'analyste
C'est, pourrait-on dire, le versant négatif de la fonction paternelle que tout analyste (aussi bien masculin que féminin) doit avoir - au moins à certains moments, et dès que sont dépassés les émois infantiles d'un moi qui demande avant tout à être rassuré. Ce silence, c'est la réponse non-réponse du Père au Christ Jésus au Jardin des Oliviers ; c'est à la fois une condamnation à mort et la reconnaissance de la dignité du Fils et de son destin, par rapport à la toute-puissance, réelle ou supposée, du Père.
[...]
L'homme moderne a une véritable terreur du silence : le moindre bruit de son corps, lorsqu'il se tait, prête immédiatement à interprétation péjorative ; il n'y a que les sons qu'il émet de ses "sphincters supérieurs" qui lui paraissent merveilleux ! Quand le silence est installé, même pendant des séances de psychothérapie, le corps parle, pour couper la parole à celui qui ne disait rien : bruits incongrus, résonances fâcheuses, flatulences, pétulences, viennent casser, de façon impromptue mais terriblement efficace, le silence. Et c'est dans ces moments-là que l'analyste peut dire - comme Lacan, mais cette fois-ci d'une façon merveilleusement adaptée : "ça parle" ! Ceci pour répéter que le silence réinstaure un langage corporel trop souvent méconnu, ou plutôt réduit au silence.
[...]
Ainsi, l'expérience du silence est toujours l'expérience de l'expression du plus grand, du plus fort, du plus terrible ; du plus grand plaisir, de la plus grande terreur, de la plus insupportable souffrance, qui sont tous indicibles. Le silence - celui du cabinet - fait de l'analyste une référence approchée de l'Absolu. C'est le silence qui fait de nous, thérapeutes, une référence incontournable ; un pivot, un mât, un signal, un phare.
Que l'on prenne le terme - peu m'importe - de sublimation freudienne ou de transcendance jungienne, le silence apparaît comme l'axe essentiel et permanent du plus spécifiquement humain. Il n'y a, à mon avis, que deux substances véritablement archétypiques et spécifiquement humaines que l'on puisse rompre dans le sens d'une communion (je n'ai pas entendu ce mot dans vos exposés), d'une participation, d'une compréhension et d'un amour mutuel : ce sont le silence et le pain. Toutes les autres ruptures sont des cassures pour l'être humain.
00:00 Publié dans Photographie, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Bonjour, je suis une ancienne patiente du Dr Emile Rogé pour qui j'ai tapé l'un de ses livres et j'aimerais rentrer en contact avec ses anciens patients. Pourriez vous avoir l amabilité de me contacter, dans un premier temps par mail ? Merci Dominique
Écrit par : dominique Didon | jeudi, 18 décembre 2014
Les commentaires sont fermés.