samedi, 02 février 2013
Ta face de bouc pas amoureux
Extrait de "Comment Facebook bouscule la vie sentimentale", Pascale Senk, Le Figaro, lundi 19 novembre 2012 :
Non, les amoureux ne sont plus seuls au monde ! Avec 526 millions de personnes se connectant quotidiennement sur Facebook, chacun a désormais plus ou moins une chance de voir toute sa vie sentimentale commentée et influencée par le regard des autres.
Une "chance" en effet pour un grand nombre d'utilisateurs qui n'hésitent pas à envoyer des posts (messages) pour "booster" leur union. Cyril, 49 ans, a rencontré il y a trois mois chez un commerçant de son quartier une jeune femme avec qui il entame une liaison amoureuse. Quotidiennement, il "poste" sur son "mur" (sa page personnelle) une photo ou une vidéo de sa nouvelle conquête : à la table du petit déjeuner, au volant de sa voiture, devant un monument récemment visité... A chaque fois, il ajoute à ses publications quelques mots : "Love you", "tu me manques", ou "j'aime ta bouche"... Ses amis en rajoutent : "Quelle est belle", "bravo, garçon, tu tiens le bon bout !" et autres satisfecit...
Pour le psychiatre Pascal Couderc, qui vient d'écrire avec Catherine Siguret L'Amour au coin de l'écran (Ed. Albin Michel), le premier impact du plus célèbre des réseaux sociaux réside dans cette puissance d'amplification des sentiments et des émotions. "On peut parler ici d'hystérisation, avance-t-il, dans le sens où l'utilisateur attend un retour qui "enflammera" la relation, à la fois aux yeux des autres, mais surtout pour lui-même."
[...]
Résultat : à force de galvaniser ses ressentis, l'amoureux sur Facebook se sent "lui, en mieux". Une récente étude menée par le psychologue Keith Campbell de l'Université de Géorgie a d'ailleurs montré que l'estime de soi était augmentée chez les utilisateurs de Facebook. De là à se sentir pousser des ailes... "La tentative de maîtrise de ce que l'on ressent et de ce qu'on en donne à voir devient omniprésente sur le réseau, observe Pascal Couderc. Mais, en réalité, la situation peut vous échapper à tout moment, il y a tellement d' "autres" !". Et le psychologue d'y voir là l'une des raisons de la grande précarisation des relations via le réseau.
Hélène, 40 ans, en a fait les frais. Lorsque son compagnon depuis quatre ans a décidé de la quitter, elle est allée, effondrée, mettre en lien une chanson qui parlait de chagrin d'amour, manière d'exprimer à ses amis ce qu'elle ressentait sans vraiment le dire. Quelques heures plus tard, son compagnon a enlevé la mention "en couple" de son profil. Il était, en seulement un coup de clic, redevenu "célibataire" aux yeux de tous. Et il a exclu sa compagne de sa liste d'amis. "Ca a été comme un coup de poignard, se rappelle Hélène, pire que quand il m'a dit "je ne t'aime plus" en face à face." Le jour où, avec ses filles, elle a déménagé ses meubles de l'appartement commun, son compagnon a mis un post : "Les hyènes sont au travail." Une expression regrettable, qui a incité les enfants à ne plus lui parler du tout.
Quand les dires sont moins clairs, la situation s'envenime tout autant. Ne pouvant s'empêcher, grâce aux codes d'une amie, d'aller vérifier sur son mur la nouvelle vie de son "ex", Hélène s'est fait beaucoup de mal. "Je vérifiais les femmes avec qui il était ami, celles avec qui il échangeait beaucoup de posts, j'interprétais tout de travers..." Des ruptures interminables et difficiles constituent ainsi un risque pour de nombreux utilisateurs du réseau. Une étude récente a prouvé que ceux qui restaient amis avec leur ex et continuaient à avoir un "oeil" sur le mur, et donc la vie de celui-ci, se remettaient moins facilement de leur peine amoureuse.
Pour Pascal Couderc, cette inscription sur la durée des affects est l'un des aspects les plus pernicieux du network : "On pense, lorsque l'on écrit sur Facebook, que nos propos sont éphémères, et comme délébiles. En réalité, comme un graffiti, ils restent gravés sur un mur." Et le psychologue de conseiller à ses patients : "N'oubliez jamais, quand vous commentez quoi que ce soit, que c'est comme si quelqu'un regardait par-dessus votre épaule."
Extrait de "Le lien numérique prend de plus en plus de place", propos de Pascal Lardellier recueillis par P.S., Le Figaro, lundi 19 novembre 2012 :
[...] quand son créateur Mark Zuckerberg a fait rajouter le statut qui indique si l'on est "en couple", "marié", "célibataire" ou si dans sa vie affective, c'est "compliqué", il a clairement mis en concurrence Facebook avec les sites de rencontres traditionnel. Tous ces codes permettent de marivauder. En ce sens, oui, les réseaux sociaux sont, par détournement, de véritables outils de drague. D'ailleurs, en Grande-Bretagne, un divorce sur cinq mentionne une "problématique" Facebook.
Pour les couples installés, que provoque la fréquentation d'un tel réseau social ?
Elle peut soit intensifier le lien amoureux, soit le dégrader. Aujourd'hui, de toute façon, tout couple vit une forme de "tyrannie du branchement" : nous sommes assignés à envoyer des SMS à notre conjoint, ils fonctionnent comme de petites caresses, et ainsi le lien numérique prend de plus en plus de place dans notre manière d'être avec l'autre. Il prolonge et renforce le lien amoureux. Combien s'inquiètent dès qu'ils n'ont pas reçu de réponse à leur texto ? Sur Facebook, notre histoire d'amour est scénarisée. Tous les voyeurs y sont convoqués, et on peut montrer où nous en sommes affectivement comme dans une bonne série TV.
C'est donc plutôt positif ?
Oui, même si par certains aspects les réseaux sociaux sont la téléréalité du pauvre, ils permettent de transformer sa vie en une sorte de roman. On voit certains couples s'ennuyer dans la "real life" et avoir une histoire torride, ensemble mais parallèlement, dans la réalité virtuelle, où les partenaires multiplient les connexions numériques. Autre point positif : le soutien communautaire produit par les amis numériques. Nos chagrins, nos engagements amoureux, nos malheurs sont commentés en ligne. Ils produisent des liens. C'est une nouvelle preuve que les réseaux sociaux font leur lit là où les structures traditionnelles de soutien (la famille, les collègues de bureau, etc.) sont défaillants.
Pascal Lardellier est professeur à l'Université de Bourgogne, spécialiste des nouvelles technologies. Il vient de publier Les Réseaux du coeur. Sexe, amour et séduction sur Internet (François Bourin Editeur).
07:26 Publié dans Farce et attrape, Trivialités parisiennes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : facebook, réseaux sociaux, amour
Commentaires
Ah! si seulement je pouvais voyager dans le passé, cents ou deux cents ans cela me conviendrait parfaitement; au moins de ce temps là internet n'existait pas encore et les gens se parlaient sans aucun doute plus que nous aujourd'hui.
Décidément, je vis à la mauvaise époque!!!!!
Écrit par : Stephan Rémi | mercredi, 22 octobre 2014
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