lundi, 30 septembre 2013
Considérations sur le silence #10 - Jean-Louis Benichou
Eglise de la Madeleine, Paris
Le silence est une nécessité.
Extraits de la conférence du 10 juin 1991 à Paris, "Silence psychiatrique, silence analytique", Dr. Jean-Louis Benichou
[...] La première tentation serait de le définir par rapport à ce qu'il n'est pas, de le définir en creux : absence de tout bruit, de toute agitation. En musique, c'est l'interruption d'un son ; mais interruption d'une durée déterminée. Et voici introduite la temporalité, celle qui donne un sens au silence. [...] Le silence n'est donc pas seulement l'absence de langage, c'est aussi son envers. Voie d'accès possible à une autre dimension, ouverture à la révélation, c'est l'absence de langage, délibérée ou non (en l'absence de toute atteinte organique des centres cérébraux ou des organes de phonation).
Mutisme hystérique, mutisme du mélancolique stuporeux, mutisme encore du schizophrène en plein négativisme, souvent accompagné du refus de la main tendue, du refus de toute nourriture ; mutisme par réticence pathologique dans le cadre d'un délire ; plus simplement, mutisme par sidération anxieuse. Le mutique se signale par son silence [...].
Mais si la parole apparaît comme primordiale dans ce type de situation, le silence y a aussi sa place, car il est marque de respect. Comme il faut savoir utiliser ce qui se présente pour établir le contact (l'humour, l'échange littéraire, artistique ou politique, voire la participation active à une thématique délirante), il faut aussi savoir se taire. Le silence est alors actif, attentif, s'opposant ainsi à l'attention flottante analytique. [...]
Beaucoup d'affections psychiatriques, peut-être toutes d'ailleurs, pourraient pourtant être comprises comme une quête de sens. Mais la tension et le besoin qui les sous-tendent sont parfois si grands, si submergeants, si aveuglants, qu'ils s'opposent alors à tout repos, à tout début d'acceptation, à toute accession au silence. [...] Beaucoup de dépressions, et ceci est particulièrement évident lorsqu'elles surviennent de façon intercurrente dans le déroulement d'une psychothérapie, attestent d'un profond besoin d'isolation, de solitude, d'une quête de silence.
Eglise de la Madeleine, Paris
Car le silence est une nécessité. Il confère un sens à la parole, et à la vie. Le bruit, la bruyance pourrait-on dire, est extraversion, diluante, dissociante ; le silence est introversion, structurante. Ceci explique peut-être qu'il se fasse de plus en plus rare dans nos sociétés ; qu'il soit de plus en plus suspect, indésirable, bafoué, au même titre que la solitude, régulièrement vécue comme pathologique elle aussi.
[...]
Le psychothérapeute doit savoir utiliser le silence, le manier, le doser, car le silence est un instrument stratégique et thérapeutique précieux et puissant. Il constitue le creuset de tout changement, de toute création ; il fonde le transfert, ce contrat tacite entre l'analyste et le patient. Ce n'est que lorsque ce dernier a l'impression d'avoir tout dit, tout raconté, qu'il accède alors, parfois malgré lui, au silence, et que les choses sérieuses peuvent vraiment commencer. Nous disons peuvent, car il n'est pas rare d'assister alors à des réactions de fuite, fuite devant un silence vécu comme bien trop insupportable, silence pesant, silence lourd, silence angoissant ; silence dissimulant son secret mortel, auquel il restera alors lui-même sourd, peut-être à jamais. Pour éviter cette rupture, il ne faut jamais perdre de vue que le silence de l'analyste est susceptible d'être vécu comme une véritable agression, tant il est aspirant. Il place l'autre au-dessus de son vide, il l'accule à parler, et s'il ne le peut, à protester ou à hurler [...]. Vauvenargues disait de la solitude qu'elle est à l'esprit ce que la diète est au corps : mortelle lorsqu'elle est trop longue, quoique nécessaire. Ceci pourrait tout aussi bien s'appliquer au silence, tant la condensation des affects peut y être extrême. Il faut savoir rompre le silence, ne pas maintenir à tout prix une attitude de neutralité bienveillante, ou d'attention flottante, ce qui équivaudrait dans certains cas à une véritable tentative de viol de l'intimité du patient, au même titre que l'interprétation sauvage.
07:00 Publié dans Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0)
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