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lundi, 08 septembre 2014

Considérations sur le roman I

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Le roman, quand l'écriture frontale engagée n'est pas envisageable

Le roman, pour donner la parole aux miséreux comme aux arrivistes,

aux humiliés, aux offensés, proscrits et exclus

 

 

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"[...] Les jeunes auteurs critiquent la décadence morale de leur pays", entretien de Fanny Mossière (éditrice) par Thierry Clermont - tclermont@lefigaro.fr -, Le Figaro, fascicule Le Figaro et vous, jeudi 12 juin 2014

 

Le Figaro : Qu'est-ce qui caractérise la jeune littérature russe ?
Fanny Mossière : En Russie, les revues littéraires (Znamia, Novy Mir, Oktyabr...) sont très actives. C'est d'abord par ce biais que le public découvre les nouvelles voix de la littérature. Bien souvent, les romans y sont publiés en plusieurs fois, avant de paraître en volume : c'est le cas de Mikhaïl Chichkine, Pismovnik (traduit par Deux heures moins dix), best-seller en Russie. Zakhar Prilepine, Roman Sentchine, Oleg Pavlov ont d'abord été publié en revue ; celles-ci font office de défricheurs pour les maisons d'édition. Les écrivains des années 1990-2000 s'intéressent au contexte social et à la vie quotidienne ; la tendance est réaliste, voire hyperréaliste. Le discours est social et politique ; aujourd'hui comme tout au long de l'histoire de la Russie, l'écrivain se doit d'être engagé.
Dmitri Bykov, auteur de satires politiques, publie des chroniques dans la presse, s'exprime à la radio et à la télévision. Prilepine est populaire précisément en raison, de son engagement politique ; ses romans (pour la plupart traduits en français) mettent souvent en scène des activistes, généralement d'extrême gauche. Les jeunes écrivains décrivent la misère sociale, le chaos qui a suivi l'effondrement de l'URSS, la corruption, l'arrivisme et la perte de repères. Ils mettent en regard le passé soviétique avec la société actuelle. Beaucoup situent leurs textes dans les années 1990, marquées par la corruption et la désorganisation totale.

Parmi eux, Roman Sentchine est un cas à part. Qu'apporte-t-il de nouveau ?
Souvent cité par les écrivains de sa génération comme un modèle, Sentchine est l'un des représentants de ce "nouveau réalisme" : il décrit avec une précision clinique les difficultés du quotidien et les conséquences de la bataille permanente que livrent les Russes pour échapper à la misère. Dans Les Eltychev, l'écrivain dépeint la déchéance d'une famille sibérienne, contrainte de quitter sa petite ville pour un village sinistré. Autre illustration : dans Informatsia, Sentchine décrit l'arrivisme de la nouvelle classe moyenne moscovite ; les personnages, en proie à la solitude et au vide, font preuve de la même dégradation morale que leurs alter ego de la province.

Quelles sont leurs principales influences ?Les écrivains de la nouvelle génération traitent également des grands thèmes de la littérature universelle, comme l'amour, la mort, la relation à Dieu et à la nature. En cela, ils se réclament de la littérature russe des XIXe et XXe siècles et revendiquent l'influence de Tolstoï, Dostoëvski, Bounine, lauréat du Nobel en 1933. Pour d'autres, Edouard Limonov est la référence absolue. Oleg Pavlov, qui a publié son premier roman en 1994, à 24 ans (Conte militaire, publié en français dans la trilogie Récits des derniers jours en 2012), plonge le lecteur au cœur de l'armée, aux confins d'un empire dévasté. Dans Le Banquet du neuvième jour, Pavlov use de son talent de portraitiste et de son humour noir pour raconter l'odyssée délirante d'un détachement qui rapatrie le cadavre d'un soldat. Ses descriptions des camps de l'armée évoquent le goulag, mais aussi le moment absurde et tragique du déclin de l'empire. Fidèle au thème des humiliés et des offensés, Pavlov reflète les aspects obscurs de l'existence, le monde des proscrits et des exclus, de l'histoire cruelle, presque fantastique, de la Russie.