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vendredi, 11 juillet 2014

Petit bréviaire des tempéraments

 

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Extrait de "Petit bréviaire des tempéraments", François-Gildas Tual, in "Cité musiques, la revue de la Cité de la musique", n°73, janvier-juillet 2014

Qu'on souffle de plus en plus fort dans un tuyau et le voici sonnant successivement à l'octave puis à la quinte supérieure, montrant le caractère naturel de ces intervalles. En maintenant le souffle égal, on obtiendrait un résultat comparable en ôtant du tuyau la moitié ou les deux tiers de la longueur, corrections de diamètre mises à part. Car il en est des tuyaux comme des cordes : coupé en deux ou en trois, ils rappellent que les nombres les plus simples produisent, par multiplication de fréquences, les combinaisons sonores les plus harmonieuses.

Les philosophes grecs ont très tôt révélé la perfection numérique des intervalles les plus agréables à l'oreille. Passant à côté d'une forge, Pythagore aurait pesé les marteaux s'abattant sur l'enclume afin de comprendre pourquoi ils sonnaient si bien ensemble, tandis qu'Hippas aurait utilisé des disques de bronze d'épaisseurs différentes, Lasos d'Herminè des vases à moitié, au tiers ou au quart pleins. Des légendes charmantes mais scientifiquement discutables, dont on retiendra surtout que de l'ordre dépend l'harmonie, du sage dépend le beau.

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Résumons : il suffit de multiplier par 2 une fréquence pour parvenir à l'octave, par 3 pour entendre la quinte supérieur, par 3/2 pour avoir la première quinte au-dessus de la note initiale. Considérés comme purs, ces intervalles peuvent servir à la construction d'une gamme puisque, sautant de quinte en quinte, on rencontre les douze degrés de la gamme chromatique avant de retrouver la note de départ, transposée de quelques octaves.

Ironie des nombres, la combinaison de rapports simples engendre des rapports compliqués. Parce que le résultat est différent selon qu'on multiplie une fréquence par 3/2 à douze reprises ou qu'on la multiplie par 2 sept fois, la dernière note du cycle des quintes est trop haute, séparée d'un comma de la septième octave attendue. Pour construire une gamme à partir des quintes pures, il n'est donc d'autre solution que d'oublier la douzième multiplication, et d'admettre la présence d'une plus petite quinte très dérangeante. Les intervalles purs mis bout à bout ne faisant pas nécessairement bon ménage, les musiciens furent donc condamnés à fausser, ou plutôt à corriger leurs calculs, afin d'en tirer un résultat plus juste.

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Sont dits purs les intervalles issus d'un rapport de fréquences arithmétiquement simple. Les notes ainsi unies ont la propriété acoustique de ne faire entendre aucun battement, capables de fusionner et de donner l'impression de ne former qu'un seul son. Ainsi l'octave (2/1) et la quinte (3/2), longtemps considérées comme des consonances parfaites, ainsi que les tierces majeures (5/4) et mineures (6/5), devenues consonances imparfaites. Les tierces obtenues au moyen du cycle pythagoricien des quintes n'étant pas pures, il est illusoire de vouloir trouver un système préservant simultanément la pureté de tous les intervalles.

Au XVIe siècle, conformément à l'évolution des sensibilités musicales, Zarlino suggéra de résoudre le problème en associant la pureté de quintes à celle des tierces. Mais un autre écueil se dressa car, dans son système, il existait maintenant plusieurs sortes d'espaces entre les notes conjointes ; en clair, le n'était plus également distant du do et du mi, et chanter une gamme revenait à monter un escalier fait de marches de hauteurs différentes, avec des tons majeurs et des tons mineurs.

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C'est pourquoi d'autres théoriciens décidèrent d'en finir avec la pureté utopique des gammes naturelles, et imaginèrent toutes sortes de tempéraments*. Veillant à ce que les écarts intempestifs fussent répartis tantôt régulièrement, tantôt irrégulièrement entre les autres intervalles, ils avaient pour premier souci que chaque rapport fût satisfaisant à l'oreille. Ils voulaient à la fois ne pas trop déformer les quintes naturelles, préserver la qualité de tierces, et éviter au musicien de tomber dans la gueule, ou plutôt dans la Quinte du loup, c'est-à-dire dans un intervalle mal dimensionné. Le tempérament étant fixé par l'accord préalable de l'instrument, il leur était aussi difficile de s'adapter aux modulations car le moindre changement de tonalité modifiait la distribution des intervalles dans la nouvelle gamme. C'est pour cette raison que Bach élabora un système qui pût répondre aux exigences du Clavier bien tempéré, dont les préludes et fugues traversaient les vingt-quatre tonalités.

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D'un tempérament* à l'autre, une même gamme majeure pouvait sonner très différemment ; au sein d'un même tempérament, elle pouvait changer d'aspect selon la note de départ. Autant dire que les couleurs de l’œuvre dépendaient totalement du tempérament choisi, et que l'invention du tempérament égal** ne fut qu'un progrès relatif. Loin de la pureté pythagoricienne, il avait certes le mérite de paraître moins faux mais, en ne recourant qu'à une sorte de demi-ton, il rendait les diverses tonalités affreusement uniformes, réduisait les possibilités d'expression, jusqu'à abolir l'éthos des modes qui ne fut dès lors plus mentionné qu'à des fins symboliques. Au XXe siècle, certains décidèrent de s'extraire de ce carcan égalitaire en se réfugiant, les uns dans les micro-intervalles, tiers, quarts ou huitièmes de tons, les autres dans les hauteurs indéterminées des percussions ou des nouveaux moyens de production du son. A nous de trouver désormais consolation en écoutant les œuvres anciennes interprétées comme elles purent l'être autrefois, ou en sortant de nos territoires afin de partir en quête de musiques qui auraient échappé à de telles spéculations rationnelles. Hors des frontières occidentales, il en demeure qui laissent les notes se mouvoir librement en fonction des modes, des lignes mélodiques, des rapports harmoniques ou des affects, nous rappelant que stabilité et égalité ne vont pas de soi dans les domaines du sens et du sentiment.

 

* Tempérament : du latin impérial temperamentum, "juste proportion", ou du latin classique temperare, adoucir.

 

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jeudi, 10 juillet 2014

Clavecin et Jean-Sébasien

 

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Extrait de "Les as du sautereau", Philippe Venturini, in "Cité musiques, la revue de la Cité de la musique", n°73, janvier-juillet 2014

 

[...] quatre axes qui régissent la musique pour clavier de Bach : les styles français (les suites) et italien (les concertos) que, comme ses contemporains, il se plaisait à vouloir mêler, les compositions savamment construites selon les règles du contrepoint comme Le Clavier bien tempéré ou les Variations Goldberg, et les pièce pédagogiques comme les Inventions et Sinfonias que tout apprenti claveciniste (et pianiste) a eu entre les doigts. Le génie synthétique de Bach a cependant allègrement sauté ces barrières, n'oubliant jamais d'instruire en divertissant. Ne destinait-il pas ses redoutables Variations Goldberg "à l'intention des amateurs pour la récréation de leur esprit"?

L'aventure révélera des pages moins connues que la Fantaisie chromatique et fugue ou les Toccatas, mais elle donnera aussi l'occasion de découvrir l'extraordinaire variété de la facture du clavecin grâce à des instrument historiques issus de collections particulières ou du riche Musée de la musique comme le Goujon/Swanen et le Hemsch.

 

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Le premier se remarque par sa débauche d'or sur laque noire, ses vols d'oiseaux, ses bouquets d'arbres, ses pagodes et ses kimonos typiques de l'engouement européen pour les chinoiseries au milieu du XVIIIe siècle. Construit par Jean-Claude Goujon, il subira un premier ravalement, c'est-à-dire une extension du clavier, en 1749 (signature DF) puis un second en 1784 par Jacques Joachim Swanen. Il compte soixante-et-une notes (cinq octaves), deux jeux de 8 pieds et un de 4 pieds, deux claviers, des genouillères destinées à des effets tels que le diminuendo et le jeu de "buffle" (une pièce de cuir actionne la corde).

Le second clavecin contraste par sa sobriété noire et or, qui n'empêche pas le fleurs de s'épanouir sur la table d'harmonie. Œuvre du facteur d'origine allemande Jean-Henri Hemsch installé à Paris, cet instrument de 1761 représente l'archétype français d'alors, sonore et lumineux : deux claviers, deux jeux de 8 pieds, un jeu de 4 pieds et un jeu de luth, cinq octaves. Le réglage de chacun, le fameux tempérament qui régit l'accord, longtemps variable avant de devenir égal (Le Clavier bien tempéré), participera aussi à la diversité musicale autant que la personnalité de chaque artiste.

"Contrairement à ce que l'on croit trop souvent, le son du clavecin change au gré des interprètes, explique Olivier Baumont. Chaque claveciniste fait naître sa propre sonorité." [...]

 

07:04 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bach, clavecin, clavier