lundi, 03 mars 2014
Comment Max a phantasmé l'apocalypse
Crédits photographiques Victoria Elmgren
Extrait de Comment j'ai mis un coup de boule à JoeyStarr, Max Monnehay, 2013, Christophe Lucquin Editeur :
[...]
"Qu'est-ce que t'as prévu de porter, alors, pour la fin du monde ?"
Au bout du fil on glousse et puis on tousse et enfin on se racle la gorge.
"Maman, je croyais que t'avais arrêté de fumer.
- On va tous mourir demain, dis-moi à quoi ça pourrait bien servir.
- On ne va pas mourir, maman.
- Alors, explique-moi pourquoi tu vas t'enterrer avec tous ces débiles, si t'en es si sûre que ça."
Je n'en ai pas la plus foutue petite idée. Je ferme les yeux et ouvre la bouche comme pour crier, et je n'ai pas non plus d'explication à ça. La plupart du temps, je n'ai pas la moindre raison valable de faire ce que je fais. C'est simplement que si je devais attendre d'en avoir une, de raison valable, le champ de mes actions se réduirait au strict minimum. Peut-être même à moins que ça. Paralysie permanente, on appelle ça.
"Au revoir Maman. Je t'appelle demain.
- Attends, ton père est en train de clouer des planches aux fenêtres de la maison, écoute. Tu entends ? Dis-moi s'il te plaît que tu entends ça. C'est formidable. Pauvre dingue.
- Salut m'man.
- Adieu ma fille."
Et elle glousse et tousse et se racle la gorge.
¤ ¤ ¤
La Sybille de Cumes a vécu près de Naples au VIe siècle avant Jésus-Christ. Les hautes figures de la société romaine la consultaient sur divers sujets, du plus anodin au plus grave.
En disant cela, Mamie Madeleine plonge un sixième carré de sucre blanc dans sa tasse de thé vide.
Elle dit que la Sybille entrait en transe dans sa caverne. De ses fricotages avec Apollon, elle tirait des présages, qu'elle écrivait sur des feuilles de chêne, lesquelles étaient soigneusement conservées.
Mamie Madeleine porte la tasse à sa bouche. Une minute passe, durant laquelle de la poudre de sucre est projetée tout autour de nous, sur la petite table roulante couleur bleu hôpital, sur la moquette râpée, sur mes genoux.
La Sybille de Cumes a prédit que le monde durerait neuf cycles de huit cents ans chacun. Sans que personne ne lui ait rien demandé, parce que personne n'en avait clairement rien à carrer de ce qui pourrait advenir après sa propre mort et, éventuellement, celle de ses enfants et petits-enfants, elle a balancé comme ça que la génération qui commencerait aux alentours de l'an deux mille après Jésus-Christ serait la dernière. [...]
Mamie Madeleine fourre un doigt au fond de sa gorge et régurgite dans son mug estampillé Meilleure Mamie du Monde le sucre à moitié dissout par les sucs gastriques. [...]
La télécommande à la main, Mamie Madeleine dit que Nikki s'est mariée neuf fois, dont quatre fois avec Victor. [...] Selon les calculs de la meilleure mamie du monde, la fin du monde coïncidera avec la désintégration d'une petite ville américaine. Cette petite ville qui porte le nom de Genoa City.
¤ ¤ ¤
Quoi maman ?
- Je voulais te dire que je t'avais pris rendez-vous avec le docteur Clémentin vendredi en huit.
- C'est qui ça encore. Un psy ? Je t'ai déjà dit que je n'en avais pas besoin.
- Nan, un gynéco. Va savoir ce que vous allez fabriquer, tous, enterrés pendant des heures à attendre la mort.
- Maman !
- Avec ton père, on ne s'est pas touché depuis 2008 et là il m'attend en mini-slip dans la chambre. Il a ressorti notre parure de lit fuchsia et fait brûler toute ta vieille réserve d'encens. On se croirait dans le vagin de Béatrice Dalle. Alors, laisse-moi craindre le pire.
- T'en fais pas pour moi. J'ai toujours un spray au poivre dans mon sac.
- Ahah, si tu crois que c'est ça qui va sauver tes miches ma fille !
- Comment va Mamie ?
- Elle a voulu rester là-bas. Ca ne l'a pas convaincue, mais je lui ai dit : si tu ne viens pas, des chats te mangeront le visage.
- Maman, tu pourrais pas essayer d'être moins sordide ?
- Si tu ne viens pas, des chatons te mangeront le visage ?
- Au revoir Maman.
- Adieu ma fille.
- Arrête de me dire adieu, s'il te plaît.
- J'arrêterai de te dire adieu quand ton père... aura ôté ces menottes en fourrure rose, mais... Chéri d'où sors-tu ces choses ?
- Oh non. C'est à moi.
- Hé bien. De mieux en mieux."
Elle glousse et tousse et se racle la gorge.
C'est peut-être simplement ça, la fin du monde. Tes vieilles menottes en fourrure rose autour des poignets de ton père.
[...]
A propos de l'auteur : http://www.babelio.com/auteur/Max-Monnehay/6024
Comment j'ai mis un coup de boule à Joey Starr
Max Monnehay
2013
Christophe Lucquin Editeur
64 pages
http://www.amazon.fr/Comment-jai-coup-boule-Joeystarr/dp/...
07:00 Publié dans Ecrits, littérature contemporaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : comment j'ai mis un coup de boule, joeystarr, max monnehay, christophe lucquin