vendredi, 07 mars 2014
Freakonomics
Extraits de Freakonomics, Steven D. Levitt (professeur d'économie à l'université de Chicago) & Stephen J. Dubner (journaliste au New York Times et au New Yorker), New York 2005, traduit par Anatole Muchnik en 2007, Folio, édition revue et augmentée :
Quatrième de couverture :
Quel lien entre la législation de l'avortement et la baisse de la criminalité aux Etats-Unis ? Quelles sont les vraies motivations des agents immobiliers ? Pourquoi les revendeurs de drogue vivent-ils plus longtemps chez leur mère ?
L'économie, vue sous cet angle, incongru en apparence, mais qui est celui de la plus sérieuse rationalité des agents, des comportements, des causes et effets, traite de sujets peu conventionnels. Elle a reçu un nom : freakonomics, ou "économie saugrenue".
Elle jette une lumière de biais sur le désordre des événements ; elle met à nu des a priori à prétention de scientificité irréfutable ; elle transforme notre regard sur le monde globalisé, qui nous apparaît, pour finir, moins impénétrable et incompréhensible.
P. 13 à 16 :
A l'été 2003, le New York Times Magazine a envoyé Stephen J. Dubner, écrivain et journaliste, réaliser un portrait de Steven D. Levitt, un jeune économiste de l'université de Chicago dont tout le monde parlait.
Dubner avait récemment eu l'occasion d'interviewer plusieurs économistes, dans le cadre de ses recherches pour un livre sur la psychologie de l'argent, et le journaliste trouvait qu'ils parlaient souvent une autre langue que le reste du monde. De son côté, Levitt, fraîchement décoré de la médaille John-Bates (qui récompense tous les deux ans le meilleur économiste américain de moins de quarante ans), avait été interrogé par d'innombrables journalistes, et pour lui, leur pensée n'était pas très... solide, comme dirait un économiste.
Mais Levitt a trouvé que Dubner était loin d'être un idiot consommé. Et Dubner s'est dit que Levitt n'était pas une règle à calcul d'apparence humaine. Ce qui fascinait le journaliste, c'était à la fois l'inventivité des travaux de l'économiste et son talent pour les expliquer. Malgré son curriculum vitae (études à Harvard, doctorat au MIT, récompenses à la pelle), Levitt avait une façon particulièrement peu orthodoxe d'aborder l'économie. Le regard qu'il portait sur ce qui l'entourait n'était pas très académique, n'était plutôt celui d'un explorateur aussi malin que curieux - un réalisateur de documentaire, peut-être, ou un médecin légiste, ou un bookmaker qui prendrait des paris aussi bien sur le sport que sur la criminologie en passant par la culture pop. Il ne montrait que peu d'intérêt pour les questions monétaires qui viennent à l'esprit aussitôt que l'on songe à l'économie, et affichait une modestie frôlant l'autodénigrement : "Je ne connais pas grand-chose à l'économie", a-t-il prévenu Dubner, rejetant la mèche qui lui barrait les yeux. "Je ne suis pas bon en maths, je ne fais pas beaucoup d'économétrie, et je ne sais pas faire de théorie. Vous ne pouvez pas me demander si la Bourse va monter ou descendre, si la croissance va se poursuivre, si la déflation est souhaitable ou pas ; si vous m'interrogez sur les impôts, je ne peux décemment pas vous raconter que j'y entends quoi que ce soit, ce serait une escroquerie totale."
Ce qui intéressait Levitt, c'étaient les petites énigmes de la vie quotidienne. Ses travaux avaient de quoi faire le délice de quiconque s'intéresse aux mille petits faits du quotidien. Cette approche peu commune transparaît dans l'article de Dubner :
Par une fin de matinée ensoleillée de la mi-juin, le plus brillant des jeunes économistes américain - du moins reconnu comme tel par un jury composé de ses aînés - s'arrête à un feu rouge, dans le sud de Chicago. Il est au volant d'une vieille Chevrolet Cavalier verte au tableau de bord poussiéreux et dont une vitre ne ferme plus tout à fait, ce qui provoque une molle vibration à chaque fois que l'on prend un peu de vitesse.
Mais pour l'heure, la voiture est silencieuse, comme le sont les rues à midi dans ce paysage de stations-service, de béton à perte de vue, et d'immeubles de brique aux fenêtres en contreplaqué.
Un sans-abri entre deux âges approche de l'automobile. Si on sait qu'il est sans-abri, c'est parce que c'est écrit sur sa pancarte, où il réclame aussi de l'argent. Il porte une veste déchirée, trop chaude pour la saison, et une casquette de baseball crasseuse.
L'économiste ne verrouille pas ses portières, il ne fait pas avancer son véhicule de quelques centimètres pour échapper au face-à-face. Mais il ne fouille pas non plus ses poches à la recherche d'un peu de monnaie. Il se contente de l'observer, comme s'il se trouvait derrière une glace sans tain. Au bout d'un moment, le sans-abri s'éloigne.
"Pas mal, ses écouteurs", dit l'économiste, suivant l'autre du regard dans le rétroviseur. "Meilleurs en tout cas que les miens. A part ça, il n'avait pas l'air de posséder grand-chose."
Steven Levitt ne voit pas les choses comme le commun des mortels. Ni comme le commun des économistes, d'ailleurs. Mais cela peut aussi bien passer pour une qualité que pour un défaut, selon l'estime que l'on porte aux économistes en général.
Pour Levitt, l'économie est une science dont les outils sont excellents pour obtenir des réponses, mais qui manque cruellement de questions dignes d'intérêt. Tout son talent consiste à savoir poser ces questions. Par exemple : si les dealers de drogues gagnent autant qu'on le dit, pourquoi habitent-ils toujours chez leur mère ? Quel est le plus dangereux, une arme à feu ou une piscine ? Qu'est-ce qui a réellement provoqué l'effondrement du taux de criminalité dans la dernière décennie ? Les agents immobiliers ont-ils le souci sincère de l'intérêt de leurs clients ? Pourquoi les parents noirs donnent-ils à leurs enfants des prénoms qui risquent de pénaliser leur carrière ? Est-il possible que des enseignants trichent pour améliorer le taux de réussite de leurs élèves ? Les compétitions de sumo sont-elles truquées ?
Et comment se peut-il qu'un sans-abri en guenilles possède un casque à 50 dollars ?
Beaucoup - jusque parmi ses confrères - jugeront que le travail de Levitt ne relève pas du tout de l'économie. Il a pourtant ramené la "science funeste" à sa fonction première : celle d'expliquer comment les individus obtiennent ce qu'ils désirent. Contrairement à la plupart des universitaires, il n'hésite pas à émettre des commentaires personnels ni à céder à sa propre curiosité ; il ne déteste pas non plus les anecdotes ni les récits (mais le calcul, oui). C'est un intuitif. IL décortique des montagnes de données pour y déceler ce que les autres n'ont pas vu. Il trouve le moyen de mesurer un efet que des économistes chevronnés ont pourtant déclaré immensurable. Ce qui l'intéresse pus que tout - bie qu'il prétende ne jamais s'y être adonné lui-même -, c'est la tromperie, la corruption et le crime.
A consulter également : http://freakonomics.com/
Se procurer l'ouvrage :
Freakonomics
Steven D. Levitt, Stephen J. Dubner
2007
Folio, coll. actuel
352 pages
http://www.amazon.fr/Freakonomics-Stephen-J-Dubner/dp/207...
07:00 Publié dans Politique & co, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : freakonomics, steven levitt, stephen dubner