mercredi, 22 avril 2015
Céphalées - Devic
Wolff : "Par migraine, j'entends : céphalée périodique, habituellement unilatérale au début, et qui peut devenir généralisée. Les maux de tête s'associent avec de l'irritabilité et des nausées, souvent avec de la photophobie, des vomissements, de la constipation et de la diarrhée. IL n'est pas rare que les attaques soient précédées de scotome, d'hémianopsie, de paresthésies unilatérales et de désordres de la parole. La douleur est habituellement limitée au crâne, mais elle peut inclure la face et la nuque ; la durée de l'attaque est de quelques heures à quelques jours, son intensité peut aller d'une lourdeur modérément douloureuse à une extrême sévérité. Souvent d'autres membres de la famille du malade ont présenté les mêmes maux de tête".
Les 7 critères de Friedman :
- céphalée pulsatile, récidivante, unilatérale ou non
- accompagnement de nausées et de troubles digestifs
- prodromes oculaires
- antécédents familiaux de migraine
- phénomènes neurologiques et vaso-moteurs pendant la crise
- action sédative de l'ergotamine
- profil psychologique particulier : perfectionnisme et rigidité.
Extrait de "Traitement de la migraine", Pr. M. Devic, Lyon :
Historique
Ce mystérieux et inaccessible désordre, dont on s'est plu à dire qu'il était avec le "coup de froid" le responsable des plus grandes pertes de temps, de travail comme de plaisir, est sans doute propre au genre humain. Compagnon de son histoire, il y a laissé sa trace qui se perd bien au-delà des peuples dits anciens, tels ces babyloniens qui en avaient éprouvé assez de désagréments pour en faire une divinité. On retrouve dans le Dialogue de Charmide la trace des conceptions pré-hippocratiques contenues dans le culte de Zalmoxis : Platon présente Socrate, fort moderne, se proposant d'utiliser une méthode psychothérapique. Si les écrits d'Hippocrate contiennent de remarquables descriptions de maux de tête qui gonflent et pulsent les vaisseaux crâniens, la plus grande confusion régna parmi les multitudes de douleurs crâniennes jusqu'au dernier siècle avant notre ère où la "migraine" émerge de l'admirable description d'Arétée de Cappadoce. Il distingue les céphalées graves et durables, les céphalalgies légères et, sous le nom de "heterocrania", il isola "un céphalée unilatérale et paroxystique associée à des nausées, et se reproduisant périodiquement". Gallien accepta l'entité, fit un rapprochement avec l'épilepsie, en isola la céphalée de tension et proposa le terme de "hemicrania", latinisé en "hemicranium", puis dégradé en "hemigranea" : la "migraine" trouve enfin en France au XIXe siècle tant son nom universellement adopté que sa personnalité clinique.
Mais la science de Claudius Galenius de Pergame, civtime paradoxale de son génie, s'était figée en doctrine et, étrange aventure aristotélicienne de notre art, immobilisa la médecine jusqu'au XVIIe siècle. L'observation clinique recommence avec Harvey, et surtout Thomas Willis : "L'afflux de sang est augmenté, il dilate les vaisseaux, distend fortement les membranes et écarte les fibres nerveuses en y créant des froissements douloureux" ("De Anima Brutorum", Oxford, 1672).
Mais les meilleurs artisans furent les médecins migraineux. Charles Lepoix, en 1714, publie son auto-observation et croit aux facteurs climatiques ; vers 1724, John Jacob Wepfer fait publier à Schaffhouse 26 remarquables documents, et observe sur lui-même les phénomènes de vaso-dilatation. Quelques années plus tard, en 1778, dans son "Traité des nerfs et de leurs maladies", puis en 1783, Tissot réalise une synthèse des composantes douloureuses et digestives : s'il mérite bien le nom de "classique de la migraine" que lui décerne Moebius ("Die Migräne", Vienne, 1894), il contribue à une longue et bien fâcheuse conception digestive de la maladie. En 1860, DUbois Raymond le migraineux, sous le terme de "vasomotor neurosis", relie l'action du sympathique cervical et la vaso-constriction des vaisseaux dits "crâniens". C'est alors que s'ouvre l'ère des grandes descriptions cliniques, telles celle de Trousseau qui, frappé par ces manifestations violentes et fluxionnaires, songe à un terrain goutteux ; celle de Charcot enfin qui, en 1876, dans une leçon consacrée aux causes de l'"hémiopie latérale" en donne la description suivante : "Il s'agit d'une forme particulière de la migraine, c'est-à-dire d'un accident essentiellement transitoire, revenant par accès, marqué surtout par la coexistence d'un scotome scintillant, d'une hémiopie latérale plus ou moins prononcée et quelquefois d'un certain degré d'aphasie et d'engourdissement dans la face et les membres du côté droit. La céphalalgie, les nausées et les vomissements terminent habituellement la scène". Charcot reviendra à plusieurs reprises sur les migraines, en particulier en 1880 avec la fameuse description de la migraine ophtalmoplégique, tandis qu'avec Ferre ("La Migraine ophtalmique", 1881), puis avec Babinski, il consacre le terme de "migraine accompagnée". Tandis que la clinique de la migraine finit de s'élaborer, commencent les premières interprétations psychopathologiques et les recherches thérapeutiques. En France s'est perpétuée une tradition d'intérêt, et nous retiendrons, selon leurs diverses orientations, les travaux de Pasteur Valery-Radot et ses élèves, ceux d'Alajouanine, Garcin, David, Ajuriaguerra, Hecaen, Nick et Pluvinage... ; ceux des gastro-entérologues qui luttèrent plus que d'autres contre l'ambiguïté des pathogénies et thérapeutiques digestives des migraines (Caroli, Vachon, Girard, etc.).
En fait, les travaux fondamentaux qui édifièrent les conceptions physiopathologiques de la migraine avec ses incidences thérapeutiques ne commencèrent guère que vers 1930. Les noms de Harold G. Wolff, Adrian M. Ostfeld, Charles Kunk, John Graham, K. Finley, ARnold Friedman, Sicuteri, Lance, etc., reviendront au cours de notre exposé. [...]
Bilan du traitement
[...] Est-il nécessaire de rappeler les sages conseils dont bénéficieraient beaucoup de migraineux s'il existait un moyen de les leur faire suivre : hygiène de vie, exercice physique harmonieux, modéré et régulier au grand air évidemment, lecture de détente, réduction des soucis, du surmenage, des contrariétés, changement de climat et de niveau : la mer pou les uns, la montagne pour les autres, et pourquoi pas un séjour aux "Eaux". Eviter un régime sévère qui, sauf cas rares et mets connus de chaque intéressé, ne peut qu'entretenir la contrainte, l'obsession de la crise et la frustration...
Dans le domaine du possible, c'est-à-dire des médicaments, il est aisé de faire accepter un traitement de la crise migraineuse même s'il doit être un peu subtil. Mais les véritables migraines, dès qu'elles se répètent deux fois par mois, et quelques fois moins, nécessitent un traitement de fond. On doit en expliquer le but et en obtenir la permanence pendant des mois. Il faut, au départ, un peu d'enthousiasme, et donner à chacun l'impression qu'il s'agit de "sa" migraine, aussi originale dans ses éléments complexes qu'il l'est lui-même. Au fil des semaines et des mois, il faut, servitude commune au malade et au médecin, obtenir des nouvelles et y répondre, sans se lasser jamais d'adapter le traitement et sans aucun a priori quant à l'efficacité et à la tolérance. La simplicité est bien une qualité maîtresse de tout traitement au long cours, mais ici, elle n'est guère obtenue qu'au détriment évident de l'efficacité. L'association des trois groupes fondamentaux (vasculaire, antisérotonine, psychotropes) s'impose, souvent nuancée encore par une combinaison de divers "antisérotonines" à faibles doses et de quelques psychotropes. Il faut se persuader que l'effort est quelquefois récompensé : un tiers de bons résultats, un tiers de satisfaisants !
[...] Nous avons réservé dans la conclusion la place qui doit revenir à ce qu'il est convenu d'appeler la "psychiatrie dans le traitement des migraines".
La migraine n'est pas une maladie psychosomatique. C'est un syndrome autonome dont nous commençons à connaître les bases anatomiques et biochimiques, qui est indiscutablement de nature génétique, régi par des facteurs dont la pénétrance nous échappe encore. Mais tout individu susceptible d'être un migraineux ne fait pas forcément et constamment des migraines : leur apparition est fonction d'un grand nombre de facteurs. Les uns sont très probablement organiques purs, répondant à des faits physicochimiques : telle la pression atmosphérique, un produit alimentaire, un cycle ovarien.
D'autres sont d'ordre psychologique à part entière ou relative : il y entrera tantôt une part psychique fortement mâtinée de physique, comme par exemple dans le surmenage, la fatigue ; et d'autres fois, le facteur mental sera beaucoup plus pur, comme une émotion, un chagrin, un souci. Parfois, la personnalité du malade paraît plus directement en cause, véritable facteur permanent de risque : ce sera le classique profil migraineux où l'anxiété, la rigidité, la manie vérificatrice, le scrupule, le perfectionnisme, l'ambition, etc., paraissent aller de pair avec la maladie migraineuse, comme si un même facteur constitutionnel génétique régnait aussi bien sur la céphalée que sur le comportement. D'autres fois, que le sujet laisse ou non apparaître cette structure mentale, il semble que l'on puisse incriminer un conflit profond entre le malade, sa famille, son conjoint, sa profession, son supérieur, etc. Il est alors tentant d'expliquer la maladie migraineuse par le facteur psychologique ; il devient encore plus alléchant d'essayer de trouver l'explication parfaitement méconnue du malade dans son inconscient et si possible dans son enfance, et toujours avec un élément sexuel : et en triturant le passé, de montrer que l'on possède "la clef qui explique tout"... à condition d'être parmi les initiés. Nous voyons là le processus a-scientifique, stérilisant de tout progrès, exemplaire retour en arrière à l'âge des doctrines, fidèle image de la scolastique aristotélicienne dont n'a changé que la terminologie du moderne Diafoirus.
Un peu schématiquement, le facteur psychologique peut apparaître sous deux aspects principaux. Tantôt, un migraineux sévère recèle en lui une angoisse, un rancœur, une déception, une inadaptation sexuelle ou autre, une frustration dont il n'a pas conscience et dont l'importance lui échappe. La valeur thérapeutique de la "révélation" de cette difficulté est d'une appréciation difficile ; certains voudront au contraire soit valoriser l'avenir en y proposant un but, soit espérer favoriser l'oubli, seul remède aux grandes peines humaines. Il est évident que dans de tels cas, le facteur réactionnel ou autonome imprime "à la migraine de ce migraineux" une composante psychiatrique particulière. Tantôt, une migraine rebelle se colore différemment : le syndrome algique est manifestement remanié par un comportement de type hystérique, patho-cultivé par l'entourage ; devenu sa raison d'être, lui permettant de s'imposer à une place qui lui paraît indûment refusée, ou se transformant en refuge devant des difficultés, des responsabilités et des décisions qu'il veut éluder, il représente son mode d'expression en face d'une situation sans solution réelle ou acceptée.
Nombreux sont ces cas, terrain idéal des intrications étroites en migraines authentiques, psychalgies, tension headache, "mal d'Atlas", l'un déformant l'autre et le favorisant. C'est alors que s'installent des céphalées continues, obsédantes, quotidiennes, qui relient une crise à l'autre et tendent à l'effacer. Savoir déceler les deux éléments et y adapter le traitement n'est pas chose aisée. La migraine du psychopathe ou la psychalgie du migraineux ouvre aussi largement les portes de la psychothérapie que celles de la pharmacopée. Il devient alors évident que la façon de donner fait autant que ce que l'on donne. Devant ces situations qui sont très fréquentes à des degrés divers, le rôle du médecin praticien, plus encore s'il est médecin de famille, est irremplaçable. Connaissant ses malades, leurs antécédents, leurs problèmes, il est plus apte que quiconque à comprendre et à aider. Il serait donc désolant que s'accentue le délaissement des médecins pour les problèmes humains psychiatriques, c'est-à-dire authentiquement médicaux : l'évolution scientifique de la médecine ne doit pas être vétérinaire, chaque art a ses obligations et ses difficultés.
Sans doute longtemps sous-estimé, le handicap qu'apporte la migraine à la qualité de la vie de tant d'êtres humains a fait naître puis s'organiser depuis quelque vingt ans de véritables clubs d'études cliniques et thérapeutiques, de petits groupes de médecins et fondamentalistes, cliniciens et biologistes. On aperçoit de-ci de-là l'accumulation des documents qui, de seules observations cliniques et thérapeutiques, deviennent d'un volume quelque peu inquiétant. On veut espérer que cette fastidieuse et pénible mise en cartes "ad usum ordinateur", comme il se doit aujourd'hui, aura été bien programmée ! Toute initiative reste la bienvenue. Sur un plan plus modeste, nous avons entrepris de rechercher quelles pouvaient être les constantes fondamentales communes à la plupart de nos migraineux et orienté notre travail avec P. Trouillas et Bétuel sur les identifications des groupes HLA et sur l'analyse du système immunitaire de ces individus.
Il est éminemment souhaitable que ne se constituent pas des "cliniques de migraine", des "spécialistes de migraine" ; ils verront globalement dirigés sur eux, non pas les migraines, mais les "maux de tête", et le médecin praticien reviendra à l'époque précédant les observations de Arétée de Cappadoce : n'ayant même plus l'énergie et le désir de faire un diagnostic, il adressera dans une même confusion l'urémique, l'hypertendu, la néoformation cérébrale, le surmené dépressif et quelquefois le migraineux. IL importe que tout médecin se persuade qu'il possède dans l'immense majorité des cas tous les éléments pour qu'un diagnostic soit fait et conduise à la suppression des crises rares et légères et à la dégradation du potentiel évolutif des migraines sévères répétées ; qu'il sache aussi que près d'un quart environ d'entre elles échapperont à lui comme à tout autre.
Les céphalées
G. Serratrice, S. Angeletti - Marseille
M. Girard - Lyon
P. Vercelletto - Nantes
J. Nick, P. Bakouche, A. Reignier - Paris
M. Devic - Lyon
années 70
Articles de recherche médicale
Conception et réalisation Elpé Productions
Imprimé par Oberthur, Rennes
319 pages
07:06 Publié dans Beaux-Arts, Dessin, Gravure, Réflexions, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : migraine, céphalée, mal de tete, maux de tete