Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 13 juin 2014

Toujours à deux mètres de l'arrivée

 

audrey diwan,styliste,bouteille à la mer,plage,claude lelouch
Source : http://www.basilesegalen.com/2011/03/une-bouteille-la-mer...

 

Billet d'Audrey Diwan, in magasine gratuit Stylist, N°048, 15 mai 2014 :

 

Mauvaise habitude n°31

 

Tu écoutes le bruit des vagues et tu te demandes quel humain pervers a choisi le premier de poser son ennui estival au soleil, sur une plage, histoire de brûler vive toute envie de faire quoi que ce soit, jusqu'à ce que revienne enfin l'heure de travailler.

Toi, de manière générale, tu ne supportes l'idée de la plage que froide, normande et, si possible, filmée par Claude Lelouch. Sans quoi tu as toujours pensé que cet espace n'était fait pour rien : on y lit mal, laissant au vent le soin de tourner des pages trop vite parcourues, on y mange des cacahuètes enrobées de sucre dans savoir pourquoi ces croquettes sont le must de l'endroit et on y passe le reste du temps à chercher du réseau pour parler à ceux qui ont la chance de vivre des choses plus excitantes ailleurs. Pour finir, chacun y est juste bon à s'enduire d'huile solaire qui une fois trempée dans le sable, rapproche l'être humain du poisson pané. Toi, tes veines gonflent tant avec la chaleur que tu ressembles vite à une statue de marbre, mais dans sa version molle, Vénus aux kilos. Tu es donc devenue sportive temporaire par obligation vasculaire. Tu noies les heures en faisans la brasse.

Tu te souviens que, petite, tu aimais t'imposer des distances à tenir, tu y voyais un entraînement important, l'exercice de la volonté. Tu te fixais un nombre précis de longueurs. 100. Et tu t'interdisais d'y déroger même lorsque ton corps criait au supplice.

Tu te disais : "Si tu arrêtes à 98, tu vas rater ta vie. Tu foireras toujours à deux mètres de l'arrivée."

Mais tu n'étais pas la seule à jouer ainsi les auto-tortionnaires, victime et bourreau ensemble dans l'eau, bipolaire au grand bain. Ta copine, Mimi, une Chinoise qui vit à Londres, est assise ce soir à côté de toi, à écouter le ressac et t'avoue que, enfant, elle aussi testait sa résistance, mais dans une baignoire, plongeant sa tête sous l'eau le plus longtemps possible, jusqu'à l'asphyxie. La version asiatique de l'exercice de persévérance, ajoute-t-elle en rigolant. N'empêche, depuis, elle a grandi et réussi à arrêter la cigarette, l'alcool et plus récemment le sucre qu'elle juge cancérigène. L'obstination élevée au rang d'art. Toutes les deux, vous imaginez les personnalités qui ont, elles aussi, passé le test [...].